2023 en livres

Annotation :

Janvier.
Rien que le pitch est très drôle : puisque mes concitoyens refusent la paix, je vais décréter MA paix, et tant pis pour les autres. Cela donne lieu ensuite à une succession de tableaux un peu fouillis mais parfaitement bouffons (la scène chez Euripide, cette vieille diva misérabiliste). Hâte de passer l'année avec Aristophane.

Annotation :

Janvier.
Ce n'est pas ce que vous croyez. Heureusement, je le savais avant de me lancer là-dedans : "l'union sexuelle" n'est qu'une section (certes la plus amusante) de ce manuel d'érotisme qui en comporte sept. Avec environ deux pages consacrées aux fameuses positions, aux noms assurément... évocateurs - « bambou fendu », « posture du crabe », « pose du clou » (!). Le livre entier est d'une lecture très amusante, dès la préface qui insiste sur la nécessité d'un art et d'une recherche de sophistication qu'on ne trouve pas dans la nature. À la même époque, le christianisme, n'est-ce pas… Les plaisirs seraient aussi nécessaires que la nourriture, et le droit au plaisir une nécessité pour les hommes comme pour les femmes - même si, hors du sexe, toutes les prescriptions sociales défendues par le traité sont parfaitement patriarcales. La taxinomie érotique est très inventive et très amusante (les hommes lièvres côtoient les femmes antilopes, il y a tout un catalogue des types de griffures et de morsures que l'on inflige à l'amant-e, une longue énumération des gestes stéréotypées qui trahissent l'émoi des femmes), et même le long chapitre sur l'art des courtisanes (de vraies chipies) et le dernier, consacré à des recettes de grand-mère (pour bander, durer, mouiller, séduire...) valent le détour.
L'Anangaranga qui suit est beaucoup plus tardif : XVIe siècle. Celui-là est destiné aux hommes seulement, et à la pratique conjugale. Le monothéisme est passé par là, musulman en l'occurrence. C'est encore plus rédigé comme un manuel, avec définitions et tableaux récapitulatifs. Certaines typologies sont reprises des Kâma-Sutrâ, et d'autres nouvelles, dont celle des "quatre types de femmes" (femme lotus, femme artiste, femme coquillage, femme éléphante) qui sonne comme du La Bruyère gone wild.

Annotation :

Cela commence comme un récit de transclasse montée à Paris, doublé d'un portrait amoureux/sidéré, un peu à la Nadja. Rien de bien original, même si l'écriture est précise est tenue, d'une qualité qu'on ne rencontre pas beaucoup dans la scène littéraire contemporaine. Et puis intervient un vrai renversement au milieu du livre (je ne peux pas le dévoiler), qui fait comprendre que le sujet réel se trouvait ailleurs que dans le récit sociologique. C'est un livre sur l'imposture et le dédoublement. Bien obligé de le lire d'une traite tant c'est gracieux et talentueux.

Annotation :

Janvier.
Il s'agit d'un recueil au sens premier du terme, qui rassemble plusieurs livres de poèmes de Dantzig, dont l’œuvre poétique m'avait jusqu'à présent laissé un peu sceptique.
- « Genre: fluide » est l'inédit du volume. C'est une petite épopée de prose poétique sur des personnages au genre, oui, fluide (Edouard, Edouardine, Gibelotte, Aqtragonde…), comme les poèmes en question je suppose, même si la dominante est narrative. Les poètes sont des enfants, comme disait l'autre. C'est divertissant, dans le meilleur sens du thème.
- Démocratie du bord de mer. Le pays des amours gays, où s'aiment paisiblement les faons et les lions (twinks et bears, passifs et actifs...? en tout cas cela donne lieu à des images adorables). Ce sont des poèmes assez courts, en prose et vers, parfois rimés, et réunis en ensembles thématiques : la géographie, les danses, les roses, la mythologie, le sommeil, les amours... Beaucoup de très belles miniatures, facétieuses mais souvent touchantes. Ce que je l'ai du meilleur chez Dantzig poète pour l'instant.
- Les Nageurs. M'a moins intéressé. Davantage dans la lignée des autres recueils, lus dans La Diva aux longs cils. Je crois que je n'en retiendrai rien, mais ce n'est pas grave.

Annotation :

Janvier.
Enfin Jodelle vint (dans une édition de poche qui ne soit pas épuisée).
L'éditrice a fait le choix de proposer une anthologie de sonnets. Tous les sonnets des Amours, Contr'Amours, et de Contre les ministres de la nouvelle opinion, et quelques textes pris dans des ensembles plus vastes (sonnets-tombeaux, sonnets encomiastiques, sonnets d'amitié…), qu'elle va parfois chercher ailleurs que dans les Œuvres et Mélanges Poétiques, les œuvres intégrales (mais incomplètes) parues après la mort de Jodelle.
Le travail d'édition est donc rigoureux, avec un bel appareil de notes. Qui, pour moi, ne lève pas le mystère sur les textes les plus difficiles. Il y a bien 8-10 sonnets des Amours que je ne comprends pas tout à fait : dans un sonnet, il suffit d'une ou deux obscurités pour que tout nous échappe. Mais quel poète supérieur ! Le meilleur est assurément dans les Amours et, peut-être encore plus, les Contr'Amours: des images puissantes et surprenantes, une infernale densité du vers, une voix sans équivoque.

