Sapiens
6.8
Sapiens

Jeu de Olivier Guillion, Didier Guillon et Loriciels (1986Thomson TO9)

35 ans après : c'est moi qui ai bu dans le crâne de Hognor.

Comme je l'avais expliqué dans ma critique de l'Aigle D'or, j'ai décidé récemment de me relancer dans les jeux T09 que j'avais fait enfant. Et à vrai dire, mis à part certains bien trop durs (parce que demandant une dextérité à la manette) ceux qui m'intéressaient étaient ceux dont les guides de jeux sur internet (et une bonne sauvegarde) les rendait enfin possible à finir et parmi ceux-ci, se trouvait Sapiens.

Préhistorical simulator

Sapiens se présente comme une simulation de vie à la préhistoire. Les concepteurs, Olivier et Didier Guillon (ancien développeurs de logiciels éducatifs et du foutraque 5eme Axe) se sont amenés avec un concept original : on est un homme préhistorique qui doit effectuer différentes missions pour sa tribu. Le jeu te lâche dans la nature sans trop d'indications mais avec une foule de possibilités : on peut prendre des objets, se balader, affronter des animaux sauvages, tailler du silex et les discussions avec les différents autochtones sont ponctués par un très grand choix de texte (on en reparlera.) Et à tout moment tu peux regarder l'état de ton personnage qui dispose de plusieurs jauges : entre la faim, la soif, la fatigue et la santé.

Le jeu te donne le choix entre te balader en vue latérale ou à la première personne. Oui, pour l'époque, il y avait une sorte de vue subjective avec des décors tout en nuages de points. On a quelques arbres, des montagnes, de la fumée : ce qui est assez spartiate mais suffit globalement a créer un décors. Pour 1986, le jeu est grave en avance avec sa carte en monde ouvert et son temps qui défile : le jour passe à la nuit (ce qui, contrairement à ce que je croyais initialement, n'a aucun effet sur le jeu) avec un défilement progressif des couleurs du ciel (et du décors) pour simuler le passage du temps, notamment l'aube qui passe du rouge au bleu. Bref, on sent que ça fourmillait d'idées.

Les développeurs évoquent l'Aigle d'or dans leur source d'inspiration en creux : au lieu d'avoir un jeu où l'on doit accumuler plein d'objets si l'on veut avoir la fin, ici, il faut savoir gérer un inventaire. Nos poches ne sont pas extensible, il faut donc savoir si on garde la bouffe, les plantes médicinales, les armes ou les objets trouvés en cours de route, notamment en abattant les animaux (viande, peau, dents.) De plus la viande vieillie mal et passe de "VIANDE FRAICHE" à "VIANDE" puis "VIANDE RASSIE" au fil du temps (sachant qu'elles n'ont pas les même qualités nutritives.) On peut aussi faire du troc avec les autres personnes que l'on croise, c'est même l'une des commande de parole qui arrive en premier "QUE VEUX TU ?" et "QUE M'OFFRE TU ?"

Pourquoi on aurait jamais pu le finir étant enfants :

1 - L'absence de sauvegarde

Sapiens est un jeu qui appelle à la patience et à l'exploration et qui nécessite des jours pour être fini. Le jeu comportait bien un système de sauvegarde, mais en l'absence de possibilités de sauvegarder sur un autre port disquette du T09 (ou l'absence de matos) il était impossible pour nous d'enregistrer une partie. Ce qui fait qu'on était condamnés à recommencer une nouvelle partie à chaque fois qu'on lançait le jeu.

Mais même avec des sauvegardes, on aurait eu du mal à le finir.

2 - Des problèmes de communication

Parmi toutes les mauvaises idées qu'on avait pu avoir étant enfant la première c'était d'attaquer directement Hognor, la première personne que l'on croise... ALORS QUE C'EST LE CHEF DE NOTRE TRIBU (et accessoirement le mec qui nous donne des missions.) Non seulement on savait pas se battre (il m'aura fallut du temps avant de savoir comment passer des poings aux armes) mais surtout au départ, on ne savait pas faire autre chose que l'insulter direct en lui balançant du "PROSTERNE-TOI, CHIEN" et "HORS DE MA VUE"

Parce que Sapiens, pour un gosse de six ans, c'est surtout un défouloir qui consistait à insulter des PNJ gratuitement. La boite de dialogue contient ÉNORMÉMENT de choix possibles, mais très peu d'entre eux sont pertinent : si on a quatre ou cinq boites de dialogues pour se présenter, troquer et dire au revoir, on en a bien trois pour flatter ("PAIX AMI") , quatre pour dire "pitié me frappe pas", cinq ou six pour le faire fuir ("JE MACHE LE SILEX" / "MEME LA FOUDRE ME FUIT") et le reste ce sont des insultes. Des insultes rigolotes pour un enfant : "TU N'ES QU'UN COUARD" "TES OS NOURRIRONT LES CORBEAUX" "PRIMATE DEGENERE" Direct, on avait envie de les essayer. Bim, le mec s'énervait, nous sortait "HOGNOR BOIRA DANS TON CRANE" nous on était mort de rire. Hognor lattait notre personnage, et pouf, Game Over. Ta partie était fini, t'était prié de lâcher l'ordi, parce que y a tes cousins qui veulent jouer à Numéro 11 (avec la photo de Platini au début.)

