Cinéphilie obsessionnelle — 2020
Longs métrages uniquement. Revus : 29. Cinéma : 4.
↑↑ "Débris de l’empire", de Fridrikh Ermler (1929) ↑↑
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Mois après mois, pour le meilleur et pour le pire des découvertes :
Janvier (1→53)
861 films
créée il y a presque 5 ans · modifiée il y a plus d’un anLes Naufragés de l'île de la Tortue (1976)
2 h 20 min. Sortie : 6 octobre 1976. Comédie
Film de Jacques Rozier
Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
► Janvier ◄
Première incursion du côté de Jacques Rozier... et quel voyage ! Quel bordel, surtout. Aucun autre film, à ma connaissance, n'accompagne Pierre Richard dans un tel délire devant et derrière la caméra. Il est presque méconnaissable dans le rôle de cet agent de voyage qui pense avoir l'idée du siècle en proposant un séjour un peu particulier : partir sur une île déserte dans un dénuement quasi total, à l'image de Robinson Crusoé. C'est d'ailleurs le titre de leur offre, "Robinson démerde-toi, 3000 francs rien compris".
Sauf que le film, une vraie bizarrerie, n'adopte en rien le ton ou le rythme d'une comédie telle qu'on la définirait. Au cours de ces 2h20, "Les Naufragés de l'île de la Tortue" (il n'y aura d'ailleurs ni naufrage ni tortue) n'en finit pas d'enchaîner les temps morts, au creux d'aléas dont on ne saurait trop décrire la nature : intentionnels, ou résultats de manœuvres plus ou moins involontaires lors du tournage ? À l'image de la première partie dans laquelle Pierre Richard cherche une fille portant un prénom particulier pour attiser la jalousie de sa femme, et se retrouve dans le lit d'une inconnue au cours d'une scène qui s'étire de manière inexpliquée. Un bordel incroyable, à tel point qu'on ne saura jamais vraiment où le film veut aller. C'est l'instabilité totale sur cette embarcation hasardeuse qui porte le récit d'une comédie d'aventures totalement floue et incertaine. Des personnages principaux vont même jusqu'à disparaître du champ sans crier gare, à l'instar de Maurice Risch aha Gros Nono resté à Paris et remplacé in extremis par son frère Jacques Villeret aka Petit Nono, alors comédien débutant — et dont l'impassibilité met souvent mal à l'aise —, ou encore Pierre Richard himself, sous les traits de Jean-Arthur Bonaventure (pour la rime) qui se perd à la fin du film à la nage, avant qu'on ne le retrouve dans une prison.
Une chose est sûre, ce style est assez unique en son genre, qu'il soit constitutif ou pas du cinéma de Rozier. Une loufoquerie permanente, sans jamais qu'on sache si cette sensation est le résultat d'une mise en scène ou des conditions de tournage autour de la Guadeloupe. Si les organisateurs souhaitaient dans le film faire souffler le vent de l'aventure et se délecter de l'imprévu avec les clients, rien ne se passera comme prévu, et il serait tentant d'y voir là une sorte de mise en abyme du tournage du film lui-même, avec ses longueurs et ses sursauts de rythme, qui transpire la liberté.
Le Mans 66 (2019)
Ford v Ferrari
2 h 32 min. Sortie : 13 novembre 2019 (France). Biopic, Drame, Sport
Film de James Mangold
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Déjà, de base, je me méfie des histoires de conquêtes racontées par l'industrie hollywoodienne. Et en plus de cela, les histoires de course automobile en soi ne m'intéressent absolument pas. "Le Mans 66" avait donc tout pour m'indifférer, au mieux, mais c'est plus l'hypocrisie de l'entreprise qui m'aura dérangé, plutôt que son caractère anecdotique à mes yeux. L'hypocrisie de la métaphore assez évidente de la condition du créateur, où l'on peut retrouver une correspondance de plusieurs échelons dans la réalisation d'un film, avec les producteurs (Ford), les réalisateurs (Shelby), et les acteurs (Miles). Le film embrasse un discours qu'il ne met à aucun moment en pratique : sous couvert d'un éloge de la création et de toutes les petites mains qui participent à la fabrication d'une victoire (choses qui sont bien montrées ici, bon point pour Mangold), le film se permet un académisme sidérant, rutilant même, dans la progression dramatique à l'échelle locale (comment injecter de la tension dans une course) ou globale (la construction du personnage de Miles ou Shelby par exemple). Miles ira jusqu'à dire "ils ne font que vendre des voitures, pas vrai ?", en écho parfait à l'industrie cinématographique, mais ce fatalisme ne se traduit pas dans les faits, le film étant, de fait, un produit extrêmement calibré et formaté. Et Christian Bale en est presque l'exemple parfait, dans sa démarche d'actor studio, avec son accent à couper au couteau pour dépeindre son personnage de rural au pays des grands pontes citadins.
Au-delà de ces détails pratiques, il y a aussi au milieu du discours sur les contraintes imposées par les tenants du pouvoir (ie. des moyens financiers) et sur le mérite de l'esprit d'équipe une célébration des vertus de l'individualisme qui me dérange un peu. Tout ce qui a trait aux risques du métier ne m'émouvant guère, j'en suis resté à une histoire d'amitié discrète, qui aurait pu être beaucoup plus intéressante si elle n'avait pas été refourguée avec ce magma d'opiniâtreté héroïque et de passion nimbé de mysticisme vaseux (sur l'ivresse de la vitesse). À mes yeux il aurait été plus pertinent d'affiner le portrait des confrontations, entre le bouseux dépenaillé et les dirigeants de l'industrie, entre les cols bleus et les cols blancs. Un peu moins de démonstration univoque avec sa succession d'étapes illustrées de manière superficielle et un peu plus d'ambiguïtés pour travailler la profondeur, en résumé.
Jabberwocky (1977)
1 h 45 min. Sortie : 8 juin 1977 (France). Aventure, Comédie, Fantasy
Film de Terry Gilliam
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
Terry Gilliam de la période des Monty Python, c'est la promesse d'un moment comique éminemment loufoque, et à ce titre "Jabberwocky" ne déçoit en rien. Situé au Moyen Âge, ce récit des exploits du jeune Dennis s'inscrit parfaitement dans l'atmosphère à l'étrangeté si caractéristique du groupe, entièrement dévolue à l'altération d'un imaginaire bien connu. De ce point de vue, le film est plutôt réussi : le mouvement est en grande partie voué au détournement des codes des contes de fées, avec prince charmant, princesse esseulée, et grandes péripéties fondatrices. Sauf qu'ici, le protagoniste ne devient un héros que par hasard, et qu'il n'est en aucun cas intéressé par les attributs avantageux de la fille du tyran local : sa dulcinée Griselda, pour qui il ferait n'importe quoi, correspond assez peu aux canons de la princesse...
Autour de cette semi-romance se greffe le cas d'un horrible monstre surnommé Jabberwocky (on ne le verra réellement qu'à la fin, après quelques passages en vue subjective) ainsi qu'une série de combats de chevaliers au goût douteux. Comme souvent chez les Monty Python, de nombreux passages sont consacrés à des discussions absconses, et ici de longs échanges explorent les intérêts des puissants quant à l'existence du monstre, lui qui ravage le pays, trucide les pauvres gueux, mais maintient la peur au sein de la population et favorise de fait la fréquentation des églises et la soumission générale. Mais tous ces serfs assassinés ne paient plus d'impôts... seule raison pour laquelle il sera décidé, in fine, de réagir.
Si le film n'est pas officiellement une œuvre des Python dans leur ensemble, leur influence est incontestable. Drôle d'ambiance, par moments, puisqu'au milieu des élucubrations crétines de l'andouille de protagoniste, certains cadres brillent par leur beauté plastique (en gardant à l'esprit que le budget de production fut très limité). Ou par des accès de gore relativement inopinés à base de découpage, tranchage, et autres mutilations. Dommage que le rythme global soit aussi pénible, enfermant le film dans un pastiche parfois lourdaud.
