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Berlinale 2025 : Le Palmarès et 11 films incontournables

23 février 2025 (Modifié le 23 février 2025)

Le 75e Festival de Berlin vient de s’achever, l’heure est au bilan. Voici un retour détaillé sur les films marquants de cette édition. Au programme : des femmes au bord de la crise de nerf (reproductive), un marché du travail déshumanisant, une explosion de cinéma de genre, des quêtes de liberté et une soif de vie insatiable. Notre invitée spéciale, Anna, fait le point sur le festival à travers 11 films clés.


If I Had Legs I’d Kick You de Mary Bronstein


Un film porté par une performance inoubliable de Rose Byrne (Ours d’argent de la meilleure actrice), tourné dans un style de flux de conscience où subjectivité et objectivité s’entrelacent jusqu’à ne plus faire qu’un. Une œuvre qui évoque Beau Is Afraid d'Ari Aster, mais là où Aster disséquait l’angoisse existentielle et l’aliénation, Mary Bronstein plonge dans la maternité et la folie reproductive, l’un des thèmes dominants du festival. De Hot Milk, adaptation du roman sur les relations mère-fille, à Mother’s Baby, un slow burning horror allemand, la question se décline sous toutes ses facettes, particulièrement dans le registre émancipateur du cinéma d’horreur.

Tourné en vue subjective, If I Had Legs I'd Kick You s’articule autour d’un trou mystérieux dans le plafond, une béance symbolique ouvrant sur le Réel lacanien. L’image de l’enfant – une fillette dont le visage n’est révélé qu’à la toute fin – renforce cette approche fragmentée, où l’individu n’apparaît qu’à travers des morceaux épars. La tentative de résister à la culpabilisation tourne au cauchemar existentiel, bien plus universel qu’il n’y paraît. Une résonance frappante avec Nightbitch, autre cauchemar maternel porté par Amy Adams.


Special Operation de Alexey Radinsky & Timestamp de Kateryna Gornostai


Après la victoire de Dahomey de Mati Diop l’an dernier, la Berlinale continue de mettre en avant des documentaires puissants. Special Operation, présenté dans la section Forum, et Timestamp, en compétition officielle, incarnent un cinéma vérité, un cinéma de l’observation qui capte la guerre dans toute son horreur. Special Operation adopte le point de vue des caméras de surveillance de la centrale nucléaire de Tchernobyl, tandis que Timestamp scrute l’éducation en temps de conflit. Gornostai tisse un collage d’histoires d’élèves, un témoignage choral qui reflète la dureté du quotidien.


Kontinental ’25 de Radu Jude


Radu Jude, sacré à Berlin en 2021 avec Bad Luck Banging or Loony Porn, revient avec une œuvre toujours aussi mordante, tournée intégralement sur iPhone. Le film suit une travailleuse sociale rongée par la culpabilité après avoir involontairement causé le suicide d’un homme sans emploi qu’elle avait expulsé. Fidèle à son style, Jude mixe humour noir, philosophie, critique sociale et politique, le tout truffé de références – de Perfect Days à Brecht, en passant par La Liste de Schindler et les théorèmes de Gödel. Un véritable kaléidoscope de réflexions sur le monde d’aujourd’hui.


Mickey 17 de Bong Joon-ho


Bong Joon-ho s’aventure dans la SF pure avec Mickey 17. Héros malgré lui, Mickey accepte une bullshit job pour survivre : être cloné après chaque mort dans l’espace. Cette œuvre, plus proche de Snowpiercer et Okja que de Parasite, navigue entre satire et blockbuster. Si certains running gags, comme l’obsession d’un personnage pour une sauce spécifique, frôlent l’exaspération, le cinéaste se permet une totale liberté créative, malgré le poids d’un studio comme Warner.


O último azul de Gabriel Mascaro


Une ode à la liberté portée par l’attachante Teresa, 77 ans, forcée de quitter son foyer pour une maison de retraite. Plutôt que de s’y soumettre, elle s’évade sur les eaux de l’Amazonie pour réaliser son rêve ultime : voler en avion. Entre road-movie aquatique et réalisme magique, Gabriel Mascaro signe un film lumineux sur l’indépendance et l’amitié féminine, sublimé par les prestations de Denise Weinberg et Miriam Socarras.