Mais au fond, c'était un vrai problème de gameplay : pourquoi noyer le joueur avec des tonnes de possibilités de dialogues, puisqu'au final, une grande partie d'entre elles ne serviront à rien ? Cest super contreproductif, puisque j'ai voulu flatter les membres des Pieds Agiles, mais j'ai redit deux fois la même phrase, le mec en face a pris la mouche et à commencé à me frapper. Je me suis défendu et l'ai massacré, sauf qu'après chaque membre de la tribu voulait ma mort ("C'EST DONC TOI TORGAN ?")

Alors qu'il suffit juste de dire peu de choses et de faire du troc avec eux et ça passe. Idem pour les termes "TIENS DONC... " et "CERTES..." qui chez moi signifiait que les gens que l'on rencontrait doutait de nos dires (souvent "GLOIRE A TA TRIBU") alors qu'en fait, je me suis aperçu bien plus tard, qu'il s'agissait d'une confirmation qu'ils nous croient lorsqu'on leur dit qu'on cherche la paix. Mais bon, au moins j'aurai appris le mot "couard" étant gamin.

3 - L'impossible voyage latéral :

En l'absence d'explication, la commande OBSERVER PAYSAGE nous semblait complètement inutile et vaguement ressemblante à OBSERVER PANORAMA et on pensait qu'elle ne servait qu'à regarder le paysage et à réaligner le personnage vers tel ou tel endroit.

En réalité, elle sert à se déplacer en vue subjective. Ce qui permet d'avancer BEAUCOUP plus vite qu'en vue latérale, vu qu'un "lieu" est avancé en une seconde en vue subjective alors qu'en vue latérale, il faut que le personnage parcoure la carte de droite à gauche ce qui met bien 10 à 20 secondes.

Il m'aura fallut beaucoup de temps, enfant pour comprendre ça, et comme la vue latérale est la première forme de vue que l'on découvre, on s'acharnait à l'utiliser pour se déplacer. Je me souviens d'une soirée avec mes cousins à mettre des heures à tenter d'atteindre un point de la carte qu'on pensait être une source.

4 - On mourrait de soif comme des cons :

Si trouver de quoi à bouffer (des insectes, de l'herbe, de la chicorée, etc...) était facile, on avait eu un mal fou à trouver de l'eau. Ce qui faisait qu'au bout d'un certain temps la mention "LA SOIF RAVINE TA GORGE" apparaissait à l'écran mais qu'on ne savait pas s'y résoudre. De plus, dormir donne méga-soif.

Pour boire de l'eau, il faut trouver une source et la seule que j'ai trouvé se trouve pas loin du premier campement. Et on avait pas compris que pour s'approvisionner, il fallait être munie d'une outre et de "PRENDRE DE L'EAU" puis de boire l'outre et de la re-remplir. De plus on ne dispose que d'une seule outre, et qu'une fois utilisée elle est vide (jusqu'à remplissage.) Or, le jeu n'a aucune utilité si on reste dans le rayon du point de départ.

ALORS QU'EN FAIT ... il faut manger tout et n'importe quoi. Suffit de bouffer des insectes, de l'herbe et un peu tout, en grande quantité pour voir notre soif diminuer (bonus : avec cette méthode on a jamais faim.) Pour le coup, je ne l'ai su qu'en regardant les solutions de jeux, sinon ça ne me serait jamais venu à l'idée.

A noter qu'il arrive aussi que des bandeaux déroulants soient mensongers : combien de fois as-ton lu "LA FATIGUE PESE SUR TON CORPS" alors qu'on est en pleine santé, juste parce que le personnage voyage de nuit.

5 - On blindait notre inventaire de merdes :

Purée, le nombre d'éléments qu'on ramassait au bord de la route et qui ne servent pas à grand chose. Notamment la mélisse et la pervenche qui servent à se soigner et qui au final, ne servent pas à grand chose en grande quantité. Et les silex.

6 - Le mini-jeu avec les silex est impossible :

Putain de silex ! Le soft comporte une partie "TRAVAILLER" qui permet de se crafter une sagaie ou une hache en utilisant les silex qu'on trouve sur le bord des routes. Sauf que cela prend la forme d'un mini-jeu où il faut appuyer avec parcimonie sur la touche ESPACE afin de "croquer" les bords extérieurs du silex sans dépasser.

