2023, amères et douces lectures
Rien branler sauf lire, douillet comme jamais, illustré par Suzanne Valladon (Blue Room).
Dans la PàL (plus ou moins longues échéances) : Idiotie de Guyotat, Bourlinguer de Cendrars, chez les français un peu vieux, dans l'immédiat. Du reste, nous verrons (des essais traînent, des prêts de ...
27 livres
créée il y a presque 2 ans · modifiée il y a 12 moisLe Réalisme capitaliste (2009)
N'y a-t-il aucune alternative ?
Capitalist Realism. Is There No Alternative ?
Sortie : 9 novembre 2018 (France). Essai, Politique & économie
livre de Mark Fisher
Rainure a mis 8/10.
Annotation :
Encore aligner un astre – un de ces noms qui revient souvent dans les nébuleuses que je fréquente, ou auquel je l'associerai aussi facilement – Burial, l'esthétique vaporwave (notamment Sam Kidel et son expérience avec les call centers), The Caretaker dans les plus évidentes ; mais aussi quelques déclarations qui me ramènent à David Graeber, tout ce qui touche à la poursuite d'une bureaucratie toute aussi pénible mais sous d'autres formes accompagnant le néolibéralisme / la décentralisation du contrôle. Sans doute écrit dans la foulée de la crise des subprimes de 2008, Mark Fisher décline le travail qu'il réalisait sur son blog en utilisant la culture pop et les références philosophiques (en vrac, Adorno, Deleuze / Guattari – notamment « Capitalisme et schizophrénie », Marx, Zizek énormément, Foucault) pour souligner les béances de ce qu'il appelle ce « capitaliste réalisme », l'impossibilité (ou en tout cas la très grande difficulté) à penser un système économique et politique alternatif cohérent face au capitalisme hégémonique – son absorption de toute critique. Les béances, donc, la présence encore remarquée de l’État malgré tout, relégué à ses rôles de surveillance et de sauvetage du néolibéralisme (2008 encore dans l'esprit de Mark Fisher). Ou encore, l'aridité créatrice causée, le cynisme amené avec la monétisation de tout, l'égalisation en « artefact » achetables.Mais surtout, les dépressions de plus en plus nombreuses, et la crise écologique comme parties intégrantes de ce système, symptômes relégués à être la « faute individuelle » pour dépolitiser le terrain. Bref, encore de l'eau à son moulin pour malgré tout chercher à construire un autre territoire encore imaginable, à s'organiser et travailler à re-politiser tous les terrains possibles.
Références par-là : https://www.senscritique.com/activity/120220/38275105
La ballade d'Iza (1963)
Pilátus
Sortie : mars 2009 (France). Roman
livre de Magda Szabó
Rainure a mis 6/10.
Annotation :
A lire La ballade d’Iza, je viens à me rendre compte que je n’ai presque aucun souvenir de La Porte, l’autre livre de Magda Szabó que j’avais lu par le passé, il y a bien 5 ans ; si l’écriture ressemblait à ces descriptions précises de babioles et de carrés de ville, de tonnes de sentiments nostalgiques, de privations et de tristesses qui s’accumulent, s’aggravent. Un lointain écho de quelque chose de dramatique encore, de figures auxquelles on ne s’attend pas, non. Bref. Pour revenir à ce livre-ci : je suis très touché par les deux premières parties, dans une moindre mesure par la troisième ; tout ce qui a trait à la totale inaptitude de la grand-mère à vivre son deuil, quitter sa campagne, s’installer à Budapest, doublée de la même totale inaptitude de sa fille à se rendre compte de ce mal-être qui va grandissant, dépourvue de nulle empathie, qui ne pense que parfois à « bien s’occuper » de sa mère, sans jamais saisir ce qui lui manque, la place automatiquement au rebut, réduite à sa non-vie cellulaire à Budapest, à boucler sur les mêmes trajets interminables de tramways, sans appréhender les objets qu’on force à être les siens, les plats, les astuces. D’autant que les portraits qui s’attachent à ce point de vue d’aînée, ses affects, là où elle se retrouve dépourvue, me sont rares. Par la suite, ça n’empêche pas de me laisser pareil, un peu avec un goût de pas tout à fait pris (surtout la dernière partie), de loupé à quelques cheveux.