L'Argent des autres (1978)
1 h 45 min. Sortie : 27 septembre 1978. Drame
Film de Christian de Chalonge
Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Dans le registre des films politiques qui dévoilent progressivement l'étendue d'un complot ou d'une machination, "L'Argent des autres" trouve une place de choix. Pourtant, rien de fondamental si l'on se base sur le contenu, sur le papier : c'est l'histoire d'un employé haut placé dans une grande banque qui se retrouve du jour au lendemain licencié, sans qu'il n'en comprenne la raison. Ce pourrait être le déroulement d'un programme classique, avec son cortège de révélations progressives, à mesure que le protagoniste mène son enquête pour construire sa défense. Mais Christian de Chalonge a su conférer au parcours de Jean-Louis Trintignant une dimension extrêmement originale (et à ce titre clivante), à la lisière du fantastique, lui permettant de sortir du lot.
Dès la première séquence où Trintignant se retrouve dans la salle de réunion, avec le groupe des plus hauts responsables de la banque assis autour d'une table noire présidé par Michel Serrault, le film glisse vers un onirisme incertain. On ne sait pas trop ce qui est en train de se jouer, mais on sent bien qu'on met un pied dans un cauchemar. Cette atmosphère-là, renforcée par une musique qui se fait très régulièrement dissonante, est très réussie, immersive, captivante, légèrement angoissante. La curiosité est attisée par le côté a priori irréprochable du protagoniste, propre sur lui, attentionné, bienveillant, sûr de lui. On sent même une pointe de zèle dans son comportement. Et on comprendra peu à peu ce qui a causé sa perte : parce qu'il affichait sans trop s'en soucier une certaine candeur, il représentait le bouc émissaire idéal qui allait permettre à la banque de se sortir d'une sale affaire, en lien avec un homme d'affaire véreux interprété par Claude Brasseur.
Suite https://www.senscritique.com/liste/Top_films_1978/373522
Les Affranchis (1990)
Goodfellas
2 h 26 min. Sortie : 12 septembre 1990. Gangster, Biopic
Film de Martin Scorsese
Morrinson a mis 7/10.
Annotation :
[ Revu ]
Ces histoires de gangsters ne m'intéressent tout simplement plus. Il y a quelque chose de profondément triste à revoir des films que l'on considérait comme des chefs-d'œuvre et les déboulonner de leur piédestal, même si cette sensation grisante de retourner à l'origine d'un genre (à l'échelle de la filmo de Scorsese ou non) subsiste. Avec le recul, ce film se replce très bien dans sa chronologie. Ce nouveau regard s'est avéré moins dramatique que pour le cas "Casino", mais tout de même, cette narration en voix off omniprésente et extrêmement poussive, ces stéréotypes dans lesquels De Niro ou Pesci s'enferment, ces sempiternels schémas de progression dramatiques, ils ne passent décidément plus aussi bien qu'avant.
On peut bien sûr reconnaître à Scorsese une certaine originalité dans le mélange des genres, en filmant des assassinats obcènes régulièrement entrecoupés de passages gastronomico-documentaires sur l'art d'un plat italien, mais cette fausse distance à la violence ne me passionne plus. Même chose pour l'effort de contextualisation dans l'introduction, sur l'enfance du personnage de Ray Liotta, qui me paraît aujourd'hui très forcée et peu originale dans le genre du biopic. Même la trajectoire globale, avec l'ascension vers l'argent (et l'ivresse de semblant de liberté qu'il génère) et la déchéance vers la paranoïa, ne fait plus d'effet (ou alors quelque chose de non-souhaité, à savoir l'impression d'avoir affaire à un pamphlet moralisateur présentant les gangsters comme les pires beaufs qui soient). En termes purement techniques, même chose : la dernière demi-heure avec l'apparition de la drogue qui s'accompagne de son montage épileptique et de sa musique platement illustrative ne me parle plus.
Au final, le plus intéressant dans "Goodfellas", c'est la place que ce film aura a posteriori dans la carrière de Scorsese, comment il reviendra dans le film de gangster par la suite. La dimension de fresque qui se veut hallucinante est juste plaisante, la narration éclatée quelque peu artificielle, le style un peu vieilli, les digressions lassantes. C'est difficile de se l'avouer.
Apnée (2016)
1 h 29 min. Sortie : 19 octobre 2016. Drame
Film de Jean-Christophe Meurisse
Morrinson a mis 6/10.
Annotation :
Cette comédie ostensiblement loufoque empreinte d'une surréalisme existentialiste typiquement contemporain avait je pense 9 chances sur 10 de me déplaire viscéralement... Et pourtant, à travers la brume des positions sclérosées de la comédie française, presque à chaque fois (le film est plus une sucession de saynètes avec un fil narratif ténu qu'une mise en scène d'un véritable scénario), il y a eu des accès d'humour idiot / lourd / poussif / critique qui ont fait mouche, des petits poils à gratter disséminés aux bons endroits. Céline Fuhrer, Thomas Scimeca et Maxence Tual correspondent un peu trop à l'archétype des comédiens trentenaires parisiens, contempteur de leur petite crise, mais pourtant ils parviennent à se faire vraiment drôle sur le chemin extrêmement balisé de leurs galères : ça commence par de l'absurde un peu mal troussé, à la mairie avec pour objectif de se marier à trois, suivi d'une séance de patinage naturiste qui laisse penser que le film s'embarque dans un chemin vraiment casse-gueule, mais progressivement le film va relâcher la bride et se détendre pour se détacher de son arc-boutement. Des sujets un peu bateau, comme l'absurdité d'un appart de 18 mètres carrés à 1200 euros par mois (avec obligation de présenter un revenu trois fois plus important, "de l'altruisme car ils ne veulent pas qu'on galère et qu'on ait assez d'argent pour partir en vacances"), on évolue vers des contrées de plus en plus abstraites, avec l'apprentissage du serrage de main en présence de moiteur, une virée chez un banquier en prenant sa pub qui vend du rêve à la lettre, un bain à trois derrière une vitrine en discutant de leurs pratiques sexuelles favorites, pour terminer loin de la vie citadine, plus proche d'un humour entièrement absurde.
On comprend alors le sens du titre, chez ce trio en quête d'un nouveau souffle dans un univers qui confine à l'asphyxie morale et intellectuelle. Le film est très clairement bancal, dans sa juxtaposition de parenthèses pas toujours bien reliées entre elles, avec des moments en roue libre un peu trop fréquents (le passage chez les faux parents où lors du mariage sont beaucoup trop long), ou même dans l'application qu'on trouve dans le choix de ses sujets (mariage, famille, logement, enfants, travail, etc.), mais ma subjectivité s'est trop pris à ce jeu risqué pour ne pas l'honorer.
Near Death Experience (2014)
1 h 27 min. Sortie : 10 septembre 2014 (France). Drame
Film de Benoît Delépine et Gustave Kervern
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
J'ai pas mal de sympathie pour Delépine et Kervern en général, sans doute plus en tant que personnes qu'en tant que cinéastes, mais ce "Near Death Experience" c'est vraiment une trop grosse couleuvre à avaler. Une couleuvre certes très différente de celle de "Saint Amour", éminemment plus destroy et foutraque, mais dont la vacuité enveloppée dans des monologues décoratifs a délivré toute son amertume crescendo.
Déjà, simplement d'un point de vue technique : ça sent le fauché à dix milles, c'est filmé avec une mauvaise caméra, c'est minimaliste au possible, mais quand bien même le délire serait marrant, je trouve ça un peu fort de mettre un complément de budget de 30 000 € (pour un film de 200 000) pour obtenir les droits d'utilisation de la chanson War Pigs de Black Sabbath, juste pour le plaisir de voir Houellebecq se déhancher de manière improbable. M'enfin, si c'est Canal qui raque...
