Lectures et commentaires (2017)
123 livres
créee il y a presque 8 ans · modifiée il y a environ 3 ansLes Soirées du hameau (1830)
Vecherá na jútore bliz Dikanki
Sortie : 1921 (France). Recueil de nouvelles
livre de Nicolas Gogol
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
11 décembre
16 décembre
(traduit du russe par Michel Aucouturier)
Parfois, on privilégie la lecture de certains livres à une certaine époque de l'année. Je voulais lire Les Soirées du Hameau vers le mois de décembre, au moment où la période des fêtes approchent. Il y a bien un côté festif dans ces nouvelles à la veine populaire que Gogol avait écrites pour se faire connaître, peut-être se faire un peu d'argent aussi. Mais Gogol étant Gogol, on ne doit malgré tout pas s'attendre à quelque chose de tout repos : quand il s'agit pas de sorcières, de revenants, de monstre ou du diable, le lecteur a affaire à des moujiks, ivrognes, commères ou saintes-nitouches plus sournois les uns que les autres. Surtout que Gogol sait déjà créer des ambiances fabuleuses, emportées, et s'il s'agit souvent de courtiser une belle ou de se venger de son père ou de son amant, le tout reste pas moins d'une subtile combinaison de joie, de terreur et de superstitions. Le lecteur entre dans les on-dits d'ancêtres jovials, et s'amuse avec lui des craintes et des défiances dans la vie de ces villageois ukrainiens.
"Sans doute vous est-il déjà arrivé d'entendre le fracas d'une cascade qui s'abat dans le lointain, lorsque les alentours en alarme se remplissent d'un sourd grondement et qu'un chaos de sons étranges et confus passe en tourbillonnant devant vous. Ce sont bien les mêmes sentiments, n'est-ce-pas, qui s'emparent instantanément de vous dans le tourbillon d'une foire villageoise, lorsque la foule ne forme plus qu'un seul être immense et monstrueux dont le corps tout entier palpite sur la place et dans les ruelles étroites, et crie, et caquète et gronde ? Le tintamarre, les jurons, les mugissements, les bêlements, les beuglements ― tout se fond en une rumeur discordante."
246 pages – NRF (Pléiade)
Le poisson-scorpion (1982)
Sortie : 1996 (France).
livre de Nicolas Bouvier
Elouan a mis 5/10.
Annotation :
8 décembre
11 décembre
Récit d'une rencontre manquée, d'une expédition de Bouvier tournant au vinaigre. J'entends qu'il a faillit en crever, malade comme un chien, qu'il en gardait surtout le souvenir d'une colonie d'insectes. Je découvre l'auteur avec ce texte en tout cas, sur quel compte mettre ma semi-déception ? Il y a l'écriture, mais on tourne un peu en rond, comme l'auteur dans sa chambre... rien qu'un mauvais souvenir ? On sent malgré tout que quelque chose se fomente, mais sans jamais se lâcher, je sais pas si moi, je me souviendrai de quoi que ce soit.
"J'en reste donc à la dernière où vous me dites que ce séjour ne me vaut rien, que l'Île est en train de me brûler les nerfs et qu'on ne peut faire façon de ce je vous adresse, que le lecteur occidental n'est pas préparé. Je veux bien, mais je voyage pour apprendre et personne ne m'avait appris ce que je découvre ici."
173 pages – Gallimard (Folio)
Mademoiselle Irnois, suivi de Adélaïde (1877)
Sortie : 1877 (France). Recueil de nouvelles
livre de Arthur de Gobineau
Elouan a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
4 décembre
9 décembre
Ceux qui ont lu Gobineau ― dont l'ami qui m'a prêté une édition de plusieurs de ses nouvelles ― disent tous que Mademoiselle Irnois est de loin, son meilleur texte. J'aurais en effet bien du mal à leur donner tort. Lisez donc Gobineau, rien que pour cette nouvelle aussi grinçante qu'émouvante, qui fait rire aussi par son ironie mordante. Gobineau possède délicieusement bien l'art d'écrire, même s'il s'est essentiellement consacré à autre chose, et qu'on a vite fait le tour de ses nouvelles.
331 pages – Gallimard (Folio)
La Vie d'un idiot et autres nouvelles
Sortie : 1987 (France). Recueil de nouvelles
livre de Ryûnosuke Akutagawa
Elouan a mis 9/10.
Annotation :
27 novembre
2 décembre
(traduit du japonais par Edwige de Chavanes)
Un fleuve, un bal, la disparition d’un maître (Bashô ou Sôseki), une errance parmi les livres et les rues, les nouvelles rassemblées ici s’étalent sur quinze ans de la courte vie d’Akutagawa. Elles tracent le portrait d’un génie à la fois lucide et hanté. Au fil des nouvelles les images suggérées perdent de leur netteté, elles se décomposent sous une lumière en clair-obscur : certaines parties sont visibles, d’une remarquable efficacité, même, et d’autres enfumées, déformées, dans le trouble et la tourmente. On flotte comme dans un rêve où la brume reste à la fois épaisse et ténue, comme par miracle.
"Mais au bout d’un moment, je fus pris de crampes à l’estomac. Il n’y avait qu’un verre de whisky pour conjurer la douleur. Je dénichai un bar et poussai la porte mais, sur le point d’entrer, j’aperçus dans le local exigu noyé dans la fumée des cigarettes, toute une bande jeunes artistes ― ils en avaient du moins l’allure ― attablé à boire de l’alcool ; au centre du groupe, une fille coiffée en bandeaux grattait de tous ses doigts les cordes d’une mandoline. Je reculai, soudain dérouté, et repris mon chemin sans entrer. Mais en marchant, je découvris brusquement que mon ombre vacillait d’un côté puis de l’autre ; et je me trouvais de surcroît ― sinistre augure ― sous une lumière rouge. Je restai cloué sur place : mon ombre n’en continuait pas moins à se balancer régulièrement d’un côté puis de l’autre. Je me retournai avec appréhension : j’aperçus alors, suspendue à l’auvent du bar, la lanterne de verre coloré qui oscillait doucement dans l’air tourmenté par le vent."
