2021

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"Elle disait une chose que j’ai trouvée très touchante, que dans la bêtise d’avoir couché avec un inconnu et d’avoir un enfant illégitime, ça tombait bien que ce soit un étranger qu’elle ne reverrait plus jamais ni l’enfant non plus, plutôt que ce soit un Marocain qui soit présent socialement, refusant de reconnaître l’enfant, ça lui épargnait un combat."

"Rachid, mon ami.
De t'entendre au téléphone ce soir, tu m'as fait pleurer. Tout se mélange, toi, mon séjour, mon adolescence à Rabat mes désirs. Ce que j'ai fait pendant ces quinze jours est très important pour moi. Je n'en mesurerai les effets que dans quelques semaines. Mais je ne suis pas triste. Je sais que tout cela va me nourrir. Je n'ai plus peur des séparations. Je sais que tu existes, que tu es là, j'espère que tu sauras me répondre lorsque je t'appellerai, cela me suffira. Je crois que je me suis réconcilié avec une partie de ma vie. Je l'avais déjà fait après mon arrivée, je le reçois comme un signe, un signe heureux. Le vol d'une colombe. La légèreté d'une cigogne. Quand j'étais jeune il y avait une femme qui me fascinait car à Rabat elle était toujours la première à suivre la mode. Chez le brocanteur où j'étais cet après-midi, elle est entrée et a fait des achats. Je l'ai tout de suite reconnue. Nous avons un peu bavardé. Voilà un autre signe heureux.
Rachid, j'étais si bien ces derniers jours que je le suis encore et le serai toujours. Un poète français du XVe siècle a dit : "Partir c'est mourir un peu." Je n'en crois rien. Je suis parti mille fois, tu me rends vivant. Je t'aime. Luc."

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"Je revoyais continuellement la même scène, floue, d'un samedi et d'un dimanche de juillet, les mouvements de l'amour, l'éjaculation. C'était à cause de cette scène, oubliée pendant des mois, que je me trouvais ici. L'enlacement et la gesticulation des corps nus me paraissaient une danse de mort. Il me semblait que cet homme que j'avais accepté de revoir avec lassitude n'était venu d'Italie que pour me donner le sida. Pourtant, je n'arrivais pas à établir un rapport entre cela, les gestes, la tiédeur de la peau, du sperme, et le fait d'être là. J'ai pensé qu'il n'y aurait jamais aucun rapport entre le sexe et autre chose."

"Je m'efforcerai par dessus tout de descendre dans chaque image jusqu'à ce que j'aie la sensation physique de la "rejoindre", et que quelques mots surgissent, dont je puisse dire, "c'est ça". D'entendre à nouveau chacune de ces phrases indélébiles en moi, dont le sens devait être alors si intenable, ou à l'inverse si consolant que les penser aujourd'hui me submerge de dégoût et de douceur."

"Que la forme sous laquelle j'ai vécu cette expérience de l'avortement - la clandestinité - relève d'une histoire révolue ne me semble pas un motif valable pour la laisser enfouie - même si le paradoxe d'une loi juste est presque toujours d'obliger les anciennes victimes à se taire, au nom de "c'est fini tout ça", si bien que le même silence qu'avant rencontre ce qui a eu lieu."

"La loi. Elle était partout. Dans les euphémismes et les litotes de mon agenda, les yeux protubérants de Jean T., les mariages dits forcés, Les Parapluies de Cherbourg, la honte de celles qui avortaient et la réprobation des autres. Dans l'impossibilité absolue d'imaginer qu'un jour les femmes puissent décider d'avorter librement. Et, comme d'habitude, il était impossible de déterminer si l'avortement était interdit parce que c'était mal, ou si c'était mal parce que c'était interdit. On jugeait par rapport à la loin, on ne jugeait pas la loi."

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"Comme le voyageur qui navigue entre les îles de l’Archipel voit la buée lumineuse se lever vers le soir, et découvre peu à peu la ligne du rivage, je commence à apercevoir le profil de ma mort."