J'avouerais volontiers que le personnage de Houellebecq (sa propre personne, j'entends) exerce une légère fascination chez moi, dans sa prestance, son physique, sa gueule pas possible. On est à la limite de l'hynose, mais pas suffisamment pour permettre à sa tête de combler le vide du film. Ça va un petit moment, disons durant les deux ou trois premières scènes, mais pas plus. Déjà, lorsqu'on est chez lui, avec le journal de Pernaut d'un côté et sa famille de l'autre (soigneusement découpée par le cadre pour la rendre impersonnelle et enfermer le protagoniste dans sa solitude), ça sent le roussi. L'errance psychologico-existentielle, ça va un moment. Leur humour, même sous forme d'auto-dérision, ne s'est pas constitué en soupape de sécurité ici, laissant le concept s'enfermer dans sa suffisance désagréable. Un peu trop satisfait, un peu trop je-m’en-foutiste à mon goût.
Gorilles dans la brume (1988)
Gorillas in the Mist: The Story of Dian Fossey
2 h 08 min. Sortie : 25 janvier 1989 (France). Drame, Biopic
Film de Michael Apted
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Sigourney Weaver dans le rôle de Dian Fossey, ça a son charme. Deux ans après le très bourrin "Aliens, le retour", il y a de quoi être amusé par Ripley qui fait copain copain avec un dos argenté de 200 kilos en se tapant sur le torse et en faisant semblant de manger des feuilles. On touche à une case intéressante des registres cinématographiques, les biopics qui se contentent d'édulcorer ou d'enjoliver la page Wikipédia d'une histoire ou d'une personne. Ici, c'est donc l'anthropologue américaine qui vient faire la leçon aux habitants du Kenya et du Rwanda pour sauvegarder les populations de gorilles, elle qui finira "sauvagement assassiné" en 1985 "dans des circonstances encore aujourd'hui non-élucidées".
Il y a de quoi rigoler, notamment lorsque les auteurs ont cru qu'introduire une peluche de bébé gorille (mais plus proche d'un mogwai) était une bonne idée. En ce qui concerne l'accompagnement musical, notamment dans les passages de suspense, on pourra toujours rétorquer qu'il s'agissait de la norme en la matière (comprendre affreusement kitch et poussif) dans les années 80. Par contre, là où c'est moins drôle, c'est dans le portrait de sa protagoniste, raté dans ses grandes parties. Il y a un début de réflexion intéressant, notamment sur la radicalisation de cette personne qui souhaite défendre "ses" gorilles à tout prix et qui en vient à utiliser des méthodes disons peu orthodoxes (le simulacre de pendaison est en réalité une invention des scénaristes en manque d'action). Mais elle restera très clairement dans les clous, ses accès de rage étant très modérés et toujours justifiés en apparence, par la grâce de la narration. Avec ses passages terriblement répétitifs, ses séquences de love story bidon et sa progression dramatique connue longtemps à l'avance, "Gorillas In the Mist: The Story of Dian Fossey" ne présente aucun intérêt à mes yeux.
Le Jeune Ahmed (2019)
1 h 24 min. Sortie : 22 mai 2019. Drame
Film de Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Je ne saisis pas bien l'intérêt de ce film, indépendamment ou à l'échelle de la filmographie des frères Dardenne. La répétition à leur échelle est évidente, si l'on observe ce film à l'aulne de notions telles que la faute et la rédemption. Zéro renouvellement à mes yeux, ni thématique, ni dans le style : tout paraît formaté, presque prêt-à-penser.
Le souci de l'histoire vient sans doute d'un manque d'écriture, qui se traduit par une volonté trop présente de bien faire : il n'y a pas un personnage qui ne soit limpide dès sa séquence d'exposition, et si l'intention de ne pas verser dans la stigmatisation islamophobe est louable, elle se traduit par une bêtise inverse en s'échinant à décrire un microcosme parfait autour du protagoniste. Son imam est un fanatique religieux parfaitement fou (pratiquant un double discours en carton), et sa famille est un modèle en matière de culture arabe tolérante et libre. Dans ce cadre aussi pauvre que dépourvu d'aspérités, impossible de faire éclore le moindre intérêt.
La solitude d'Ahmed aurait pu être un beau sujet, autrement. Mais en l'absence d'éléments de contexte (sa radicalisation est imposée d'emblée, aucune discussion là-dessus), son obsession et le tissu de mensonges qu'il développe peu à peu (pour tuer sa prof d'arabe désignée comme mécréante par l'imam) ne prend guère de sens. La violence de son premier passage à l'acte est en toutre, d'un point de vue purement dramatique, une énigme. Et le film ne sera jamais original, jamais surprenant, pour se terminer sur une chute vraiment lamentable, le genre de ratage qui confère au final une amertume puissante doublée d'un sentiment tenace de ridicule. La romance naissante avec la fille de la ferme est de la même manière une belle idée non-exploitée : l'exécution est d'une rigidité confondante.
I Pay For Your Story (2017)
1 h 26 min. Sortie : 2 mai 2017 (France).
Documentaire de Lech Kowalski
Morrinson a mis 7/10.
Annotation :
Dispositif on ne peut plus simple : Lech Kowalski est retourné à Utica, dans le Nord de l'état de New York, la ville de son adolescence aujourd'hui devenue un coin sinistré. Avec sa caméra, il propose aux habitants et autres zonards de les payer (twice the minimum wage) pour écouter ce qu'ils ont à raconter. Et voilà le documentaire : une succession de portraits, de personnes seules ou en groupes, focalisés sur des marginaux de seconde zone. On imagine bien qu'il y a eu un travail de sélection et de montage, mais il n'empêche qu'il transparaît à travers ses témoignages une très forte douleur, appuyée qui plus est par la sobriété de l'ensemble.
Le rêve américain est passé par-là, ne reste plus que la rust belt et tout ce qui s'assimile à de la désindustrialisation profonde. Parmi les volontaires, beaucoup d'afro-américains qui partagent tous la même combinaison passsage en prison / plongée dans la pauvreté. La misère, bien que filmée de face et racontée crûment, n'est cependant jamais misérabiliste. Entre l'instinct de survie et l'espoir chevillé au corps de nombre des intervenants, les histoires de ces pauvres gens qui pour beaucoup placent tout dans leurs enfants sont extrêmement poignantes. Un coup de projecteur sur une partie de l'Amérique pré-Trump qu'on ne voit pas souvent, avec ces gueules qui affirment leur identité sans honte pour la plupart, avec une haute dignité.
Parmi les choses les plus troublantes, il y a ce couple de femmes noires qui évoquent (déjà en 2017) les émeutes qu'elles sentent arriver, en réaction aux violences policières. Des témoignages d'une force brute, un regard droit dans la pauvreté à la bonne hauteur (curieux juste comme il faut, pour désamorcer le sordide de nombreuses déclarations : prostitution, viol, toxicomanies diverses, violences variées), comme l'autre versant de l'Amérique de carte postale. Ce n'est pas un docu qui passe facilement.
La Fille du puisatier (1940)
2 h 26 min. Sortie : 20 décembre 1940 (France). Comédie, Drame, Romance
Film de Marcel Pagnol
Morrinson a mis 7/10.
Annotation :
Le festival de répliques donné par l'ensemble des personnages justifierait à lui seul le visionnage de ce film un peu particulier de Pagnol, tourné au début de la Seconde Guerre mondiale et premier moment cinématographique de la France occupée. Raimu tient très nettement le haut du palmarès avec une constance incomparable dans les dialogues savoureux, suivi de près par Fernandel, Fernand Charpin, et toute la troupe de personnages secondaires qui existent pleinement. Lorsque la belle-mère découvre l'existence de la garçonnière de son fils, c'est un grand moment avec ses "Marie couche-toi là" et autres "Joséphine à la renverse"...
Et pourtant, "La Fille du puisatier" est loin d'être une comédie : sur le papier ce pourrait d'ailleurs être un puissant mélodrame sur le thème du deuil et du conflit de paternité, pour qui ne connaîtrait pas le style de Pagnol — qui s'est d'ailleurs considérablement développé, d'un point de vue purement technique cinématographique, depuis la trilogie Marius, Fanny, et César. Lorsque émerge le discours de Pétain, on se dit que la réalisation du film ne s'est clairement pas faite de manière décorrélée de l'histoire, et pourtant : la morale est tout sauf conservatrice ici, loin des idéaux puritains de Vichy. C'est la célébration d'une forme de liberté très progressiste pour l'époque, une ode à la compréhension et à la tolérance pour les modes de vie familiaux tout sauf canoniques. Sentiments étranges.