189 pages – Gallimard (Connaissance de l’Orient)
Barry Lyndon (1856)
Memoirs of Barry Lyndon, Esq., By Himself
Sortie : 1856. Roman
livre de William Makepeace Thackeray
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
22 novembre
30 novembre
(traduit de l’anglais par Léon de Wailly)
Si dans La Foire aux Vanités, Becky Sharp cherchait sans cesse à cacher sa malhonnêteté en séduisant les autres personnages du roman, c’est au lecteur que Barry Lyndon s’attaque. Barry est un narrateur qui prétend ne se soucier que de la vérité, son récit est cependant truffé de mensonges et d’ignominie. C’est là qu’on peut mesurer à quel point le personnage est pire que ce qu’il ne laisse découvrir. Le lecteur entrevoit le personnage avec les éléments qui ne lui sont révélés que tardivement, avec des zones d’ombres qui ne s’éclairent jamais. C’est son portrait que Thackeray, par jeu, laisse deviner à son lecteur, une sorte de Dorian Gray avec des procédés plus suggestifs. L’intrigue se concentre sur le seul Barry Lyndon, les autres personnages jouant le rôle de miroirs déformant ; dans La Foire aux Vanités, Thackeray avait multipliés ces portraits et facettes, et l’effet était plus riche. Dans ce roman, il y a des moments plus faibles que d’autres, sans doute par les propres artifices de Thackeray pour confier la narration à un personnage obsédé par son image, insistant à certains endroits pour la bichonner.
"Effrayez-la, étonnez-la par quelque trait d’audace, qui lui fasse voir votre indomptable résolution ; vous êtes homme à cela. Votre épée a une réputation en Europe, et vous avez un renom d’audace, qui est la première chose qui ait attiré sur vous les regards de milady Lyndon. Faites parler de vous à Dublin ; soyez aussi brillant et brave, et aussi bizarre que possible. Combien je voudrais être auprès de vous ! Vous n’avez pas l’imagination qu’il faut pour inventer le rôle que je voudrais vous faire jouer ; mais, pourquoi parler ? N’ai-je pas assez du monde et ses vanités ?"
426 pages – GF Flammarion
La Bouche pleine de terre (1972)
Usta puna zemlje
Sortie : janvier 2008 (France). Roman
livre de Branimir Šćepanović
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
24 novembre
25 novembre
(traduit du serbo-croate par Jean Descat)
Non loin de la frontière monténégrine, au milieu de terres désolées et des forêts, des gens font la « rencontre » avec une personne seule. C’est une rencontre ratée, ou évitée, car la personne en question n’aspire qu’à la solitude, si ce n’est à la mort. Du fait de cet évitement, ils le pourchassent, sans motif, dans la confusion et les émotions que leur inspire cette attitude inexplicable.
L’intrigue est aussi curieuse que limpide. Là-dessus Branimi Scepanovic se contente de raconter cette poursuite en laissant s’exprimer les différents protagonistes. La narration du texte possède deux articulations, deux faces, deux versions, celle de la foule poursuivante et celle du fugitif. Ce qui est difficile à comprendre c’est cette foule, cet agglutinement à partir de rien, une prise de liberté, une bizarrerie. Mais les images se concentrent sur cet homme qui court, et qui veut s’arrêter. Arrêter de vivre, c’est-à-dire figé le temps sur le bonheur, la beauté d’une vie qui ne se poursuit pas, si ce n’est mourir.
84 pages – L’Age d’Homme
Le Maître de Ballantrae (1889)
The Master of Ballantrae
Sortie : juin 2000 (France). Roman
livre de Robert Louis Stevenson
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
17 novembre
21 novembre
(traduit de l'anglais par Théo Varlet)
Avec Stevenson, l’aventure prend une tournure pleine de troubles, quelque chose de douteux s’insinue au cœur de cette adversité. Si le narrateur principal (Mackellar) tend à se présenter comme fiable, digne de confiance, il est à tout le moins pris à parti dans les événements, noyé dans cette tourbe d’émotions. De l’inquiétude à la fascination, en passant par la désespérance, l’effroi est contagieux.
"Je vis qu’il songeait, comme nous autres, surtout à l’honneur de la maison. A présent que tous les membres vivants de la famille étaient plongés dans une irrémédiable douleur, il était singulier de nous voir tous préoccupés de cette entité abstraite, la famille en soi, nous efforçant de soutenir le rien immatériel de sa réputation : non seulement les Duries, mais jusqu’à l’intendant à gages."
300 pages – GF Flammarion
L'Ancêtre (1983)
El entenado
Sortie : 11 janvier 2018 (France). Roman
livre de Juan José Saer
Elouan a mis 10/10.
Annotation :
10 novembre
16 novembre
(traduit de l'espagnol par Laure Bataillon)
Saer est merveilleusement bien traduit par Laure Bataillon, et c’est une chance, car le poème ― sous forme de récit d’années passées chez des êtres vivant d’amour et de chair fraîche ― est écrit dans un espagnol qui ne demande qu’à se transmettre dans toutes les langues, dans le monde entier. Saer refusait d’être constamment considéré comme un écrivain argentin, et on sent bien dans son livre qu’il voulait que le monde soit son pays. Vaste envergure… mais le livre mériterait bien qu’on dise de lui que c’est un chef d’œuvre de la littérature mondiale, et non seulement argentine (c'est mon sentiment, fort peu rationnel et un peu expéditif, mais y a qu'à vérifier en lisant !) Jouant avec une incertitude qui s’épaissit au fil des pages, il fait preuve d’une compréhension des choses si profonde, et intelligemment nourrie par des lectures qu’on imagine nombreuses, Proust, Swift, Dostoïevski, sans doute, ce n’est pas le sujet. Il approche la vie avec tout ce qu’elle comporte d’étrangeté, d’irréalité dans sa perception.
"L’apprentissage de la langue qu’ils parlaient m’était d’autant plus difficile qu’elle était rudimentaire. Un observateur passager aurait pu penser qu’elle se construisait au gré de celui qui la parlait. Plus tard je compris qu’il n’est jusqu’au caprice auquel notre intelligence n’impose des lois qui lui donnent l’apparence du savoir, et même en cela la vie des Indiens contrastait avec celle des autres hommes avec qui j’avais vécu et vivrais encore. Cette vie me laissa ― et la langue qu’ils parlaient n’était pas étrangère à cette sensation ― un goût de planète, de troupeau humain, de monde non pas infini mais inachevé, de vie indifférenciée et confuse, de matière aveugle et sans dessein, de firmament ouvert : comme d’autres disent de cendres."
