Viva la Ratvolution

Tooth and Tail est un jeu de stratégie plutôt atypique puisque conçu pour être joué non pas avec un clavier et une souris, comme c'est le cas pour au moins 99 % des jeux du genre, mais bel et bien avec une manette.
Ce qui résulte de ce combo n'est généralement pas satisfaisant : au mieux passable, au pire complètement injouable… Tooth and Tail évite-t-il cet écueil ?… Pas totalement non.

Pas totalement parce que le titre a malgré tout quelques qualités qui lui sont propres : à commencer par les bases même de son gameplay.
En effet, le jeu de Pocketwatch Games fait le pari de nous faire incarner une seule unité : le leader. Un personnage n’ayant pas la capacité d’attaquer ni de se défendre mais pouvant malgré tout rallier notre armée ou une partie de celle-ci à un point donné, d’ordonner la construction de moulins puis de fermes afin de récolter de la nourriture (l’unique ressource de jeu) ou encore de pouvoir faire ériger les différentes casernes entrainants les unités.
Cette mécanique fait donc de Tooth and Tail un jeu de stratégie dans lequel l'APM n'est pas la chose la plus importante et dans lequel il est primordial d'explorer la carte par nous-même plutôt que de confier la tâche à autrui : une très bonne chose pour un nul comme moi !
La présence d’un chef apporte une autre spécificité très intéressante, puisque logiquement présent à un seul endroit à la fois, il sera toujours possible de contourner des groupes d'ennemis afin d'attaquer un point précis, de tuer le leader afin de paralyser le mouvement de ses troupes ou encore de le tuer avant qu'il n'atteigne notre campement afin d'empêcher à ses mêmes troupes de saccager le nôtre. La caméra étant fixe, il est impossible de zieuter toute la carte comme on le ferait d'habitude. Heureusement, une minimap existe afin d'avoir un aperçu de la situation, et le personnage que l’on incarne pourra éventuellement creuser un trou afin de voyager rapidement entre nos différents moulins et feux de camps.
Bref, les bases fonctionnent plutôt bien, et il ne s'agit pas de la seule qualité du titre, puisque stratégiquement parlant, les parties étant conçues pour être courtes, et la nourriture pouvant s'avérer être vite très limitée, il est possible de s'organiser afin d'éliminer les adversaires, non pas en les élimant tous, mais en jouant sur la durée et en faisant en sorte qu'ils meurent des suites de la famine.

Malheureusement, comme je le disais plus haut, Tooth and Tail n'évite cependant pas totalement l'écueil dans lequel tombe la plupart des jeux de stratégie conçu pour être joué à la manette et s'avère limité sur de nombreux points.
Par exemple, il est impossible de grouper notre armée comme bon nous semble : il est possible de soit rallier toutes nos unités en même temps, soit de rallier toutes les unités d'un même type. Rallier notre armée dans son intégralité peut s'avérer assez problématique, notamment quand on désire laisser au moins quelques unités en arrière afin de protéger nos fermes d'un potentiel assaut ennemi (il est possible tout de même de construire quelques fortifications) ; quant au fait de rallier qu'un certain type d'unité, si cela peut-être intéressant lorsque l'on souhaite organiser un raid surprise avec nos snipers ou tout simplement déplacé un troupeau bien spécifique à un autre endroit de la carte, ça le devient beaucoup moins lorsqu'on tente d'attaquer l'ennemi de front.
Vous l'aurez compris, il est impossible d'associer une unité à une tâche bien particulière et de la “verrouiller” à cette même tâche : il peut donc arriver que nos troupes se laissent gentiment tuer par des ennemis hors de leurs portées, ou dans le même registre, qu'un moulin se fasse détruire parce qu’elles n'ont pas vues les mortiers se situant 2 mètres plus loin.
Je comprends la logique qui est de vouloir aller au plus simple, mais force est de constater que ça nuit en grande partie au jeu.
J'ai joué à Halo Wars il y a presque 2 ans et ce dernier s'avère bien moins limité qu'un Tooth and Tail alors qu'il a en grande partie était critiqué pour ça… bien qu'il faille tout de même rappeler que Tooth and Tail s'inscrit dans un registre complètement différent.

