Resonance
7.5
Resonance

Jeu de XII games et Wadjet Eye Games (2012PC)

J'ai toujours eu des rapports ambigus avec le studio Wadget Eyes, qui fait sa margarine sur la nostalgie des vieux point & click. Pourquoi sa margarine et non pas son beurre ? C'est que les jeux issus de ce studio subissent le proverbial effet Canada Dry : c'est doré comme l'alcool, ça sonne comme de l'alcool, mais en fait, c'est de la pisse de dromadaire ! Cette recette de simili, appliquée aux jeux d'aventure, consiste à leur donner l'aspect rétro des années 90, en les vidant de leur substantifique gameplay. Les voilà réduit à l'état de simple récit interactif pour romancier frustré ou réalisateur raté. A mes yeux, les productions emblématiques de ces faussaires vidéoludiques, ce sont les "Blackwell" crée par Dave Gilbert (aussi appelé le J.J. Abrams du Point & Click). Des jeux sympathiques car plutôt bien écrits, mais aussi parfaitement oubliables, avec leur difficulté nulle et leur mécaniques ludiques réduites au minimum. "Resonance" étant estampillé Wadget Eyes, je m'attendais à la même limonade. Grossière erreur !


"Resonance" conte l'histoire de quatre personnages, unit par une même problématique : la mort d'un scientifique et le vol de sa technologie expérimentale hautement dangereuse. Il y a Ed, l'assistant binoclard du scientifique, Ana, sa nièce médecin, Bennet, un flic à l'ancienne un peu là par hasard, et enfin Ray, un journaliste blogueur au nez fouisseur. Ces quatre alliés de circonstances révéleront les rouages d'une diabolique conspiration, dans un style très "thriller fantastique à la Dan Brown".


Comme dans "Day of the tentacle", le joueur peut passer d'un personnage à l'autre à tout moment. Si bon nombre de leur action sont communes et interchangeables, ils disposent cependant de certaines spécificités qui dépendent de leur fonction sociale. Ana, en tant que médecin, peut se procurer des médicaments à l'hôpital ou explorer des zones réservées au personnel. Le flicard a accès aux archives de la police, le journaleux dispose de sources bien informées... Chacun bénéficie aussi d'interactions personnalisées. En cliquant sur un objet du décors, ce vieux briscard de policier ne le décrira pas de la même façon que la pragmatique Ana ou le scientifique Ed. Par exemple, un ballot de linge sale dans une chambre étudiante ne suscitera pas le même genre d'anecdotes. C'est donc un vrai plaisir d'utiliser les quatre personnages sur les environnements pour obtenir leurs différents commentaires. Il y a aussi quelques énigmes collaboratives, bien que celles-ci restent plutôt rares.


Cette réminiscence de Lucasart (4 persos jouables) sera la seule du jeu, le titre penchant plutôt du côté Sierra, en terme de philosophie. Déjà, on reconnaitra le compteur de score dont le nombre défile de quelques points à chacune de nos actions ou énigmes résolues. Il y a également des séquences en temps limités où le danger et la mort rôdent. Une mort peu pénalisante cela dit, modernité oblige, un effet de rembobinage replaçant le joueur avant l'action fatale...


Le gameplay s'étoffe aussi d'une mécanique singulière, qui n'avait jamais été exploitée auparavant : la mémoire à long et court terme. La mémoire à long terme consiste à conserver certaines scènes marquantes en mémoire, de manière automatique. Le joueur n'a donc rien à faire, mais il peut se remémorer ces scènes à tout moment afin d'apporter une preuve ou appuyer un argument lors des conversations. Pour la mémoire à court terme, le joueur devra lui-même sélectionner l'élément interactif qu'il désire conserver en mémoire (n'importe lequel) le nombre d'éléments retenus se limitant à dix. Ensuite, lors des conversations, une petite case lui permet de glisser ces éléments mémoriels pour déclencher de nouveaux dialogues, si ceux-ci s'avèrent pertinents.


La première partie du jeu, la plus importante, se veut non linéaire, offrant trois grands problèmes à résoudre sans ordre particulier. Cette ouverture, associée au principe de mémoire à court terme et au nombre de personnages jouables, pourrait perdre le joueur dans la masse des possibilités. Mais le concepteur a eu l'intelligence d'intégrer un système d'aide camouflé de la façon la plus naturelle : en sélectionnant un héros, on peut demander aux autres leurs avis sur la situation en cours. Chacun d'eux aura son petit mot à dire, pointant le joueur dans la bonne direction.


Les énigmes proposent un défi de bonne facture mais souvent plus proches du puzzle à la Myst que des énigmes à l'ancienne. Il y a très peu d'association d'objets. Il sera plutôt question de raccorder des fils électriques, recalibrer le bras automatique des archives de la police, ou encore traduire un journal en langage codé. Dans l'ensemble, des énigmes variées, nécessitant la réflexion.


Enfin, "Resonance" s'articule autour d'une narration sophistiquée, à base de flashbacks et de coups de théâtre inattendus. Le jeu parfait alors, comblant mes désirs de vieil aventurier aigri ? Pas tout à fait, hélas ! La faute à son histoire peut-être, plutôt conventionnelle, de conspiration sécuritaire et autre surveillance généralisée, comme on en voit par paquet de 12 dans tous les films, séries et romans de ces vingt dernières années... Ou alors à ses personnages un peu trop clichés (le geek, la brave fille, le flic bourrin, le journaliste fureteur) et qui peinent à exister, à force de se partager la vedette. Mais aussi la faute à certaines lourdeurs de gameplay. Par exemple, il faut glisser les objets de l'inventaire pour les utiliser sur l'environnement, une méthode toujours laborieuse et désagréable lorsqu'on ne joue pas sur tablette. L'utilisation de la mémoire à court terme complique souvent les choses sans raison, entrainant des Allers/retours fastidieux. Le joueur se voit contraint à des manipulations supplémentaires pour créer des liens logiques tenant de l'évidence. S'ajoute à ça quelques puzzles pénibles dans leur manipulation, du style : trainer une clé à l'aide d'un aimant ou semer des pièces dans un labyrinthe obscur tel le petit poucet...


Au final, en dépit de ses nombreuses qualités, "Resonance" me laisse une impression en demi-teinte. Mais je salue l'effort de conception, ce travail sur les mécaniques de jeu, ce soin apporté aux détails, qui le place trois coudées au-dessus de la majorité des productions actuelles.

docteur_match
7
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le 30 déc. 2016

Critique lue 297 fois

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nostromo
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