200 pages – Le Tripode
Brefs entretiens avec des hommes hideux (1999)
Brief Interviews with Hideous Men
Sortie : 2005 (France). Recueil de nouvelles
livre de David Foster Wallace
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
1er novembre
10 novembre
(traduit de l'anglais par Julie et Jean-René Etienne)
L’écriture de DFW a ceci de très particulier, peut-être unique à ce point, d’être si élastique. Du plus ramassé, difficile à déchiffrer, à une faconde inépuisable qui file à l’accumulation, pousse et déplie des idées qui ne mènent à rien, si ce n’est un chaos insondable. Des idées d’hommes hideux, viscéralement construites par la normalité, l’inquiétude, la bêtise ou le fantasme etc… Le pessimisme sous-jacent de Wallace forme la force motrice de cet assemblage qui a un caractère très névralgique. L’œuvre est très pensée, mais n’atteint peut-être pas une forme aussi énergique et vivante que « L’Infinie Comédie »
"Mais ils devraient nettoyer le plongeoir. Il suffit d’y réfléchir une seconde, n’importe qui verrait qu’ils devraient nettoyer son extrémité de la peau des gens, des deux amas noirs du reste d’avant, de ces taches qui vues d’ici ont l’air d’yeux aveugles et louches.
Là où tu es maintenant, règnent calme et tranquillité. Vent radio cris éclaboussures, pas de ça ici. Ni temps ni bruit véritable, rien que le sang, qui couine à tes tempes.
Ici, au-dessus, c’est le lieu de la vue et de l’odorat. Les odeurs sont intimes, claires et neuves. Celle de la javel domine, mais de cette fleur spéciale montent jusqu’à toi d’autres choses, comme la neige sporée d’une herbe sauvage. Le jaune sombre du pop-corn. L’huile de bronzage sucrée comme de la noix de coco chaude. Les hot-dogs ou les épis de maïs. Un mince et cruel soupçon de Pepsi très foncé dans les gobelets en carton. Et l’odeur particulière de tonnes d’eau sortant de tonnes de peau, montant comme la vapeur d’un bain tout neuf. Chaleur animale. D’au-dessus, c’est plus réel que tout. "
439 pages – Au diable Vauvert
Le Livre de Monelle (1894)
Sortie : juin 1893 (France). Conte
livre de Marcel Schwob
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
2 novembre
5 novembre
Avec son écriture d'orfèvre, Schwob fait d'une figure féminine une sorte de poème en prose déstructuré, ou bien structuré à l'excès. Des tendres et fugaces apparitions de Monelle, maîtresse des rêves ou fille de taudis, s'invente et se réinventent, par la parole ou par des contes. Un livre que j'admire plus que je ne saurais aimer.
"- Voici, dit-elle, et tu verras le royaume, mais je ne sais si tu y entreras. Car je suis difficile à comprendre, sauf pour ceux qui ne comprennent pas ; et je suis difficile à saisir, sauf pour ceux qui ne saisissent plus ; et je suis difficile à reconnaître, sauf pour ceux qui n'ont point de souvenir. En vérité, voici que tu m'as, et tu ne m'as plus."
126 pages – Allia
Le Monde d'hier (1942)
(traduction Serge Niemetz)
Die Welt von Gestern. Erinnerungen eines Europäers
Sortie : 1942. Autobiographie & mémoires
livre de Stefan Zweig
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
26 octobre
5 novembre
(traduit de l'allemand par Serge Niémetz)
J'avais opté pour les mémoires de Schnitzler (Une jeunesse Viennoise) avant mon séjour à Vienne, j'aurais pu lire aussi Le Monde d'Hier, où Stefan Zweig décrit bien cette société idéale des amis, dans les cafés. C'est vraiment quelque chose qui donne à rêver. Zweig donne vie, avec beaucoup d'amour, à ces portraits de gens de lettres, Rilke entre tous. Cependant tout cela tourne comme on le sait au tragique, et là Zweig s'ingénie à faire le prof d'histoire, et ― je crois que je préfères ses fictions ― le livre tendait à me tomber des mains. On sent Zweig dépassé par son sujet, ça se comprend, mais il n'est pas sans l'aborder avec une certaine grandiloquence dont il finit par faire étalage plus que de son amitié.
"En dernière analyse, je crois qu'il est dû à un défaut de ma nature : au fait que je suis un lecteur impatient et plein de fougue. Toutes les redondances, toutes les mollesses, tout ce qui est vagues, indistinct et peu clair, tout ce qui est superflu et retarde le mouvement dans un roman, dans une biographie ou une discussion d'idées m'irrite. Seul un livre qui, constamment, page après page, se maintient au niveau le plus élevé et vous entraîne tout d'un trait jusqu'à la dernière sans vous laisser le temps de respirer me donne un plaisir sans mélange. Je trouve que les neuf dixièmes des livres qui me sont tombés sous la main tirent trop en longueur par des descriptions inutiles, des dialogues prolixes et des personnages secondaires dont on pourrait se passer, et sont par là trop peu passionnants, trop peu dynamiques."
506 pages – Belfond (Livre de poche)
Récits de la Kolyma (1980)
Édition intégrale
Kolymskiïé Rasskasy
Sortie : 2003 (France). Récit
livre de Varlam Chalamov
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
10 octobre
1er novembre
(traduit du russe par Sophie Benech, Catherine Fournier et Luba Jurgenson)
Ce qui m’a intrigué en feuilletant cet énorme livre, c’était que la place importante que Chalamov donne à la littérature dans son livre saute aux yeux. A la Kolyma, nous dit Chalamov, où tout est déshumanisé, elle semble au contraire n’avoir aucune place. On est par ailleurs bien trop occupé à survivre au milieu des truands et du travail forcé, d’un froid qui descend jusqu’à -60° C, des maladies et du manque évident de nourriture. Mais j’avais aussi envie de lire ce livre pour ce qu’il revêt de la perception d’une certaine réalité, qui est atroce. Je n’avais à ce moment-là pas d’autre envie. L’auteur prévient le lecteur que ce qu’il a vécu là-bas le dépasse, nous à plus forte raison encore.
Des petits morceaux sont reconstitués, dans un désordre chronologique et de répétitions. Le livre acquiert en quelque sorte une forme libre de mémoire aux limites humaines : quelques réflexions éparses ― il ne brille pas par sa dimension analytique malgré tout ― quelques épisodes. Notamment un, relaté dans un très beau récit intitulé "Marcel Proust"… Ce fantôme (dans le meilleur sens du terme, s’entend) a un éclat très particulier, très étrange et en tout cas lumineux au cœur de ce témoignage. Si justement la littérature n’a plus de place, ou presque plus, c’est au mieux en tant que souvenir. Dans des pénibles tentatives de réminiscences de sa vie avant le goulag, ou bien quand on « édite des rômans » pour des truands oisifs. Mais « au mieux, un souvenir » n’est-ce-pas déjà beaucoup ? La littérature devient pour Chalamov un moyen de redevenir humain, qu’il partage avec son lecteur dans une avidité palpable. Mais on se sent comme étranger, peut-être que l’expérience est trop radicale, même si nombre de ces récits sont émouvants.
