Il est difficile de débuter une critique de Zelda : BOTW tant le jeu est gargantuesque. De la même manière que Link se réveillant au début de l’aventure après un sommeil de 100 ans, le joueur doit tout réapprendre durant une session de tutoriel guidé par un vieil homme dont l’identité ne laisse que peu de mystères quand on a quelques épisodes au compteur. Cette zone de départ, le plateau du Prélude, apparaît comme un condensé de ce que le jeu propose : forêts, montagne, campements d’ennemis et petites énigmes. On y apprend comment récupérer les armes destructibles et les utiliser, comment cuisiner la nourriture à la bonne franquette pour se refaire une santé, comment vaincre des adversaires puissants en étant malin et fourbe ou comment survivre par grand froid alors qu’on ne dispose que de pauvres haillons pas vraiment adaptés à la rando en montagne.


On découvre très vite que Hyrule a sombré dans le chaos après que Ganon se soit emparé du château en s’appropriant des créatures mécaniques gigantesques pour les retourner contre leur maître. Fort heureusement, la princesse Zelda bloque le monstre dans le château. On vous donne donc l’objectif principal entre mille : anéantir Ganon. Deux heures de tutoriel plus tard, le vieil homme vous offre un petit parapente et vous met un bon coup de pied aux fesses en vous larguant dans le reste du monde. À ce moment-là, juste à ce moment, on se rend compte que le plateau où vous avez passé vos premières heures ne représentait même pas un dixième de la surface de jeu. Ouvrir la carte et constater l’immensité qui s’offre à vous constitue l’un des meilleurs moments du jeu, et c’est loin d’être le seul.


Contrairement à tous les créateurs de jeux open world (Ubisoft en tête), Nintendo a fait le choix délibéré de ne pas guider le joueur. Un simple point vague vous donne un objectif en début de partie pour suivre l’une des quêtes principales, mais le joueur est tout de suite invité à explorer. Le génie du game design tient sur plusieurs points, dont la volonté de Nintendo de débloquer tous les éléments de gameplay dès le début du jeu. Bombes, aimant, arc, colonne de glace : tous les objets servant à attaquer les ennemis ou résoudre les énigmes sont accessibles très vite, histoire de ne pas brider la créativité du joueur. Second point : l’escalade. Pratiquement tous les décors (exceptés ceux des Sanctuaires) sont des murs de grimpette, pour peu que votre endurance vous autorise à escalader suffisamment haut. Étant donné que le rythme de l’aventure est totalement lié aux pérégrinations du joueur, vous pouvez aisément aller où vous voulez pour, par exemple, vous faire une petite descente de neige sur votre bouclier. En brisant le sacro-saint rythme du Zelda typique que tout le monde connaît (monde ouvert-donjon-objet), Nintendo fait ce que bon nombre de jeux occidentaux ont souvent tendance à oublier : il fait confiance au joueur.


Dès le début donc, le monde s’offre à vous. Étant donné que le joueur a déjà toutes les clés en main, Nintendo laisse le champ libre à toutes les découvertes possibles. Seule l’évolution de la jauge d’endurance peut s’apparenter à du leveling pour Link, mais là encore, l’observation des voies sur le flanc d’une montagne pour dénicher des coins de repos (comme en alpinisme) permettra à n’importe quel joueur, débutant ou initié, d’y trouver son compte. Un jeu au service de l’exploration, où la curiosité et la flânerie sont toujours récompensées. Le level design est tout aussi exemplaire, offrant autant de chemins balisés, rassurant le joueur perdu, que de détours dangereux pour arriver à son objectif d’une façon totalement différente.


L’autre coup de génie de Nintendo, c’est d’avoir su créer un monde totalement cohérent et organique. Là où les autres développeurs s’échinent à créer des univers flamboyants, mais sans véritable logique, ce Legend of Zelda: Breath of the Wild mise avant tout sur la cohérence de son environnement et de la nature, en s’en servant pour poser les bases principales de son gameplay. Une simple utilisation du bon sens que chacun connaît. Le feu provoque des incendies sur les herbes hautes, les armes métalliques attirent la foudre lors des orages, le bois brûle et permet d’enflammer vos flèches classiques : tout autant de choses élémentaires, mais qui permettent au joueur d’aborder une situation de bien des façons. Besoin d’un feu de camp ? Posez un fagot de bois et un morceau de silex avant de taper dessus avec votre épée et vous voilà prêt pour un barbecue. Des ennemis trop balèzes dorment au fond de la grotte ? Tirez une flèche pour couper la corde retenant la lampe du plafond pour faire péter les tonneaux explosifs dans un véritable feu d’artifice. Vous vous sentez l’âme créative ? Fixez des baudruches sur un rocher pour qu’il s’envole, poussez-le avec votre feuille korogu et tirez sur la baudruche pour écraser vos ennemis en contrebas. Un ennemi compliqué à battre sous un orage ? Privez-le de son arme et lancez à ses pieds une épée métallique pour qu’il la récupère sans réfléchir et admirez le résultat, en vous éloignant de préférence. Autant de détails malins qui font la richesse d’un jeu en apparence sans limites, où les joueurs ne se privent pas de partager leurs découvertes.