Quelques bonds : https://www.senscritique.com/activity/120220/67395
« Il faut s'adapter » (2019)
Sur un nouvel impératif politique
Sortie : 24 janvier 2019. Essai, Philosophie
livre de Barbara Stiegler
Rainure a mis 8/10.
Idiotie (2018)
Sortie : 29 août 2018. Récit, Autobiographie & mémoires
livre de Pierre Guyotat
Rainure a mis 8/10.
Annotation :
Hyprasensibilité d’un narrateur sexuel dans l’errance, sensibilité surtout de la chair, des tissus et des glandes, des excrétions et des tiraillements, en tout cas sur une grande partie obsédée du bouquin, où tout repli de peau est scruté pour ses croûtes et ses graisses, ses boutons et ses poils, où les mouvements les plus veules ou les plus souples sont restitués en vapeurs, impression éternelle de fièvre ou de cauchemar sur tout le livre. On se rappelle la « Faim » d’Hamsun, mais la nourriture ici est celle de tous les objets accumulés, tous les corps qu’on reluque, voyeur total et envieux – et parmi ces bourrelets, ces fesses et deviner des braguettes, des pensées qui vont au père qu’on s’habitue à décevoir et à faire braire, puis l’Algérie et le refus complet de la mission qu’on se voit attribué, la rébellion et encore de la famine et de la douleur lucide (même si encore, on se demande ce qui est rêvé, ce qui est vécu, dans cette prose de demi-sommeil ; la difficulté, de même, à jamais départager ce que le « Pierre », l’Idiot, voit exécuté par des tierces personnes, et ce que lui même vit – son émotion ne parvient jamais ou presque, que les vagues impressions et précises descriptions : un curieux livre.
"[…] la croupe est longue, les fesses creuses, la face se retourne vers l’entrebaîllement des volets, même bouche, mêmes narines, même front, mêmes mèches, mais yeux sans faux cils, grands, francs, pupille très noire, colère, blanc rose bleu, mais front froncé ; épaules un peu plus larges, du poil follet au-dessus de l’envers de la lèvre supérieure, autour des tétons plats, du nombril, dru dans l’aine ; à l’odeur d’excrément torché, le corps bouge sur le drap, une jambe depuis la cuisse pleine s’étire, le pied fouille le bord de l’édredon rouge fané, un emballement s’achève en petit rot ; le corps debout s’ouvre, bras écartés, poings joints au-dessus de la tête, aisselles pelues, les genoux fléchissent, le corps s’abat sur le matelas, sur la fille, sa jumelle, les deux corps se lovent l’un dans l’autre, les jambes, pelues de lui, lisses d’elle, s’entrecroisent, se frottent, j’entends les bouches se baiser, les salives clapoter, les dents tinter, les mains prendre, serrer, caresser, fouiller, fouailler, les poils se frotter, les articulations se tendre se détendre, se heurter, les peaux se retrousser, glisser, la croupe longue se redresser, les fesses étroites descendre, remonter, redescendre, le duvet à la cambrure briller de sueur [...]
Charly 9 (2011)
Sortie : 10 mars 2011. Roman
livre de Jean Teulé
Rainure a mis 4/10.
Annotation :
Pénible d'un bout à l'autre - ça se veut grinçant et complice, ça emploie plein de ficelles lourdingues, écriture au cor de chasse qui appuie bien combien son personnage est ridicule, et pleutre, et bête, en s'amusant et en rajoutant des bouts par-ci par-là d'approximations de ce que serait l'histoire fantasmée de ce Charly ; vraiment circonspect, je ne sais absolument pas qui trouverait du plaisir à lire ça, tout juste même sauver l'ennui. Et encore.
Sa préférée (2022)
Sortie : 25 août 2022. Roman
livre de Sarah Jollien-Fardel
Rainure a mis 8/10.