Annotation :

Janvier.
Le premier livre de Rinkel. Si « Le nom secret des choses » faisait en mineur un portrait du père, ça c'est un portrait de la mère, prof d'anglais retraitée tiers-mondiste un peu timbrée. Ce sont de très courts chapitres, entre la vie minuscule et la Vie à l'antique (le livre suggère qu'à sa façon la mère pratique une philosophie ancienne, apprendre à mourir), chaque fois autour d'une anecdote, d'un bon mot ou d'un trait moral. Il y a autant de dérision que de tendresse, et quasiment pas de sociologisme alors que ça aurait pu offrir une solution de facilité.

Annotation :

Janvier.
(Je ne lis pas Lucien en Loeb : j'ai acheté l'intégrale en un volume unilingue des Belles-Lettres, avec une nouvelle traduction et une brève et bonne introduction pour chaque texte.)
Ai-je bien fait ? Ces quinze premiers opuscules m'ont très diversement intéressé. Beaucoup de textes de pure rhétorique (ce dont un moins ignorant que moi se serait douté). Hippias, par exemple : on dirait le discours d'inauguration d'une piscine municipale par un adjoint au maire en manque d'inspiration. Des éloges paradoxaux, de tel tyran (bof) ou d'une mouche (déjà plus intéressant) Et puis et puis, quand même : les Histoires Vraies, A et B, que je relisais et qui sont toujours aussi géniales. En fin de volume aussi, le Jugement des Voyelles, très drôle : Sigma intente un procès à Tau. Et le Banquet, petite comédie satirique un peu trash. Des philosophes de diverses obédiences sont invités à un banquet de mariage, mais aucun ne sait se tenir (il y a celui qui écrit de mauvais vers, le cynique qui pisse par terre, celui qui fait l'éloge de la pédérastie, celui qui arrive avec ses Tupperwares…) et ça finit en bagarre générale. De quoi donner l'énergie de lire la suite.

Annotation :

Janvier.
Labé pour la troisième fois en quatre ans, je crois. Franchement, on ne s'en lasse pas. Cette nouvelle édition m'a permis de prendre la mesure des influences italiennes de LLL. Et de relire avec un regard nouveau les Ecrits de divers poètes, dans laquelle il y a vraiment des textes intéressants, que j'avais négligés précédemment.

Annotation :

Février.
Enfin je lis l'opus magnum de Green, après en être resté prudemment à l'écart pendant des années. C'est beaucoup plus fin et plus nourrissant pour la pratique que ce à quoi je m'attendais - car Green peut avoir des prises de position caricaturales. Dommage que ce livre ait marqué l'acte de décès de sa propre compagnie : je n'aurai jamais pu voir le travail de Green sur scène. Au fond c'est un excellent livre sur le baroque, et pas seulement le théâtre baroque.

Annotation :

Février.
En gros, comédie de vengeance lourdingue, allégorie lourdingue (un personnage nommé Lepeuple courtisé par un démagogue et... un rusé marchand de boudin), humour super lourdingue.

Annotation :

Février.
La plus récente des tragédies de la Renaissance, puisqu'elle n'a été redécouverte qu'en 1911. Vraiment réussie, et très originale. Ça parle d'un fait historique contemporain (le massacre des Vaudois), qui fait l'objet d'un long et poignant récit. Autre grand moment textuel : la profession de foi des Vaudois, exposée en deux morceaux autonomes au milieu de la pièce. Les personnages catholiques sont assez fascinants, empêtrés dans les rets d'une parole plus forte qu'eux. Pour une fois, les passages du Chœur ont complètement retenu mon attention : en 3-, puis 5-, puis 7- syllabes, ils sont tout simplement beaux, en prise réelle avec le reste de la pièce, et sont constitués d'autre chose que d'énoncés gnomiques sentant la naphtaline. C'est décidément une pièce qui mériterait d'être mieux connue.

Annotation :

Février
Livre conseillé deux fois en quelques jours, par ma sœur C et par J, dont je respecte beaucoup les opinions. Hélas ça ne prend pas sur moi. C'est bien écrit et bien troussé, et je vois tout à fait ce que l'on a voulu y faire: du joyeux, du pétillant, du guilleret. De L'Écume des jours quoi. Mais j'ai surtout ça trouvé complaisant et puéril. Pour ne pas dire c** - c'est du niveau d'un mauvais Folio Junior.

Annotation :

Février
Deuxième livre de Rinkel sur le père, même si celui-là paraît plus nettement fictionnel. Avec un vernis d'actualité socio-psychologique : c'est un livre sur l'emprise. Au fond, les mêmes qualités que ses livres précédents, mais j'ai trouvé que ça sonnait faux - la fiction romanesque est sans pitié, là-dessus. Ennui poli et perplexité face à la réception très positive de ce livre.

Annotation :

Février
Il y a tout dans cette poésie : Éros et Thanatos, des formes brèves (sonnet, stances) et des plus longues (élégie, chanson...), du léger et du grave, du sacré et du profane. Là aussi, poète découvert au XXe siècle, ou quasiment. Comme quoi la Renaissance est toujours à inventer.

Annotation :

Février
Il y avait un livre sur Les Liaisons dangereuses sous-titré "le roman le plus intelligent". On pourrait dire ça aussi de Lolita, qui tient du jeu de piste, avec ce que cela peut avoir de goguenard ou de solipsiste. Mal luné, ça aurait pu m'irriter, mais je dois dire que ça m'a surtout amusé (mais oui !). Amusants aussi les malentendus autour de la réception de ce roman, qui se poursuivent encore de nos jours.

Annotation :

Février
Ceux qui me connaissent savent que j'affectionne les manuels. Celui-ci va me demander d'y revenir souvent, car il est riche et vraiment bien fichu. En espérant qu'il puisse me servir de tremplin vers autre chose que la passivité des auditeurs de chansons.