Et ce jeu est virtuellement infaisable ! Même adulte, c'est chiant car il est impossible de doser sa force et on fini toujours par péter un peu le silex et finir par "VOTRE SILEX EST TROP MAL TAILLÉ !" Quoi qu'on y fasse, on finissait toujours par péter le silex.

Et vous savez quoi ? Cette partie est complètement optionnelle ! Du moment que vous avez une hache, et du moment que vous ne la troquez pas, vous pouvez parfaitement finir le jeu avec. (Ceci dit les guides de jeux conseille de récupérer une massue.)

Refaire Sapiens en 2024, c'était comment ?

Comme dit plus haut, je me suis aperçu à quel point ce jeu était grave en avance sur son temps : là où pas mal de gens auraient optés pour une approche de jeu en forme de RPG, ils ont tout repensé depuis le début, par l'utilisation de différents gameplay : c'est à la fois un jeu où les dialogues vont jouer (assez tard dans la partie, mais on peut effectivement faire de la négociation) il y a un simili gameplay de combat (l'arme et la position de votre personnage et pas mal de chances) c'est un jeu d'exploration et d'orientation et il y a tout un aspect survie avec le fait qu'il faille regarder l'état de santé de son personnage.

A vrai dire si le jeu de craft avait été réussi, on aurait eu un jeu hyper complet. A noter toutefois qu'il existe une version "revue et corrigée" de Sapiens gratuite sortie en 1996. On sent qu'il y a une émulation française pour le jeu de survie qui va s'infuser dans d'autres jeux, notamment Robinson's Requiem (par le créateur de l'Aigle D'or... comme quoi, tout est là.)

Idem pour les graphismes qui génèrent des montagnes ou des arbres a partir de simple lignes ou de points, c'est assez bien pensé et on perçoit globalement ce qu'on fait et où on se dirige, surtout lorsqu'on a commencé à comprendre que les trucs semblable à des gros arbres sont en fait de la fumée de feux de camps. Par contre, monter sur les montagnes est un peu bizarre : on a un gros mur de point qui semble avancé, puis une fois qu'on l'a franchit... plus rien. Alors que notre carte nous indique bien qu'on est sur une montagne.

La musique de Gilles Soulet est folle. Le compositeur a réussit une partition avec aussi peu de composant c'est fou. Par contre, elle est ultra-répétitive et surtout elle se déclenche n'importe quand, la rendant assez vite insupportable au point que j'ai fini par la couper.

Après une réexploration par moi-même histoire de me refaire la main, j'ai refait le jeu en m'aidant de guides trouvés sur internet. Au final, on a droit à un jeu sympathique d'exploration, même si parfois hyper laborieux, notamment lorsqu'il faut étancher sa soif, et qu'on passe 10 minutes en vue latérale histoire d'explorer les environs et d'avoir de quoi manger.

Après une première partie de jeu qui est super reloue et qui consiste en allant tuer des bêtes, récupérer leur viande et se speeder pour les filer à Hognor avant que la viande ne pourrisse, le reste de l'intrigue est plutôt simple : il faut aller voir une tribu, négocier pour récupérer un objet auprès d'eux (ou tous les buter) et revenir filer l'objet à Hognor.

A noter qu'au début de mon run je me suis direct embrouillé avec une tribu avec laquelle il est difficile de s'embrouiller, juste en faisant des mauvais choix de dialogue. L'occasion pour moi de faire un run où j'ai entrepris de tuer chaque membre de la tribu... c'est impossible, ils repoppent en pleine forme.

Contrairement à l'Aigle d'Or que j'avais fait limite d'une traite, j'ai vraiment pris mon temps sur Sapiens, effectuant plusieurs séquences tout en matant des vidéos YouTube (histoire de passer le côté "longuet et laborieux" de la recherche d'eau.) Au final, je me suis surpris à relancer le jeu de temps à autre histoire d'avancer un peu et l'expérience a pas été désagréable, c'est même allé beaucoup plus vite que ce que je ne pensais initialement.

Le jeu se finit au bout de la quatrième mission. Hognor se fache car l'on devient bien trop puissant. Il faut le buter. Pouf, ça se termine sur quatre ligne d'épilogue.

Ceci dit le combat final était une vacherie, et j'ai gagné limite en piffant. Je ne sais même pas si le fait que ma massue ai pété sa massue était une vraie idée du jeu ou un bug.

Au final, je suis content de m'être replongé dans cette madeleine de Proust et de l'avoir enfin finie et d'avoir constaté que sur la longueur c'était "pas si mal." Mais je ne conseille pas vraiment le jeu, sauf si vous adorez les simulateurs de vie très très austères. (Par contre je suis curieux de voir ce que donne la version de 1996.)

le-mad-dog
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le 20 avr. 2024

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Mad Dog

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