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Studio polonais qui prend de l’envergure ces dernières années, Bloober Team a su se démarquer en 2016 par la sortie de Layers of Fear. Première production dans le domaine de l’horreur psychologique, le titre a amené le studio polonais à continuer sur cette voie. L’année suivante, Observer voit le jour et demeure, encore à l’heure d’aujourd’hui, l’opus le plus apprécié du catalogue de Bloober Team. En novembre 2020, Observer revient sous une nouvelle mouture. Renommé Observer System Redux, en plus des habituelles améliorations visuelles et techniques, le jeu se pare de nouvelles missions annexes. Il faudra patienter jusqu’au 23 juillet 2021 pour que le jeu ait droit à une édition physique sur PS4/PS5, Xbox One et séries S/X, ainsi que sur PC.
Journée ordinaire, évènement extraordinaire
Si Bloober Team s’oriente exclusivement vers les jeux horrifiques depuis le succès de Layers of Fear, chacun de ses titres tente une incursion dans un registre particulier. Ainsi Observer lorgne ouvertement vers le cyberpunk, un genre qui a encore fait parler de lui récemment avec le titre phare de CD Projekt.
Mais que se cache-t-il concrètement derrière le terme de cyberpunk ? Si le genre touche tous les domaines (littérature, cinéma, jeux vidéos…), il évoque instantanément certaines œuvres ainsi que des visuels devenus une norme dans la pensée populaire. Sous-genre de la science-fiction, le cyberpunk présente un futur bien souvent dystopique où l’avenir se montre particulièrement pessimiste. L’humanité est livrée à ses propres désirs et ambitions, quand elle n’est pas dévorée par ces dernières. La technologie est omniprésente aussi indispensable que novice car mal utilisée ou aux mains de conglomérats visant le profit au détriment de l’humain.
Observer brasse tous ces éléments et évoque directement des images de Blade Runner (une des grandes inspirations de Bloober Team) et ce dès les premières minutes du jeu. Assis dans sa voiture de fonction, le héros aperçoit au-dehors une ville seulement illuminée par les néons. La pluie crépite, couvrant presque la voix robotique qui emplit l’habitacle.
Daniel Lazarski est un policier bien différent de ceux qu’on a l’habitude de côtoyer, ce qui est souvent le cas dans les univers d’anticipation. Il est un Observateur : à l’aide du Mange-Rêve, il lui est possible de visiter les souvenirs des autres individus. Ce processus n’est pas sans risque puisqu’il consiste à pirater la puce neuronale du « patient ». En plus de fouiller dans la mémoire d’autrui, Daniel se retrouve impacté par les évènements qu’il visualise ce qui causera toujours un stress chez lui. Heureusement il peut compter sur la synocide : une pilule qui régule son rythme cardiaque et apaise ses tensions. Un soin qui ne sera pas sans conséquence sur le long terme, on s’en doute bien.
C’est donc une journée habituelle que vit Daniel avec son lot d’investigations, d’imperméable imprégné par la pluie et de lassitude digne d’un anti-héros de thriller. Tout bascule à l’instant où notre protagoniste reçoit un appel de son fils, Adam. Le bref échange, tendu, sous-entend que les deux individus ne sont plus vus depuis des lustres. Daniel décide de retracer l’origine de l’appel pour retrouver son rejeton. Dans l’appartement dévasté l’attend un corps décapité. A peine remis de ses émotions, découvrant qu’un brouilleur empêche de définir l’identité du cadavre, Daniel se retrouve emprisonné dans l’immeuble. L’état d’alerte s’est déclenché, verrouillant tous les accès. Il est désormais enfermé, ainsi que tous les résidents, avec un tueur à proximité.
Une ambiance en accord avec son univers
Il faut croire que Bloober Team apprécie le huis-clos. Il faut dire qu’un espace cloisonné permet d’exacerber les peurs aussi bien par l’architecture que le level-design lui même. Si le manoir de Layers of Fear respirait un faste désuet, l’immeuble qu’est le Désert se pare d’atours électroniques. Le hall baigne dans une lueur bleutée électrique que l’on retrouve par petites touches dans les autres étages. Plus l’on progresse, plus la décrépitude des lieux se fait présente et atteint son paroxysme dans les sous-sols, véritable labyrinthe aux relents de coupe-gorge.
Le travail de remastarisation aide à parfaire l’ambiance menée par Bloober Team. Les décors sont bien plus riches en détails conférant à chacun des appartements visités sa propre identité, par exemple.
Le peu de présence humaine n’aide guère à se sentir à l’aise. Si Janus, le concierge, est bel et bien présent en chair et en métal, les autres rencontres sont très limitées. Les quelques corps que Daniel approche sont des cadavres. Les résidents encore en vie sont parqués dans leurs appartements. On ne peut converser avec eux que via des interphones dont les écrans montrent bien souvent qu’un œil. Ces échanges permettent d’en apprendre davantage sur l’immeuble et ses occupants ainsi que participer à l’ambiance d’Observer. Le dialogue est ainsi un des éléments centraux du jeu. Entièrement en anglais, il est très bien mené avec d’ailleurs en invité principal Rutger Hauer prêtant sa voix à Daniel. Si le nom ne vous évoque rien, il n’est rien de moins que l’acteur incarnant Roy Batty dans Blade Runner, ce qui est un fort joli clin d’œil à un film iconique du genre cyberpunk.