1478 pages – Verdier
Étrange clair de lune & État d'esprit (1925)
Sortie : 15 juin 2016 (France). Poésie
livre de Conrad Aiken
Elouan a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
30 octobre
(traduit de l'anglais par Joëlle Naïm)
"Battre en retraite. Une retraite intégrale. Une retraite débandade. Prendre la fuite. Une fuite intégrale. Une fuite débandade.
Il marchait le long du trottoir, tête baissée, méditant, morose. Une pluie sans conséquence tambourinait sur son chapeau et ses épaules, maculait ses lunettes, laissait ici et là une source fraîche sur les joues et le menton. Dans une petite flaque sur les pavés, il remarqua une épingle à cheveux rouillée. Plus loin il vit encore une boucle rouillée, tombée d'une galoche. Parle-t-on d'une seule galoche ? Galoche et goulasch. Une autre épingle à cheveux. Des allumettes éteintes. Des mégots de cigarettes, jaunes à une extrémité, noirs à l'autre. Une boîte d'allumettes arborant l'image d'un navire. Du papier aluminium froissé.
C'est à cela que l'esprit ressemble ― à un trottoir jonché de flaques contenant des bricoles de ce genre. Ou bien à cette cave à découvert qu'il était en train de dépasser dont l'immeuble avait été soufflé"
46 pages – La Barque
Le marchand d'oiseaux
Sortie : 1936 (France). Roman
livre de Robert Brasillach
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
21 octobre
25 octobre
Paris, dans cette histoire de gens ordinaires ou malchanceux, paraît plus petit, presque une bourgade ("Que l'on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps", n'est-ce-pas ?)... Une bourgade achalandée par les émotions que Brasillach fait vivre et s'agiter par éclats, d'une écriture pleine d'énergie. Le parc Montsouris et ses alentours entre gaieté et tristesse, des commères, les rumeurs d'une aventure, d'une anecdote. Des enfants en perdition, dont on ne sait plus que faire. Là, quelque chose se passe ― j'ai l'air de faire des mystères, mais l'essentiel ne saurait être révélé, pas de spoil, donc ― mais tout retombe trop vite à plat, juste quand cette fable tranquille se transformait. On s'arrête finalement sur une couleur, une femme affligée mais silencieuse... tandis que la vie, pétulante mais routinière, continue.
"Marie Lepetitcorps était née dans un village de l'Yonne où son enfance s'était écoulée. Ses parents étaient fermiers, et vivaient dans une certaine aisance. Ils fournissaient le beurre à une pâtisserie qui fabriquait des galettes, célèbres dans toute la région, et dont on faisait grande vente, le lundi, au marché de Sens.
Parfois ― assez rarement, il est vrai ― Marie Lepetitcorps voyait surgir devant elle son village. Tout d'un coup, il se posait, un peu trouble, comme une surimpression malhabile, au coin de sa boutique, contre une rue parisienne. C'était bien lui. Elle n'avait même pas à fermer les yeux pour le revoir."
251 pages – Plon (Livre de poche)
Aquerò (2017)
Sortie : mars 2017 (France). Roman
livre de Marie Cosnay
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
18 octobre
22 octobre
Une poésie des intervalles, des visions, du corps et d'une solitude extrême. Marie Cosnay défragmente si bien la narration qu'il reste au lecteur des images prégnantes, portées par un souffle furtif, dérobé. On en sort avec l'impression d'une traversée très rapide, mais ébouriffante.
"Année 1974, sœur Saint-François me donne des pastilles Pulmoll, de l'aspirine et à lire, la vie de Bernadette Soubirous. Dans un trou de grotte on voit ce qu'on voit une fois pour toutes et après, c'est fini. Comment fait-on pour bien tomber ? A-t-on une idée de ce qu'il faut déployer pour tomber sur quelqu'un ou quelque chose, de ce qu'il faut déployer d'infiniment ingénieux pour tomber sur quelqu'un ou sur quelque chose de bien, quand on tombe on tombe et c'est tout, c'est une affaire, une sale affaire, ces airs qui se déploient avec force mouettes dans la lumière et on dégringole, tombe sur le pire qui soit."
113 pages – L'Ogre
Le Diable amoureux (1772)
Sortie : 1772 (France). Roman
livre de Jacques Cazotte
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
16 octobre
19 octobre
Une nouvelle qui gagne sans doute à être mise en scène, où le jeu serait de rendre tous les états d'Alvare en proie à une séduction diabolique. Une histoire qui aurait pu avoir sa place dans le Manuscrit trouvé à Saragosse, je me souviens que Potocki l'a évoqué à plusieurs reprises, et d'une certaine manière il l'a imité, en la pervertissant, la décuplant afin rendre les frontières entre le fantasme et la "réalité" plus incertaines, plus effrayantes (parler de réalité dans le cadre de ces deux œuvres reste très très étrange).
Car dans Le Diable Amoureux, tout se resserre sur une victime et son désarroi mental. Il passe de l'arrogance à l'amour, de l'amour à la soumission, de la soumission à l'épouvante. Jacques Cazotte vise à illustrer par écrit ce cauchemar avec un nombre de pages réduit, on sait qu'il voulait son récit beaucoup plus long, avec une deuxième partie qui a été supprimée... mais il ne croit pas que l'écrit puisse illustrer avec plus de force que le dessin toute la noirceur de cet imaginaire.
"Alors avec une voix à la douceur de laquelle la plus délicieuse musique ne saurait se comparer : «Ai-je fait, dit-elle, le bonheur de mon Alvare, comme il a fait le mien ? Mais non : je suis encore la seule heureuse : il le sera, je le veux ; je l'énivrerai de délices ; je le remplirai de sciences ; je l'élèverai au faîte des grandeurs. Voudras-tu, mon cœur, voudras-tu être la créature la plus privilégiée, te soumettre avec moi les hommes, les éléments, la nature entière ? »"
87 pages – Librio
La Lettre écarlate (1850)
(traduction Marie Canavaggia)
The Scarlett Letter
Sortie : 1977 (France). Roman
livre de Nathaniel Hawthorne
Elouan a mis 9/10.
Annotation :
9 octobre
16 octobre
(traduit de l'anglais par Marie Canavaggia)
C’est dit : Hawthorne est un magicien. Un A écarlate frappe la poitrine d’Hester Prynne, le A de l’« adultère ». Dans la ville de Salem au dix-septième siècle, on laisse entendre que ça pouvait être passible d’une condamnation à mort. Mais Hester est « épargnée » et c’est là-dessus que commence Hawthorne, s’attardant sur chaque protagoniste, comme un pasteur interrogeant les âmes. Tous les éléments jouent un rôle étrange, dans ce conte aux allures incertaines et automnales : la nature elle aussi vit, veinée par une eau triste ou troublée. Mais c’est aussi un temps contrasté par un personnage lumineux : La petite Pearl.
