C'est jamais très glorieux de taper sur un petit jeu indé, qui n'a pas une ambition démesurée, pas plus que proposer un truc fun à son joueur. Mais voilà, on juge un jeu à ce qu'il tente - et ici on va surtout parler de ce qu'il ne tente pas malgré des amorces intéressantes.
Hé oui, je sais : c'est un jeu à dix balles, j'exagère, oui, oui...
Mais c'est tellement chiant de voir du potentiel et un grand vide juste derrière. Même dans un jeu à 10 balles. Parfaitement.
Triforce
Vous incarnez le tenancier/la tenancière d'une fort jolie petite boutique de stickers trop kawaii et votre mission ici sera de créer ces stickers, de les imprimer et de les envoyer en fonction des commandes de vos clients, dont certains deviendront des réguliers qui vous laisseront des petits mots lors de la validation de ladite commande.
On est donc face à un jeu de gestion - si on peut dire, j'y reviendrais - découpé en journées où chaque activité,créer, imprimer, préparer les paquets, prends du temps, qu'il vous faudra donc gérer de façon à ce que les commandes ne prennent pas de retard et soient annulées. Chaque commande rapporte de l'argent et de l'XP, les deux monnaies du jeu permettant d'imprimer d'autre stickers mais également de débloquer d'autres images pour enrichir vos stickers, le type de papier utilisé ou d'ajouter des cadeaux aux commandes.
Le jeu s'articule donc autour de trois mécaniques : celle qui semble la plus centrale, la partie créative qui vous demandera d'assembler des images en pixelart pour créer des stickers personnalisés que vous proposerez ensuite dans votre boutique, la partie gestion réclamant de gérer ses finances et son temps pour faire tourner la boutique et la partie plus narrative où vos clients, via leurs messages, vont parler de leur petite vie, leurs doutes, leurs deuils, etc...
Un simple coup d’œil aux images du jeu vous informera rapidement du style visuel de ce dernier, en pixelart pastel et mignon : si on aime ce genre d'esthétique, le jeu est simple graphiquement mais vraiment agréable à l’œil et la galerie propose pas mal de petits éléments pour s'amuser. Les musiques, ambiance synthé, n'ont rien de très mémorable mais sont parfaitement adaptées, quelques effets sonores viennent donner vie à l'ensemble, bref, du travail propre, sans fioritures mais sans faux pas, du minimalisme tout à fait à propos.
Le problème c'est que le minimalisme, on le retrouve surtout dans les mécaniques.
Imprimer en rond
Coûter pas cher, ce n'est pas une excuse pour mal faire... ou dans le cas de Sticky Business, de ne pas faire du tout. Car aucune des trois mécaniques n'est réellement exploitée dans le jeu, alors qu'on perçoit un embryon pour chacune, comme une envie de faire davantage, sans que l'essai ne se transforme jamais.
Malgré une galerie de temps en temps mise à jour par les créateurs du jeu, la quantité d'images combinables et le peu de personnalisation disponibles - pas de possibilité de changer la couleur de la plupart des stickers, pas de déformation, un pivotage et une fonction de redimension sommaire - calme rapidement toute velléité de créativité. Pas que vous ne puissiez rien faire, attention, mais juste que si vous avez réellement des envies de vous amuser comme avec un logiciel créatif, vous sentirez très rapidement les limites.
On se demande vraiment à quoi sert l'aspect gestion : à moins que vous soyez le genre à vous noyer dans une goutte d'eau - enfin ici plutôt dans l'humidité ambiante - vous ne serez jamais vraiment à court de temps, d'argent, ou de stickers. J'ai joué un peu plus de trois heures, à aucun moment je ne me suis retrouvé coincé, prenant très rapidement le coup de main de la routine. Comme le jeu n'est émaillé d'aucun évènement, même scripté, ou de calendrier qui aurait pu occasionner des contraintes supplémentaires, il n'y a en réalité de gestion que le fait de comprendre dans quel ordre on doit effectuer les tâches. Préparer, imprimer, créer. Répéter. Pas d'imprévus, pas de surprise : au bout de quinze minutes, vous aurez épuisé ce que la "gestion" peut proposer dans Sticky Business.
