The Orange Box
8.6
The Orange Box

Compilation de Valve et Electronic Arts (2007Xbox 360)

Par Pierre Gaultier

Encore largement en friche, le champ créatif du jeu vidéo subit toujours les répliques d'un tremblement de terre : celui provoqué par la sortie du premier Half life en 1998. Le premier jeu du studio américain Valve révolutionne la narration interactive. Traqué par des hélicoptères dans des canyons, placé au coeur de combats entre des marines et des aliens à l'intelligence étonnante, poursuivi par un énorme E.T. aux yeux rouges qui surgit de l'obscurité d'un parking et renverse les voitures alentour, menacé par la déflagration mortelle d'une bombe qui fonce droit vers lui… En un seul plan-séquence médusant de trente heures, le joueur vit, à travers les yeux du héros, une sorte de best-of des plus grands longs-métrages d'action et d'horreur américains. L'écriture, digne d'un film Pixar par sa fluidité, sa logique et sa rapidité, enchaîne des dizaines de lieux et de séquences inoubliables qui prennent place dans un monde plausible, sans coutures apparentes, sans découpage en niveaux, sans séquences vidéo passives. Ce rythme haletant, cette densité délirante, cet univers qui se déploie d'une seule traite, cette volonté de toujours laisser le contrôle au joueur, cette succession d'idées spectaculaires de mise en scène et d'inventions brillantes de gameplay ne vont cesser d'influencer le jeu d'action - de King Kong à Call of duty, de Halo 2 à Blacksite : Area 51, de Resident evil 4 à Bioshock.

2007. Valve commercialise la "boîte orange" - couleur emblématique de la série. Cette compilation monstrueuse regroupe cinq jeux : Half life 2 (2004), sa suite Episode 1 (2006), ainsi que les inédits Episode 2, Portal et Team fortress 2. Aussi différents soient-ils, ces cinq titres partagent une même foi dans la puissance de l'image. A commencer par Half life 2, oeuvre majeure qui reprend les principes de conception du premier volet en leur apportant une épaisseur visuelle sans équivalent. Pour façonner l'univers du jeu, le scénariste Marc Laidlaw a collaboré étroitement avec le directeur artistique Viktor Antonov, originaire de Bulgarie. Ainsi, dans Half life 2, la majorité des éléments graphiques ont une signification. En échangeant constamment leurs textes et dessins, les uns s'inspirant mutuellement des autres, Laidlaw et Antonov ont construit un monde mémorable, fondé sur la suggestion plus que sur l'explication, irrigué par une âme, une histoire qui collent insidieusement à la peau du joueur. En son centre, Cité 17, une ville à l'esthétique est-européenne, surplombée par une colossale Citadelle extraterrestre qui dévore les habitations humaines. Gordon Freeman, le héros, rejoint la résistance pour lutter contre un régime totalitaire mi-humain mi-alien établi par l'empire Combine. Bien que le joueur suive une trajectoire étroite et prédéterminée, le monde d'Half life 2 paraît extraordinairement réel et cohérent. Il possède une géographie précise, que nous rappellent continuellement les cartes affichées par les rebelles dans leurs bases et la présence intimidante de la Citadelle, point de repère et objectif, première vision marquante du jeu et conclusion logique de son histoire. L’introduction, purement contemplative, sans coup de feu, permet de s'imprégner lentement des thèmes (oppression, occupation, manipulation, résistance) et de l'atmosphère du jeu. Les structures extraterrestres, grises, métalliques - au premier rang desquelles la masse oppressante de la Citadelle, monolithe rappelant les édifices communistes -, détonnent avec les bâtiments humains dont les peintures usées et les couches d'architecture superposées témoignent d'une succession d'invasions. Les lieux et objets portent les traces du passé : chaussure perdue par un civil arraché à son appartement, jardin d'enfant abandonné, graffitis rebelles, affiches de propagande, coupures de journaux racontant la reddition de la Terre... Les ennemis présentent les stigmates de leur condition : leur étrange apparence biomécanique vient de ce que l'empire Combine conquiert des mondes et asservit des espèces en les transformant en armes ou en esclaves. Les nuances de la lumière automnale expriment des émotions subtiles, à mi-chemin entre mélancolie et espoir, entre froideur et douceur. Les décors presque romantiques mettent en valeur les fusillades par contraste - alors qu'un hélicoptère tire sur le joueur coincé sur un pont, une petite maison se perd dans le brouillard à l'arrière-plan, etc. L'ambition qui préside l'ensemble est évidente : représenter de manière réaliste des lieux et histoires fantastiques, faire de chaque détail le support d'une information ou d'un sentiment. Mais Half life 2 ne va pas jusqu'au bout de sa démarche et conserve une pléthore d'éléments absurdes, artificiels et paresseux : ces dizaines de caisses, de barils ou d'items de vie, ces puzzles physiques proches du ridicule (lester une planche pour en faire un pont), cette séquence en hovercraft trop longue et illogique, qui représente un réseau de canaux comme un parcours soporifique de jeu de course. En résulte un jeu tiraillé entre ses aspirations réalistes et des conventions, du bois mort dont il n'ose pas se débarrasser.

