Qu’attend-on d’un grand jeu de réflexion ? Assurément qu’il mette nos neurones à dure épreuve, à la manière de Braid, que chaque énigme résolue nous donne l’impression d’être un génie, comme avec SpaceChem, qu’il nous surprenne à chaque tableau, façon Portal. Tetrobot est de ces jeux-là. Mais on attend peut-être aussi du puzzle game une démarche pédagogique, on espère qu’il se mette à notre portée, que petit à petit il nous forme à la complexité de ses règles. Tetrobot & Co. est assurément un grand puzzle game.
Le puzzle game indé est un genre en pleine saturation, l’abondance de l’offre étouffe aussi bien les développeurs que les joueurs, on en a ras le bundle, au point qu’on ne les installe même plus. Tetrobot & Co. est noyé dans la masse des sorties, un de plus parmi tant d’autres pourrait-on croire. En demandant à Swingswing Submarine — dont je n’ai pas fait le précédent jeu, Blocks That Matter, encore un puzzle game de plus ! — un code d’essai, je n’y croyais pas. J’allais y jouer 30 minutes et passer à autre chose. Je suis entré à reculons, prêt à soupirer "encore", à me froisser à la moindre contrariété, à me prendre la porte en pleine gueule avec en outre le mépris des développeurs — "Vous ne comprenez pas ? Mais c’est simplissime pourtant...", bref à lâcher l’affaire dès que possible.
Et puis, non, ce n’est pas comme ça Tetrobot, je me suis trompé. La porte est restée ouverte, on se surprend à progresser d’une énigme à l’autre sans heurt ou presque. Lorsque tout d’un coup ça coince, on ne désespère pas, la solution est toute proche, on l’a au bout de la souris. On tâtonne, on croit y parvenir, on n’avait pas vu venir l’obstacle, le piège géométrique, on s’enferme, on recule pour mieux sauter, parfois on arrête et on se dit que ça passera le lendemain, et en effet on remet les choses à plat, ça glisse, ça percute et ça connecte, ça marche. Ca finit presque toujours par marcher. Au pire, quand vraiment ça ne passe pas, on avance tout de même, même sans utiliser la soluce sur Youtube : pas besoin de résoudre toutes les énigmes pour compléter le niveau. Tetrobot fait dans la pédagogie différenciée, dans l’exercice modulaire, qui stimule le premier de la classe sans désespérément larguer celui du fond qui se chauffe contre le radiateur. Je ne finirai sans doute pas le jeu à 100 %, mais je verrai tous les niveaux. J’y travaille, assidu, appliqué, faute d’être brillant élève.
C’est qu’il faut être un rien bûcheur pour se frotter à l’animal. Il ne manque pas de piquant. Si l’on m’avait directement lâché, disons au troisième niveau, j’y aurais totalement perdu mon latin. Tetrobot & Co. est un univers de règles, parfois contre-intuitives, dans lequel on s’étonne de naviguer avec aisance. Alors c’est une histoire de blocs à saisir, seulement sur le côté, jamais par dessus ou par dessous. Pas intuitif, je vous disais, mais on s’y fait vite. Ces blocs se lancent, latéralement, jamais horizontalement. Ils glissent, et ne tombent que s’ils rencontrent un obstacle. Ils permettent d’activer des boutons, d’interrompre des rayons laser. Les blocs d’une même matière s’attachent entre eux. Ceux de bois prennent feu, ceux de sable se vitrifient avec la chaleur, on peut en balancer sur des monstres, et un côté devient collant, les monstres doivent être en Patafix. Il y a des aimants, des canons et des jeux de miroir, rien de totalement nouveau, mais tout cela fait système, un incroyable écosystème d’interactions, aux possibilités de combinaison qui me paraissent presque infinies, mais je ne suis pas game-designer, seulement un joueur admiratif, et qui s’admire lui-même de comprendre quelque chose alors que d’habitude non, vraiment il n’y voit goutte, mais là oui, ça paraît impossible et puis tout d’un coup c’est limpide.
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