"Dans le pur exercice de sa fantaisie, toutefois, dans les folâtreries de son esprit en voie de développement, il n’y avait pas grand-chose de plus que ce que l’on peut observer chez les autres enfants brillamment doués, exceptés que Pearl, vu le manque de camarades de jeu, vivait davantage en la compagnie de la foule d’être imaginaires qu’elle créait. Le singulier, c’étaient les sentiments que la petite fille nourrissait envers ses rejetons de son cœur et de son esprit. Elle ne se créait jamais un ami mais semblait être toujours en train de semer les dents de dragons d’où jaillissait une armée d’ennemis contre lesquels elle parait en guerre. Il était inexprimablement triste ― et quelle inépuisable source de chagrin pour une mère qui en sentait la raison dans son propre cœur ― d’observer chez un être aussi jeune ce sentiment continuel d’avoir le monde contre soi, et de le voir s’entraîner, avec un tel déploiement d’énergie farouche, à faire triompher sa cause dans les combats à venir. "
368 pages – Folio
Imitation de la vie
Sortie : août 2017 (France). Roman
livre de Antoine Mouton
Elouan a mis 9/10.
Annotation :
11 octobre
15 octobre
Toujours d'une remarquable oralité, ici Antoine Mouton semble expulser un récit qui prend la forme d'une plaisanterie, sinon d'une tentative d'explication s'anéantissant à mesure que l'histoire devient fantastique, étrange. Une fêlure agit au cœur de ces comédies de couples, concubinages et cohabitations. Emir tente de recoller des morceaux, résultat d'une déchirure née d'un événement tragique, de l'indifférence, de la vie qui s'érige sur des disparitions. Le récit se fond dans un tournoiement d'absurdités, de rire, avec un effet cathartique très bien venu.
"Il ne dessinait plus. Les murs du salon était couverts de prospectus punaisés qu'il se contentait de rayer d'un, deux ou quatre traits (jamais trois) selon le dégoût qu'ils lui inspiraient. Le dégoût lui-même était une interprétation caduque, car François, quand je l'interrogeais à ce sujet, niait toute volonté d'avoir exprimé quelque chose qui fût de l'ordre d'une émotion. « J'organise les images que le monde m'envoie. » Telle était son oeuvre désormais. Il passait des heures, encastré dans son canapé, à observer les murs ainsi tapissés, élaborant à l'occasion une théorie macabre au sujet de la nouvelle piscine municipale (« une fosse commune », psalmodiait-il), des restaurants chinois et japonais, ou bien à peu près de n'importe quoi, « conspiration » était le mot revenant le plus régulièrement, à défaut d'inspiration, mettre un terme à son discours."
172 pages – Christian Bourgois
La Ville fond (2017)
Sortie : 7 septembre 2017. Roman
livre de Quentin Leclerc
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
6 octobre
10 octobre
Comme dans son premier roman, Quentin Leclerc s'attaque au post-apocalyptique, dans l'ambiance mais surtout dans une forme vicieuse et très bien rodée. Bram, un chauffeur de bus puis une cohue de villageois tentent d'atteindre la ville tandis que celle-ci fond, nous précise le narrateur. Curieux narrateur qui a manifestement un temps d'avance sur les personnages et son lecteur, et se contente d'allusions ainsi que de faire vivre le drame dans la perception d'un veuf égaré (si bien que tout pourrait plausiblement n'être qu'un rêve de ce dernier). De façon frénétique, QL multiplie les distorsions temporelles, il démontre à ce jeu des qualités évidentes. Seulement en ce qui me concerne tout cela m'a fait l'effet d'une série d'automatismes, malgré le tour obsessionnelle que ça prenait, malgré l'incursion de l'onirique, tout cela très rondement mené, mais lassant à la longue.
"La dévastation était telle que tous les vallons avaient été aplanis et qu'il aperçut au loin, à l'endroit du cimetière, la forêt, et d'autres forêts encore qui l'avoisinaient, et qui en formaient une seule et monumentale, une seule forêt qui avait remplacé toute la campagne sauf les ruines du village, ruines perdues au centre de cette forêt monumentale. Bram voulut avancer vers la forêt, quitter les ruines du village mais, à mesure qu'il quittait les ruines du village, les arbres de la forêt se volatilisaient, un par un ils s'évanouissaient, et rien ne les remplaçait, rien ne remplaçait le trou laissé par les arbres manquants, ce trou toujours plus grand à mesure que les arbres disparaissaient, à mesure que des morceaux de forêt disparaissaient, que la forêt en son entier disparaissait, cette forêt monumentale, à présent devant les yeux de Bram complètement disparue, et sans rien à sa place qu'un immense trou blanc dans le paysage, qu'une immense absence de forêt et de tout."
200 pages – L'Ogre
Les 21 jours d'un neurasthénique
Sortie : 1901 (France). Roman
livre de Octave Mirbeau
Elouan a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
1er octobre
8 octobre
Un livre qui rappelle la générosité d’un Jérôme K. Jérôme sur les subtiles impressions d’un échange avec l’auteur. Octave Mirbeau lui, nous déploie sur un ton à la fois blasé et pince-sans-rire, une foire. Foire aux vanités, cirques de personnages plus fous les uns que les autres, souvent monstrueux, des fourbes, des assassins, des brutes cyniques sans vergogne. Si parfois il donne à ses récits des teintes un peu tendancieuses, avec un coup de mou de courte durée dans deuxième moitié, c’est globalement des tonalités délicieuses, le tout servi par une somptueuse plume… alors, on balance un peu. Ce narrateur est en proie à une neurasthénie cependant qu’il provoque des ivresses de rire et par moments de beautés. Ces montagnes affreusement lassantes qui deviennent pour lui la promesse d’une tranquillité mortuaire…
"Autour de l’île, les basses sont poissonneuses, et abondent en congres et en homards. Petits, malingres, les hommes, à mufle de marsouin, pêchent. Quelquefois, ils vont vendre leur poisson à Audierne et à Douarnenez. Mais, la plupart du temps, ils l’échangent avec des steamers anglais contre du tabac et de l’eau-de-vie. Lorsque, par les trop grosses mers, ils se voient forcés de rester à terre, ils se saoulent. Ivresses souvent terribles et qui, sans raison, arrachent des poches les couteaux. Les femmes, en plus de semences et des récoltes dont elles ont la charge, et qui se font, comme elles peuvent, à la grâce de la nature, travaillent aux filets. Lentes, longues et pâles, de persistantes consanguinités les ont affinés jusqu’à les rendre jolies, mais de cette joliesse morbide que donne la chlorose. Les teints nacrés, les teints de fleurs étiolées, qui révèlent les pâleurs du sang et les décompositions séreuses, n’y sont point rares."