Annotation :
Emily Dickinson dans les premiers mots, puis la terreur par le père alcoolique et violent d’un foyer populaire suisse, lecture sociale d’un village pauvre et loin des concentrations de pouvoir et de connaissance des grandes villes – c’est alors (à la Ernaux, ou tant d’autres) la rupture familiale en poursuivant de plus « grandes » études à Lausanne, rupture et tout autant une fuite au vu du foyer étouffant, du dégoûtant père, fuite de la « violence fondatrice ». Pour arriver cette fois face à la violence symbolique, à dompter petit à petit, en renonciations, en reniements et en découvertes – doublé par le rappel toujours à l’ombre qui a marqué, la vieille bicoque, le cimetière et la lâcheté multiple, la haine qui dévore malgré tout. Donc, de la douleur et de la douleur pour parvenir à se construire sentimentalement, sexuellement, intellectuellement et physiquement – toujours emportant avec soi les innombrables traumas d’une enfance aussi violente.
(Au delà de tout ça, simple élégance de la langue où revient du patois, aux phrases qui ne cherchent jamais à prouver plus que le beau et le moche de ce qui peut se passer, poésie du mot sans poétiser les situations)
"De l’attirance, du désir, ou même de mes goûts, je ne savais rien. Rien. Si, à vingt ans, j’étais si indifférente au sexe, c’est que j’étais imperméable à tous les plaisirs. Être aux aguets avait accaparé tout mon être. Esprit et corps. Chaque jour. Anticiper les gestes de mon père, avoir peur à chaque instant. Faut l’imaginer, ça, tous les jours, la trouille, tous les jours. En rentrant de l’école, se demander s’il sera là, s’il sera bourré, énervé. Avoir le souffle bloqué au moindre bruit ou, pire encore, au son de sa voix, à sa manière de poser ou de jeter ses chaussures, être en apnée à table ou dans la salle de bains, en faisant les devoirs ou en lisant. Mon corps est un rempart – jamais de nonchalance, de la nervosité dans les jambes pour détaler. Mon corps est un radar – détecter la présence de mon père, courber la nuque, mais garder les yeux levés, tête et épaules rentrées, la bosse de bison naîtra vite. Mon corps fait mal et je renie ses douleurs, brûlures d’estomac, ulcère à vingt ans, dos en pagaille. Mon corps n’existe pas, mon corps ne connaît ni la consolation ni la jouissance. Mon corps ne m’appartient pas. Mon coeur est évidé. Le rêve est dans la tête, l’espoir est dans l’esprit, plus puissant que moi, que tout : partir."
Sortir de l'hétérosexualité (2021)
Sortie : 21 septembre 2021. Essai, Culture & société, LGBTQ+
livre de Juliet Drouar
Rainure a mis 5/10.
Bourlinguer (1948)
Sortie : 1948 (France). Récit
livre de Blaise Cendrars
Rainure a mis 8/10.
Annotation :
« Moi, l’homme le plus libre de la Terre… » Et c’est beaucoup ça, bourlinguer : l’action rêche sans certitude du prochain port, le Soleil dardant et faisant des brûlures aux yeux et brunissant la peau, la faisant peler un peu, mais on sait qu’on doit y aller pourtant, le suivre et s’y laisser le coeur-joie. Parfois l’étape sera toute courte, juste le temps d’une anecdote amusante (La Corogne), et on s’enfile rapidement comme ça quelques chapitres l’air de rien, et soudain… Vient Gênes ; fleuve débordant d’affluents et de bras, qui passe de tout au tout, Tombeau de Virgile, promesses d’amours et de vengeances, rencontre d’une barque et son équipage multiple (grec, bulgare, buveurs) qui prend long, à revenir sur des épisodes revenant de la jeunesse de Blaise (le lépreux qu’il tuera sans faire exprès), sur ses conceptions philosophiques (ce qu’il fait des sept pêchés capitaux), où l’on finira seulement par dire adieu. L’éternel étranger aux lieux Blaise passera encore les fêtes à Rotterdam, dans l’étrange ambiance d’une soirée mal choisie, et encore un long, long chapitre (Paris, Port-de-Mer) de songes, souvenirs et légendes qu’on se fait, d’espèce d’apprentissage qui ne s’arrête jamais de la vie et tout ce qu’on y poursuit, et de pourchasser comme il peut la littérature, l’écriture, et profiter de ce qu’il peut entendre encore ; faire crevasser un peu encore sa peau des manières les plus actives, n’avoir de cesse, et rien regretter.
