Reigns
6.8
Reigns

Jeu de Nerial et Devolver Digital (2016Android)

Critique publiée sur Kultur & Konfitur.


Me voilà roi. Premier de ma lignée, le peuple attend beaucoup de moi, déçu par la tyrannique dynastie m’ayant précédé. Leurs demandes sont parfois audacieuses, voire incongrues, mais, désireux de les combler, j’y réponds favorablement, quitte à décevoir marchands, soldats et autres bigots. Mais la plèbe, certes heureuse, n’empêchera pas ma mort prématurée, fruit de la ruine de mon royaume.


Le roi est mort, vive le roi !


Mon père, Guillaume dit le Jeune, a payé ses imprudences et son inexpérience. Chèrement, mais pas inutilement, j’ai tiré des leçons de ses erreurs. Philanthrope voire un peu populiste, il n’a pas compris que gérer un royaume, c’est faire des compromis, satisfaire tant l’Eglise que la Bande, le peuple que l’Armée. Je serai le souverain de l’équilibre et du tiède : rejeté par personne, nul ne m’adorera non plus. Je ne marquerai peut-être pas cette dynastie, mais saurai lui apporter une stabilité. Mais les épidémies s’enchaînent, à commencer par la peste. Malgré la grange construite par feu mon père, les économies du royaume s’affaiblissent. La colère gronde, et je ne suis sauvé de justesse qu’en acceptant de m’unir à une princesse étrangère, bien que le pape ait tenté de m’en empêcher. De cette union naît un héritier auquel j’inculque le savoir du pouvoir. Tiens, le château familial semble cacher une salle secrète. On dit qu’il s’y terre un trésor, et d’un naturel curieux je m’y engouffre. Une bien mauvaise idée, je finis empalé dans l’un des nombreux pièges que renferme le donjon.


Le roi est mort, vive le roi !


Mon prédécesseur, Jean le Père, a choisi la raison, pour finir bêtement embroché. Pour garder l’équilibre dans le royaume, il a fait fi de tous ses principes, dans le seul but d’une conservation du trône. Il m’a appris les bases d’une saine souveraineté, mais qu’il aille au diable. Rester au pouvoir le plus longtemps possible, chacun pourrait le faire avec un peu d’expérience et par science de la gestion. Ayons un règne audacieux, risqué et fougueux. L’Armée sera mon fer de lance : batailles et croisades seront mes fers de lance ! Plus tard, peut-être m’appellera-t-on le Conquérant ! on m’a présenté un docteur, qui me semble en mesure de me garder en vie aussi longtemps que possible pour arriver à mes fins. Mais cela a un coût, suite à une dure bataille j’accepte ses soins, avant qu’il ne se révèle être un charlatan m’ayant ôté la vie.


Le roi est mort, vive le roi !


Des décennies ont passé. Mes aïeux ont rencontré une sorcière, un prophète, et même le diable en personne. Ils ont appris à se battre en duel, sont parvenus à explorer notre donjon tout en ayant occis le squelette qui vivait là, ont eu des femmes, des maîtresses, des enfants, héritiers ou bâtards. Certains ont gouverné en gestionnaire, d’autres par une diplomatie plus ou moins ouverte, ou encore en s’appuyant sur une économie forte. Une stabilité a parfois su s’étendre sur plusieurs générations, on se rappelle de l’Ancien, ayant régné plus de quatre-vingt ans, mais dont on ne garde que ce souvenir. Certains rois, morts bien plus jeunes, ont toutefois plus marqué les esprits de notre dynastie. On leur a attribué des noms, glorieux ou ridicules, mais beaucoup, quel que soit la durée de leur règne, restent des anonymes, ayant été des souverains sans vague ni coup d’éclat. Pour ma part, je m’apprête à suivre un chien. On m’a recommandé la prudence, certains de ses ancêtres ayant causé la perte de certains des miens. Mais je suis là de mes années de règne, qui semblent répéter celles de mes prédécesseurs en dépit de l’évolution de notre société. Il faut dire que notre dynastie s’étend aujourd’hui sur douze siècles, un exploit que nous envient nos rivaux. Je vais suivre ce chien, et si je devais succomber, je sais que mon fils poursuivra notre destinée, et peut-être lui aussi sera-t-il un nom célèbre de notre famille. Peut-être même parviendra-t-il à mettre fin à notre malédiction…


Le roi est mort, vive le roi !



Ah ! Régner…



Vous l’aurez compris, Reigns, c’est avant tout un jeu qui raconte une histoire. Vous n’y incarnez non pas un roi, mais bien la dynastie maudite qui verra se succéder les héritiers. Le jeu se présente sous forme d’un deck de cartes, qui augmentera au fur et à mesure de vos rencontres avec de nouveaux personnages. Il y a un côté rogue-like fort plaisant avec la succession de morts qui vous fait reprendre le royaume là où votre père l’a laissé, parfois avec quelques avantages acquis par les générations précédentes (fortifications, granges et autres hôpitaux). On y trouve aussi de la gestion avec les quatre éléments constitutifs de votre royaume : religion, peuple, armée et économie. Il faudra ménager la chèvre et le chou si vous désirez un long règne, chacune de vos décisions ou presque ayant un impact sur ces jauges. Si l’une d’elle atteint le maximum ou le minimum, votre décès est presque assuré. Ces décisions, vous les prendrez à chaque fois face à une carte, de manière très binaire : réponse de gauche ou de droite, souvent oui ou non (avec votre doigt et de manière très intuitive sur mobile). On ajoute à tout cela quelques pincées de dungeon crawler et des duels amusants, et on a les mécaniques de base du jeu, qui suffisent à enchaîner des siècles de vie et mort de vos rois.