415 pages – L'Arbre Vengeur
Contes de pluie et de lune (1776)
Ugetsu Monogatari
Sortie : 22 juin 1956 (France). Recueil de contes
livre de Akinari Ueda
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
2 octobre
6 octobre
(traduit du japonais par René Sieffert)
A moins d'être un fin connaisseur de la culture japonaise – ce qui n'est pas mon cas – on entre dans ce livre très intimidé et le texte nous résiste dès l'abord. Cependant le texte happe, incorpore son lecteur dans sa masse brumeuse et nocturne, on est tout à fait privé d'omniscience. Associés à ces villageois terrorisés par des fantômes, avatars du vice, de la cruauté, de la maladie ou de symbole plus abstraits.
"L'espace défriché s'étendant sur un carré de cinquante chô de côté, ils ne pouvaient apercevoir la forêt mystérieuse. Comme c'était une terre bénie, d'où le moindre caillou avait été balayé, cet endroit se trouvait, bien entendu, loin des monastères, et l'on n'y entendait ni les voix qui récitaient les incantations, ni le bruit des clochettes ou des cannes à anneaux."
163 pages – Gallimard
Le Passe-Muraille (1943)
Sortie : 1943 (France). Recueil de nouvelles, Science-fiction
livre de Marcel Aymé
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
27 septembre
5 octobre
Difficile à noter tant mon appréciation a été inégale, selon les nouvelles. Celle qui donne le titre au livre est une excellente idée, où comment imaginer le rôle imposant des murs dans une nouvelle comique et légère. Dans les autres nouvelles, des aberrations administratives ou temporelles, comme cet homme qui se retrouve bloqué plus de vingt ans en arrière, en pleine occupation allemande. Ou des aventures d'écoliers, l'histoire d'un devoir à rendre ou celle d'une escapade pour des bottes magiques. Tout ce qu'il faut pour occasionner des situations cocasses où l'ironie de Marcel Aymé s'exprime sur un ton jovial mélangé d'anxiété. Ce n'est cependant pas toujours très efficace, c'est même parfois assez ennuyeux, le récit retombe souvent très facilement sur ses pieds, ne va pas plus loin et exécute une cabriole similaire à la nouvelle suivante.
"– Et puis je ne t'ai pas dit, c'est arrivé hier tantôt. Le chien de Mlle Larrisson est crevé. Pauvre Flic, ce n'était pas une mauvaise bête, mais puisqu'il est mort, autant que ce soit nous qui en profitions. A partir de maintenant, je pourrai emporter les restes de Mlle Larrisson. Elle me l'a offert gentiment."
222 pages – Gallimard (Folio)
Hommes, bois et abeilles
Sortie : 28 août 2001 (France). Essai
livre de Mario Rigoni Stern
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
27 septembre
1er octobre
(traduit de l'italien par Monique Baccelli)
On sent bien que Mario Rigoni Stern est l'amoureux d'Asiago, de la terre et de ses montagnes qu'on a décrit. L'auteur s'était trouvé séparé de cette région, avec laquelle il entretenait un rapport privilégié, du fait de la guerre et de son emprisonnement. Par l'entremise de plusieurs récits sur des métiers disparus, le livre devient une sorte d'ode au pays retrouvé, automnal puis hivernal. Une nostalgie trop sentimentaliste enserre une écriture ― traduite d'une façon admirable ― qui d'un autre côté donne l'impression d'une cascade aux images prégnantes et saisissantes.
"Pour commencer, on tirait la pierre des débris de moraine, puis les hommes apprirent à extraire les strates des roches sédimentaires et avec les éclats ils construisirent les enclos des animaux et couvrirent leurs toits. Sur mes montagnes, le long des anciennes routes de transhumance ou autour des prés, on voit encore, enfoncées dans le terrain, ces plaques de calcaire que le temps et les lichens ont rendues gris-brun, où les abeilles des murailles vont faire leur nid, et au pied desquelles, entre l'herbe et la mousse, l'alouette et le tarier font le leur."
154 pages – La fosse aux ours
La Préparation du roman (2015)
Cours et séminaires au collège de France, 1978-1979 et 1979-1980
Sortie : 22 octobre 2015. Essai
livre de Roland Barthes
Elouan a mis 9/10.
Annotation :
10 septembre
28 septembre
Roland Barthes se fait prodigue à propos d'une multitude d'éléments liés à l'écriture et à la lecture, des idées, des auteurs, des pratiques, un rapport très personnel au livre qu'il décortique, et que le lecteur peut comparer à sa propre expérience. C'était une lecture qui devenait très intéressante pour moi (non seulement pendant, mais avant de commencer l'ouvrage) du fait de ce besoin d'écrire qui me colle presque malgré moi. Le cours de Barthes s'enrichie aussi d'un documentaire précieux sur cette question : Comment d'autres écrivains vivaient cette pratique de l'écriture ? On ne s'étonne pas de l'omniprésence de Proust, que Barthes admire, on goûte à la puissance des images vraies chez certains haïkistes, Matsuo Bashô et Masaoka Shiki, surtout eux. Une lecture très riche, qui peut permettre d'identifier ses difficultés, et avant tout d'être à l'affût d'une hygiène de vie, de ce qui rend possible (si c'est possible) un travail à la fois rigoureux et détaché.
