Alors que huaient les hiboux et hurlaient les loups, que battait la pluie et tombait la nuit, le pathétique bossu, borgne, boiteux et bavard montait quatre à quatre les marches de l'escalier branlant qui menait au laboratoire, ce qui, avec une jambe de bois tenait de l'exploit pur et simple.
-Maître ! Criait-il en tambourinant contre la porte de chêne qui le séparait de son employeur, maître, je l'ai trouvé ! Je l'ai trouvé !
Derrière l'épaisse cloison de chêne, le maître qui avait l'ouïe fine ne daignait pas répondre à la vile créature qui lui servait d'apprenti, trop absorbé par ses incantations, enveloppé dans une sombre cape impeccablement repassée et sous le capuchon de laquelle brillaient deux yeux orange.
Poussant le lourd linteau, le bossu s'engouffra dans le laboratoire en soufflant.
-Maître ! Le voici, il est enfin là, vous savez que j'ai dû avoir pas mal de...
-Hum. Ca suffit. Concéda enfin l'homme à lui répondre.
Le misérable déposa alors la cassette de sa main valide sur un grimoire à la couverture de cuir mangé des vers tout en essuyant de son crochet la sueur qui perlait à son front, dessinant une nouvelle balafre parmi un impressionnant entrelacs de cicatrices d'âges divers et en pestant à voix basse contre les patrons abusifs qui traitaient leurs disciples selon des méthodes inhumaines surtout quand on voyait à quel point les frais de déplacement étaient mal remboursés.


Avoir un Amstrad CPC 464 (= à cassettes) c'est s'exposer à de nombreuses galères, crises de nerfs, explosions de rage et crises esthétiques proches du choc anaphylactique.
Mais, Halloween oblige, en se penchant sur le mythique Sorcery, on va voir que, parfois, par sorcellerie sûrement, votre vieil ami peut vous procurer beaucoup de plaisir.


En attendant, mettons-nous un tout petit peu dans l'ambiance.


Le contexte dans lequel j'ai pu tomber sur ce jeu est sans doute le même que celui de beaucoup de petits enfants de l'époque. Il était inclus à la Compilation Océan, soit 15 jeux (+ Amcharge en France ! ) que tout possesseur d'Amstrad semble avoir eue à l'époque. La façon dont j'ai obtenu cette compilation est par contre assez amusante.
Mon père avait commandé un impressionnant kit pour compléter le micro ordinateur comprenant :



  • 1 tuner TV pour regarder la télé dans sa chambre sur son écran Amstrad en changeant les chaînes grâce à une molette !

  • 1 Radio réveil
    (ces deux élément étant en plus encastrables sous l'écran du CPC pour un design tout en modernité)

  • 1 Joystick

  • Un meuble de bureau en contre-plaqué anthracite spécialement adapté pour recevoir tout cet attirail

  • La dite compilation.


Le radio-réveil ne fonctionnait pas, aussi, consécutivement à l'appel à un service après-vente particulièrement efficace, l'ensemble nous fut réexpédié sans condition, soit :



  • 1 tuner TV pour regarder la télé dans sa chambre sur son écran Amstrad en changeant les chaînes grâce à une molette !

  • 1 Radio réveil
    (ces deux élément étant en plus encastrables sous l'écran du CPC pour un design tout en modernité)

  • 1 Joystick

  • Un meuble de bureau en contre-plaqué anthracite spécialement adapté pour recevoir tout cet attirail

  • La dite compilation.


Chouette ! J'avais donc pour la première fois des jeux en double ! Et un troisième joystick (qui connut une fin funeste aux mains de ma mère au cours d'une partie du redoutable jeu Tortues Ninja). Ce qui est encore plus drôle, c'est que des années plus tard, achetant dans un dépôt vente dont je casherait le nom une somme faramineuse de jeux Amstrad en lot, nous tombâmes de nouveau sur cette compilation ! Autant dire que j'avais de quoi jouer à Sorcery !


-Maîs mâitre ! Interrompit le bossu en s'emmêlant dans les accents circonflexes, vous ne deviez pas parler d'un jeu ? Non mais ce n'est pas que ça ne soit pas intéressant mais vous voyez j'ai quand même dû faire pas mal de...
-Tais-toi !


