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Disclaimer, une adaptation du roman best-seller de Renée Knight, réalisée et écrite par Alfonso Cuarón (Roma, Gravity) est disponible sur Apple TV+. Ce thriller fascinant, avec Cate Blanchett, révèle bien plus que ce qu'il semble au premier abord. Nous creusons derrière la façade de mystère pour mieux comprendre cette histoire sombre et graphique, ainsi que son rapport avec le “male gaze” au cinéma.
“Nous pouvons apprendre des espaces de silence tout autant que des espaces de parole”, - bell hooks
“...c’est le point de vue masculin qui construit le récit, le(s) personnage(s) féminin(s) n’existe(nt) que comme objet(s) du désir du protagoniste.” - Geneviève Sellier
Échapper au regard masculin, animé par la scopophilie (l'amour de regarder) et le plaisir voyeur du spectateur est tout un défi du cinéma contemporain, formulé par Laura Mulvey dans son essai emblématique Plaisir visuel et cinéma narratif (1975). Alfonso Cuaron, un réalisateur mexicain qui a remporté cinq Oscars rejoint ce parcours avec sa série Disclaimer, une adaptation réussie du best-seller de Renée Knight.
Dans le cinéma hollywoodien classique, comme l'écrit Mulvey, ce sont les personnages masculins qui détiennent la subjectivité, rendant l'identification principalement possible avec eux. Tout comme le regard scopique hors de l'écran est masculin et objectivant, les événements au sein du récit, déterminés par ces mécanismes, s'effondrent avec l'ordre symbolique dominant. La voix féminine résiste à ce récit, remet en question toute universalité, en particulier l'universalité masculine et patriarcale. La femme-invisible déchire la trame sensible du « monde masculin », le laissant dans l'ignorance et l'incompréhension.
Dans sa nature insaisissable se cache une force politique et esthétique innovante, capable de produire un changement paradigmatique non seulement dans l'art, mais aussi dans la vie. Lorsque nous changeons d'optique, en passant d'un regard « masculin » à un regard « féminin », cela ne signifie pas que nous basculons vers un regard stéréotypiquement féminin, attribué aux femmes par la configuration de pouvoir existante, mais au contraire, nous sortons des limites de cette même configuration. La femme est invisible avant tout parce qu'elle n'a pas de langage pour parler de son identité, autre que le langage des hommes, mais c'est précisément cela qui constitue son avantage. Le fait que la femme échappe à toutes les identifications, existe comme si elle était au-delà de leurs limites, la rend insaisissable pour toutes catégorisations et structurations.
« Faites attention à un récit. Son pouvoir peut nous amener plus près de la vérité. Mais il peut aussi se transformer en une arme redoutable de manipulation. » En commençant par cet avertissement mystérieux, Alfonso Cuaron sait déjà très bien ce qu’il allait faire, il allait nous présentait le passage entre les deux “regards”, en direct, en sept épisodes et deux point de vues sur la même histoire, celle de la journaliste parvenue Catherine Ravenscroft qui un jour reçoit un roman parlant de sa vie. Ce livre dévoile la partie sombre de son passé quand elle a trompé son mari lors de vacances en Italie accompagnée par son fils, avec un garçon à peine majeur. Et pourtant, la bonne question à poser ici sera : qui raconte l’histoire ?
C’est dans la différence entre les deux récits (celui de Catherine et de l’auteur énigmatique du roman) que l’intrigue va se développer.
Disclaimer d’Alfonso Cuaron non seulement interroge le crédit que l’on attribue à la parole des femmes dans notre société mais aussi applique pratiquement le regard féminin comme un outil cinématographique. Le switch entre les deux gazes est un élément qui détermine ici la structure même de l'œuvre. La série nous manipule et nous “gaslighte” en quelque sorte, en utilisant la puissance des mots, des voix (des narrateurs) et la puissance - encore plus intense - de la caméra, puisque l’entendre est une chose mais voir avec ses propres yeux est un acte infiniment plus puissant. Par conséquent, la série de Cuaron sort du cadre exclusivement artistique et rentre dans l’espace politique en questionnant le pouvoir du 7e art.
On a utilisé l’outil de recherche streaming pour trouver les 5 meilleures séries à découvrir sur la plateforme Apple TV+ :
SEVERANCE (2022) de Dan Erickson
L’avis SC : Severance possède un concept original formé autour de la réflexion sur l'aliénation au travail, ainsi qu'un rythme posé et une intrigue à couper le souffle.
PACHINKO (2022) de Justin Chon
L’avis SC : Pachinko se distingue par son traitement émouvant des thèmes de l'identité, de la lutte pour la dignité et des défis familiaux à travers plusieurs générations. Ce récit poignant et humanisant se mêle avec une mise en scène visuellement impressionnante, accompagnée d'une réalisation sobre et élégante qui renforce l'impact émotionnel du récit. La série plonge dans une période historique peu connue en Occident, abordant les relations entre la Corée et le Japon.
FOR ALL MANKIND (2019) de Ronald D. Moore, Ben Nedivi et Matt Wolpert
L’avis SC : For All Mankind réinvente la conquête spatiale, en imaginant que l'URSS a battu les États-Unis dans la course à la Lune, tout en gardant un bon équilibre entre drame humain et tension scientifique spectaculaire. Cet aspect uchronique permet de revisiter l'Histoire tout en soulevant des questions politiques et sociales. Au-delà des exploits spatiaux, les relations humaines, les conflits éthiques, et les questions sociales, notamment sur le rôle des femmes, sont au cœur de la série.
TED LASSO (2020) de Bill Lawrence, Brendan Hunt, Joe Kelly et Jason Sudeikis
L’avis SC : Ted Lasso est une série feel-good qui séduit par son esprit positif, son ton léger et son humour accessible bien que subtil, axé sur les relations humaines plus que sur le football lui-même.
LESSONS IN CHEMISTRY (2023) de Susannah Grant
L’avis SC : L'écriture de qualité et l'ambiance immersive, ainsi que l'interprétation poignante de Brie Larson, incarnant une chimiste brillante et déterminée, perçue comme une figure de résilience et d'émancipation féminine c’est ce qui permet à Lessons in Chemistry de moderniser un récit historique des années 1960. La série dépasse son contexte historique pour aborder des thèmes comme le sexisme et le racisme, notamment le rôle des femmes et des personnes noires dans cette époque.