Naissance d'une dimension
Comme c'est un peu chiant de redire ce que tout le monde a déjà dit en mieux ou ce que tout le monde sait déjà, je vais la jouer ego-trip typiquement Web post 2003. Autant dire que ça va être moche.
Les connards d'importateurs richoux ne se rappellent pas comme cette salope de Nintendo 64 a traîné pour arriver en France. Player One (entre autres) la surnommait l'arlésienne.
Le gérant d'un magasin ripou de ma province natale m'avait donc glissé à l'oreille que, ça y est, il savait où pécho de la 64. La plaque tournante s'appelait alors Allemagne. Mais attention gamin, faudra mettre le prix et patienter une grosse semaine. Et encore, si ça passe la frontière (turbo bullshit). Tu parles, ça faisait déjà plus d'un mois que je bavais sur les vignettes ridicules au dos de la boîte de Turok. Sept jours d'attente ? Un cillement. Cette sortie française n'était décidément pas claire : les premiers jeux étaient dispo bien avant la console. Internet n'existait pas alors, l'enculade guettait à tous les coins de rue. Rupture de stock ? Problème d'approvisionnement spécifique au marché français ? Noobisme total qu'il aurait suffi de contourner en entrant dans le premier Leclerc venu pour y trouver une colonne de N64 neuves et 100% françaises à prix normal ? Je n'en saurai jamais rien. Je ne me rappelle plus de ma perspicacité à cette époque. Le fait est que j'ai précommandé ma Nintendo dans cette modeste échoppe au vendeur trop cool pour être honnête, en versant même des arrhes. Je téléphone un vendredi aprèm' pour apprendre que oui, les 64 sont enfin arrivées. Oh. Pé. Tard. Je fonce au magasin en tentant de contenir mon euphorie parce que bon, j'ai quand même 16 ans, les jeux vidéo voilà quoi, c'est cool mais c'est pas ma vie non plus. Y'a aussi les filles, toussa. #etmonculcestdupoulet?
Le mec pose la boîte de la 64 sur le comptoir. #ohpétardbis Puis il glisse son bras sous le comptoir et en sort prestement une autre boîte, à peu près identique à celle de Turok (en plus moche), qu'il pose sur celle de la console. En fin tacticien, le vendeur plaisante ce faisant avec un autre client, de sorte que je n'ose pas l'interrompre ou l'interroger. Je souris benoîtement. C'est peut-être une cartouche de démos (la PSX venait de nous y familiariser) ? Ou un jeu inclus ? Je n'en sais foutre rien. Et à la limite, je m'en fous un peu, c'est maman qui paye la moitié du truc (l'autre moitié étant mon cadeau d'anniversaire en avance, lolilol).
Dans la voiture, je regarde la petite boîte qu'on m'a imposée avec la console : Super Mario 64. Ah putain bien, il paraît qu'il est super. Mais je doute encore largement : est-ce le jeu complet ? L'ai-je payé ? Check sur le ticket de caisse : oui gamin, tu l'as bien payé facilement 450 balles. Et la console ? Haha, tu pleures des larmes de sang tant son prix n'a pas de sens.
Dans ma chambre, je branche le bordel, lance Super Mario 64. Peach m'invite dans un français scolaire alors encore supportable à venir me régaler d'un bon gâteau au château. La caméra tournoie, la musique se fait solennelle et Mario surgit de son tuyau. Tout est flou comme un matin de février dans la forêt de Brocéliande (Turok équivaudra à une tempête de sable dans le désert de Gobi ; visibilité = 2 mètres maximum). C'est lisse, c'est beau. La musique s'est tue pour laisser toute la place aux pépiements des oiseaux. Comme si Miyamoto, sûr de son effet, avait cherché la plus absolue pureté pour ce premier contact. Je pousse le joystick et Mario galope. Je pousse encore et Mario court sur le gazon, s'agrippe à un arbre. Pour mesurer l'ampleur de la claque, une analogie avec 'Le Magicien d'Oz' (le film de 1939) n'est pas inappropriée. C'est comme si Judy Garland s'écartait du chemin jaune censé la mener droit à la Cité d'Émeraude pour passer derrière le décor. Tout est virtuel et merveilleux mais explorable à l'envi. Interactif. Tu ne me croiras pas : j'ai eu alors les larmes aux yeux. Je ne savais pas encore que je jouais à l'un des jeux les plus marquants de ma vie.
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