Pourquoi Yesterday est-il un mauvais jeu ?
Chez Pendulo, il y a eu Runaway, qui m'avait laissé un goût amer il y a deux ans de ça. Leur série phare. Depuis, ils ont fait The Next Big Thing, dont la démo ne m'a pas convaincu du tout, je ne sais plus pourquoi, je crois que c'était trop dirigiste…
Toujours est-il que la petite équipe de Pendulo a remis le couvert, avec un autre concept. Un jeu normalement sombre, et court, conçu pour le nouveau mode de consommation, les jeux pas chers à courte durée de vie, vendus sur les différentes boutiques d'applications, de Steam à l'AppStore. Un concept qui ne me dérange pas en soi… d'ailleurs, le jeu n'est pas cher et sa durée de vie est très honorable (je ne saurais pas dire combien, mais c'est suffisant… si, si, c'est suffisant).
Avant toute chose, je tiens à dire que je n'ai pas acheté Yesterday pour le démolir. Non, j'étais curieux, j'ai voulu donner une nouvelle chance à Pendulo en me disant qu'ils avaient peut-être évolué. Pourtant, je me dois de répondre à la question posée dans le titre :
Pourquoi Yesterday est-il un mauvais jeu ?
Attention, la suite de cet avis révèle certains passages. Parce que ce jeu étant mauvais, je ne gâche aucune bonne surprise.
C'est vrai, y'a beaucoup de jeux, des tonnes même, que je n'aime pas. Mais, je n'y joue pas, comme ça je vis très heureux (et je peux continuer à m'acheter des bouteilles de Chartreuse). Mais il y a un genre que j'aime vraiment, c'est le jeu d'aventure. Et les productions de qualité (en terme de réalisation) ne se bousculent pas au portillon depuis cette dernière décennie. Alors, Yesterday arrive. Ici, on dit qu'il est formidable, là on dit que son interface est incroyablement bien conçue pour le tactile, à ma gauche on me dit que c'est le digne successeur des Chevaliers de Baphomet (j'y reviendrai), à ma droite le meilleur jeu d'aventure de l'AppStore.
Je me souviens de cette maxime des Inconnus : « Il ne faut jamais prendre les gens pour des cons, mais il ne faut pas oublier qu'ils le sont. »
Et je m'en voudrais presque d'avoir voulu me prouver le contraire
Vous savez, moi j'aime les jeux d'aventure, parce que c'est comme un livre interactif. Alors on nous raconte des histoires extraordinaires, et on a le droit de tourner la page que lorsque l'on a nous-même écrit le dernier paragraphe. Et c'est amusant. Et puis, on aime bien savoir ce que pense tel ou tel personnage… George Stobbart qui lance toujours un trait d'esprit digne d'un britannique, Hector qui nous relate l'histoire de son quartier avec son phrasé irrévérencieux, Guybrush qui fait des remarques de gosse… bref, si on les écoute, c'est parce qu'ils sont drôles, attendrissants, intéressants.
— Sors de là, petit fils de pute !
— Tu pues la merde parce que t'es un abruti, hein, M. l'Abruti ?
— Après, tu dégages. Tu pourras aller te faire foutre, et je ne veux plus jamais te revoir.
Parfois, on vous parle avec politesse, dans un langage travaillé. Ne vous méprenez pas, j'adore le « parlé de la rue » si cher à Audiard. Mais il faut avoir du talent pour oser être simple.
J'aime la culture. Vous le savez. C'est quelque chose qui me tient à cœur. D'ailleurs, j'aime bien apprendre des anecdotes sur des sujets donnés, au gré des discussions, des documentaires, des lectures. Vraiment, oui, ça me passionne. Toutefois, tout comme lire une encyclopédie, cela n'a pas de sens ni d'intérêt si ce n'est pas contextualisé.
— Savez-vous que la première personne à avoir référencé le zinc en tant que métal était Paracelse, le plus grand alchimiste de toute l'histoire ?
— La scytale était un système utilisé par les spartes pour crypter leurs messages.
— Un dessin original d'Albin Grau pour le film "Nosferatu, le vampire" de 1922.
La vérité, c'est que l'on s'en fout. On ne s'en souviendra pas. Ça n'a rien à faire là. C'est hors contexte, hors propos.
Pendulo nous avait déjà fait le coup avec ses Runaway, je me souviens de l'énigme de « Celui qui sait ne parle pas » où il fallait trouver la phrase « mystérieuse » qui complète cette maxime (mais que tout lecteur du 道德經 connaît), pour entrer dans un lieu sécurisé… le rapport avec le 道德經 n'étant JAMAIS évoqué. Idem ici. Les Spartes ? Nosferatu ? Le zinc ? Hormis dans ces commentaires, ils n'ont aucun rapport avec l'histoire, absolument aucun.
Un dernier pour la route ? Une énigme lancée comme ça de but en blanc parce qu'un mec veut vous tuer, mais vous lui dites qu'il faut pas, car vous êtes intelligents. Alors comme il ne vous croit pas… il vous donne trois figures du jeu d'échec, a priori tirées (d'après les commentaires fascinants) de grands joueurs… sans vous expliquer les règles des échecs ou quoi… nan… si tu joues pas aux échecs, ben… ben tu essaies toutes les réponses, jusqu'à ce que tu puisses passer à autre chose.
