« Nul besoin de connaître l’avenir, seulement d’être libre de le façonner »

Imaginé et scénarisé par Tetsuya Takahashi, qui avait déjà dirigé Xenogears et Xenosaga, co-dirigé par Genki Yokota et Koh Kojima, qui avait travaillé sur Xenosaga et Baten Kaitos, Xenoblade Chronicles inscrit son studio parmi les plus gros soutiens de Nintendo à l’entrée des années 2010 pour proposer des jeux de rôle acclamés par la critique. Et on parle là surtout de la réussite critique et le prestige qui en découle, le jeu n’étant pas parvenu au million de ventes malgré le formidable succès de la Wii. Réputé comme JRPG incontournable de sa console et même de sa génération, mes attentes étaient grandes le concernant et je vous propose de découvre mon avis au cours de cette critique pendant laquelle je vous propose l’écoute du très entraînant thème des Plaines de Gaur.



GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★☆☆☆☆



Se présentant comme un Action-RPG, le titre fait donc le choix d’un système de combat en temps réel mais avec un équilibrage où les statistiques sont déterminantes dans le combat et où il est impossible d’esquiver les coups ennemis par nos déplacements. Ce n’est absolument pas un problème en soi, c’est un parti pris qui se traduit par des combats aux sensations dynamiques, on est toujours en mouvement et la rapidité d’exécution est cruciale dans les situations critiques, même si le plus important c’est de s’attaquer à des adversaires de son niveau, la pertinence de la stratégie adoptée, la synergie entre les forces et faiblesses des membres de l’équipe contrôlée…


Le système de jeu comprend beaucoup de bonnes idées et de réussites : l’attaque de base déclenchée automatiquement pour laisser place aux décisions plus stratégiques, le choix du personnage jouable parmi toute l’équipe permettant de varier les approches pour le joueur, des QTE assez simples et bien intégrés à leur juste place de bonus qui peuvent être utilisées de façon défensive ou offensive, précipitée ou économisée, les dégâts pouvant être localisés en fonction de si l’on se trouve face, sur le flanc ou dans le dos de l’ennemi… A titre personnel, si c’était suffisamment réussi pour me procurer du plaisir de jeu et du challenge nécessaire pour me tenir en haleine sur une bonne partie du jeu, ça a tout de même fini par se révéler à moi comme étant imparfait dans un contenu massif mais assez superficiel pour une bonne partie.


Successeur spirituel du concept de MMORPG-like en solo à la Final Fantasy XII, Xenoblade nous invite à parcourir de grandes zones ouvertes entre ces passages plus linéaires et scriptés, ce qui ne pose aucun problème pour le gameplay en soi. C’est un concept qui apporte déjà un aspect très généreux au contenu pour ce titre qui peut atteindre la durée de vie d’une centaine d’heures pour les plus complétionnistes, mais même de facilement 70 heures pour les plus pressés. Par contre, on a une certaine quantité de quêtes fédex, souvent avec des contextes scénaristiques bâclés, parfois buggés avec la possibilité de réaliser ce que demande la quête avant de la débloquer et du coup de ne plus pouvoir la valider, notamment pour la chasse des monstres uniques. Ça peut même être littéralement des quêtes fédex où l’on fait des allers-retours entre 2 PNJ dans une même ville, absence quasi-totale d’intérêt ludique, même si c’est facultatif.


De façon plus dérangeante, mais aussi un peu plus personnelle, j’ai rencontré un sérieux problème d’équilibrage dans ma partie, les 3 premiers persos jouables constituent un build parfaitement équilibré, DPS-rogue, Tank et Healer, le fait d’avoir limité à 3 persos jouables a rendu handicapant tout nouveau personnage jouable débloqué, le plus souvent hybride au lieu d’être spécialisé, une grande partie de mon expérience de jeu, si bien que j’ai dû faire une équipe A et une équipe B radicalement différentes pour varier les plaisirs et tromper la monotonie, la deuxième étant beaucoup moins efficace généralement alors que de même niveau. Il aurait fallu pour moi augmenter la puissance des ennemis et pouvoir avoir une équipe de 4 afin de pouvoir faire plus de combinaisons jouables.