« ...eh bien je regrette toujours que dans ces cas, on ne pense pas "livre" justement. Il faut penser "livre". Ce n'est pas la peine d'écrire, si on ne pense pas livre. Ecrire, c'est voir le livre, c'est avoir une vision du livre, une vision typographique même presque du livre, et la devise, c'est toujours : A l'horizon, le livre. Kafka avait au livre une sorte de rapport physique ; il explique qu'il y a une chose sûre en lui qui est précisément son "avidité pour les livres" ; il ne veut pas tant les posséder ou les lire que les voir (même dans la vitrine d'un libraire), c'est-à-dire se convaincre de leur existence ; une sorte d'appétit dévoyé. »
608 pages – Seuil
La Trilogie Sebastián Dun (1988)
Sebastián Dun - La Conspiración de los porteros - Imagineta
Sortie : 2007 (France). Roman
livre de Ricardo Colautti
Elouan l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
21 septembre
26 septembre
(traduit de l'espagnol par Guillaume Contré)
La Trilogie Sebastián Dun se lit d'une traite (autant que faire se peut pour ma part) en trois étapes. Sebastián Dun, La conspiration des concierges, Imagineta. On retrouve le personnage éponyme du titre de la première nouvelle dans les deux autres. La vie de ces personnages faites de ratages et d'incompréhension, est comme survoltée. On peut penser à Saer. Peut-être à Svevo aussi d'une certaine manière. On ne peut que remarquer un fil rouge de plus en plus étrange et déconcertant du triptyque. La prose nerveuse et drolatique de Colautti est contagieuse, ce qui donne une impression d'un tour de force, un coup de génie, mais peut-être pas d'une si grande portée pour que la mémoire le transforme et s'en nourrisse. Je ne peux pas savoir de quelle manière je vais m'en souvenir, peut-être comme d'une excellente fête, mais monstrueuse sur les bords.
"Tu portas ta main à terre et en tira une vipère verdâtre. Tu l'enroulas autour de nos cous et nous nous embrassâmes ; et après nous être embrassés un bon moment tu me dis : « C'est ainsi qu'on s'embrasse dans la forêt. » A cet instant, la vipère essaya de me mordre et je fis un bond en arrière. Je tombai sur une fourmilière géante. Avec un bout de bois, je fis un trait sur la terre noire. Les fourmis marchèrent en ordre en suivant le trait. A mesure qu'elles ingéraient de la verdure, leur poids et leur taille augmentaient. Les pas des fourmis transformaient la forêt en désert. Je continuai de courir avec le bout de bois. La forêt s'acheva, le désert s'ouvrir et derrière moi il y avait également le désert qu'avaient laissé les fourmis. Le soleil ouvrait des crevasses si profondes que la vue se perdait dedans. La poussière se fourrait dans mes yeux. Je la serrai avec les dents, un jet d'eau chaude en gicla. Il ne parvint pas à toucher la terre, car il s'évapora et forma un nuage au-dessus de ma tête ; il plut et les gouttes s'évaporaient avant de toucher terre."
200 pages – L'Ogre
Vilnius Poker (1989)
Sortie : 19 février 2015 (France). Roman
livre de Ricardas Gavelis
Elouan a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
15 septembre
24 septembre
(traduit du lituanien par Margarita Le Borgne)
Un autre roman qui se dresse comme une ville-livre, où les rues sombres forment ensemble un labyrinthe. Une question se maintient avec une force obsédante et donne au titre tout son sens ; Qui croire ou que croire ? Vilnius prend corps de la même façon que Petersbourg chez Gogol ou Bucarest dans la trilogie Orbitor de Mircea Cartarescu (Il y aurait beaucoup d’autres exemples à évoquer). Mais alors que Bucarest prenait une forme franchement délirante, franchement fantastique, c’est plus ambigu pour Vilnius.
L’ambiance est si sombre qu’elle paraît presque irréelle, invraisemblable, mais ne peut pas être complètement noire pour cette raison : La réalité survit autant que la perception de personnages patibulaires, déprimés ou alcoolique le permet. Pourtant on sent bien que cette Vilnius fantomatique est un portrait lucide pour ne pas dire désillusionné de l’homo lithuanicus et à plus forte raison de l’homo sovieticus, de toute l’humanité réduite à un silence stupide. Une musique grisante se dégage de ce roman habilement construit, va directement au cœur d’une certaine manière. Même s’il peut en prendre plein la gueule, parce que le récit est quand même dégoûtant parfois. Mais étrangement pas rebutant, à deux ou trois épisodes près. La troisième partie est peut-être un peu décevante par rapport au reste.
"Je n'ai jamais aimé les mathématiques et pourtant j'étais topologue, principalement parce que c'était pratique et sécurisant. C'est aussi la raison pour laquelle je revenais sans cesse à cette macabre et bien-aimée Vilnius. J'avais peur qu'en m'installant ailleurs, je découvre soudain que j'aurais pu, que j'aurais dû, devenir quelqu'un d'autre, mais que c'était trop tard. J'avais peur de me retourner et d'apercevoir mes vies possibles, celles que j'ai dilapidées. Alors je revenais toujours ici où je ne pouvais être rien d'autre qu'un mathématicien. Seulement, une peur encore plus terrible s'emparait de moi à chaque retour : je me rendais compte que j'étais en train de gâcher, irrémédiablement, toutes mes autres vives. J'avais si peur de quitter ces murs, ces rues... n'importe où ailleurs, j'aurais immédiatement découvert une quantité de mes avenirs déjà morts et enterrés, une multitude de possibles avortés."
541 pages – Monsieur Toussaint Louverture
Henri d'Ofterdingen (1802)
(traduction Armel Guerne)
Heinrich von Ofterdingen : Ein Roman
Sortie : 6 octobre 1997 (France). Roman
livre de Novalis
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
13 septembre
19 septembre
(traduit de l'allemand par Armel Guerne)
"Henri d'Ofterdingen : un roman" est inachevé, et on sent qu'on a perdu ce qui aurait pu être une oeuvre beaucoup plus conséquente. "Art du roman : le Roman ne devait-il pas embrasser toutes les espèces de styles dans une succession diversement liée à l'esprit commun ?" Ce qu'on appelle parfois le "roman total" absorbant toutes choses bonnes pour alimenter sa matière se trouvait déjà chez Novalis. Mais ça tient à si peu de choses, le fait que pour autant, je n'ai pas adoré. Je ne peux que reconnaître la profondeur, cette foi en la poésie qui irradie les choses et les êtres, mais je n'ai pas été transporté. Tandis que les traits d'une remarquable pensée surnagent, il y a le sentiment d'une redondance qui monte, qui fait que je me disais avoir compris au bout de cinquante pages. Le récit du grand-père Schwaning au chapitre neuf, a réveillé mon intérêt. Sans doute à relire plus tard.
"Quel dommage que les hommes soient si peu nombreux à se dire qu'on peut acquérir, dans sa vie intérieure, la liberté et l'habileté de mouvement, tout en s'assurant, par une juste distinction, la plus naturelle et la plus efficace utilisation pratique de ces forces intérieures ! Alors que d'ordinaire, l'une empêchant l'autre, la pesante inertie qui peu à peu en résulte est finalement telle que le jour où l'on veut se lever en faisant jouer d'un coup toutes ses forces assemblées, on déclenche en soi un énorme conflit et un formidable désordre où tout se contrecarre, s'empêtre, s'empêche et s'annihile dans un écroulement d'inaptitude. Je ne saurais trop vous recommander de cultiver et d'entretenir avec ardeur et grande application votre raison et les légitimes curiosités de votre intelligence, qui veut savoir le comment des choses, la logique qui les enchaîne selon les lois de cause à effet."