Enfin, dans une tentative d'être un peu plus vivant, le jeu s'essaie à une narration via la messagerie, dans une espèce de "Papers please" version mignonne. Des clients qui quittent leur travail, tentent de renouer avec leur famille ou de faire le deuil d'un proche et pour qui l'achat de stickers est aussi une façon d'avoir avec vous un peu de contact. Tout en restant simple et sans tomber dans le pathos - on est pas là pour ça - Sticky Business aurait pu en faire quelque chose de chouette, à l'aune de son esthétique pétillante, des petites tranches de vie qui font sourire, voire sont influencées par votre façon de gérer les commandes en y glissant cadeau ou petit mot mais là encore, le jeu reste sur la ligne de départ, jugeant visiblement que cette seule idée suffit, sans jamais l'exploiter.
J'ajouterais que peu importe la manière dont vous préparez les commandes, alors que le jeu propose de déplacer manuellement les stickers à l'intérieur de la boîte. Tant que ceux demandés dans la commande sont présents, ils peuvent déborder allègrement sur les bords de la boîte, ça n'y changera rien. Tout comme l'aspect gestion, le côté "manuel" n'existe que pour donner une illusion d'épaisseur.
Au bout d'une heure, on fait les mêmes choses en boucle et au bout de deux, on renonce même à ses envies de complétionniste en maxant l'XP. Parce que cela fait déjà plusieurs minutes que Sticky Business a cessé d'être amusant ou intéressant.
Merchandising
Un petit mot enfin sur le rapport du jeu à la dimension mercantile. Ben oui, un jeu de gestion, même ultra minimaliste, véhicule forcément derrière lui quelques bases de capitalisme et donc une façon de l'aborder (humoristique, premier degré, relégué au rang de détail, etc) et... bien que ce soit aller vraiment lui chercher des poux, je trouve qu'il y a dans ce "Sticky business" un côté assez artificiel dans le fait de monnayer des simili messages positifs, bien souvent un assemblage de mots génériques sur lesquels on a collé des paillettes : vous savez, comme ces powerpoint hideux bourrés de messages "sur l'amitié" complètement vides que vous envoient vos contacts, tout en négligeant de vous demander comment vous allez. Il y a une espèce d'optimisme et de bienveillance très fausses qui se dégage du jeu, renforcé par la présence de ces mécaniques à peine embryonnaires, ou par la surprésence de... drapeaux LGBT (???) dans la galerie de Stickers (remarquez, si vous aviez besoin de confirmation du côté merchandising de ces trucs, hein...) au milieu des images de dinos ou de fleurs, et enfin par le fait qu'on répond finalement à la détresse de nos clients par des images de chats pailletés imprimés en 17 exemplaires.
Conclusion
Même avec de jolis couleurs et des petits cœurs, Sticky Business fait terriblement factice, en définitive. Il ne pousse aucun de ces concepts, en terme de gameplay, de créativité ou de narration et ce qui frustre, c'est qu'il amorce chacune de ces idées et ne va jamais plus loin. Sans ça, je n'aurais probablement pas ressenti le problème, juste joué une heure et l'aurais désinstallé.
C'est beaucoup de mots pour un petit jeu, et beaucoup d'analyse, mais quand je suis déçu, inévitablement, je fais dans le logorrhéique. Et je ne suis même pas désolé.
Les +
+ Très joli visuellement
+ Facile à comprendre et à prendre en main
+ De petites mises à jour souvent proposées par les créateurs du jeu
+ L'idée de s'articuler autour du créatif, de la gestion et du narratif
Les -
- Aucun de ces trois aspects n'est développé
- Une impression de répétitivité qui survient rapidement
- Des mécaniques inutiles, qui ne changent rien à la partie
- Du faux optimisme finalement un peu cynique se dégage de la toute petite partie narrative