Les deux suites du jeu, Episode 1 et Episode 2, intègrent plus naturellement les énigmes et les fusillades à leur univers. Si l'Episode 1, trop familier, manque d'avancées scénaristiques et ludiques significatives, l'Episode 2 conserve les mêmes qualités d'immersion, de forme, d'écriture que le Half life 2 originel. Mais il les délivre à un rythme plus homogène, évitant les séquences excessivement étirées et limitant la répétition d'énigmes grotesques. Surtout, les environnements champêtres, baignés d'une troublante lumière bleutée, prennent régulièrement une dimension inédite dans la série. Larges, ouverts, ils sont le théâtre d'affrontements amples, malléables et dynamiques, comme cet assaut de multiples créatures tripodes qui s'étend sur une aire gigantesque en pleine forêt. Immense plaisir que de combattre et d'esquiver un mini tripode en fuyant sur le toit d'une maison, en se cachant derrière des fenêtres brisées, en reprenant des forces au sous-sol. La patte Valve commence certes à ressembler à une recette, et Episode 2 déroule un peu trop mécaniquement une succession d'intérieurs, d'extérieurs, de fusillades, de puzzles, d'accalmies, de passages en buggy, de temps forts narratifs. Mais le développeur maîtrise son sujet comme personne ; aucun autre studio au monde n'a atteint ce niveau de maturation et de réflexion dans les domaines de la narration en vue subjective, de la direction artistique, de la fabrication (doublage, animation, effets spéciaux...). Au début du jeu, un personnage est gravement blessé par une créature Combine sous les yeux du joueur impuissant, coincé sous un plancher effondré. Puis arrive in extremis un extraterrestre ami qui sauve le personnage d'une mort certaine. L'expertise de Valve s'incarne dans ces quelques secondes : les indices auditifs et visuels d'une présence hostile, l'utilisation du décor comme cadrage, la pureté de l'animation - simple moment, magnifique, où l'extraterrestre prend dans ses bras, avec ses longues mains à deux doigts, le corps inerte pour le mettre à l'abri. Rares sont les jeux à pouvoir restituer aussi parfaitement ces gestes-là en 3D temps réel, et à pouvoir gérer avec la même aisance des destructions d'objets à grande échelle (grand pont qui s'effondre, maison en bois qui explose...). A l'instar de ses prédécesseurs, Episode 2 sait frapper le joueur et lui remémorer ses objectifs avec un vrai sens dramatique. La Citadelle, en ruines, constitue une fois de plus un point de repère et un but inflexible - l'immense et dangereux vortex qu'elle a généré doit être détruit. Sur un viaduc traversant la forêt, des nuées de troupes Combines se dirigent vers une base rebelle que le héros devra plus tard protéger. Il y a aussi dans l'Episode 2, comme dans les plus beaux passages d’Half life 2, Shadow of the colossus ou Final fantasy XII, une volonté précieuse de faire vivre les lieux pour eux-mêmes avant de les transformer éventuellement en terrains de combats. Un hôtel perché sur le bord d'une route : le héros remonte à pieds le chemin qui y mène, calme complet, flamboiement ambigu du soleil, chants des oiseaux, ombre des arbres. Puis, bloqué soudainement par des champs de force Combine, le joueur pénètre dans l'hôtel et fait face, seul, à un intense assaut de troupes. Des scènes comme celles-là placent instantanément cet Episode 2 parmi les grands FPS de l'année 2007. (...)

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Chro
10
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le 8 avr. 2014

Critique lue 281 fois

Chro

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