Raimu, encore lui, permet de naviguer entre la comédie et le mélodrame avec une aisance remarquable : ce qui pourrait constituer un grand moment de déchirement, lorsque la question de l'enfant bâtard de sa fille se pose, se transforme en un pur moment d'humour, à travers ses tergiversations et sa gêne pour avouer qu'il veut bien prendre ce petit-fils sous son aile. Les intéractions entre les deux familles, prolétaires et aristocratiques, sont tout aussi bien dépeintes, sans excès, et articulés également avec des dialogues finement ciselés. Une plongée émouvante (à l'exception de la vision de la gente féminine, souvent reléguée au statut de mobilier) dans la France du début des années 40, et dans les codes et valeurs d'une époque bien différente.
The End (2016)
1 h 25 min. Sortie : 8 avril 2016 (France). Drame, Fantastique
Film DTV (direct-to-video) de Guillaume Nicloux
Morrinson a mis 2/10.
Annotation :
J'assimile une expérience comme "The End" à du foutage de gueule sans aucun problème. Par hasard, on peut entrer dans le délire, voire pourquoi pas être séduit par l'atmosphère, mais il n'y a rien de correctement pensé dans ce foutoir informe et indigeste dans lequel on se contente grosso modo de regarder Depardieu perdu dans la forêt, maugréer et crier après son chien "Yoshi !". Le corps gargantuesque de Depardieu n'est qu'un prétexte creux qui alimente péniblement les 80 minutes, et si les première minutes peuvent produire une certaine sidération, l'absence de véritable idée de mise en scène se fait très vite patente. Lorsque le film glisse plus ouvertement dans l'angoisse, à la lisière du fantastique, les coutures deviennent encore plus visibles et dérangeantes : l'irruption de Swann Arlaud tout comme celle de la femme nue sont magnifiquement ratées, simplement absconses. La fin est à l'avenant, bâclée. Et on apprend que Nicloux voulait simplement mettre en image un rêve et laisser le soin aux spectateurs d'en faire l'interprétation : il ne reste plus qu'à lui envoyer la facture.
La Ballade de Narayama (1983)
Narayama bushikō
2 h 10 min. Sortie : 28 septembre 1983 (France). Drame
Film de Shôhei Imamura
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
Difficile de dire si ce qui m'a rebuté tient à des intentions propres à Imamura ou s'il s'agit plutôt d'un effet du contexte — la cinéma des années 80, voire le cinéma japonais des années 80. J'aurais tendance à penser que la même proposition de cinéma formulé dans le cadre esthétique (principalement) d'une autre décennie, entre les 60s et les 70s ou plus contemporaine par exemple, (m')aurait été beaucoup plus percutante.
Car l'écrin esthétique retenu ici (c'est mon sentiment en tous cas) rend cette peinture d'un microcosme tragicomique vraiment désagréable. Non pas que le grotesque me soit insupportable sur le principe, mais tous ces excès pour raconter l'histoire d'un petit village rural replié sur ses traditions et ses croyances enferme le film dans une forme de ridicule flirtant avec le poussif. Pourtant, cette immersion dans un marécage d'horreurs a de bons arguments à mes yeux et ma sensibilité, en regardant de face la sauvagerie (très diversifiée) des habitants. Le dégoût suscité peut être très constructif, d'autant que la balade / ballade finale offre une bouffée d'air frais à la dimension salvatrice aussi belle que paradoxale (il est tout de même question d'un suicide).
Mais je n'ai absolument rien retiré de la description minutieuse de leur quotidien, pourtant riche en détails variés, entrecoupée par des aphorismes graphiques intéressants (des animaux qui se bouffent) mais un peu lourds sur la longueur. L'analogie animale va jusqu'à filmer les rapports sexuels de deux habitants sous cet angle, avec en prime un cas de zoophilie, et parsemé de rapports de hiérarchisation. Rien de documentaire là-dedans : le paysage est tellement bizarre et extravagant qu'aucune prise sérieuse n'est possible. Imamura verse à mon sens beaucoup trop dans le démonstratif, dans la répétition d'une thèse qui confine à la surenchère parfois hystérique, même si certains accès de violence font leur effet (le bébé non-désiré jeté dans la rizière comme fertilisant, la famille enterrée vivante pour avoir volé des pommes de terre, brrrr). Le personnage d'Orin, pourtant, détient une force et une volonté magnifiques au milieu de cet amas primitif, qui auraient pu colorer son sacrifice d'une toute autre façon.
Tableau de chasse (2017)
Pokot
2 h 08 min. Sortie : 30 octobre 2022 (France). Policier, Drame
Film de Agnieszka Holland et Kasia Adamik
Morrinson a mis 2/10.
Annotation :
Une fois passée la partie relative à l'exposition, tout s'effondre. Agnieszka Holland est parvenue à trouver de très beaux paysages à la frontière entre la Pologne et la République tchèque, en prenant le soin de laisser le temps à chaque saison d'exprimer sa singularité, avec une immersion dans une communauté rurale polonaise qui avait un véritable potentiel quasi-ethnographique... Mais tout cela sera jeté dans la fange d'une histoire vraiment indigente, limite indécente. Déjà, la photographie dérange un peu avec ses envolées trop tape-à-l'œil pour être sincère, avec ses couleurs trop fortement contrastées et saturées. Pendant un moment, au milieu du microcosme exclusivement constitué de caricatures, le personnage de la vieille femme maintient un semblant d'intérêt : il se forme autour de ce qui est présenté comme une forme de folie une atmosphère à la lisière du fantastique. Et si les abominables chasseurs (moches, cons, sanguinaires, et tout et tout) étaient assassinés les uns après les autres par des animaux ? Pendant un moment, le doute quant au genre que le film souhaite emprunter demeure, et c'est plutôt une bonne chose. Mais la film file en réalité tout droit vers sa révélation finale, un semi-twist éventé qui non seulement ampute l'imaginaire du film mais en plus révèle la manipulation bien basse de toute la première partie qui avait permis cette incertitude. Au final, ce n'est qu'une vieille folle adepte d'astrologie pratiquant une forme d'écoterrorisme un peu originale... Quand j'entends la réalisatrice dire que "la sensibilité du film, c’est de dire qu’il faut s’ouvrir aux plus faibles, garantir leurs droits. Et les plus faibles, ce sont les femmes, les homosexuels, les handicapés, les animaux, la nature", c'est quand même un gros morceau à avaler, car il y a out de même quelque chose de profondément grotesque là-dedans. Je veux bien reconnaître au film son caractère atypique, au-delà de ses défauts techniques, mais la célébration finale des meurtres "pour la bonne cause" dans la joie et la bonne humeur et la lumière rasante d'un matin Ricoré (avec l'option de l'herbe rasante en contre-jour à la Malick, au début du film) est éliminatoire.
Gardiens de phare (1929)
1 h 22 min. Sortie : 4 octobre 1929. Drame
Film de Jean Grémillon
Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Un bout de pellicule retrouvé 25 ans après sa sortie quelque part au Danemark, et voilà ressuscité le film de Grémillon. L'état est proche de la catastrophe tant la qualité s'apparente plus au daguerréotype poussiéreux qu'autre chose, mais assez bizarrement ce grain très épais et ces multiples imperfections renforcent l'opacité du mélodrame et la noirceur de l'histoire, très épurée, qui voit un homme et son fils prisonniers de leur phare, au milieu d'une mer déchaînée.
