Jusqu'à ce que j'obtienne mon bac, je n'ai jamais acheté mes jeux. La seule exception fut Turok 2, et finalement je m'étais un peu senti mal à l'aise en l'achetant dans une brocante, ayant comme la sensation que les choses ne devaient pas se passer comme ça. Non, moi les jeux je les demandais et on me les offrait lors d'une occasion particulière : un anniversaire, un Noël. Aujourd'hui, je me dis que ça avait du bon. Ça me faisait désirer ce jeu pendant des mois et il y avait une certaine exaltation lorsque je l'obtenais enfin. Tandis que maintenant, je regarde la note sur quelques sites, je fais une commande amazon ou bien je télécharge sur Steam, j'obtiens le jeu immédiatement, et je n'y joue pas, ou alors je ne le finis pas, parce qu'entre-temps j'en ai découvert un autre. J'essaie de me soigner d'ailleurs.
Mais cette méthode avait aussi un inconvénient : je passais à côté de tous les jeux déconseillés aux moins de 16 et 18 ans. Maman veillait au grain. Ma seule façon de contourner était de jouer aux jeux que Grand Frère avait lui même acheté précédemment : c'est ainsi que j'ai pu jouer à Half-Life par exemple. Et ainsi que j'ai pu jouer à Resident Evil 4, puisqu'il s'agit de lui ici.
Mon frère n'était à la maison que le week-end, aussi est-ce moi qui réceptionna sa commande ce jour-là. Le soir tombait, je revenais du collège, et je tenais entre mes mains la boîte du jeu - la boîte de Pandore. Mon premier Resident Evil. À cette époque, les jeux avaient encore des manuels fouillés, pas cette espèce de feuille recto-verso qui donne envie d'alimenter le feu de cheminée. J'ai d'abord dévoré ce manuel, me délectant de la présentation des personnages et du prologue, des screenshots, de l'univers visuel. Puis je suis entré dans la chambre des parents, car là se situait la console, et j'ai transgressé l'interdit. Le début d'un voyage mémorable.
Depuis ce jour, j'ai goûté à la plupart des Resident Evil, comme un véritable amateur, et je me rends compte des défauts de cet épisode 4, d'où mon timide 8. Mais avant, je m'en foutais que les développeurs situent l'Espagne en Europe centrale et que les scénaristes n'aient rien trouvé de mieux que de nous faire sauver la fille du président des Zétats Zunis. À vrai dire, RE perd en réalisme ce qu'il gagne en nervosité, et finalement c'est peut-être cela qui fait son charme. Cette entrée en matière, c'est comme une descente en pente douce dans ses pires cauchemars : Leon quitte la civilisation pour s'enfoncer dans le brouillard de l'isolement campagnard, le froid se répand tandis que cet idiot de policier part pisser dans la forêt, la tension monte, mais rien ne se passe encore. Ce sera à vous de rencontrer l'horreur, en allant rendre visite vous-même - et seul - à votre premier villageois : ne comptez pas sur la cinématique pour le faire à votre place.
Et voilà Leon qui s'enfonce dans l'ignorance crasse de paysans qui ne savent articuler, semble-t-il, que des menaces de mort, Leon qui remonte le temps pour s'enfoncer dans un château trop immense pour réellement exister, où des prêtres font de sinistres messes et rugissent de caverneux "¡MATA LO!", Leon qui rencontre un seigneur nain ayant des créatures encapuchonnées comme gardes du corps, Leon qui se rend sur une île où l'on a construit un laboratoire, Leon qui combat des créatures de plus en plus cauchemardesques : géants, monstre marin, wolverines aveugles, insectes invisibles, des choses trop horribles pour être vraies, mais auxquelles vous devrez néanmoins faire face.
Surtout, Leon pète la classe. Quand il s'engueule avec les policiers Leon pète la classe. Quand il recharge le barillet de son Magnum Leon pète la classe. Quand il fait des prises de catch à des moines des ténèbres Leon pète la classe. Quand il insulte un vieillard Leon pète la classe. Quand il se bat au couteau dans les cinématiques Leon pète la classe. Quand il esquive les lasers de sécurité Leon pète la classe. Quand il se fait arracher la tête par une tronçonneuse Leon pète un peu moins la classe.