L'univers du jeu est plutôt intéressant. L'action prend place dans une société d'animaux anthropomorphes dans laquelle la pénurie alimentaire a entrainé de nombreux soulèvements et contraints certains animaux à recourir au cannibalisme. On se retrouve donc dans une guerre opposant 4 factions dans laquelle le vainqueur mange le vaincu : les Longs-Manteaux sont une sorte de bourgeoisie mettant en avant la méritocratie ; les Gens du Peuple veulent imposer la démocratie ; le KSR représente la Police (ainsi que la bureaucratie) souhaitant ramener l'ordre d'avant ; et les Civilisés, groupe plus religieux, a mit en place un système dans lequel un sage décide de qui va avoir droit au repas ou servir de repas.
Le scénario du jeu rappel donc la révolution russe de 1917, l'intégralité des personnages du titre parlant d'ailleurs une langue basée sur celle-ci. Autres inspirations assumées par les développeurs : Rougemuraille, le Robin des Bois de Disney ou encore Brisby et le secret de Nimh ; bien sûr, on peut en voir d’autres comme Zootopie ou bien évidement La ferme des Animaux de George Orwell.
J'ai fort bien aimé cet univers rempli de proies et de prédateurs, dans lequel certaines proies tentent de devenir prédateurs, que l'on peut tout aussi bien assimiler aux animaux qu'aux humains, via notamment les différentes castes sociales.

Si l'histoire est sympa à suivre, les missions le sont beaucoup moins, étant pour la plupart banales et donc sans grands intérêts. Il y a bien un objectif secondaire “héroïque” à terminer pour chacune d'entre elles mais ça ne fait que rajouter une difficulté artificielle : le pire étant l'objectif secondaire de la dernière mission qui est juste l'un des objectifs avec l'une des difficultés les plus aléatoires que j'ai pu voir dans un jeu vidéo de toute ma vie. C'est d'ailleurs un autre défaut que l'on peut faire à cette même campagne : la difficulté est globalement beaucoup trop aléatoire. On passe donc de missions extrêmement simples à d'autres beaucoup plus dures, le pire étant que les différents modes de difficulté disponibles dans la campagne ne changent pas grand-chose l'un de l'autre.
Finalement, seule la carotte du scénario nous fait continuer l'aventure, nous emmenant au fil des heures d'une faction à l'autre tout en apportant entre chacune d'entre elles, son lot de dialogues et d'informations sur l'univers du jeu… pour finir sur un twist de fin plutôt sympathique d'ailleurs. À noter que les différentes factions se jouent toutes de la même façon, qu'aucune d'entre elles ne possèdent d'unité exclusive et que seul donc la couleur des unités change. Autre petite précision par ailleurs : le KSR et les Civilisés sont représentés en jaune et en vert, le genre de truc toujours embêtant pour un daltonien, surtout en jeu !

Une fois l'aventure terminée il ne reste malheureusement pas grand-chose. Le multijoueur étant aujourd'hui très peu peuplé (je n'ai pu faire qu'une seule partie qui fut abandonné par mon adversaire), il ne faudra pas trop compter sur lui. C'est dommage parce que le système de deck (les développeurs assument s'être inspirés d'Hearthstone) nous permettant de composer notre propre armée au début de chaque bataille semblait plutôt intéressant.
À la limite, il y a toujours la possibilité de jouer contre l'IA ou un ami en mode hors-ligne, ou encore de refaire certains niveaux de la campagne en modifiant leur level-design via la génération procédurale.
Quant aux musiques, l'ambiance sonore est sympa, les différents thèmes le sont aussi et possèdent leurs propres pattes qui ne dénotent pas avec l'ambiance du jeu original… par contre, rien de marquant là-dedans et cela m'étonnerait fort bien de les réécouter d’ici quelques années.

Que dire de Tooth and Tail donc ? Comme toujours, j'aurais aimé adorer ce jeu ! Malheureusement, les nombreuses faiblesses de sa campagne et son multijoueur vide laisse un gout amer dans la bouche, comme s'il manquait quelque chose afin d'exploiter pleinement tout le potentiel du titre. Pour le coup, je trouve dommage que les développeurs ne soient pas partis sur une version free-to-play de leur jeu qui concernerait uniquement cette même partie multijoueur : ça aurait sans doute pu donner un second souffle au multijoueur de ce titre qui en aurait eu bien besoin.
Concernant la campagne, encore une fois, dommage que celle-ci ne se montre pas assez intéressante pour justifier l'achat à elle seule. Le solo aurait sans doute mérité quelques ajouts comme une nouvelle campagne exploitant mieux le gameplay (en DLC ou non) ou un mode de jeu supplémentaire.
Reste l'univers et le scénario du titre, intéressants certes, mais finalement eux aussi pas assez exploités pour justifier à eux seuls l'achat.
Un beau gâchis !

Points positifs :
+Une base simple et originale, mais qui fonctionne
+Un scénario et des dialogues sympas à suivre
+La génération procédurale permet toujours de prolonger la durée de vie

Points négatifs :
-Quelques limitations nuisent tout de même au gameplay
-Les missions de la campagne, globalement sans grands intérêts et avec une difficulté trop aléatoire
-Le multijoueur aujourd'hui vide