"Gardiens de phare" procède par une série d'allers-retours, entre la terre et la mer, entre le présent et le passé, entre la réalité et le rêve, entre le champ sur les hommes qui partent en bateau et le contrechamp sur les femmes bigoudènes qui leur disent au revoir. C'est une vision de l'onirisme qui peut faire penser à la poésie d'un Jean Vigo, mais c'est du côté de Jean Epstein que les passerelles sont les plus nombreuses, à commencer par le très grand dénominateur commun de la culture bretonne que le film partage avec "Finis Terrae", lui aussi le regard rivé sur les côtes rocailleuses du Finistère battues par le vent et la marée, lui aussi focalisé sur le travail éprouvant des hommes — en l'occurrence les goémoniers.
Mais la trame narrative a une importance largement supérieure ici, puisque un des ressorts dramatiques est lié au déclenchement de la maladie chez l'un des personnage, qui avait été mordu par un chien (enragé, on l'apprendra après) avant son départ. Peu à peu, il sombre dans la folie, cloîtré dans le phare, au sein d'une atmosphère incroyable faite d'ombre et de lumière qui parvient malgré tout à se frayer un chemin à travers les défauts de pellicule. On lorgne par moments presque du côté du fantastique, renforçant encore une fois le parallèle avec Epstein, cette fois-ci du côté de "La Chute de la maison Usher" (sorti un an avant). L'accès de rage chez le fils peut paraître un peu outrancier vu d'aujourd'hui, limite horrifique, mais la montée en tension angoissante reste entière : la tragédie qui se noue dans les dernières minutes, alors qu'on venait de quitter des flashbacks heureux, alors que les femmes restées à terre croient que la catastrophe est évitée lorsque la lumière du phare se rallume, n'en est que plus poignante.
Sang froid (2019)
Cold Pursuit
1 h 59 min. Sortie : 27 février 2019 (France). Action, Policier, Drame
Film de Hans Petter Moland
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Difficile de saisir l'intérêt, autre que mercantile, d'un tel auto-remake plan par plan. Hans Petter Moland avait déjà réalisé un film norvégien (sous le titre français "Refroidis") racontant exactement la même chose avec exactement la même esthétique neigeuse et presque la même approche. La seule chose qui change, c'est le contexte géographique, puisque l'histoire est transposée aux États-Unis : au passage, avec l'entrée dans l'arène de Liam Neeson, la dimension comique franchement burlesque s'est évaporée, au profit d'un petit humour occasionnel qui sert plus de ponctuation à un thriller d'action un peu bas du front. Sans doute que le surprise aurait été plus agréable si la découverte n'avait pas été "dénaturée" par la connaissance a priori du matériau original, mais tout de même, il en résulte un film de vengeance relativement bourrin, rempli de stéréotype (le grand méchant est particulièrement insupportable, et pas dans le bon sens du terme). Tout ce qui faisait l'identité décalée du premier film, gorgé d'humour noir, même si je ne l'avais pas intensément apprécié, a été sauvagement gommé pour n'en laissé qu'un squelette blême.
Le Poulpe (1998)
1 h 40 min. Sortie : 7 octobre 1998 (France). Policier
Film de Guillaume Nicloux
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Ce que j'avais pris pour une faute goût non-dommageable derrière une bonne idée voire de bonnes intentions de la part de Guillaume Nicloux (avec des films comme "Les Confins du monde" ou "The End") s'avère en réalité être plutôt une vraie divergence de sensibilité, à mesure que je parcours sa filmographie.
Pourtant, l'atmosphère de série noire crasseuse détenait de sérieux arguments, en instaurant un climat vraiment très singulier, et a posteriori très caractéristique des années 90. Cette France des bistrots et des fachos se ressent très clairement, et quelque part le personnage de Jean-Pierre Darroussin (assez inattendu dans ce registre d'apprenti inspecteur taciturne au blouson en cuir) convient bien dans ce tableau un peu confus et embrouillé. La relation qu'il entretient avec Cheryl est par contre particulièrement gratinée, un peu trop engagée dans la caricature (les filles se dénudent décidément beaucoup dans ce contexte-là...). Au final, l'intrigue initiale autour de la profanation d'une tombe importe très peu, à mesure qu'une ambiance mystérieuse prend le relais avec des politiciens d'extrême droite et l'exploitation d'immigrés clandestins.
On peut reconnaître à l'ensemble une certaine froideur constructive, mais elle est tout de même assez creuse avec son cortège de caricatures d'abrutis, de marginaux, de cupides, etc. La bande-son est dans le même registre, trop appuyée, et ce dès le générique en introduction qui certes essaie quelque chose (des cartons intermittents sur fond de Trash Metal Hardcore) mais se plante joliment. Nicloux désire de manière assez évidente creuser la fibre du héros libertaire et irrévérencieux, mais bof. Les dialogues, à l'instar du reste, ne passent pas : "A force d'enculer les poules, on finis par casser le œufs !". Bien trop lourd. On peut toutefois rigoler en voyant la jeune et court-vêtue Clotilde Courau, avant qu'elle ne devienne princesse de Savoie.
Exodus (1960)
3 h 28 min. Sortie : 3 mai 1961 (France). Aventure, Drame, Guerre
Film de Otto Preminger
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
L'impression de voir de la part d'Otto Preminger une œuvre de studio formatée à la Cecil B. DeMille est assez perturbante. Difficile aussi de dégager le bon lien de causalité, mais dans cette fresque historique qui entend mêler les petites existences personnelles au parcours de la géopolitique internationale de l'époque (la fin de la Seconde Guerre mondiale et les prémices de la création d'un état juif), Paul Newman ne donne pas beaucoup de signes d'une grande conviction. Ce n'est pas non plus cette impassibilité rebelle qui caractérisait son personnage dans "Cool Hand Luke" : juste un pantin de plus (c'est un exploit en soi, étant donné son charisme naturel) dans ce semi film choral qui arbore un académisme ronflant.
Le matériau historique de base semblait tout à fait prédisposé à un traitement sous forme de fresque historique : des milliers de réfugiés juifs au départ de Chypre, en 1947, en direction de la Palestine mais arrêtés par les Britanniques à bord du bateau-nation Exodus. Cette première partie occupera un gros tiers du film (3h30 tout de même), avant de s'attaquer aux conditions d'arrivée de l'autre côté de la Méditerranée. On pourrait reconnaître à Preminger un certain souci d'objectivité : je ne suis pas historien, mais on ressent bien dans les intentions la volonté de prétendre à une certaine objectivité, au sens où le regard restera très prosaïquement collé aux micro événements plus qu'à une dynamique internationale (sans que cette dernière ne soit condamnée à la subjectivité, bien sûr).
Mais cette dimension très didactique dans le factuel, qui se ressent dans la peinture faite des deux camps pour la cause israélienne (grosso modo les violents contre les pacifiques, avec la rivalité entre l’Irgoun et la Hagannah), peine à s'envoler. D'une part parce qu'on ne pense à aucun moment qu'il s'agit d'un essai approfondi sur le sujet, tout au plus un résumé de la page Wikipédia correspondante (une configuration qui traverse le temps avec une régularité sans faille), mais d'autre part parce que le didactisme académique empêche toute réflexion. On rajoute à cela une couche de clichés sentimentaux mielleux et une autre de raccourcis idéologiques (la multiplicité des points de vue est un peu en trompe-l'œil), et le résultat se transforme en une fresque amputée, lisse et lourde, empêtrée dans ses longueurs, et au lyrisme pâle.
Débris de l'empire (1929)
Oblomok imperii
1 h 50 min. Sortie : 28 octobre 1929 (Union Soviétique). Drame
Film de Fridrikh Ermler
Morrinson a mis 9/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Il faudra attendre la toute fin de "Débris de l'empire", lorsque le soldat Filimonov aura totalement achevé son long voyage à la recherche de sa mémoire, pour voir la signification explicite de la phrase-titre — formulée de manière plus littérale "tristes fragments d'un empire". Un cheminement sinueux, tortueux, tourmenté même, à travers son amnésie, le long des méandres de ses souvenirs parcellaires qu'il recollera progressivement, par sursauts brutaux, initialement déclenchés par le visage d'une femme aperçu à la fenêtre d'un train. De la fin de la Première Guerre mondiale, peu après la Révolution d'Octobre de 1917, jusqu'à la fin de la guerre civile et l'enterrement définitif de l'Empire russe, "Débris de l'empire" suit le réveil de la conscience d'un soldat, une dizaine d'années après qu'une commotion luit ait fait perdre la mémoire. Du régime tsariste jusqu'à la société bolchévique, l'ellipse sera particulièrement bouleversante.