249 pages – L'Imaginaire (Gallimard)
Centurie (1979)
Centuria. Cento piccoli romanzi fiume
Sortie : 8 octobre 2015 (France). Roman
livre de Giorgio Manganelli
Elouan a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
9 septembre
14 septembre
(traduit de l'italien par Jean-baptiste Para)
Les cent "romans fleuves" de Manganelli sont contenus dans un très bel ouvrage édité chez Cent pages (il en fait 216, c'est écrit au dos parce que les pages ne sont pas numérotés à l'intérieur) avec le texte écrit sur la page de droite, avec une pousse de chiffres en lettres qui partant du haut de la page s'écoule pour rejoindre le bas de la page de gauche. Cent textes qui se déplient en perspective, faits de surfaces que l'on contourne pour observer les formes géométriques ainsi fabriquées... perspectives infinis formant in fine un corps. Le corps dans son humaine solitude, intranquille et désamouré, s'enfonçant les ongles dans la chaire pour sentir la réalité, tandis qu'au dehors elle est un carnage ; il rêve de fées et de fantômes, se demande si être mort depuis une minute ou l'être depuis cent millions d'années fait une différence... Les romans de Manganelli donnent une impression de flottement, d'une grande tendresse ; imaginez un Borges possédé par l'esprit de Gogol.
"Un écrivain écrit un livre sur un écrivain qui écrit deux livres, l'un et l'autre sur un autre écrivain, dont l'un écrit parce qu'il aime la vérité, l'autre parce qu'elle lui est indifférente. De la plume de ces deux écrivains sortent au total vingt-deux livres où l'on parle de vingt-deux écrivains dont certains mentent sans le savoir, certains mentent en le sachant, certains cherchent la vérité en sachant ne pouvoir la trouver, certains croient l'avoir trouvée, d'autres encore croyaient l'avoir trouvée mais commencent à en douter. Les vingt-deux écrivains produisent au total trois cent quarante-quatre livres où l'on parle de cinq cent neuf écrivains, étant donné qu'en plus d'un livre un écrivain épouse une femme écrivain, et ont entre trois et six enfants, tous écrivains [...]"
216 pages – Cent pages
Charulata
Nastanirh
Sortie : 1913 (France). Roman
livre de Rabindranath Tagore
Elouan a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
8 septembre
10 septembre
(traduit du bengali par France Bhattacharya)
L'air de rien, d'énormes malentendus voltigent au-dessus des têtes de cette famille. A commencer par cette naïveté de Bhupati, qui croit que des liens censément engagés par un mariage vont de soi, et qu'il nécessite pas d'être présent pour que ces liens ne se délitent pas. Châru et Amal s'attache entre eux, mais l'une par idéalisme et l'autre par désinvolture. Le récit se passe bien d'analyse, tissant tranquillement sa toile en proposant à son lecteur quelques moments de la journée, quelques mouvements, quelques paroles, l'expression de sentiments ou de ressentiments de l'un ou de l'autre partagés avec le lecteur, mais pas avec les autres personnages.
"Bhupati se glorifiait de ne rien comprendre à la poésie. Toutefois, même s'il n'avait pas lu jusqu'au bout les écrits d'Amal, il éprouvait pour lui de l'estime. « Il n'a rien à dire, pensa-t-il, et pourtant il enchaîne les mots les uns aux autres. Moi, j'en serais incapable, même en me tapant la tête. Qui aurait pu imaginer qu'Amal en était capable ! » L'époux de Châru ne se considérait pas comme un fin lettré mais il n'était pas pour autant avare envers les belles lettres. Il donnait aux écrivains pauvres de quoi faire imprimer leurs livres à la seule condition que leurs ouvrages ne lui soient pas dédiés. Il achetait tous les hebdomadaires et les mensuels en bengali, grands et petits, connus ou inconnus, lisibles ou illisibles. « Je ne les lis déjà pas, disait-il ; si, en plus, je ne les achetais pas, ce serait commettre un péché et ne pas faire pénitence. »"
128 pages – Zulma
Le Nom de la rose (1980)
Il Nome della rosa
Sortie : 1982 (France). Roman
livre de Umberto Eco
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
20 aout
10 septembre
(traduit de l'italien par Jean-Noël Schifano)
Le Nom de la Rose se donne de bons arguments. Une enquête tout à fait prenante, haletante, au cœur d’un moyen-âge où la connaissance, comme l’humour, ne sont plus en odeur de sainteté. Une vaste bibliothèque, renfermant les trésors livresques des temps et des lieux les plus reculés, interdite d’accès ― ce qui révèle d’autant mieux son ampleur et son mystère ― nos deux personnages, un ex-inquisiteur et son secrétaire, qui en bravent l’accès et se perdent dans des labyrinthes obscurs. Une grande richesse, des livres secrets qui communiquent entre eux, tous contenus dans le dogmatisme inquiet d’un christianisme vindicatif et austère… Le Nom de la Rose ne transcende pas non plus son écrin : le roman d’aventure, on y reconnaît tout de même un amour palpable pour la connaissance.
Un petit huit, histoire de ne pas mettre 7.
"Il y avait, dans un reliquaire tout d’aigue-marine, un clou de la croix. Il y avait dans une ampoule, posée sur un lit de petites roses fanées, une partie de la couronne d’épines, et dans une autre boîte, toujours sur un tapis de fleurs fanées, un lambeau jauni de la nappe de la dernière Cène. Et puis il y avait la bourse de Saint Matthieu, en mailles d’argent, et dans un cylindre, noué par un ruban violet élimé par le temps et scellé d’or, un os du bras de Sainte Anne. Je vis, merveille des merveilles, surmonté d’une cloche de verre et placé sur un coussin rouge festonné de perles, un fragment de la mangeoire de Bethléem, et un empan de la tunique purpurine de Saint Jean l’Evangéliste, deux des chaînes qui serrèrent les chevilles de l’apôtre Pierre à Rome, le crâne de saint Adalbert, l’épée de saint Etienne, un tibia de Sainte Marguerite, un doigt de Saint Vital, une côte de Sainte Sophie, le menton de Saint Eoban, la partie supérieure de l’omoplate de saint Jean Chrysostome, une dent de saint Jean-Baptiste, la verge de Moïse, un point de dentelle déchiré et minuscule de l’habit nuptial de la Vierge Marie. "
625 pages – Grasset (Livre de poche)