C’est là un des grands atouts de Bloober Team : la création d’une atmosphère étouffante en jouant avec les codes de l’univers instauré. Comme dans Layers of Fear, nombre d’informations sont distillées à travers les objets glanés durant l’investigation. En plus des scènes de crimes, Daniel peut interroger les résidents mais aussi fouiller dans l’environnement, dont les ordinateurs. Ces derniers renferment de multiples documents qui pousseront le joueur curieux à mener ses propres hypothèses en attendant de découvrir le fin mot de l’histoire. On apprécie d’autant plus que le jeu soit intégralement traduit en français pour profiter de l’écriture de ces multiples documents.
Si l’immeuble permet des phases d’exploration, l’investigation des souvenirs amène tout un pan horrifique presque hallucinogène. Loin d’être restituées de façon pragmatique, les souvenirs sont dévoilés à travers des décors presque cauchemardesques, comme si les sentiments de l’individu en modifiaient la perception. C’est l’occasion pour Bloober Team de laisser libre court à sa mise en scène. Ainsi la mémoire d’une petite fille sera perçue à travers un décor dessiné empli de rires d’enfants et celle d’une employée de Chiron révèle un open-space labyrinthique. On a même droit à une chambre d’appartement se mettent à émettre des battements de cœur jusqu’à ce que l’architecture devienne un véritable organe.
L’OST vient apporter sa patte à l’ambiance du titre. On retrouve Arkadiusz Reikowski, compositeur-clé du studio puisqu’il a œuvré sur Layers of Fear mais aussi The Medium. Les sonorités proviennent de synthétiseurs soulignant l’aspect technologique de l’univers. En plus des sonorités, le compositeur a ajouté des voix murmurant en des dialectes inconnus qui viennent ajouter de l’oppression à l’ensemble.
Le travail d’enquête est d’ailleurs très bien mené dans les affaires secondaires qui habitent l’immeuble. Observer comporte sept quêtes annexes dont trois ont été ajoutées à la version System Redux. S’il est tout à fait possible de les ignorer, je vous conseille fortement de vous y intéresser. Ces missions apportent des éléments sur l’univers même du jeu et vous surprendront aussi par leur finalité. En sus, chaque quête peut connaître une conclusion différente selon le choix que vous opérez. A vous de voir si vous souhaitez apporter un peu de lumière dans ce futur décadent, ou si vous préférez vous laisser gagner par l’accablement.
Afin de mener ses enquêtes à bien, Daniel est pourvu de plusieurs augmentations. Ainsi R1 permet de visualiser toutes les technologies comme les ordinateurs et câbles, L1 se concentre sur la biométrique ce qui est très utile pour analyser les cadavres et fluides. Vous pouvez zoomer et analyser chaque élément en restant appuyé sur L2. Il vous est possible d’interagir avec les éléments du décor à l’aide de R2. Petit détail que j’ai trouvé très appréciable : en plus de rester appuyé sur la touche, vous devez orienter le joystick pour tirer/pousser les portes et autres tiroirs. Je trouve que c’est un ajout qui permet d’ajouter de l’immersion car on a l’impression de réaliser le geste en jeu.
Même s’il est membre des forces de l’ordre, Daniel ne combat pas. Ainsi face à l’antagoniste vadrouillant dans l’immeuble et une curieuse présence lors des investigations dans les souvenirs, Daniel ne pourra que fuir et se cacher en s’accroupissant à l’aide de la touche rond. L’oppression de ces instants est souligné par les vibrations. Sur Playstation 5, les vibrations restituent le pas lourd de la créature qui sillonne les couloirs à quelques pas de vous. Ces confrontations sont d’ailleurs les seuls moments où Daniel peut mourir. Même si vous ne prenez pas la synocide, vous restez en vie. Seulement votre vision va se troubler de plus en plus jusqu’à colorer entièrement l’écran en noir. Pensez donc bien à prendre vos cachets ! Heureusement le jeu en regorge pour peu que vous fouilliez chaque pièce visitée.
Un opus propice aux analyses
Il est particulier de jouer à Observer System Redux en ces temps troublés par la pandémie. Comme le mentionne Daniel dès le début du jeu, la nanophage représente une menace constante pour les habitants de la ville. Cette peste numérique se déclenche chez les personnes dotées d’augmentations. Par le passé, la Grande Peste a emporté de multiples vies laissant des traces dans les esprits. Plus d’un résident s’inquiète ainsi du soudain confinement, craignant une nouvelle épidémie. Des affiches holographiques scandent des conseils invitant à porter le masque et à s’adresser à un médecin. Autant de messages qui provoquent un curieux écho lorsqu’on lance le jeu en 2021.