1929 était déjà une année riche en expérimentations cinématographiques marquantes en URSS, avec des canons comme les très soviétiques "Arsenal" d'Alexandre Dovjenko et "La Ligne générale" de Sergueï Eisenstein, le très expérimental "L'Homme à la caméra" de Dziga Vertov ou encore le très barjot "Ma Grand-mère" de Kote Mikaberidze. Il faudra désormais compter aussi avec cette incursion de la part de Friedrich Ermler, qui se distingue remarquablement de ses camarades tout en jouant dans la même arène thématique et esthétique. Déjà, la séquence d'introduction laisse le contexte et les enjeux volontairement flous : quelque part pendant la Première Guerre mondiale, un soldat à demi-mort de faim et de froid survit en se nourrissant du lait d'une chienne, au milieu de la portée. Il ne s'agit pas du protagoniste, on ne le comprendra que plus tard car les repères sont volontairement brouillés, mais simplement d'une victime du conflit qui opposa les révolutionnaires bolchéviques aux Blancs monarchistes de 1917 à 1923. On abat la chienne. Filimonov, avec sa barbe hirsute et son visage émacié, vient en aide au soldat affaibli.
Suite https://www.senscritique.com/liste/Top_films_1929/377971
Deux moi (2019)
1 h 50 min. Sortie : 11 septembre 2019. Comédie dramatique
Film de Cédric Klapisch
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Il faut quand même être gonflé pour proposer une telle vision de la psychanalyse et/ou de la psychothérapie en 2019, avec Camille Cottin psy n°1 qui sort un incroyable "il faut que les deux moi soient soi pour que deux moi fassent nous" à une Ana Girardot doucement paumée et François Berléand en psy n°2 proche d'un coach en développement personnel qui apprend à François Civil à avoir confiance en lui après avoir fait le deuil de la mort de sa petite sœur après confrontation avec ses parents ("C'est vous qui n'arrivez pas à passer à autre chose, pas moi !" en substance). La mâchoire est tombée par terre à de tellement nombreuses reprises, tant lors de la description de ces "blessures" intérieures que dans leur guérison...
Le pire dans cette proposition de Klapisch, c'est qu'on sent très bien la volonté de se faire semi-sociologue, en décrivant les maux urbains de la solitude dans les grandes ville,s et ça c'est particulièrement désagréable. Ce mélange de léger et de grave, c'est un procédé de plus en plus courant dans les comédies dramatiques contemporaines et ça me hérisse de plus en plus le poil. Je ne suis pas un adepte des applis à la Tinder ou Happn, mais ce discours très moralisant (limite réactionnaire), limite bête dans ses schémas sur l'illusion de la proximité numérique au détriment de la proximité géographique, c'est sans aucun doute pire. Si l'on adjoint à cela un petit monticule de stéréotypes (le gars qui est préposé aux colis dans un simili Amazon et qui vit dans un tel appart en plein centre de Paris, ça laisse perplexe), avec ce bon vieux maghrébin épicier qui sait tout, comme sorti d'un sketch des Inconnus, il en résulte une peinture de la solitude totalement inepte. Avec la couche sur les révélations des traumas psy du passé bien lourds en prime. Complètement à côté de la plaque.
L'Étudiant de Prague (1913)
Der Student von Prag
1 h 25 min. Sortie : 22 août 1913 (France). Drame, Épouvante-Horreur, Muet
Film de Stellan Rye et Paul Wegener
Morrinson a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Ce long-métrage est d'une étonnante cohérence sur la longueur, pour une œuvre de 1913, à une époque où le court régnait de manière unilatérale il me semble. La maîtrise de la narration sur la durée présente quelques faiblesses, notamment dans l'utilisation vraiment trop parcimonieuse des cartons, mais l'ensemble se tient étonnamment bien et recèle quelques belles surprises.
La thématique faustienne, à commencer par elle, survient très agréablement, sans qu'on ne s'y attende. Il y a une belle place faite à la poésie dans cette séquence où un étudiant désargenté, désireux de devenir riche pour séduire sa belle, fait un pacte avec le diable sans le savoir, et donne son reflet dans le miroir en échange d'une grande somme d'argent. L'originalité ici réside dans le fait qu'il ne savait pas qu'il était en train de pactiser avec le diable et de lui vendre son âme, et ici débutera son calvaire avec l'apparition de son doppelgänger (l'occasion pour Stellan Rye et Paul Wegener de recourir à des techniques de trucage plutôt bien exécutées pour l'époque, avec une sorte de double exposition aux coutures presque invisibles).
Il serait bien sûr très tentant de voir dans ce déchirement existentiel à la limite du dédoublement de personnalité l'annonce de la division de la société allemande entre plusieurs classes. Là où le film fait en outre consensus, c'est dans sa dimension fantastique, première incursion du genre en long-métrage de l'histoire du cinéma. On pourrait également y voir une sorte de précurseur de l'expressionnisme allemand. Quelques moments de flottement sont à noter, mais à une époque où les codes cinématographiques n'étaient ni connus ni établis, on ne saurait trop en tenir rigueur.
Main basse sur l'eau (2019)
Une investigation internationale de Jérôme Fritel sur la financiarisation de l’eau
1 h 27 min. Sortie : décembre 2019 (France).
Documentaire de Jérôme Fritel, Seamus Haley et Patrice de Mazery
Morrinson a mis 6/10.
Annotation :
Documentaire intéressant et plus pondéré que ce qu'on pourrait penser : sur la thématique de la financiarisation d'une des dernière ressources naturelles gratuite, il convoque plusieurs points de vue inattendus. Il y a d'un côté des écologistes tout à fait acquis à la cause capitaliste qui entendent jouer avec la spéculation pour protéger la ressource en eau (en gros, acheter des millions de litres d'eau pour que d'autres ne le fassent pas), principalement en Australie et aux États-Unis, et de l'autre les boursicoteurs tout fiers d'avoir inventés une nouvelle part de marché source de profits immenses qui se considèrent comme des écolos avant-gardistes en donnant une valeur à l'eau et en contraignant une partie de la population à la parcimonie. On vit décidément une époque passionnante... délirante. Donner un prix à une ressource pour la protéger, ouvrir un marché pour assurer sa répartition optimale... Argh.
Quelque part, ça tombe sous le sens : il s'agit d'une ressource de plus en plus contrainte, en conséquence des bouleversements climatiques, dont la valeur subit des aléas de pressions démographiques, avec les évolutions en termes de pollution ou d'intensification de l'agriculture. On est presque étonné que l'eau ne soit pas une valeur boursière comme les autres dans notre univers néolibéral. La loi de l'offre et de la demande, lorsqu'elle s'applique à des ressources de ce type, conduit à des conséquences vraiment incroyables, avec l'incroyable cupidité des uns et la grande détresse des autres. Voir tous ces gens saliver à l'idée de créer de tels marchés porteurs, avec parfois l'appui d'ONG écologistes (l'Australie n'a pas subit la crise de 2008 comme d'autres pays et ça se sent), c'est à se taper la tête contre les murs. Il y a ceux qui veulent maximiser leurs profits, et ceux qui veulent l'acheter pour la restituer à la nature... L'histoire de la gestion de l'eau à Londres vaut également son pesant de cacahuètes. Le cynisme de certains est glaçant : "ce n’est pas parce que l’eau est la vie qu’elle ne doit pas avoir un prix."
Bien nourrir son cerveau (2019)
53 min. Sortie : 14 septembre 2019 (France).