"qu’un seul être, au lieu de nous inspirer tout au plus de l’irritation, du plaisir, ou de l’ennui, nous hante comme une musique et nous tourmente comme un problème ; qu’il passe de la périphérie de notre univers à son centre, nous devienne enfin plus indispensable que nous-même"

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"J'eus un instant une bouffée de rage contre l'Intendant de la Villa, que j'aimais bien, quand, quelques semaines avant la fin de mon séjour, il évoqua Hervé et combien il était abîmé, son visage ravagé, avec une pitié bienveillante, rappelant le temps disparu où il avait été si beau qu'il ne connaissait que par les photos. Or pour moi il l'était toujours, les ravages étaient sans effet sur sa beauté, ces ravages que je ne voyais pas parce que je passais tant de temps avec lui, qu'on parlait et qu'on riait et qu'on était bien ensemble, mieux que quand je ne me rendais pas compte à quel point il allait mourir."

"C'était chez moi parce que je pouvais y être sans lui et jamais lui durablement sans moi, comme une preuve de son effacement, ce destin qui était un but pour Michel à la fin de sa vie et qui s'imposait à Hervé, au contraire content d'exposer son corps affaibli avec une sorte d'exhibitionnisme militant qui était un courage, parce que ce militantisme ne rejoignait pas une cause constituée mais la créait sans que je sache la définir, tenant à la fois à la maladie et à la littérature, à la vie et à la mort et à l'identité propre de chacun, à sa part impartageable que la littérature permettait de partager."

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"C’était la nuit et je pensais à Jim-Courage, je pensais que je l’aimais, bien sûr je l’aimais, et je ne savais pas si j’étais triste ou joyeux : j’étais si ému."

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"Je me surprends maintenant à le haïr de m’enfermer dans cette fiction perpétuellement en train de s’écrire, livre après livre, et à travers laquelle il se donnera toujours le beau rôle ; un fantasme entièrement verrouillé par son ego, et qui sera bientôt porté sur la place publique. Je ne supporte plus qu’il ait fait de la dissimulation et du mensonge une religion, de son travail d’écrivain un alibi par lequel justifier son addiction."

"A quatorze ans, on n'est pas censée être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, on n'est pas supposée vivre à l'hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l'heure du goûter. De tout cela j'ai conscience, malgré mes quatorze ans, je ne suis pas complètement dénuée de sens commun. De cette anormalité, j'ai fait en quelque sorte ma nouvelle identité.
A l'inverse, quand personne ne s'étonne de ma situation, j'ai tout de même l'intuition que le monde autour de moi ne tourne pas rond.
Et quand plus tard, des thérapeutes en tout genre s'échineront à m'expliquer que j'ai été victime d'un prédateur sexuel, là aussi, il me semblera que c'est pas non plus "la voie du milieu". Que ce n'est pas tout à fait juste. Je n'en ai pas encore fini avec l'ambivalence."

"Chaque jour, grâce à moi, il assouvissait une passion réprouvée par la loi, et cette victoire, il la brandirait bientôt triomphalement dans un nouveau roman.
Non, cet homme n’était pas animé que des meilleurs sentiments. Cet homme n’était pas bon. Il était bien ce qu’on apprend à redouter dès l’enfance : un ogre.
Notre amour était un rêve si puissant que rien, pas un seul des maigres avertissements de mon entourage, n’avait suffi à m’en réveiller. C’était le plus pervers des cauchemars. C’était une violence sans nom ."

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"Un paradigme détermine un ordre du visible et de l'invisible, il amène dont avec lui une ontologie et un ordre politique, c'est-à-dire qu'il établit la différence entre ce qui existe ou ce qui n'existe pas, socialement et politiquement, et instaure une hiérarchie entre des êtres divers. Un paradigme n'est pas une simple vision du monde. Il n'est pas une interprétation et encore moins une simple représentation subjective. "Il est, explique Latour, la pratique, le modus operandi qui autorise des faits nouveaux à émerger."

"Eh bien, c'est à partir de cette position de malade mental où vous me renvoyez que je m'adresse à vous en tant que singe-humain d'une nouvelle ère. Je suis le montre qui vous parle. Le montre que vous avez construit avec vos discours et vos pratiques cliniques. Je suis le monstre qui se lève du divan et prend la parole, non pas en tant que patient, mais en tant que citoyen, en tant que votre égal monstrueux.

Moi, en tant que corps trans, en tant que corps non-binaire, à qui ni la médecine, ni le droit, ni la psychanalyse, ni la psychiatrie ne reconnaissent le droit de parler avec un savoir expert sur ma propre condition, ni la possibilité de produire un discours ou une forme de connaissance sur moi-même, j'ai appris, comme Pierre le Rouge, la langue de Freud et de Lacan, celle du patriarcat colonial, votre langue, et je suis là pour m'adresser à vous."