Chaque aspect a été soigné pour ne laisser passer aucun détail. Les combats, par exemple, apparaissent simplistes, mais la ténacité des adversaires et le nombre d’attaques qu’ils ont sous le coude poussent le joueur à improviser pour ne pas se faire descendre d’une flèche bien placée par un gobelin un peu trop puissant. Attaques classiques et sautées, coups chargés et esquives : les joutes armées sont très précises, jouant aussi bien sur la position des personnages que sur la mécanique de certains mouvements. Réussir une esquive au dernier moment enclenchera un ralenti pour placer quelques coups d’épée rapides. Appuyer sur une touche au moment où l’ennemi attaque donnera un coup de bouclier pour contre-attaquer et désarçonner l’adversaire (voire pour renvoyer certains projectiles). Lancer une arme prête à se briser occasionnera bien plus de dégâts que d’habitude. Autant de petits éléments ici et là qui rendent les combats passionnants, voire difficiles, si l’on veut se risquer à humilier son ennemi : la moindre erreur ne pardonne souvent pas.


Dans sa technique, cet épisode jure par rapport aux cadors du genre, comme un certain Horizon sorti à quelques jours d’intervalle sur PS4. Pas grave : Breath of the Wild mise tout sur l’atmosphère, l’ambiance et cette espèce de mélancolie qui plane constamment sur les vertes plaines dévastées d’Hyrule. Cent années sont passées depuis l’apparition de Ganon, et c’est un monde en ruines que l’on traverse durant le jeu. Champs de bataille, ruines anciennes et temples oubliés, la multitude de panoramas cachés ici et là saura séduire le joueur qui ne s’arrête pas à la technique pure. Oui, les textures ne sont pas folichonnes et la modélisation laisse à désirer, surtout quand on s’amuse à escalader n’importe quoi, mais cet aspect passe étonnamment à la trappe par sa manière de planter une ambiance, surtout avec ses effets météorologiques sublimes. On n’échappe pas à des baisses de framerate (notamment sur WIIU), mais c’est loin de poser un véritable souci, sauf pour les aficionados du 60 fps. C’est lorsqu’on grimpe une falaise, à la faveur de la nuit où l’écho des chouettes résonne au loin, qu’on parvient à saisir toute l’émotion du lieu. Et lorsqu’au sommet on découvre un magnifique lever de soleil rougeoyant à l’horizon, agrémenté de délicieuses notes de piano discrètes, mais désarmantes, on se dit que la technique finalement, on s’en fiche un peu, et que Breath of the Wild a réussi à tirer toute la quintessence de l’univers qu’il a réussi à poser.


Ce Zelda ne s’adresse pas aux amateurs des donjons des précédents épisodes, les quatre composant celui-ci, bien que riches et plutôt retors, sont relativement courts et brisent la tradition d’un level design au diapason avec objets, énigmes à foison sur plusieurs niveaux et clés de boss. Ce serait sacrilège de révéler en quoi ces donjons sont particuliers, sachez juste qu’ils sont extrêmement malins et bien fichus, et toujours avec un boss au bout de la route (l’un d’eux étant d’ailleurs particulièrement éprouvant). Rassurez-vous, amateurs de casse-têtes vietnamiens, Nintendo a pensé à vous en disséminant des Sanctuaires un peu partout, des petits édifices qui contiennent la plupart du temps un mini-donjon bourré d’une ou plusieurs énigmes. Certains sont littéralement cachés sous terre, et il vous faudra souvent suivre les indications mystérieuses d’un vieil homme rabougri au fin fond d’un village pour les réactiver. Au nombre de 120, elles remplacent également les fameux Quarts de Cœurs puisque chaque Sanctuaire réussi vous octroiera un Emblème de Victoire. Quatre emblèmes de ce type seront échangeables contre un nouveau Cœur ou de l’Endurance supplémentaire. L’un des seuls moyens de vous protéger contre les ennemis puissants du jeu, en plus des différentes tenues que vous trouverez.


The Legend of Zelda: Breath of the Wild est foisonnant, étourdissant et épique, et il est compliqué de lister tout ce qui rend ce jeu si merveilleux. J’aurais pu m’appesantir sur d’autres aspects comme la lune rouge sang, la gestion de la température, la cuisine, les différents pouvoirs de la tablette de Link, mais il serait dommage d’en priver le joueur curieux, la découverte faisant partie de l’expérience générale. Le titre de Nintendo marque le jeu open world d’une pierre blanche en sortant ce genre du marasme occidental pour en extraire la grande aventure que tout le monde attendait. Un jeu à monde ouvert se découvre, s’explore et s’expérimente, et ce Zelda l’a parfaitement compris en faisant une confiance aveugle au joueur pour s’éclater sans qu’on le tienne par la main. Nintendo a littéralement accompli un exploit en modernisant une saga vieille de 30 ans et a montré à tous les petits nouveaux qui était le patron.


C’est lorsqu’on s’arrête au milieu d’une prairie débordante de vie qu’on se plaît à apprécier Breath of the Wild. D’une durée de vie qui se mesure en plusieurs dizaines d’heures (pour ma part, 56 heures pour en voir la fin, sans avoir fait tous les Sanctuaires), cet épisode casse les règles classiques de la saga tout en renouant avec l’esprit original, celui de l’épopée et de l’aventure épique, celui où vous pouvez vous élancer à cheval vers cette mystérieuse montagne qui cachera un trésor ou les ruines d’un temps ancien. C’est un titre qui peut faire peur quand on regarde le gigantisme de son terrain de jeu et sa (fausse) difficulté face aux monstres et à la nature elle-même. Mais de la même manière que le personnage de Zelda effrayé par l’idée que les souvenirs et son histoire disparaissent à jamais, le joueur doit apprendre à apprivoiser Hyrule et tout ce qu’elle contient pour parvenir à ses fins. The Legend of Zelda n’a jamais aussi bien porté son nom.

Cronos
10
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le 11 avr. 2017

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