Documentaire de Raphaël Hitier
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
En à peine plus de 50 minutes, le docu balaye un immense champ de recherche (les effets de la nourriture sur l'intellect, le mental, le psychologique) en égrainant une série de résultats tous plus intéressants les uns que les autres... mais sans jamais vraiment prendre le temps de bien décrire chacun d'entre eux en détails. En résulte la sensation d'un zapping qui ne nourrit que très peu le cerveau au final, avec cette impression tenace d'être resté à la surface des choses. Sans être un expert du domaine, sans non plus exiger une retranscription précise des articles scientifiques, il aurait été bienvenu de décrire un peu plus précisément les conditions de études, le contexte des expérimentations, les limites, les perspectives... Pourtant, avec toutes les avancées récentes sur l'exploration du microbiote, il y a de quoi s'intéresser aux conséquences de notre alimentation sur autre chose que notre santé physique (et au-delà de la phase de gestation dont les conséquences sont mieux connues, bien que pas bien explicitées ici du côté des nouveaux résultats sur la colère des enfants). Mais bon, seulement quelques épiphénomènes sont abordés ici, les acides gras insaturés par-ci, le sucre vs la cocaïne par-là. Sans remettre en question la rigueur et la pertinence des études exposées ici (ce qui serait impossible, étant donné le peu d'info), la façon dont le docu est foutue est vraiment décevante. Et la musique de "Requiem for a dream" quand on aborde le sujet de la drogue... mouais, bof.
Le Baron de l'écluse (1960)
1 h 32 min. Sortie : 13 avril 1960 (France). Comédie
Film de Jean Delannoy
Morrinson a mis 6/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Même dans un fond de sauce pas folichon, Gabin parvient à rehausser l'intérêt global à la seule force de sa gouaille, et avec une (apparente) facilité incroyable. C'est effarant.
Le minimalisme de l'histoire qui sous-tend "Le Baron de l'écluse" est presque choquant tant il est affiché avec désinvolture. Le film se décompose en deux parties, la première où le baron évolue dans les hautes sphères de l'aristocratie citadine avec l'aisance et l'agilité d'un félin dans la savane, et la seconde dans un minuscule bled paumé dans la cambrousse, là où le moteur de son bateau (gagné au jeu) a lâché. La totalité de la structure narrative repose sur une approche purement descriptive d'ambiances, sans véritable fil rouge, sans véritable péripéties. Juste le baron Jérôme Napoléon Antoine dans ses frasques pleines de bonhommie et de distance. La pléthore de seconds rôles est impressionnante sur le papier mais aucune autre interprétation ne peut exister réellement à côté de lui ici.
Il en résulte un portrait un peu décalé, avec cet aristo fauché à Deauville, habile et chanceux, au centre. Le voir magouiller au milieu des casinos avec l'aisance d'un poisson dans l'eau est quelque chose de très simple, un peu trop sans doute, mais vraiment truculent. À mon sens Audiard en fait un peu trop dans les dialogues, le rythme des punchlines est un peu trop soutenu pour qu'on puisse tout digérer. "Si la franchise était la condition sine qua non du mariage, le monde serait peuplé de vieilles filles", "Lui ? C'est le type parfait : prêt à mourir à la guerre et à faire des gamins pour préparer celle d'après", etc. Une vraie machine, dont la cadence de tir est un peu trop élevée pour maintenir l'intérêt sur la longueur.
Même si le scénario peut s'assimiler à une brève anecdote, même si la partie chez les prolos n'est pas aussi gouailleuse et sincère qu'elle aurait pu être, Gabin conserve une classe , une crédibilité et une spontanéité incomparables.
Cutter's Way - La Blessure (1981)
Cutter's Way
1 h 46 min. Sortie : 10 février 1982 (France). Drame
Film de Ivan Passer
Morrinson a mis 7/10.
Annotation :
La mort récente d'Ivan Passer et les accès de nécrologisme (néologisme de passage) qu'elle suscite a cela de bien qu'elle pousse à s'aventurer dans certains recoins peu explorés, dans des directions de procrastination qui seraient restées en friche pendant encore très longtemps autrement.
Drôle de sensation et de constat en regardant "Cutter's Way" : pendant toute la durée du film, l'incertitude très volontaire qui enveloppe l'action, avec ce duo de personnages incarné par Jeff Bridges et John Heard, s'est traduit en un léger agacement. Certes, les coutures du flou ne sont pas d'une évidence rébarbative, mais cette absence de jugement définitif dans la hauteur du regard finit par quelque peu irriter, comme si ce non-choix ne constituait pas le meilleur des choix. Mais étrangement, a posteriori, lorsqu'on quitte le film comme on se retire d'un rêve vaporeux, on réalise que l'atmosphère était parvenue à se faire prenante, intrigante, lovée dans son voile mystérieux sans l'avoir jamais clairement explicité.
Au-delà de la figure de beau gosse de Jeff Bridges et du caractère très archétypal de la névrose de John Heard, on peut être un petit peu dérangé par la petite panoplie de stéréotypes qui émaillent le récit. La fin est bâclée, précipitée, aussi. Faussement radicale. Mais les fausses pistes que Passer sème, à l'image de ce registre du thriller que le film n'explorera jamais vraiment pour se muer en réflexion philosophique beaucoup plus abstraite, à l'image de cette dichotomie Bone le sage fuyard / Cutter le fou furieux, finissent par adoucir les angles. Cette ambiance très incertaine, de laquelle on sortira sans être capable de mettre la main sur la vérité sans cesse en train de se dérober, à l'orée de la paranoïa, est clairement le point fort de la proposition. J'aime beaucoup cette dimension de fin d'une ère, sans doute involontaire, qui injecte les dernières gouttes de désillusion typique du Nouvel Hollywood dans ces 80s naissantes.
The Lighthouse (2019)
1 h 49 min. Sortie : 18 décembre 2019 (France). Drame, Fantastique, Épouvante-Horreur
Film de Robert Eggers
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Parvenir à produire quelque chose d'aussi agaçant avec autant de bonnes idées et de maîtrise technique, ça relève presque de l'exploit. Le temps d'une première partie, les mauvais présages restent en sourdine : le format carré allié à ce noir et blanc charbonneux ne paraît pas totalement gratuit, en participant directement à l'entretien d'une atmosphère toute particulière, noire, étrange, incertaine. Les symboles sont amenés de front, mais n'envahissent pas tout l'espace. Mais on ne peut pas faire un film en se basant uniquement sur de bonnes intentions non-réalisées : c'est tristement ce qui contraint Robert Eggers a enclencher la seconde et à foncer droit dans le mur.
Parce que bon, 5 minutes de cabotinage sur fond de vieil anglais à tendance écossais, passent encore, mais sur 1h50, c'est un élément parmi beaucoup d'autres qui enferme le concept dans sa case, dans l'esbroufe, la surenchère, l'artificiel.
Et pas qu'un peu nom de Zeus ! Il ne fait pas les choses à moitié pour rendre son histoire, son dispositif de mise en scène, et sa dimension métaphorique tous également artificiels. L'excès volontaire reste une prédisposition éminemment casse-gueule, et Eggers se prend royalement les pieds dans le tapis. L'austérité, qui au départ consacre une bonne idée, tourne à la parodie entêtée et ridicule. Les citations (le muet, la littérature, le gothique) aussi. Willem Dafoe devient très vite insupportable dans sa caricature de vieux briscard adepte du pet et de la grimace. La folie qui l'unit à Pattinson dans l'alcool est follement inintéressante. Le penchant pour l'onanisme de ce dernier (de jolis symboles à gros sabots ici aussi avec la figure de la sirène) est aussi peu original que terriblement gênant. Voir un auteur autant se démener pour tenter de proposer quelque chose de nouveau du côté d'un renouveau expressionniste et finir dans une telle coquille vide, artificielle, grotesque, barricadée derrière son esbroufe et ses symboles (le pire étant la figure de Prométhée qui vole le feu et se fait ensuite punir, éjecté de l'Olympe devenu phare et bouffé par des vautours-mouettes), c'est d'une tristesse...
"You sound like a goddamned parody", dira Pattinson à Dafoe. Tu l'as dit.
L'Insoumise (1938)
Jezebel
1 h 44 min. Sortie : 5 octobre 1938 (France). Drame, Romance
Film de William Wyler
Morrinson a mis 6/10.