Certes.
Sorcery est un jeu paru au tout début de l'Amstrad, soit en 1985 et il suffit pourtant d'évoquer son nom pour faire pousser aux plus anciens d'entre nous des soupirs de bonheur teintés de nostalgie profonde. Car oui, Sorcery est une légende de la machine, dépassant largement le lot d'adaptations paresseuses et de jeux bancals qui peuplaient sa ludothèque. Avec ses graphismes détaillés et colorés, son gameplay immédiatement assimilable et sa difficulté sévère mais juste, il avait de quoi ravir tous ceux qui défendaient corps et âme la bestiole de Mr Sugar.
Nous avions même le droit au thème de l'Apprenti Sorcier en guise de musique d'introduction ! C'est dire. On y dirige un petit sorcier vêtu de rose, flottant et trottinant dans des tableaux aux noms évocateurs de wasted lands ou dungeon, déterminé à sauver ses 8 compagnons capturés par un infâme nécromancien. Pour l'aider dans sa mission, il ramassera des objets divers, tous ayant une utilité bien précise comme tuer tel type de monstre ou ouvrir une porte en particulier, avec cette petite subtilité de pouvoir n'en porter qu'un à la fois et de ne pouvoir se débarrasser d'un artefact qu'en l'utilisant ou en l'échangeant avec un autre. Il fallait donc me voir, à peine âgé de 7 ou 8 ans, tenter de mémoriser l'emplacement de chaque objet que j'avais laissé quelque part et élaborer la meilleure marche à suivre, pressé par un timing extrêmement serré.
Oh parfois j'ai pesté contre ce ridicule petit bonhomme en rose quand il se noyait à cause d'un passage à négocier au pixel près car il n'avait pas appris à nager à l'académie de sorcellerie (de toutes façons ils n'apprennent plus rien les jeunes sorciers, ils ne savent plus réciter les numéros de départements, appliquer une règle de trois ou même tracer un arbre de séphiroth décent avec le sang d'un jeune agneau). Oh j'aurais même pleuré en voyant que le chaudron magique censé régénérer mon énergie avait, par un subtil piège des développeurs de Gang of Six, décidé au contraire de drainer le peu qu'il me restait ! Mais tout cela n'était rien comparé au plaisir d'arpenter ces niveaux , de découvrir la fonction d'un objet (et la logique n'était pas toujours de mise, hein la porte qui s'ouvre à l'aide d'une grosse bouteille !) ou tout simplement d'ouvrir une nouvelle porte vers un nouveau tableau encore inexploré.
Et que le bruit des portes était drôle !
Je suis certain que tout vétéran de ce jeu l'a encore en tête, je l'imite moi même à la perfection. Car oui, pardon de m'égarer, il y avait des portes. On passait d'un tableau à l'autre par ces inévitables portes, il y en avait entre une et quatre par écran, de quoi créer un vrai labyrinthe et aiguiser ma mémoire de jeune joueur.


Sorcery n'usurpe en rien sa réputation de classique. Avec ses qualités qui font de lui un jeu que je ressors toujours lorsque je me décide à rallumer mon antique machine, il m'a accompagné de longues années même si je n'ai toujours pas trouvé le courage de me lancer dans la partie ultime qui me fera voir sa fin. Le temps lui a donné plus de lustre que de rides, et si encore vous entendez quelques trémolos dans la voix d'un vieux joueur ou quelqu'un imiter avec bonheur le grincement d'une porte, alors vous aurez peut être un aperçu des raisons qui me font, le temps d'Halloween, revenir sur cet artefact poussiéreux.


-Maître ! Maître ! Vous êtes parti ? Non c'est parce que vous voyez cette oubliette est drôlement humide dites donc et ce n'est pas trop recommandé pour la cicatrisation. C'est à cause de ce crochet aussi, non pas que je m'en plaigne, c'est moins pratique qu'une main, ça on peut pas comparer, mais à vrai dire c'est mieux que rien. Oh mais ça me fait penser aussi que...maître ? Vous êtes vraiment parti alors ? Maître ?

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le 31 oct. 2018

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I-Reverend

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