"Tout marin qui a tant soit peu bourlingué sait combien les quartiers bas des ports sont inflammables et combien facilement les ruelles chaudes prennent feu sans qu’on sache jamais comment ni pourquoi. Il y a des nuits fatidiques. Ce ne sont pas toujours les mauvais garçons qui ont, certes, la lame facile, qui en sont cause, ni la soulographie des marins qui est inhumaine, monstrueuse, histrionne, spectaculaire et pousse au néronisme. Si cela éclate avec la soudaineté et la violence d’un typhon dévastateur, c’est qu’il y a trop de misère, dont trop d’électricité contraire dans les quartiers vieux ou les baraquements tout neufs qui circonvoisinent les ports sous toutes les latitudes, et maints et maints navigateurs y ont laissé la peau, poignardés au coin des ruelles fameuses ou étranglés dans les barbelés anonymes d’un settlement. La police le sait bien dont les enquêtes n’aboutissent pas après coup [...]
La Septième Lèvre
Sortie : 13 mai 2022 (France). Poésie
livre de Miel Pagès
Rainure a mis 6/10.
Annotation :
« la timidifiée / la jouie partout / la mal lovée / la toute miel dehors », pour des rhapsodies autour du désir, largement lesbien, et des douleurs du corps féminin, des poésies d’un vécu actuel entre shitpost, réseaux sociaux et leurs signalétiques, habitude du psy, anglicismes et anglais qui se glissent parmi deux phrases en français. Beaucoup de bouts qui ne me font pas grand-chose, un peu d’impression de factice (la prière finale à God, ou la répétition initiale du « qu’est-ce qu’on fait »), de ne pas dépasser des contraintes d’ateliers d’écriture (tiens, Laura Vasquez est citée, et son bouquin m’avait laissé la même impression par moments). Puis quelques pages qui me fracassent, des qui me rappellent à quel point ça ne sert à rien / plutôt que c’est difficile / d’objectiviser le poème, incompréhensible bouleversement.
"tu dis le désir de traviole
c’est mon rôle de recoller les morceaux
parler ta langue de vides
et d’éclatements
comme tu avances les mots
comme au fur et à mesure
la salive fait place à l’orgie
des signes de ponctuation
apparition des mots
grande confusion
branque
j’ai toujours embrassé
mes échecs avec la langue
you know what I mean
toujours ce désir
comme des coupures vives
électricité vivante
incompréhension
braquer ta bouche
à main nue"
Les Métropoles barbares
Démondialiser la ville, désurbaniser la terre
Sortie : 26 juin 2018 (France). Essai, Culture & société
livre de Guillaume Faburel
Rainure a mis 7/10.
Il n'y aura pas de sang versé (2023)
Sortie : 2 mars 2023. Roman
livre de Maryline Desbiolles
Rainure a mis 6/10.
Annotation :
Sentiment de rester loin de la promesse initiale d’un grand roman historique choral, social et féministe, pour n’avoir que l’impression un peu blasante d’une page Wikipédia / d’un événement certes richement renseigné, pour lequel on a bâti son lot de recherches, mais que de là on n’a pas fait beaucoup de « roman » - difficile attache aux personnages et à leur lutte en fin de compte, mise à distance de tout entrain ou désentrain, passage extrêmement rapide de tous ces jours de lutte en fin de compte, et à côté un peu la flemme des passages où l’on vient trouver tous les dérivés et toutes les symboliques d’un mot (l’ovale, la perfection, l’œuf, le fruit plein…) ; surtout pour la curiosité de découvrir cette grève historique, et de repasser dans les rues et quartiers de Lyon.
"Le soir de ce vendredi 25 juin, pour comble, les bandes de femmes, oisives, se promènent dans les rues, elles chantent Le Roi d’Yvetot, Quel bon petit roi c’était là, les ovalistes déambulent par la ville, par toute la ville. Elles ne font pas les dames comme elles s’y appliquent le dimanche au parc de la Tête-d’Or, elles ne font pas les dames, elles ne font rien. Elles n’ont pas mis leurs belles robes, elles portent leurs habits de tous les jours. Sont-elles plus elles-mêmes pour autant ? Nous ne savons pas. Chacune d’entre elles est-elle plus elle-même au milieu de toutes ? Nous ne savons pas. Mais nous savons qu’elles ne font pas les dames, elles ne font rien. Et c’est peut-être le vrai commencement, pas la révolution. Le commencement : des ouvrières flânent, bras dessus bras dessous, ou pas, en bande, ou pas, dans les rires, les chansons et les bavardages de leur jeunesse ou dans le silence de leur même jeunesse. C’est peut-être le commencement, pas la révolution, pas le retour périodique d’un astre à son point de départ, pas le mouvement circulaire par lequel un astre revient à son point de départ sur son orbite, mais, au contraire, le dérèglement du mouvement circulaire, le manquement à la règle qui veut que les ouvrières travaillent tous les jours de la semaine sauf le dimanche et ne se promènent pas pour rien, le dérèglement du cercle, son imperfection, l’ovale, l’ellipse."