Mother’s Baby de Johanna Moder


Dans la lignée des "horrors of motherhood", Mother’s Baby suit une cheffe d’orchestre de 40 ans qui accède enfin à la maternité grâce à une procédure expérimentale. Mais lorsque son bébé lui est retiré pour des soins postnataux, elle commence à douter : est-ce bien le même enfant qu’elle a porté ? Entre angoisse et paranoïa, une version encore plus oppressante de Rosemary’s Baby revisitée à travers le prisme du female gaze et du cauchemar post-partum.


Maya, donne-moi un titre de Michel Gondry


Auto-fiction animée où Gondry s’amuse à déconstruire son propre processus créatif avec la complicité de sa fille Maya. Véritable terrain de jeu artistique, ce film fourmille d’inventivité, dans un esprit bricolo et artisanal qui rappellera L’Écume des jours et Le Livre des solutions. Derrière la candeur apparente, l’auteur continue de livrer une réflexion poétique et excentrique sur l’imaginaire.


Reflet dans un diamant mort d’Hélène Cattet & Bruno Forzani


Le retour (après huit ans d'absence !) du duo belge Hélène Cattet et Bruno Forzani (L’Étrange couleur des larmes de ton corps, Laissez bronzer les cadavres), qui revisite le giallo avec leur style visuel saisissant. Au cœur du récit, mêlant thriller d’espionnage et mystère, un vieil agent secret sur la Riviera croise une femme énigmatique qui ravive des souvenirs enfouis. Parmi les ingrédients : une femme fatale – sorte de catwoman aux griffes d’acier capables d’anéantir ses adversaires –, un montage dynamique, une esthétique inspirée de la bande dessinée et une intrigue aux accents pulp. Tout ce qu’il faut pour ravir les amateurs de giallo. Un film francophone hors norme, incontournable pour les fans de cinéma de genre et d’histoires énigmatiques.


La Tour de glace de Lucile Hadzihalilovic


Années 1970. Jeanne (Clara Pacini), 15 ans, s’échappe d’un foyer et atterrit de l’autre côté du miroir, sur le tournage d’une adaptation de La Reine des neiges. Star du film, froide et impérieuse, Christina prend la jeune fille sous son aile, mais peu à peu, Jeanne comprend qu’elle est happée dans une relation trouble. Lucile Hadzihalilovic, proche collaboratrice de Gaspar Noé, fusionne ici l’esthétique hallucinée et les thématiques transgressives de son cinéma avec une mise en scène, des costumes et une atmosphère qui évoquent The North Wind de Renata Litvinova. Une fable déconstruite, un conte à l’envers. Dans le rôle de la diva au cœur de glace, au pas résonnant et au passé aussi énigmatique que son avenir : une Marion Cotillard comme figée dans le temps.


Blue Moon de Richard Linklater


Avec Blue Moon, Linklater dresse le portrait du librettiste de Broadway Lorenz Hart (Ethan Hawke), auteur, avec le compositeur Richard Rodgers, du musical Oklahoma!. L’action – ou plutôt l’immobilité – du film se déroule dans le hall d’un théâtre, le soir de la première du spectacle, le 31 mars 1943. Plus qu’un récit linéaire, Linklater crée un cocon : un passé conservé sous cloche, existant en dehors du temps.

Pas de flashbacks visuels, mais un protagoniste qui débite anecdotes et souvenirs à la chaîne, notamment sa rencontre avec Elizabeth Weiland (Margaret Qualley), une étudiante de Yale de 20 ans qui devient sa nouvelle muse, beauté hypnotique dont il tombe sous le charme. Un film hautement littéraire et centré sur le langage, qui laisse toute la place à l’imaginaire du spectateur. Grand amateur de librairies et d’une certaine Europe d’antan, Linklater joue ici avec la figure de l’auteur moderniste, mais toujours avec un clin d’œil, une distance et même une touche d'(auto)dérision.


Le palmarès de la Berlinale 2025


Ours d’or : Dreams (Sex Love), Dag Johan Haugerud

Grand Prix : The Blue Trail, Gabriel Mascaro

Prix du jury : El Mensaje, Ivan Fund

Mise en scène : Huo Meng pour Living the Land

Prix d’interprétation : Rose Byrne, If I Had Legs I’d Kick You

Prix du second rôle : Andrew Scott, Blue Moon

Prix du scénario : Radu Jude pour Kontinental’25

Prix de la contribution artistique : Lucile Hadzihalilovic et l’équipe créative de La Tour de glace



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