Par ailleurs, la limitation de nos possibilités d’influer sur le comportement de l’IA alliée peut causer des erreurs regrettables, voire fatales dans les affrontements les plus ardus, un système de pause active et de contrôle de chaque perso jouable en plein combat aurait peut-être été judicieux, au moins des ordres tactiques un peu plus variés que ceux auxquels on a droit dont on se demande parfois s’ils fonctionnent. Un autre problème aussi c’est que si l’on est projeté contre une paroi, des problèmes de caméra peuvent également se poser momentanément, mais c’est déjà moins grave.


L’IA alliée a tendance à faire n’importe quoi en phase d’exploration et ça peut avoir des conséquences sur un combat, par exemple un des 2 alliés qui tombe en début de combat dans un trou et qui n’en meure pas mais qui ne peut pas en remonter non plus, du coup le combat se déroule qu’à 2 persos parce que le jeu ne sait pas gérer correctement les déplacements des alliés sur lesquels on n’a aucun contrôle. Les quelques combats dans des endroits clos, sur des passerelles… montreront tous ces problèmes, heureusement ils seront rares, malheureusement certains seront obligatoires.


Pour finir sur les défauts, mais là c’est déjà plus mineur, l’interface est un peu surchargée en renseignements pour un système en temps réel avec état des persos jouables à gauche (santé, moral, buff, débuff…), capacités à déclencher en bas (répartis des fois en différents menus), carte à droite (nombre et positions des ennemis) et bien sûr le combat en lui-même au centre avec toutes les indications de dégâts, de changements d’état… La lisibilité des combats est clairement perfectible et les moments les plus tendus exigeront une rapidité de décision contraire à ce problème. Et si je viens d’être très dur avec le jeu sur cette partie ludique que je trouve bancal in fine, rassurez-vous le plus dur est passé, je vais désormais être beaucoup plus élogieux.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆



Faire un JRPG aux vastes environnements est un défi technique très relevé pour une exclusivité Wii, bien faible techniquement pour sa génération, et c’est pourtant le choix des développeurs. La distance d’affichage pure très perfectible avec des ennemis n’apparaissant qu’à quelques dizaines de mètres, un aliasing prononcé un peu partout, la présence d’éléments de décor en 2D, la synchro-labiale pendant les cinématiques souvent aux fraises en anglais comme en japonais vu le peu d’animation faciale… constituent autant de défauts techniques inhérents à la faible puissance de la Wii face aux ambitions démesurées du studio.


D’un côté, on pourrait dire que c’est un mauvais choix que de développer une exclusivité à une console qui ne peut supporter une telle ambition sans compromis technique, qu’il aurait été préférable de faire un rendu moins impressionnant mais plus soigné. De l’autre, on peut admirer la qualité du travail final qui arrive à tenir miraculeusement la route et à nous faire vivre une expérience quasiment unique sur sa machine, bien au-delà de ce que l’on en croyait capable. J’ai choisi personnellement d’adopter le second point de vue, tous les compromis techniques ne sont finalement pas si gênants que ça et les forces visuelles qui parviennent à émaner du titre malgré ces limitations forcent mon respect.


Xenoblade Chronicles prend place dans un monde ouvert au level-design donnant un sentiment de cohérence entre les zones, d’immensité aux environnements… sous un cycle jour / nuit et météorologique très propice à l’immersion. Lorsque j’ai avancé par une nuit orageuse avec les yeux de Mékonis perçant l’obscurité et qu’un éclair en révèle un instant la silhouette alors que j’escalade une structure géante qui me montre progressivement les 3 immenses zones que je viens de parcourir avant d’y arriver, c’est un sentiment de gigantisme incroyable qui s’en dégage et transcende l’aventure, parmi les plus grandes forces du jeu. Même sur les consoles concurrentes bien plus puissantes, je n’ai que peu ressenti cet aspect, y compris sur leurs plus grosses productions.