Passionnant de bout en bout.
Mais c'est pas tout, pour faire un mauvais jeu, plagier c'est encore mieux.
Rapide topo sur le scénario de ce jeu.
Vous êtes un amnésique, qui retrouve ses souvenirs en voyant des choses. Et qui se retrouve, au gré du jeu, dans des situations non liées, tout ça dû à des troubles de mémoire… tiens… mais… mais c'est bien sûr ! C'est le scénario de 1112, la série de jeu d'aventure phare de l'AppStore (de très bonne qualité au demeurant), un jeu d'aventure dont sort un épisode par an, débutée en 2008.
Allez, c'est sûrement une coïncidence… à moins que… Ah !
En gros, dans 1112, on se retrouve dans un hôtel, et pour ouvrir le coffre de sa chambre d'hôtel, il faut faire de la buée sur sa fenêtre pour trouver le code. Dans Yesterday, on se retrouve dans un hôtel, et pour que l'on nous apporte ce qui est dans notre coffre à la réception de l'hôtel (attention, là c'est un mix entre Broken Sword et 1112, ça rigole plus), il faut faire de la buée sur sa fenêtre pour trouver le code.
Heureusement, chez Pendulo, on sait comment masquer les preuves. Comment faire ? Mais c'est simple, il suffit de mélanger l'histoire d'une série populaire avec celle d'une autre série encore plus populaire !
Si je vous dis… ordre secret qui se réunit dans les souterrains, si je vous dis église en Écosse ? Alors, les plus jeunes diront peut-être « Yesterday ». Mais tous les joueurs de jeux d'aventure répondront en chœur « Les Chevaliers de Baphomet », une des références du genre, qui parle des templiers des temps modernes qui se réunissent dans les souterrains, dont le dénouement se déroule dans une église en Écosse.
En épilogue, tout ce dont je n'ai pas parlé…
— Le système n'es pas adapté au tactile : le système de points d'intérêts, que l'on retrouve notamment des les rééditions des jeux Revolution Software, n'est pas dynamique. Il faut donc appuyer sur une commande, qui va afficher les éléments interactifs, pas tous en même temps, mais dans un ordre un peu aléatoire (Capitaine Ducon, au rapport), et il faut attendre qu'ils disparaissent pour cliquer dessus. Comme pour les jeux d'aventure habituellement sur tactile, il n'y a pas de libellé au passage du doigt. Du coup, sans les points d'intérêt, on ignore totalement si on va cliquer sur une zone morte ou pas (un hommage à Space Quest sans doute), et pire, lorsque deux zones sont adjacentes, on se tape inévitablement deux fois le même commentaire. Pareil pour glisser des objets sur le décor… il m'est arrivé une fois de faire une action, on me répond, comme dans tout jeu Pendulo, que je suis très con d'avoir pensé à ça (merci), et, agacé, de consulter leur module d'indices. En fait, j'avais glissé au mauvais endroit, sans le savoir, car il s'agissait de deux zones adjacentes. Cool.
— Le jeu n'est pas en haute définition. Eh bien oui, c'est un écueil. Sortir un jeu sur iPad en juin 2012, qui n'est pas adapté à la définition de l'appareil, c'est franchement pas sérieux. Tant pis.
— Le système d'indice est intéressant : de simples phrases, en appuyant sur une ampoule. L'ampoule se remplit au fur et à mesure de vos actions, pour que vous essayiez un peu avant de redemander de l'aide.
— Plus de cachettes évolutives ni de chasse au pixel. Le second point est inhérent au support tactile (le système de points d'intérêt annihile le concept), et le premier est une bonne nouvelle.
— Beaucoup de choses inexpliquées. Et ça, c'est franchement pas cool, surtout pour un jeu aussi court. 1112 a le mérite d'être encore « à suivre »
— Une énigme conne. Y'en a quelques-unes, mais je vais juste parler de celle que est mégaconne : vous devez deviner le nombre de doigts d'un personnage. Pas d'indice, sélection au hasard, et en plus il faut le faire trois fois. Mégacon.
— Pas de mystère. Le méchant se trahit dès le tout début. On essaie un peu de nous embrouiller après, mais c'est tellement évident que bon…
— Des blagues à couper le souffle : « Vous n'avez pas grand-chose à voir avec le Français typique » « Oseriez-vous insinuer que j'ai l'air hétéro ? »
— Les doublages sont en anglais, ce qui permet d'apprendre toutes les combinaisons possibles du mot « fuck ». Les textes descriptifs sont quant à eux muets.
— Les décors sont jolis. Les animations des personnages sont très moyennes. On sent que le jeu a été réalisé avec beaucoup moins de soin que les productions précédentes. Ça fait un peu amateur parfois, avec du speed painting.
— Paracelse avait rejeté les traditions gnostiques, mais conservé une grande partie de la philosophie hermétique, néoplatonicienne et pythagoricienne à la suite de Marsile Ficin et de Pic de la Mirandole.
Donc Yesterday est un mauvais jeu. Si vous cherchez une aventure sombre et dérangeante sur l'AppStore, jetez-vous sur 1112, qui a pour seul défaut d'être développé très lentement (et qui a pris du retard cette année à cause de Shufflepuck Cantina, dans l'espoir qu'il rapporte suffisamment d'argent sur le long terme pour augmenter les effectifs sur 1112).