Annotation :
Plusieurs choses étonnantes, ou du moins remarquables ici, sans que cela ne suffise à faire de "L'Insoumise" / "Jezebel" un film vraiment exceptionnel : la jeunesse de Bette Davis (pourtant tout de même âgée de 30 ans) qui en adoucit incroyablement les traits, la candeur de Henry Fonda en jeune premier (33 ans pourtant) pas encore tout à fait à l'aise, et la proximité de leur histoire avec celle d'un énorme morceau du cinéma de l'année suivante, "Autant en emporte le vent", avec Vivien Leigh et Clark Gable. Sur le plan technique, Wyler démontre de solides compétences, et la première partie du film, bien que peu passionnante sur le fond (la naissance d'un mélo autour du port un peu trop osé d'une robe rouge), laisse s'échapper quelques très belles séquences. Celle où les deux amants s'avancent seuls sur la psite de danse est particulièrement marquante — et à l'origine du titre français, pas trop mal trouvé, et bien différent de la version originale qui annonce une catastrophe.
Mais le plus intéressant se trouve à mes yeux dans la peinture de cette fenêtre temporelle située quelque temps seulement avant la Guerre de Sécession, avec en germes le conflit multidimensionnel entre Nordistes bourgeois citadins et Sudistes bourgeois esclavagistes. Le tableau ne brille pas par sa précision de trait, mais par le discours qu'il parvient à mettre en place à partir de ces gros traits. Avec en ligne de mire, symbole de la déliquescence des rapports, la fièvre jaune qui s'étend à la Nouvelle Orléans. L'oppression de Davis par son environnement social, en même temps que son excès de confiance peut-être, donne une image très avant-gardiste d'une forme de féminisme. La rédemption finale apparaît toutefois un peu trop forcée, et quelque part comme une sorte de paradoxe, tant son revirement (suite à un gros revers, elle porte une robe blanche et souhaite se sacrifier) constitue l'antithèse de son émancipation introductive.
Jeanne (2019)
2 h 17 min. Sortie : 11 septembre 2019. Historique, Drame
Film de Bruno Dumont
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
On peut craindre le pire, après un film comme "Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc"... Et pourtant, tout en conservant une part non-négligeable de bizarrerie typique de Dumont, le réalisateur est parvenu à redresser la barre en poussant le bouchon un peu moins loin dans l'abscons sans rien renier dans la succession de motifs déjantés et d'oppositions foutraques. C'est une proposition d'absurde qui me convient en tous cas beaucoup mieux, avec un excellent compromis entre l'épure métaphysico-taiseuse des débuts et la farce grand-guignolesque de ces dernières années. Voir la petite Jeanne à son procès dans l'immense cathédrale d'Amiens, ça fait son petit effet.
On connaît bien le style de Dumont, et pourtant, le burlesque est intact : voir cette cohorte d'acteurs non-professionnels réciter des textes aussi empathiques dans un souci d'anti-naturalisme (une sorte d'hybride dégénéré des théories de Bresson) provoque de grands moments décalés, partagés entre le rire et la gêne. Au milieu de tout ça, comme une apparition subliminale, Luchini fait son apparition dans la peau de Charles VII et repart aussi vite qu'il est arrivé. Étrange.
Au-delà des lieux que l'on connaît désormais bien, chers à Dumont, avec ces dunes enherbées du Nord, quelques tours de force audacieux : je pense avant tout à la bataille contre les Anglais, transformée en une incroyable chorégraphie à cheval, magnifique ballet. On passe également d'Igorrr à Christophe, déguisé en moine ou autre... J'aurais bien aimé une fin plus grandiloquente, plus éloquente que ce final tout en retenue, un peu trop appuyé par ces multiples plans où la caméra regarde le ciel, avec ses nuages, comme autant d'appels à la grâce. Et je me suis retrouvé hypnotisé par des plans quasi fixes sur une fillette de 10 ans (représentant Jeanne à 18), dont la jeunesse et la fierté exacerbent les tourments, sur fond de Christophe : incroyable.
Proud Mary (2018)
1 h 29 min. Sortie : 9 mai 2018 (France). Action, Policier, Thriller
Film DTV (direct-to-video) de Babak Najafi
Morrinson a mis 1/10.
Annotation :
"Proud Mary" correspond parfaitement à l’aboutissement de l'exploitation du principe de la série B par l'industrie des studios. Avec ici la particularité que le très bourrin Babak Najafi ne s'embête même pas à chercher une once d'originalité dans l'histoire qu'il en raconter : on découvre la protagoniste tueuse à gages chez elle (avec exercices physiques suivis de la douche, tout un symbole) et dans un même mouvement, on la voit exécuter une cible en découvrant qu'il y avait un petit garçon dans la chambre à côté. Absence total d'exposition, de contextualisation, de volonté d'immersion dans un univers donné. Le film n'a rien à dire et il ne prend même pas des pincettes pour l'afficher. La forme est bien gratinée mais le pire est aussi dans le fond, puisque cette tueuse de l'extrême se voit découvrir un instinct maternel, pour on ne sait quelle raison. Magnifique cliché de la femme-mère naturelle, sans qu'on sache pourquoi à ce moment de sa carrière (elle a dû en buter en pagaille des gens, et faire autant d'autres orphelins...) cet instinct devienne aussi inévitable. Rien qui ne soit interchangeable ici, les décors, les péripéties, les gunfights, les incohérences, la bêtise. Magnifique enchaînement de séquences qui voit la killeuse de l'enfer dégommer à tout-va dans tous les sens, faire des dizaines et des dizaines de victimes pour ensuite éprouver de l'affection pour ce pauvre petit gamin de 10 ans. Non seulement c'est très con, mais en plus c'est loin d'être nouveau — et prendre un casting noir n'y changera rien, c'est même sans doute la manifestation d'une forme d'opportunisme pas franchement ragoûtante.
Terminator : Dark Fate (2019)
2 h 08 min. Sortie : 23 octobre 2019. Action, Aventure, Science-fiction
Film de Tim Miller
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Cette saga, avec pourtant le retour de James Cameron après trois épisodes de qualité diverse mais tous aussi peu intéressants, amorce avec ce segment un incroyable virage écolo : on n'est pas loin du 100% recyclage. Un signe sidérant et effrayant de l'état de la machine à blockbuster hollywoodienne actuelle, engluée dans son manque d'inspiration et uniquement obnubilée par le tiroir-caisse. C'est ce qui domine, à l'issue de ces deux heures et quelques : la volonté évidente de ne déplaire à personne (ou plutôt de plaire à tout le monde, ce qui revient justement à déplaire à tout le monde). Il y a pour tout le monde, il y a à bouffer à tous les râteliers. Des stars des volets fondateurs qui font leur entrée remarquée : Linda Hamilton débarque tout de noir vêtue sur une autoroute et défonce une machine à coup de bazooka, quand Arnold Schwarzenegger fait son apparition inopinée sur la fin avec pour objectif principal d'afficher la thèse progressiste du film (il est devenu papa poule après avoir développé une forme de semi-conscience... heureusement qu'il manie son humour si singulier). De belles intentions... comme toujours, derrière les pires ratages.
Le pire, pour qui a nourri a jeunesse de VHS du deuxième Terminator, c'est de voir autant de signes de soumission répartis de manière uniforme. Il y aurait presque moyen de remonter la moitié du film de 1991 avec des bouts de celui-ci. Mais ce que les producteurs semblent majestueusement ignorer, c'est qu'il ne suffit pas de faire mille clins d'œil pour faire un bon film. Avec des effets spéciaux totalement gratuits partout, pour légitimer le budget. Quelques sursauts de nostalgie, mais rien de plus. Ainsi le nouveau méchant Terminator, une pâle copie de Robert Patrick avec son métal en fusion, incarné par un acteur au charisme d'huître qui n'inspire jamais vraiment de peur. Histoire de pas laisser apparaître le plagiat, on lui adjoint un exosquelette détachable : wahou, quelle innovation.
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