Plus qu'une simple aventure interactive. Plus qu'un recueil d'énigmes.
Succès surprise au Japon, où il a été créé, le jeu risquait pourtant de passer bien inaperçu en France ; sa jaquette, peu attractive, et son concept, ne lui apportaient pas une grande aide dans un milieu saturé par les jeux d'action à gros budget, typés masculins, et par les grosses licences (suites, adaptations de films, d'émissions télévisées...).
Manquer Professeur Layton serait néanmoins une grande injustice, en regard des qualités du jeu.
Un archéologue, le fameux Layton - détective à ses heures - se rend, accompagné des son assistant (Luke, jeune garçon à la voix niaise) dans le village de St-Mystère.
Lors du trajet (en voiture, un clone de 2CV, un peu croulante), au travers de ce qui ressemble fort à la campagne française du siècle dernier, il explique à Luke les raisons de ce voyage : la baronne du village, connaissant la réputation du professeur (sa capacité à résoudre les problèmes, devenue célèbre), lui a envoyé quelques jours plus tôt une lettre dans laquelle elle explique que son défunt mari a laissé derrière lui un testament plutôt surprenant ; le baron y a en effet indiqué qu'il lèguerait tout ses biens à celui qui retrouvera la Pomme d'Or, cachée dans St-Mystère. Or, personne ne semble rien savoir à propos de ce trésor caché.
Layton apprend à son apprenti qu'un gentleman (ce qu'il se targue d'être) ne laisse jamais l'appel d'une jeune lady sans réponse, et c'est pourquoi ils débarquent dans le village afin de résoudre l'énigme posée par le testament. Ils ne tarderont pas à comprendre que St-Mystère est loin d'être un village comme les autres...
Les noms et le scénario respirent le polar suranné à la Hercule Poirot, reprenant de nombreux codes du genre et plaçant l'action dans un pays anonyme qui pourrait bien être le nôtre, il y a quelques décennies, tandis que le style graphique, très loin du manga, semble inspiré du récent film d'animation français (ce ne doit pas être une coïncidence) Les Triplettes de Belleville : les teintes beiges ou pastel prédominent ici, et les personnages sont tous étrangement proportionnés... Mais aussi très humains.
Tout cela donne un charme unique au jeu ; et cet attrait est renforcé par la présence de courtes scènes animées, superbes, qui donnent vie à l'univers créé, et permettent au joueur d'entendre la voix de Layton, et son amusant accent british.
Avec un tel point de départ dans le scénario, on s'attend à devoir fouiller les moindres recoins du village, à la recherche d'indices ; et c'est le cas. Le joueur va donc être amené à visiter, interroger, chercher... Mais surtout, à résoudre des énigmes.
Le cœur du jeu est en effet basé sur les problèmes de logique, les puzzles, les casse-tête ; car la spécialité des villageois, à St-Mystère, c'est d'en poser, tout le temps. La moindre discussion est donc un prétexte à essayer de coller le pauvre Layton en lui soumettant une énigme mûrement réfléchie ; c'est là que le joueur intervient.
Alors, bien sûr, si vous avez peur de vous triturer le cerveau, passez votre chemin : Professeur Layton est conçu pour les amateurs de sudoku, de mots croisés, de puzzles, de jeux de réflexion, d'illusions d'optique. Ce qui englobe, mine de rien, beaucoup de monde.
Qui n'a, en effet, jamais été confronté à un carré magique, à un problème du type «Trouvez le menteur », « Déplacez une allumette pour... », ou même, à un polar comme Le mystère de la chambre jaune, dans lequel il est difficile de ne pas échafauder d'hypothèses ?
Il est vrai que certains magazines publient également le genre d'énigmes que propose le jeu, mais ils parviennent rarement à motiver celui qui tente de les résoudre. Ici, chaque résolution de problème rapporte des points, et souvent permet de poursuivre l'aventure ; ainsi, le plaisir d'avoir résolu une énigme particulièrement retorse s'accompagne du plaisir de voir l'histoire progresser. Et rapidement, les problèmes s'enchaînent, d'autant plus vite que le jeu dispose d'un système d'indices très bien pensé qui le rend accessible autant aux génies qu'aux débutants.
En plus d'être beau, intéressant, et de disposer d'une atmosphère exceptionnelle, Professeur Layton se permet quelques subtilités scénaristiques qui permettent d'expliquer le nom du village et la propension de ses habitants à poser des casse-tête à tout le monde : le dénouement du jeu est magistral, totalement inattendu, et justifie à lui seul la centaine d'énigmes que le joueur aura eu l'occasion d'essayer.
Si l'on ajoute que la traduction française est, chose assez rare, excellente (malgré les répliques de Luke, niaises en VF comme en VO, et le ton parfois légèrement enfantin – sachant que le jeu, assez difficile, n'est pas destiné aux très jeunes) et claire (heureusement, certains problèmes étant textuels), que les musiques sont originales et adaptées, on tient alors l'un des meilleurs jeux de la Nintendo DS, qui ne plaira pas à certains, mais si bon pour les autres qu'il en paraîtra trop court au joueur transformé en fan.
Celui-ci aura compris pourquoi le professeur Layton est si populaire (dans le milieu) au Japon, et pourquoi il n'est que le premier épisode... d'une trilogie.