Et sans même parler du concept ambitieux et génial de placer ce sentiment de gigantisme au cœur de la mise en scène tout en temps réel lors de nos phases d’exploration, c’est plein de belles idées esthétiques qui viennent sublimer l’écran : un ciel nocturne éclairé par une pluie d’étoiles filantes, une foret illuminé par une multitude de particules fluorescentes virevoltant autour de nous… Le design des personnages comme des créatures sera assez soigné la plupart du temps. De plus, les feed-back sont renforcés en combat par des effets de style comme l’action prédite qui vole littéralement en éclats si les circonstances l’annulent, le petit ralenti avant le QTE à réaliser souvent au cours de l’animation d’une attaque… Ces qualités sont quasiment omniprésentes.


On peut toujours voir des défauts à les chercher, si l’on s’intéresse aux cinématiques présentant de grands affrontements au cours de l’aventure, on peut voir plein de compromis en arrières-plan, dans les plans de caméra resserrés… mais d’un autre côté elles parviennent très bien à être aussi épiques qu’elles le doivent grâce à l’intelligence de ce qui est montré et mis en avant, des perspectives choisies avec notamment les passages en vue subjective, des mouvements de caméra très dynamiques ne laissant pas le temps de s’attarder sur les défauts, de la qualité exceptionnelle de la bande-son et tout particulièrement de la musique...


La musique d’ailleurs est encore un point superbement réussi, composée par Yoko Shimomura, notamment connue et reconnue à l’époque pour son travail de compositrice sur les Kingdom Hearts même si c’est surtout pour moi la compositrice de Parasite Eve, Manami Kiyota et le groupe ACE+. Les registres mélancoliques, épiques ou entraînants trouvent tous leur moment de grâce musicale, l’adaptation de la musique se fait en toute cohérence selon le moment de la journée… Il y aura tout de même quelques musiques de combats qui reviendront s’y souvent qu’elles n’en seront plus très agréables à l’écoute à force si on veut y trouver quelque-chose à redire, mais rien de bien méchant. Terminons tout de même sur les parties scénaristiques et narratives, dont j’attendais beaucoup vu sa réputation.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★☆☆



Après la présentation d’un univers aussi singulier que captivant, celui où le monde connu se résume à un immense océan dans lequel 2 géants immobiles abrite la vie sur leur corps, et un prologue aussi intense en émotions que prometteur pour la suite, avec des combats épiques, des retournements de situation choquants et des drames émouvants ; l’intrigue principale est assez lente et finalement prétexte à découvrir d’autres civilisations une par une pour donner un univers assez riche. Nous sommes libres de l’explorer en détails ou non, ce qui n’est pas anodin dans un contexte où les supposés grands RPG japonais de l’époque étaient souvent critiqués pour l’étroitesse de leur level-design à l’image du mal-aimé Final Fantasy XIII.


Heureusement que cet aspect est assez réussi car une très grande partie de l’intrigue principale ne m’aura pas beaucoup captivé une fois passé le prologue et jusqu’à l’arrivée vers la fin du récit. On a un premier antagoniste principal finalement assez ridicule et sans aucune nuance qui ne cesse de nous poursuivre, des révélations sur les éléments clefs de l’intrigue très parcellaires, des rebondissements bien peu conséquents au moins pour le moment, beaucoup de bons sentiments qui viennent entacher les promesses de maturité initialement faites… rien n’est vraiment mal fait mais dans l’ensemble l’intrigue se suit sans brio pendant des dizaines et des dizaines d’heures, pour mieux préparer un final absolument exceptionnel justifiant tous ces choix qui l’amorçaient.


