Vous ai je déjà parlé de ce pote à moi ?
Un ami de longue date. Un ami que j'avais connu gamin, à l'école maternelle; que j'avais vu évolué.
J'avais vu cette passion pour le jeu vidéo-ludique grandir en lui et envahir sa toute jeune vie. Il cumulait ces petits jeux vidéos de poche que les trentenaires connaissent si bien.
Le méchant Donkey-Kong qui jetait des tonneaux sur le pauvre Mario, qui n'était encore que le faire-valoir du gorille cravaté à cette époque.
Des jeux de plateaux gentillets sur des doubles écrans que l'on foutait dans sa fouille et qu'il était plus terrible d'oublier chez soi que son livre de math.
Il passait des heures le cul sur son banc à éviter des tonneaux en sautant sur des échelles, à tirer sur des martiens belliqueux ou à empiler briques et bâtons. Un gamin nourri à la virtualité et aux pixels.
C'est ensuite au collège, puis au lycée, que ses nouvelles passions se sont affirmées avec prégnance. L'accointance quasi charnelle qu'il entretenait avec son paquet de Curly tout d'abord.
Ce petit biscuit, gras comme les cheveux d'un notaire de province, était l'essentiel de son alimentation et l'ami parfait du gamer maladif.
Plus de temps à perdre à trimbaler son plateau à la cantoche, un paquet ouvert sur les genoux et direction le monde virtuel.
C'est aussi à cette période que la ganja est devenue son allié le plus fidèle.
Une consommation "Bobmarlienne" de la fleur étoilée, lui laissèrent cette démarche nonchalante, ces paupières mi-closes et cette énergie sénatoriale.
Cette beuh magique qui le maintenait en immersion profonde dans ces différents mondes fantastiques et qui épuisait son argent de poche.
C'est donc ce pote si spécial que j'allais aider à rempoter ses pieds de Colombienne par ce froid dimanche de décembre.
Arrivant devant chez lui, je m'aperçois immédiatement que la porte est entrouverte.
J'écoute. Rien.
J'entre.
Seule la lumière blanche du téléviseur éclaire la pièce d'une lueur blafarde.
L'expérience aidant, je m'avance prudemment dans le salon.
Tout à coup une ombre furtive passe à côté de moi, je me retourne: Rien.
Je regarde autour de moi: Que dalle !
C'est en regardant l'écran que je compris.
Un ninja. Le Japon médiéval. Des clans rivaux, des bandits et des femmes légères.
Un des premiers "infiltration game" de la PS One.
Tu es un tueur masqué s'acquittant de missions diverses et variées. Ton but ? Tuer ! De n'importe quelles façons. Égorgement, katana en plein coeur, Shuriken dans la tronche, bol de riz empoisonné, tout est bon pour occire, pour honorer ton contrat.
Enlever la vie mais sur la pointe des pieds, comme un chat, comme t'ont appris tes maîtres: Buter en sournois.
Le voilà ton but.
Parvenir à maîtriser ton art, devenir le plus grand assassin du monde mais sans les honneurs, sans que personne ne le sache.
Le plus grands des salauds, le roi des tueurs qui passe ses journées à planquer sur un morceau de toit ou au fond d'un fossé; attendant le moment propice pour trancher les jugulaires dans une orgie d'hémoglobine.
A ce moment là je sentis divers projectiles me frôler, jusqu'à ce qu'une shuriken fabriquée avec le couvercle d'une boîte de conserve vienne se planter en bas de mes reins.
Je me mis à hurler, mon ami accroché au lustre du salon façon chauve-souris me tomba dessus pour finir de m'achever en hurlant en Japonais, je parvins à m'écarter dans un réflexe, il s'écroula, dans un immense fracas, sur la table basse en verre au dessous de lui.
Se relevant avec difficulté parmi les bris de verre, je m'apprêtais à lui filer un bourre-pif des familles quand le bougre me lança, tel le ninja, un fumigène pour pouvoir s'éclipser avec célérité.
Manque de pot son fumigène n'était que le reste de son trois-feuille qu'il avait malencontreusement dans la bagarre laissé s'éteindre.
Je profitais de cette petite erreur pour lui lancer mon 45 fillette dans les valseuses et sortis illico en lui hurlant des insanités, laissant mon ami et sa cagoule en laine de ninja chialer comme un môme en se tenant les testicouilles à deux mains.
En sortant, je l'entendais encore au loin. Il criait en sanglotant qu'il était déshonoré et promettait de se faire seppuku dans les plus brefs délais.
Je revins sur mes pas quelque peu inquiet pour mon ami.
Mais en passant sous la fenêtre de son salon, je vis de superbes volutes de fumée blanche fleurant bon la marie-jeanne sortir de la baie vitrée, faisant des tourbillons dans le ciel azur, et juste après, comme un heureux présage, le "Tornado of souls" de Megadeth se mit à retentir violemment dans le voisinage. Ouf !
Il avait retrouvé son honneur.