De l’intérêt d’un remake
N’ayant pas fait la version originale de l’œuvre, je ne m’adresserais que succinctement sur les vertus de ce remake, et irait à le considérer comme un jeu neuf à part entière. Car si l’intérêt cashgrab de la chose pour CAPCOM est évident, il n’en demeure pas moins que le joueur n’est pas en reste. Un remake d’une telle qualité, c’est l’occasion de (re)découvrir un classique dans les meilleures conditions possibles, avec un gameplay épuré des contraintes techniques de son époque (bye bye les caméras fixes) et remis au goût du jour. Qui plus est, après le succès de cet opus et du septième, la boîte nippone a sûrement glané pas mal de retours sur ce qui pourrait être la direction à prendre pour le 8ème volet de la saga horrifique la plus prolifique du médium vidéoludique. J’en trépigne.
S’il vous plaît, dessine-moi un zombie
Comme à l’accoutumée, il est de bon ton d’aborder en premier lieu ce qui saute aux yeux : l’esthétisme du jeu. Le RE Engine est splendide, présentant des textures fines, des jeux de lumières qui collent directement une ambiance au titre. On n’a clairement pas le plus beau jeu sorti à ce jour, mais la patte correspond parfaitement à ce que l’on veut nous montrer. Les environnements traversés sont tous fignolés avec précision, emprunts d’une ambiance distincte : du feutré du commissariat au froid aseptisé du labo, en passant par le poisseux des égouts. Le seul point noir étant l’absence d’une physique digne de ce nom concernant les décors, une chaise étant inamovible de sa position initiale.
Les animations ne sont pas en reste, que ce soit fluidité des mouvements du joueur et ennemis, l’attention portée aux détails (quand il pleut, on se couvre et on râle un petit coup, crispation des maxillaires dans la douleur…), ou expressions faciales convaincantes. Le bestiaire est chiadé, les zombies ont de la gueule (pas toujours littéralement), malgré la réutilisation un peu trop fréquente de certains modèles, et la sensation de mouvement de foule bien présente dès lors qu’une demi-douzaine d’entre eux apparaissent à l’écran. L’oppression se fait rapidement sentir quand des mains baladeuses apparaissent au coin de l’écran.
Ajoutez à cela une localisation des dégâts comme rarement j’ai pu en voir, faisant le distinguo entre ce qui est pulvériser, troué, corrodé par de l’acide ou tout simplement incinéré. Voir la mâchoire d’un mort-vivant se désagréger au rythme des bastos reçues, c’est une jouissance bien trop rare.
On notera également une spatialisation sonore du feu de dieu qui vous fera suer à grosses gouttes lorsque vous entendrez le pas de Mr. X se rapprocher dans votre dos alors que vous tentez déjà de venir à bout d’un licker. Le sound design est d’ailleurs également de très bonne facture, vous permettant immédiatement d’identifier le type d’ennemi et son état d’alerte. Les armes subissent un traitement similaire, faisant ressentir la puissance de chaque impact, tant et si bien qu’exploser une rotule d’un tir de magnum devient un plaisir dont vous ne vous doutiez pas de l’existence. On regrettera tout de même une certaine fadeur des musiques, même si le niveau se relève un petit peu lors des combats de boss.
Prenez tous ces ingrédients et vous obtenez une ambiance incroyable qui fait l’une des grandes forces du jeu. Entre beauté plastique, organicité des mouvements, viscéralité des interactions et tension palpable dans chaque élément esthétique, le jeu sollicitera vos sens de la plus belle des manières.
A cet enrobage exquis vient se coller un scénario qui flirte entre la série B et le nanar. D’une platitude exemplaire, il est truffé d’illogismes. Mais juger un Resident Evil pour son scénario, ça serait comme juger un film de Woody Allen pour la qualité de ses explosions. Les personnages sont tout de même charismatiques (pour la plupart, Leon est nase) et un lore commence à s’imprégner dans la saga suite au premier opus (easter egg du pilote, parenté de Claire et Chris…). En gros c’est intéressant vu que je vais essayer de me faire tous les épisodes majeurs, de la même façon que le scénario de Tekken m’intéresse : c’est bête et méchant, mais au moins y’a un univers et une mythologie cohérents d’un épisode à l’autre.
On appréciera par ailleurs la possibilité de faire deux run quelque peu différents (surtout peu) en alternant entre nos deux personnages principaux : Claire et Leon. La run B, plus courte et étant sensé créer une cohésion avec ce que l’on a fait lors de notre run A (je dis bien sensé, ce n’est pas toujours le cas), permettra de jouer avec des armes différentes, avec une difficulté accrue, et de débloquer la fin véritable. C’est intéressant et ça allonge la durée de vie pour notre plus grand bonheur.
Le Labyrinthe du PAN-PAN
La forme étant traitée, il s’agirait d’attaquer le fond. On est foncièrement proche de ce qui se faisait dans RE 1, sans les éléments issus des contraintes techniques de l’époque (caméras fixes, chargements au niveau des portes) et avec une mobilité accrue.