Héliogabale (1934)
ou l'Anarchiste couronné
Sortie : 28 avril 1934. Essai
livre de Antonin Artaud
Rainure a mis 8/10.
À Valenciennes (2020)
Sortie : 29 octobre 2020 (France). Essai
livre de François Bégaudeau, Joy Sorman et Collectif Othon
Rainure a mis 6/10.
Les Choses (1965)
Une histoire des années soixante
Sortie : 1965 (France). Roman
livre de Georges Perec
Rainure a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Relecture.
Chœur des amants (2014)
Coro dos amantes
Sortie : 25 novembre 2021 (France). Théâtre
livre de Tiago Rodrigues
Rainure a mis 8/10.
Annotation :
Joies de l'amour, peurs de la mort, comme une immense chanson à deux, aux voix qui se répètent, se confondent, s'échangent et se répondent - un murmure à un cri, une phrase la même, puis une variation, voire un dialogue qui dérape et devient monologue à la personne qui ne fait plus que réagir. Immense talent de simplicité sentimentale, de parvenir de rien, quelques phrases en fumerolles, à capturer l'essentiel de ces tourments incessants, universels, et l'étendue des deuils, des craintes de la mort, de parvenir à vivre pourtant. Parmi les plus belles utilisations du silence au théâtre, des écoutes et réponses, de la diction comme un poème qui pourrait ne jamais s'achever, une proposition quasi-musicale, en partitions, main gauche, main droite, ses accents, ses reprises.
"Elle : et maintenant ?
Ensemble : maintenant voilà
nous sommes dans le présent
nous saisissons la vie
sans connaître
la suite
Lui : elle ne dit rien
Elle : la maison est exactement
comme quand on est partis
à cent à l’heure à l’hôpital
exactement tout
à la même place
Lui : elle ferme à demi les yeux
parce qu’elle est contente
Elle : les brosses à dents dans le verre
à côté du robinet
Lui : elle fait cette moue
parce qu’elle est contente
Elle : le lit est fait et la couette bien étirée
Lui : tu as vu ?
Elle : il a fallu que je sois au bord de la mort
pour qu’il range tout seule la maison
Lui : avoue que tu t’attendais
à tout retrouver en désordre"
Le Voyage sans fin (1985)
Sortie : 1985 (France). Théâtre
livre de Monique Wittig
Rainure a mis 7/10.
Annotation :
Grand plaisir du jeu de réécriture féministe truquant son matériau de base avec astuce, et des formes politiques d'écriture que Wittig cherche à atteindre ; l'intégrale des personnages de Cervantes féminisés, la chose politique que prend du même coup la lutte contre les géants, les marionnettes, qui se change en lutte contre des injustices, des violences qu'on refuse de définir et de voir - lecture, insoumission et connaissance comme base de résistance, acquisition d'autres femmes à la cause, farandoles de guérillières et leurs hauts faits d'armes parmi les légendes que Don Quichotte elle-même reprend, imagine (sa folie, sa réalité). Tout en gardant, d'autre part, le ridicule et le drôle des situations Quichottesques - les moulins à vent, l'éviscération de petit théâtre, l'amour (lesbien, forcément) de dulcinée promis et qu'on laisse attendre parfaitement au loin, avec toute une galanterie chevaleresque hors de propos et démodée (alors que Panza indique qu'elle n'attend que de revoir la Don). Curieux de voir ce que donnaient au théâtre la séparation de l'action et de la parole, très intrigantes à la lecture.
"Mère : Ma pauvre fille, j’ai toujours dit que les lectures la perdraient.
Soeur 1 : Moi, au contraire, je ne lis pas du tout.