Certains prétendirent que Leon était un bourrin décérébré, mais non. Chris, dans RE 5, est un bourrin décérébré. Leon, lui, il pète juste la classe, avec son cynisme et ses répliques d'anthologie. Telle cette femme plantée contre un mur avec une fourche au début du jeu : "L'égalité des sexes semble de mise ici".
De plus, pour contre balancer le scénario bidon, RE 4 est superbement mis en scène. Outre la cinématique du combat au couteau citée ci-dessus, les transitions entre les environnements sont admirables, les cinématiques sont disséminées avec soin pour relancer notre intérêt et faire s'étendre le plaisir de jeu pendant des heures dans des décors qui en jettent un max. On se régale aussi des personnages bien typés, des dialogues avec Krauser qui à l'époque me donnaient envie de parler américain (alors qu'aujourd'hui j'ai envie de lancer des cailloux pointus à ceux qui titrent leur critique en anglais pour faire classe). Il n'y a pas un personnage dont on ne se souvienne pas après avoir terminé RE 4, qu'ils soient stylés ou tarés. Mention spéciale au marchand d'armes masqué et son "Welcome, stranga".
Enfin, les mécaniques de jeu de RE 4 lui sont parfaitement adaptées. La progression est certes linéaire, mais les environnements permettent de nombreuses approches qui se multiplient avec le temps, grâce aux armes que vous trouvez, achetez, améliorez et sélectionnez, car vous ne pourrez pas toutes les transporter à la fois. Il y a une forme de stratégie dans RE 4, qui va de la disposition des objets dans la mallette à l'usage des armes. Bien, je vais entrer dans cette salle et dégainer mon fusil à lunette ; je dois d'abord tuer le chef dans le fond car la créature en lui est la plus dangereuse, ensuite je tâcherai de viser à peu près au niveau de la tête de ces moines qui se cachent derrière leur bouclier en bois. Cinq ennemis sur moi, réflexe : je tire une balle de pistolet dans la tête du premier, ce qui me permet de lui administrer un coup de pied retourné dont l'amplitude mettra tout le monde au sol ; ensuite, grenade incendiaire pour terminer le boulot, je ne vais quand même pas gâcher mes précieuses balles de fusil à pompe. Serez-vous du genre à user de ce dernier pour débarrasser les ennemis de leur bouclier ou utiliserez-vous le Punisher que vous a offert le marchand et qui a des propriétés perforantes? À ce propos, un autre point fort du jeu est cette recherche acharnée des trésors afin de les combiner pour les revendre au prix fort, et ainsi obtenir de précieuses pesetas pour s'offrir un meilleur équipement.
Dernier point à aborder : le très sympathique mode Mercenaries qui exploite merveilleusement le petit côté arcade qui sommeille dans le mode aventure, implémentant un système de scoring et vous permettant de revisiter les lieux les plus emblématiques du jeu avec différents personnages et leur équipement respectif. J'y ai passé des heures, à briser le cou des ennemis avec Hunk, à dévaster les lignes ennemis avec le bras monstrueux de Krauser tout en arrachant des têtes avec son arc, et à m'extasier devant cet espèce d'évadé de Matrix à la force surhumaine - le temps où Wesker pétait encore la classe (lui aussi), avant de devenir sénile et de porter des costumes à paillette.
J'ai passé des heures et des heures sur RE 4. C'est un jeu riche et dense malgré l'apparente simplicité de son scénario, qui développe un univers qui marque les esprits. C'est un des rares jeux que j'ai recommencé plusieurs fois pour le fouiller de fond en comble. Il m'a même donné envie de débloquer les figurines, alors que s'il y a bien un truc inutile dans un jeu vidéo, c'est de débloquer des figurines virtuelles.
Assurément une œuvre à découvrir.