Le level design, s’il reprend le principe du manoir à l’identique pour la partie commissariat, se retrouve magnifié. On a donc toujours cet aspect metroidvania light, mais avec une carte mieux branlée, plus agréable à parcourir, et où les raccourcis et chemins de traverse sont plus nombreux. La possibilité de revenir jusqu’à n’importe quel point du jeu jusqu’à un stade avancé (entrée dans le labo) est particulièrement appréciable. La navigation se fait donc dans l’aisance tant l’on prend facilement nos repères dans l’ancien musée. Des énigmes font office d’obstacles, celles-ci étant plus ou moins inspirées (Les interrupteurs électriques qui permettent de mettre une aiguille dans le rouge, sérieux ? Quel intérêt ?).
La carte présente dans les menus est bien foutue, indiquant toujours le niveau de complétion des différentes pièces parcourues, et pointant par ailleurs les ressources que l’on n’a pas ramassé par manque d’espace dans notre inventaire. Ressources qui sont par ailleurs très bien dosées : on est jamais en surplus, et avec un bon rationnement, rarement complètement à sec.
La version du scénario B est également pensée pour raccourcir le traversal, disposant les objets à des points charnières du commissariat afin d’éviter les déplacements superflus. Bien pensé.
Finalement, on se ballade rapidement en terrain connu, s’appropriant les couloirs et bureaux. Une vraie promenade de santé… Du moins, s’il n’y avait pas le Tyrant, Mr. X, ce gorille mal luné, une sorte de Thanos sorti du congélo, qui vous poursuivra de son pas lourd à travers tout le bâtiment. Et c’est là encore une des forces du level design, c’est qu’il a été pensé pour que l’on ait presque toujours un moyen de ne pas se retrouvé acculé dans un coin par la brutasse déconfite qui nous suit comme une ombre. Toujours un moyen de faire un détour par un chemin auxiliaire, ou assez de place pour faire une manœuvre d’esquive digne d’une scène de Tigre et Dragon. Par ailleurs, l’incorporation d’un « puzzle » ne se faisant que sous la pression du harcèlement de ce satyre, le coup de la bibliothèque, est à la fois un acte sacrément sadique, mais également une preuve de la maestria qu’est le level design du jeu. Une pépite je vous dit !
Un peu de poudre, un peu d’herbe, une touche d'acide… On va passer une bonne soirée gros
A cette construction ludique de notre environnement, on peut rajouter tous les tocs de game design de la série :
Un système d’inventaire étriqué qui reste inchangé, mais qui fait le piment du jeu par les choix cornéliens devant lesquels il nous place.
Un système d’herbe à mélanger, qui est tout de même assez désuet. On trouve en effet beaucoup d’herbes bleues, alors que celles-ci n’ont d’utilité que dans une ou deux zones. Certes ça peut faire bouclier, mais ça serait un peu tirer sur la corde que de ne pas relever cette ineptie.
Notre protagoniste ne peut toujours pas enlever de scotch avec ses mains, il a spécifiquement besoin d’un couteau de combat. Heureusement, cette tare intellectuelle n’est présente qu’une seule et unique fois.
Un sytème de craft de munition, qui lui aussi vous mettra face à vos choix stratégiques que vous pourriez regretter par la suite. Les balles de mitrailleuse servent à rien, t’aurais mieux fait de faire des grenades acides mec !
A cela s’ajoute un système de visée qui fait l’éloge de la temporisation. Plus on est immobile, plus le réticule se contracte, puis il se dilate lorsque l’on tire avant de retrouver sa contraction initiale en préparation du coup suivant. Comme quand on emmène les enfants à la piscine en somme.
Le système d’armes secondaires (couteaux et grenades) est lui aussi bien amené. On sera hélas parfois trahi par nos réflexes, utilisant une flash dans le feu de l’action alors qu’il aurait été préférable de se faire mordre un petit coup. Mais ça, c’est la pression quasi-constante qui parle.
Tous ces systèmes forment un mariage heureux, et l’on se retrouve ainsi avec une prise en main immédiate, intuitive, et particulièrement agréable. Encore une fois j’imagine que les systèmes inhérents à la saga mettront plus de temps à être appréhendés par les néophytes, mais qu’importe, ils s’en sortiront j’en suis sûr.
Bref, Resident Evil 2 c’est un remake comme on aimerait en voir à la pelle. Fidèle à l’esprit de la série, apportant les touches de modernité là où la pilule ne passe plus, et extrêmement soigné. Un équilibre parfait entre action et anxiété. RE 2 cuvée 2019, c’est avant tout un gameplay maîtrisé et agréable, un level design maîtrisé et agréable, et un environnement sensoriel maîtrisé et agréable. C’est particulièrement maîtrisé et agréable en fait.