Mère : Oui, mon coeur, tu es parfaite."
"Quichotte : Considère bien, Panza, que ce qu’ils appellent folie, moi, Je l’appelle réalité. (Pause.) Mais, me diras-tu, si tu es seule contre tous à penser que cette chose est réelle, n’est-ce pas la preuve que tu es folle ? (Pause.) En quoi, je te le demande, Panza, le fait que je sois seule contre tous à penser qu’une chose est réelle prouve que j’ai tort et eux, raison ? (Pause.) Ne peuvent-ils pas être tous fous pendant que je suis la seule raisonnable ?
Panza : Tu ne peux pas nier que les moutons que nous venons de combattre étaient des moutons.
Quichotte : Des moutons vraiment, Panza, que tu es naïve…"
Jane Eyre (1847)
(tradution Sylvère Monod)
Sortie : 2012 (France). Roman, Romance
livre de Charlotte Brontë
Rainure a mis 4/10.
Annotation :
Beaucoup trop romantique - mièvre ! - pour moi, dans un style très vieux, allégories vues et revues, turpitudes de "l'amour le vrai" qu'on ne pourrait atteindre qu'à travers son lot d'obstacles et de douleurs, fond très chrétien en somme avec Dieu qui revient là et là, qu'on est heureux d'accompagner dans la mort, et qui bénit les personnes qui se sont bien rencontrées... Très loin de la modernité (enfin, celle dont je crois me rappeler) des Hauts de Hurle-Vent de sa sœur, de l'affreux de sa trame ; tout au plus on a une tendance clair-obscur gothique, sans véritable "espoir" qu'une véritable méchanceté s'y glisse ; héroïne très héroïne, sombre et intelligent maître très sombre et intelligent, distant et froid : leur histoire d'un "amour absolu" à grands renforts de superlatifs me laisse sur la touche (horrible chapitre 24 par exemple, sommet de béatitude molle).
Exemple typique : "Je subissais une épreuve terrible ; une main de fer rougi m’étreignait le cœur. Instant terrifiant, rempli de luttes, de ténèbres, de flammes dévorantes ! Jamais créature humaine n’avait pu désirer être aimée davantage que je ne l’étais ; celui qui m’aimait ainsi, je l’adorais absolument ; et il me fallait renoncer à l’amour, à mon idole ! Mon intolérable devoir était contenu dans ce mot unique : « Partir. »."
Silence Complice / Terminus (1989)
Silent Partner / Terminus
Sortie : 1999 (France). Théâtre
livre de Daniel Keene
Rainure a mis 7/10.
Annotation :
Divagations et affres du monde réel ; mondes de paris foireux et de beaucoup de drogues, de morts à moins de trente ans, de soudainetés des partis pris, des déchirements, et tonnes de méchancetés qui s’abattent sur de bien pitoyables dos : la force quotidienne du mal comme seule certitude chez Keene aussi, il semble. Préférence pour ses pièces à nombres réduits, duos maudits qui s’appuient tant bien que mal l’un l’autre et se méprisent tout autant qu’ils s’aiment, s’entraînent dans les combines foireuses (la course de lévriers pour Silence Complice). Un peu moins d’accroche à Terminus, malgré quelques très beaux crépuscules de personnages, ivrognes rappelant Beckett, irritation profonde de certains autres – tout de quoi arracher violemment des croûtes.
"Robert :Suis-je heureux ? Je dis oui. M’avait-elle manqué ? Je dis oui.
Neil : Dans la rue. Chez soi. C’est dangereux. Nos enfants. J’adore les enfants. J’aurai un enfant. Je l’aimerai d’amour. Plus que le monde.
David : Tu as un sourire magnifique. Il te trahit. On ne peut pas cacher un sourire pareil.
R : Tous les soirs c’est pareil. Se déshabiller avant d’aller au lit. Elle pose des questions.
N : Pas moi. De toutes les façons. Jamais cessé. Toujours eu peur.
R : On éteint la lumière. On se met au lit. On dit rien. On dort nus.
N : Si les gens ont envie de quelque chose. Ou besoin. Ca leur est défendu. Un boulot ou de l’argent. Une personne. Pour être avec. Juste pour."
Nuée d'oiseaux blancs (1949)
Sembazuru
Sortie : 1960 (France). Roman
livre de Yasunari Kawabata
Rainure a mis 6/10.