Les bons sentiments laissent place à une intensité dramatique parfaitement saisissante, les révélations d’une grande audace se succèdent à un rythme frénétique, les enjeux deviennent captivants en puisant dans tout ce qui a été établi en douceur jusqu’ici, les intrigues personnelles de chaque personnage jouable se recoupent en toute cohérence, les thématiques pertinentes et intelligentes sont bien plus exploitées, les messages centraux sont très positifs avec des valeurs de paix et de liberté tout en collant un petit taquet au fanatisme religieux au passage… Ça fait partie de ces jeux très longs où si le scénario n’est marquant qu’à très peu de moments sur toute l’expérience de jeu, ce n’est pas parce qu’une petite partie est meilleure que le reste mais parce que le rythme a été choisi pour poser une ambiance et se construire progressivement afin que les meilleurs moments moments soient aussi réussis et marquants.


J’aurais tout de même un reproche à faire à cette fin, mais c’est très personnel et je m’y attendais :


Si l’absence quasi-totale de choix scénaristiques dans le jeu m’avait bien fait comprendre qu’il n’y aurait qu’une seule fin possible, je n’apprécie pas quand le jeu fait un peu comme si c’était le cas. Quand Alvis dit à Shulk à la toute fin « le choix t’appartient » et qu’on a un petit temps de silence comme s’il faisait un choix ou comme si c’était à nous de le faire, c’est assez frustrant et maladroit. La fin ne dépend ni d’un choix, ni de nos choix passés, ni d’éventuelles quêtes annexes accomplis, ni de l’évolution de notre sociogramme… et n’est pas non plus un quelconque suspens, la bienveillance de Shulk et son idéal de liberté pour tous ne fait aucun doute sur le seul et unique choix qu’il finit par faire. C’est le genre de détail qui limite pour moi l’énorme potentiel de cette fin qui reste malgré tout très réussie.


Les liens d’affection qui se créent au cours du combat quand des personnages s’entraident et qui débloquent ainsi des dialogues inédits et divers bonus constituent une certaine cohérence entre les actions en jeu et le scénario, de la même manière que des possibilités de trocs se débloqueront alors qu’on gagne en popularité par l’accomplissement de quêtes dans une région, que l’on se verra accordé des bonus au combat alors qu’on vient d’assister à une cinématique mettant en exergue notre montée en puissance, que les têtes-à-têtes qui peuvent être l’occasion de développer l’attachement envers certains personnages coïncident avec leurs interactions en jeu et pendant les dialogues...


Pour finir tout de même sur une petite limite à tout ça, c’est le sociogramme qui est l’excellente idée sous-exploitée de la narration. Le fait que chaque découverte de personnage, que chaque évolution de relation entre des personnages est ainsi schématisé et consultable à loisir dans le menu prendrait tout son sens si ça avait une réelle utilité pour orienter nos décisions, ça n’est quasiment jamais le cas. Seules quelques quêtes annexes présentent des choix qui demandent effectivement d’opter pour une certaine évolution du sociogramme par rapport à une autre, mais ça n’a aucune conséquence palpable. C’est un simple indicateur de popularité par région et ce système complexe réservé pour notre équipe jouable auraient largement suffi en l’état.



CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆



Entre le défi technique relevé avec brio pour proposer l’exploration d’un monde transcendé par une sensation de gigantisme absolument splendide et un univers aussi singulier présentant une intrigue intelligente à la conclusion magistrale, Xenoblade Chronicles est une expérience vidéoludique incontournable de sa console et de sa génération. Si j’avais davantage accroché au système de combat et que je n’avais pas mes quelques reproches secondaires et personnels à certains choix de narration, il pourrait très clairement faire partie de mes jeux préférés tant le titre a pu m’époustoufler par ses ambitions techniques, ses fulgurances esthétiques et ses excellentes idées scénaristiques.

damon8671
8
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le 26 avr. 2020

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damon8671

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