My Generation



Ajoutons maintenant les succès si chers à la production vidéoludique depuis dix ans. Ceux-ci résident dans les manières de mourir, mais aussi dans des espèces de petites missions que peuvent réussir vos souverains successifs – rester 5, 10, 100 ans au pouvoir, gagner un duel, rencontrer tel personnage, sortir avec un pigeon (!) – et qui leur offrira un qualificatif à la suite de leur nom, offrant à leur passage au trône un souvenir. Bien sûr, vous pouvez jouer pour essayer de péter le high score en restant le plus longtemps possible à la tête du royaume, et ce ne sera pas bien compliqué de durer une fois que vous aurez compris comment parvenir à un certain équilibre, même si certains enchaînements de cartes pourront ruiner vos efforts. Mais écrire l’histoire de votre dynastie est pour moi l’axe le plus intéressant de Reigns, et il ne passe pas par cette volonté de scoring. Au contraire, pour que votre famille vive, il faudra ces phases de stabilité, mais aussi des règnes courts mais intenses, des absurdités, des décisions à l’emporte-pièce, d’autres qui suivront la logique que vous voudrez imputer à votre souverain (celui-ci, je vais le faire tyran, celui-là aura de nombreuses aventures…), voire votre propre morale, pour forger une frise chronologique qui raconte quelque chose et qui n’est pas qu’une succession de tiédeurs. Cette force narrative est appuyée par l’écriture du jeu, qui vogue entre références, humour absurde, mais aussi petites piques de rappel sur ce qu’est que gouverner, aujourd’hui encore (déclarer l’état d’urgence, communiquer plus qu’agir…). Une trame globale avec une véritable fin se dessine aussi au fur et à mesure des rois et des parties (on peut la relancer du début arrivé à une certaine date), qui permet d’aller un peu plus loin qu’un simple enchaînement de petites histoires ou même que celle de votre famille.



Risk of Reigns



Quelques regrets tout de même. Dommage que lorsqu’on a compris comment rester au pouvoir, les morts rapides ne relèvent quasiment que d’une volonté de notre part, la scénarisation vient de nous plutôt que du jeu, et si on en respecte les règles, notre dynastie devient bien moins romanesque. Dommage aussi que sur des siècles et malgré l’ajout de nouveaux personnages, la manière de diriger reste plus ou moins la même sans suivre l’Histoire réelle (plus de mécénat à la Renaissance, conflits mondiaux du XXème siècle, apparition de doctrines de gauche, émergence du nationalisme, évolution du régime vers la démocratie…). Même si on retrouve bien des éléments de diverses époques (il y a ce mécénat au travers des artistes, il y a les colonies), ils ne semblent pas tributaires des dates de règne et on se retrouve avec des anachronismes amusants mais qui sortent un peu de l’impression de vivre l’Histoire au travers de nos choix.


Un mot sur ce qui entoure ce « jeu dont vous êtes le héros ». François Alliot, qui a développé le jeu pour le studio Nerial, a su s’entourer avec talent, à moins que ce ne soit Devolver, l’éditeur, qui ne lui ait apporté ces relations après avoir pris le projet sous son aile. Les visuels minimalistes ne plairont pas à tout le monde, restent dans une vague pixel art pas ultra détaillée mais qui marque le marché indépendant depuis des années. Et pourtant, Mieko Murakami a su retranscrire une certaine idée de l’enluminure moyenâgeuse à travers ces pixels, se démarquant d’autres productions visant ce minimalisme visuel. La musique, elle aussi, apporte à l’expérience, composée par Mateo Lugo mais surtout dirigée par Disasterpeace (FEZ, la BO du film It Follows) dans un registre bien différent de celui qu’il a l’habitude de proposer.


Devolver, c’est la quantité avec parfois des coups de génie (Hotline Miami, Papers Please), d’autres fois des coups dans l’eau, dans l’indifférence avec des titres vite oubliés (Titan Souls, Okhlos). Reigns se place quelque part entre les deux, comme pas mal d’autres titres édités par l’entreprise texane. Grand succès commercial, il titre sa réussite de mécanismes simples au service d’une narration forte, portée par une écriture de qualité et des références qui ne sont jamais excluantes. Malgré la lassitude apportée par une certaine répétitivité des situations, on se laisse porter par cette dynastie et lorsqu’on refait notre Histoire, des souvenirs remontent à la surface tandis que certains règnes sont vite oubliés. Reigns, à l’instar de Pokémon GO même si à une échelle et pour des raisons bien différentes, est en tout cas à n’en pas douter un des phénomènes mobiles de l’été 2016, et pour 3 euros, il serait bien triste de passer à côté.

Flavinours
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le 17 sept. 2016

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Flavien M

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