Annotation :
Au moins c'est court (quoi que, j'aurai bien aimer certains bouts être plus développés). Pas pris par cette succession de cérémonies de thé où se joueraient tout un pan des mises en relation d'un vieux Japon, au travers le prisme de toute une "mythique féminine", d'un "éternel féminin" que le narrateur principal tente de cerner et d'imposer sans jamais vraiment entreprendre rien trop ; roman d'apprentissage où Kikuji n'apprend pas grand chose d'autre que du fantasme et du vent, ne sait que se passionner vraiment pour son traumatisme d'enfant, puis la mort de ses parents, et tenter de distinguer ce qui fait une belle pièce de porcelaine, ce qui fait une mauvaise tasse ; shino, karatsu, et autres héritages partant en morceaux, délaissés dans la poussière, ne ressortant que pour les cérémonies où l'on ne fait que placer ses pions. Un peu de sourire lointain à suivre ce minable tout de même, là et là, malgré des lourdeurs, des vieilleries à soupirs.
"Kikuji eût volontiers admis qu’il devait se scandaliser de cette aventure si seulement il avait pu en ressentir le moindre remords. Car sans parler de cette première rencontre avec Mlle Inamura, c’était quand même dans les bras de la maîtresse de son père qu’il se trouvait !
Et pourtant, non : jusqu’à la minute présente, il n’avait pas eu un seul instant conscience de mal agir ; pas une seconde il n’avait ressenti de regret, ni de remords. Etait-il seulement fautif ?"
"Ainsi protestait Kikuji, qui néanmoins avait ressenti un pincement au coeur en apprenant le mariage de Mlle Inamura, cette gentille Yukiko dont il cherchait maintenant à évoquer l’image avec une sorte d’avidité qui ressemblait à une soif intense.
En réalité, il ne l’avait vue que deux fois.
Au pavillon du temple Engakuji, où Chikako lui avait fait préparer le thé afin qu’il pût la voir tout à son aise. Quel naturel et quelle distinction il avait trouvés dans ses gestes ! Quelle grâce dans son attitude ! Et il retrouvait à présent toute son émotion au souvenir de la ligne de son kimono aux larges manches, avec cette chevelure sous la lumière de la fenêtre, où venaient se jouer les ombres légères des feuillages tout proches. Mais son visage, non, il n’arrivait pas à le revoir avec la même netteté, alors qu’il revoyait parfaitement le fukusa rouge et le délicat furoshiki rose orné de blancs sembazuru, qu’elle portait lorsqu’il l’avait rencontrée sur le chemin du pavillon, dans le jardin du temple."
Le Soleil d'Alexandre (2011)
Le Cercle de Pouchkine : 1802-1841
Sortie : 4 septembre 2011. Essai, Poésie
livre de André Markowicz et Alexandre Pouchkine
Rainure a mis 7/10.
Annotation :
Chouette, passionnée remise en contexte et en vitalité des poésies de Pouchkine, et les censures, les poètes qui meurent petit à petit, le souvenir et la postérité de Pouchkine et de son cercle qui se fait, reste là, parmi quelques vers brûlants. Pas toujours mes traductions favorites de certains poèmes de Pouchkine (pour les – très rares – que je connaissais), mais plein de textes qui remuent un peu le coeur.
Alexandre Pouchkine, sans titre (1825)
"Tout immoler au souvenir :
La lyre ardente et prophétique,
La vierge aux larmes frénétiques,
Ma jalousie à en frémir,
L’éclat, l’exil, le lourd silence
Et la splendeur d’un songe pur,
Et la vengeance, rêve obscur
D’une furie de la souffrance."
Alexandre Griboïedov, Adieu, Patrie !
"On ne vit pas pour son plaisir,
La vie ne nous console en rien.
O coeur, résiste à tes mensonges ;
O, ne m’entraînez pas, fantômes !…
La chaîne des devoirs pesants
Jusqu’à la mort nous tient en laisse.
Un rayon de bonheur a lui,
Juste un instant, dans notre nuit,
O dieux, soudain, quelle allégresse !- [...]"
