"On ne trahit pas ce qui n'existe plus". -Jacques R. Chirac.
D'excellentes critiques de NieR sont déjà lisibles ici, traitant autant des aspects techniques que narratifs, musicaux ou des supériorités du médium vidéo-ludique pour cette histoire. Je ne reviendrais donc pas sur tout cela, il y a une beauté évidente dans ce jeu, mais je veux m'attarder sur les thèmes.
Il y a indubitablement une grande influence philosophique dans cette histoire -bien trop courte à mon goût-, jalonnée par des références à Blaise Pascal ou encore Nietzsche, mais il y a plus encore un énorme travail autour de l'identité, la recherche d'une civilisation humaine.
Le monde de NieR nous présente un univers extrêmement ironique : une guerre presque perpétuelle pour des valeurs défendues par des parties éteintes des siècles auparavant. D'un point de vue pragmatique, ce n'est qu'une histoire d'armes. Armes programmées pour ne jamais être qu'armes.
Et pourtant. Et pourtant, des désirs. Désirs de conscience, désirs de sens, désirs d'individualité, de construction personnelle, d'appartenance, de libre arbitre. Et tous ces désirs à la source d'expérimentations. NieR pose une question pertinente des définitions, des limites : qu'est-ce qu'être humain, qu'est-ce qu'être machine ? Si l'idée peut extrêmement bien s'exposer en livre ou en film, l'intérêt du jeu se trouve dans le fait que l'identification aux personnages est nécessaire, elle est inévitable, elle est préférable car elle facilite. Les thèmes que NieR peut soulever sont si écrasants que l'immersion la plus totale devient essentielle. Et dès lors que le joueur accepte de se prendre au "jeu", le voilà piégé, mais quel beau piège.
Car oui, il y a une beauté irrévocable dans les thèmes de NieR. Contrairement à l'habituelle médiocrité utilisée comme source de contestation, de révolte, on a ici un cynisme grinçant qui se fond en beauté. L'ironie est là, elle structure tous les actes des protagonistes, qu'ils soient principaux ou infiniment secondaires. Chaque objet mobile est en quête d'une conscience, en quête d'une humanité -à défaut de trouver meilleur terme- et c'est bien ce processus d'imitation qui donne toute la beauté, et non la tristesse, de cette histoire. Peut-on parler de civilisation quand ses membres n'expérimentent que par la recréation de civilisations passées ? Peut-on parler d'humanité quand chaque parcours sensoriel et émotionnel -clé de voûte du sentiment d'individualité, de l'orgueil moderne- est simplement calqué sur d'autres parcours similaires, converti en lignes de codes ? Telle est l'une des grandes questions que pose NieR : de quel droit devrions-nous exclure d'autres formes d'existences à la définition d'humanité ? Si l'humain se permet de clamer une supériorité sur une base de médiocrité, peut-être serait-il honnête de ne pas nier l'humanité à n'importe quel programme informatique, numérique ou mécanique construit sur ces valeurs.
Et au final, qu'est-ce que l'humanité si elle n'est pas exclusivement nôtre ? NieR excelle dans la déconstruction existentielle : ce n'est pas un jeu dont on doit sortir satisfait, il est impératif de se sentir extrêmement perdu. Peut-être y-a-t'il une véritable morale voulue par ses développeurs, censée apaiser le joueur à la fin de son aventure, mais l'histoire laisse une si grande ouverture, un champ d'interprétation tel qu'il n'y a -du moins temporairement- que la voie masochiste qui semble pouvoir être empruntée. NieR est une attaque. Une histoire tantôt contemplative, tantôt d'une extrême violence. Jouer à NieR ne devrait idéalement pas être qu'une distraction, mais une expérience personnelle incontrôlable, magnifiquement indomptable. Ou peut-être est-ce, au contraire, un électrochoc, censé nous pousser vers quelque chose différent, une conception de l'existence encore jamais atteinte sur la globalité humaine. Un cri à l'aide ? Un cri au désespoir ? Ou encore un cri au mouvement ?
Alors, qu'attendez-vous pour embrasser le déni ?