L'apogée du media vidéoludique.
Alors qu'aujourd'hui des bobos geeks chics prétendus gamers s'échinent à faire passer le JV comme de l'art parce qu'ils ont trouvé shadow of the colossus poétique et flower rafraichissant, alors que l'on confond bien trop facilement l'art et le beau, à la fin des années 80, les géniaux Martyn Edmondson et Paul Howarth, tout juste âgés de 20 ans, sont de ceux qui marqueront durablement le monde du JV. Bossant chez Reflections Games, ils offrent, en collaboration avec la plus célèbre tête de chouette du JV, à l'Amiga, alors laissée de côté par les joueurs aux profits de Nintendo et Sega, le chef d'oeuvre vidéoludique ultime. Ces deux passionnés sauront extraire toute la puissance d'une expérience vidéoludique pour nous en offrir la quintessence. Ils ont joué au jeux vidéo, ils les ont aimé et ils ont su mieux que quiconque comprendre la spécificité d'un media encore aujourd'hui en quête (ou bien en perte ?) d'identité.
Véritable leçon vidéoludique, en quatre actes seulement, Shadow of the Beast fut -et est très certainement encore à bien des égards- l'apogée du JV. Techniquement irréprochable, il exploite l'Amiga 500 comme aucun autre soft, 13 niveaux de scrolling, animations, couleurs, détails, rien de manque. Gameplay simple et évolutif, expérience courte mais traumatisante de difficulté (non artificielle car ne reposant pas sur une programmation hasardeuse), pour le plus grand bonheur des amoureux -s'il devait en exister un- de l'art vidéoludique (c'est pour moi ici que prend sens la notion d'art dans le media vidéoludique, là ou le joueur affronte en tête en tête sa machine et dépasse, au prix de semaines d'efforts, sa médiocrité naturelle irrémédiablement démontrée lors des premiers contacts.)
Si le jeu repose sur des bases déjà très solides (durée de vie idéale, challenge relevé, graphismes et programmation au sommet de ce qui était envisageable en cette fin des années 80), c'est autre part que le jeu fait sens. L'autre spécificité exclusive au JV, c'est sa capacité à laisser entrer le joueur dans un univers riche, fouillé, à l'immerger l'espace d'une heure ou deux hors du réel. Shadow of the Beast est encore une leçon. Une leçon d'atmosphère, d'ambiance et d'immersion. Les musiques sont de celles qui resteront encrées à vie dans l'esprit du joueur. Ces flûtes résonneront dans sa tête, ses rythmes tribaux resteront gravés dans son coeur. L'ambiance musicale n'est pas seulement réussie, elle est parfaite. Nul besoin de remasterisation pour l'écouter en boucle dans son salon, nul besoin de mélodies artificiellement larmoyantes propres au jrpg pour nous arracher le coeur d'une larme. Sincère, ici. Les musiques de SOTB sont parfaites. Elles sont magiques, riches et plongent le joueur dans cet univers surréaliste de la plus pure des manières. Et comme on en parle, l'ambiance graphique, outre l'exploit technique, est une des meilleures jamais vue dans un JV. Univers loufoque entre préhistoire, Science Fiction et mythologie médiévale, le jeu propose au joueur de pénétrer dans un trip visuel perturbant et surréaliste particulièrement réussi. Parfaitement réussi, plutôt. Traversant forêt angoissante, sombre château et grotte étrangement capillaire, le joueur se surprend à affronter fourmis géantes, bêtes ténébreuses, pièges mortels, nuées d'yeux flottants, doigts géants et dragons rugissants, alors que volent des zeppelins parmi les nuages. Le joueur ne sait jamais exactement où il se trouve, car l'univers de SOTB ne ressemble à aucun autre.
SOTB est un bijou, comme on en fait et comme en fera peut être plus. Ses suites, bien que plus riches d'un point de vue strictement gameplay, ne sauront jamais atteindre le degré de perfection de ce soft. Véritable expérience, bien plus qu'un simple divertissement, il est une leçon de vidéoludisme. Apogée d'un média alors encore dans ses plus beaux jours, techniquement strictement irréprochable, c'est de part son ambiance parfaitement maitrisée qu'il brille encore aujourd'hui au panthéon des oeuvres les plus marquantes de son temps. Merci aux deux passionnés qui avait déjà tout compris à la richesse d'un JV. Un succès pour l'Amiga 500, qui laissera un nombre incalculable de portages, tous plus médiocres les uns que les autres, la version megadrive étant à mes yeux la moins ratée, plus accessible sûrement pour qui voudrait découvrir l'expérience SOTB de la plus simple des manières (l'amiga 500 et le jeu se faisant rares de nos jours)