Thésée, sa vie nouvelle (2020)
Sortie : 20 août 2020. Roman
livre de Camille de Toledo
Rainure a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Bouleversante prière pour chercher tout remède bon à la douleur mentale, qui vrille physique. Héritage lourd de famille et de société, poids des morts précédents qui engrange le mal de dos, mort du frère et des ancêtres, et doublé par le poids ruiné du monde par un capitalisme dévorant qui laisse désastre, planète ruinée, et toujours sa croyance qu’il y aurait (où donc, où donc) un capitalisme à visage humain et qui vacille également. Kaddish dans le souffle, traces qu’on inspecte en fouilles et vieux journaux, autant de photos, de cartes postales annotées (on pense à Sebald évidemment) ; tout pour trouver et prouver que le bonheur est là, capturé sur l’instant de la photo, donc existe.
"et je note
il faut nettoyer les eaux noires du temps, guérir les morts si une telle chose peut être ; revenir sur ce temps où tout naît, passer de l’autre côté de vos promesses, percer les décors dans lesquels vous nous avez élevés ; ces décors que la mort a troués en me laissant au milieu de vos ruines…"
"Thésée, c’est là que nous sommes apparus ; nous voulions, nous aussi, inventer l’avenir, mais le tremblement nous a pris..."
Les Mangeurs de nuit (2023)
Sortie : 4 janvier 2023. Roman
livre de Marie Charrel
Rainure a mis 4/10.
Annotation :
Ennuyeuse leçon romancée, dissertation proprette aux phrases jamais ambitieuses – quasi-toujours du trois-par-trois, triolets de descriptions, actions, comparaisons, réflexions. Vocabulaire lorgnant toujours vers un peu d’essentialisation, de New Age (le grand magique des esprits et renaissances de la nature, des semblants de yin et yang, faire revivre des mystères). Un thème (l’immigration japonaise des Niseis au Canada, et forcément l’ostracisation grandissante de cette communauté à l’approche de la 2nde Guerre mondiale) ne suffit pas à faire colonne vertébrale, ni des tentatives de noyer le poisson (chronologies perturbées, incursions d’anecdotes qui prendront sens bien plus tard, mythologies équivoques). Toujours plus l’impression de fils qu’on force à lier entre-eux qu’un aléatoire – un contrôle absolu de narration et de la « belle phrase ». Bref, de quoi bien bailler.
Je suis une viking
When we were vikings
Sortie : 12 mars 2020 (France). Roman, Littérature & linguistique
livre de Andrew David Macdonald
Rainure a mis 6/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Oui, puis finalement pas tant – légère amertume de ce que devient le livre au fur et à mesure. Bon, ce qu’il y a de bien, c’est la fluidité, l’espèce d’aisance qui tranche avec la raideur du bouquin de Marie Charrel que j’avais lu juste avant (pris un pénible mois à lire les 300 pages de l’un, dévoré les 400 pages, certes moins remplies, de l’autre en cinq jours). Mais du monde vu à travers les pupilles d’une altérité, avec ce qu’il vient d’apprentissage de langage, d’habitudes, de trucs (les listes de choses à faire, les légendes qu’on se fait, l’imaginaire de Zelda), qui m’a rappelé en moins verbeux / atelier d’écriture la Semaine Perpétuelle de Laura Vasquez, on glisse petit à petit vers une sorte de roman-shonen, les obstacles perdent en corporalité pour n’être plus que là, ce qu’il faut que la narratrice dépasse, apprenne à, affronte et vainque – sans jamais beaucoup de véritables difficultés, de danger complet. Et tout le contexte de départ, de petite délinquance et de petits paumés, où je retrouvais avec plaisir le théâtre de Daniel Keane, après avoir été définit sur la première partie, ne devient plus que l’artifice de tout ça. Mécanique trop rodée.
À propos d'amour (1999)
All About Love: New Visions
Sortie : 7 octobre 2022 (France). Essai
livre de bell hooks
Rainure a mis 7/10.
Walden ou La Vie dans les bois (1854)
(Traduction Louis Fabulet)
Walden; or, Life in the Woods
Sortie : 1922 (France). Récit
livre de Henry David Thoreau
Rainure a mis 7/10.
Les Certitudes du doute (1987)
Le certezze del dubbio
Sortie : 26 mars 2015 (France). Récit, Autobiographie & mémoires
livre de Goliarda Sapienza
Rainure a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.