Sans entrer dans les détails pour vous permettre de découvrir le jeu et les surprises qu’il recèle, Observer System Redux aborde plus d’une thématique. Bien évidemment, la technologie a droit aux multiples questionnements au sujet de son omniprésence et de son usage. En plus des augmentés, certains résidents refusent catégoriquement d’altérer leurs corps, quand d’autres se sont amputés de leurs améliorations pour éviter la nanophage. L’intelligence artificielle a aussi droit à ses interrogations surtout mises en avant lors d’une quête secondaire que je vous laisse découvrir, et qui questionne, une nouvelle fois, sur la définition même d’humanité. La sexualité et le rapport au corps ne sont pas en reste et ce en travers de deux récits annexes à la finalité surprenante (et pourtant logique, mais jouant sur notre perception).
Autant dire que si vous aimez analyser un jeu vidéo et ses thématiques, Observer System Redux possède de quoi vous faire réfléchir. Si les quêtes annexes connaissent plusieurs résolutions possibles, elles n’ont aucune influence sur le récit principal, ni Daniel. Là où vos actions dans Layers of Fear ont un impact direct sur la conclusion de l’histoire, celle de Observer System Redux repose sur un choix évident qui vous sera toujours proposé quoi que vous ayez accompli au préalable. Moi qui apprécie beaucoup les jeux prenant en compte nos choix moraux, j’avoue que j’ai été désappointée de voir qu’ici ceux-ci sont passés sous la trappe.
Un platine poussant à l’exploration
A mes yeux, un platine ne doit pas forcément chercher à pousser le joueur à mener des actions aberrantes, mais à le récompenser d’avoir exploré l’ensemble du jeu. Sur ce point Observer System Redux répond à tous les critères. Le joueur doit ainsi accomplir toutes les quêtes annexes, dont celles ajoutées à la nouvelle version. Rien de complexe surtout que l’on peut voir à tout moment quelles affaires sont en cours en appuyant sur triangle avec, en sus, un résumé de la prochaine action à accomplir pour avancer. Le jeu disposant de deux fins, il est aussi demandé de les visualiser toutes les deux : le jeu menant une sauvegarde automatique juste avant le choix crucial, il suffit de recharger cette dernière.
Observer System Redux regorge d’objets à collecter qui vont exiger une exploration accrue, d’autant plus qu’à un moment donné il n’est plus possible de visiter l’immeuble. En plus d’ajouter de l’angoisse à l’ambiance déjà fort soutenue du jeu, ces objets délivrent une scène finale venant apporter quelques éclaircissements sur le background des personnages. Seules les photographies des patients de nanophages n’apportent rien à l’univers mais représentent un trait d’humour des développeurs. En effet, chacune de ces photos représente un membre du studio Bloober Team, un clin d’œil que l’on retrouve aussi dans Blair Witch. C’est aussi l’objet à collecter le plus rude à accomplir car le jeu en recèle plus de 70 et que certains joueurs ont connu des bugs liés à leur collecte, certaines cartes n’apparaissant pas durant leur exploration. Le mieux est de dédier entièrement une partie à leur chasse ainsi qu’effacer toute autre sauvegarde pour éviter tout problème car les cartes doivent être ramassées au cours d’une seule et même partie. Ce qui est aussi le cas des autres objets à collecter.
Quelques autres trophées peuvent se montrer exigeants comme un mini-jeu de piratage vers la fin où vous devez réussir à atteindre un score particulier. Un autre mini-jeu peut être découvert sur les ordinateurs et se présente sous la forme d’énigmes puisque vous devez tuer des ennemis en ramassant des armes et en vous déplaçant de façon à occire les araignées sans être touché. A côté, finir le jeu entièrement sans mourir se montre plus simple que prévu. Il existe quatre moments précis où Daniel peut être mis hors d’état de nuire. Lors de ma première partie, j’ai raté le trophée de peu en paniquant bêtement. Il est donc fort possible que vous réussissez ce challenge sans même vous en rendre compte tant que vous veilliez à ne pas foncer sur les ennemis et en restant accroupi pour avancer.
Dans les trophées s’obtenant sans vous en rendre compte, on peut ajouter celui consistant à interroger vingt locataires ainsi qu’analyser cent objets. Sur Playstation 5, on peut d’ailleurs suivre l’avancée de ces trophées grâce au pourcentage s’affichant sur le trophée concerné.
En dehors donc des photos à collecter, le platine de Observer System Redux se montre accessible et amène simplement à explorer le jeu pour en découvrir son contenu, plus riche qu’on ne pourrait le croire de prime abord.
Pour autant, je vous conseille fortement Observer System Redux. Le travail de remasterisation mené dessus permet de rendre le jeu plus agréable à l’œil et les missions supplémentaires ne sont pas de trop dans l’univers. Elles développent des thématiques propres au genre du cyberpunk et participent à l’ambiance anxiogène de l’immeuble. Que ce soit les quêtes secondaires ou le récit principal, les finalités proposées savent surprendre car le jeu joue sur nos perceptions. On sent que Bloober Team a travaillé son univers, distillant les informations à travers les documents et dialogues poussant le joueur à mener un véritable travail d’investigation, ce qui n’est pas sans faire écho à la profession de Daniel.