Words (2017)
“One day I will find the right words, and they will be simple.” – Jack Kerouac, The Dharma Bums
2016 (22) : http://www.senscritique.com/liste/Words_2016/1146909
2015 (26) : http://www.senscritique.com/liste/Words_2015/759578
2014 ...
23 livres
créée il y a presque 8 ans · modifiée il y a presque 2 ansÀ l'est d'Eden (1952)
East of Eden
Sortie : 19 septembre 1952 (États-Unis). Roman
livre de John Steinbeck
Paul_ a mis 9/10.
Annotation :
Finalement, la seule faille que l'on pourrait trouver au roman serait presque celle d'être trop parfait. C'est d'ailleurs un peu le reproche qui a été formulé à l'auteur lors de sa sortie en 1952 : comment croire à la sagesse des paroles proférées par de modestes paysans perdus au fin fond d'une vallée de Californie ? Mais si l'on perd peut-être en authenticité, le lecteur y consent par un de ces pactes romanesques qui fait nicher la vérité dans l'artifice. Dans cette intrigue, d'abord, s'étendant sur plusieurs générations, qui fait se recouper les trajectoires de chacun des personnages, architecture trop bien parachevée pour ne pas forcer un peu l'admiration. Artifice aussi dans la caractérisation des personnages, celui de Cathy en tête – trop mauvaise pour être vraisemblable, ou trop romanesque pour être véritablement mauvaise ? Un "vrai" grand roman pour mon premier Steinbeck, j'ai maintenant hâte de le voir à l'œuvre sur une matière plus brute et un format plus resserré.
Et j'ai oublié de parler de cet épigraphe :
« Dear Pat,
You came upon me carving some kind of little figure out of wood and you said, "Why don't you make something for me?"
I asked you what you wanted, and you said, "A box."
'"What for?"
"To put things in."
"What things?"
"Whatever you have", you said.
Well, here's your box. Nearly everything I have is in it, and it is not full. Pain and excitement are in it, and feeling good or bad and evil thoughts and good thoughts – the pleasure of design and some despair and the indescribable joy of creation.
And on top of these are all the gratitude and love I have for you.
And still the box is not full.
John ».
Papiers collés
Sortie : 1960 (France). Essai
livre de Georges Perros
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Des aphorismes plus ou moins longs, parfois brillants mais qui s'enfoncent souvent dans une sorte de solipsisme plombant. À lire par petites doses pour ne pas sombrer. Cioran, lui, compensait au moins avec un peu d'humour.
« Le meurtre, ou l'accident, donnent un sens au passé ; un sens qu'il n'avait et ne pouvait avoir. On ne peut pas vivre si l'on n'attend pas un événement qui va donner au geste présent une signification totale qu'il est incapable de rendre sur le moment. L'inspiration n'est pas autre chose que cet éclairage privilégié d'un lieu apparemment sans mystère. Autrement dit, vivre, c'est espérer vivre, c'est attendre. S'attendre à vivre. On vit pour vivre. On est forcé d'être là, comme un esclave, pour qu'un jour peut-être se déclare la présence d'un conquérant. Vivre, c'est rager, c'est faire sans cesse des enfants sans savoir si le sperme a porté au bon endroit. »
Le Dictionnaire des idées reçues (1913)
suivi de : Le Catalogue des idées chic
Sortie : 1913 (France). Essai, Humour
livre de Gustave Flaubert
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
L'idée comme la réalisation sont géniales. La précise concision de la forme du dictionnaire permet à Flaubert d'y faire virevolter sa plume acérée. On n'a qu'une envie, celle d'en faire un remake contemporain.
.........
« SOUPIR – Doit s'exhaler près d'une femme. »
Les Saisons (1965)
Sortie : 1965 (France). Roman
livre de Maurice Pons
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
On pense à Céline évidemment, mais Pons pousse l'abject encore plus loin si c'est possible, il se complaît dans la boue comme un chercheur d'or qui aurait oublié ce qu'il y cherchait. La cohérence du microcosme qu'il décrit est impressionnante et on en vient à accompagner Simeon dans ses putrides péripéties avec un plaisir dont on ne veut pas connaître les raisons.
Albertine disparue (1925)
À la recherche du temps perdu / 6
Sortie : 1925 (France). Roman
livre de Marcel Proust
Paul_ a mis 10/10.
Annotation :
Proust plus thérapeute que jamais – à lire pendant une séparation. Alors oui, on approche de la fin, Marcel n'a plus le temps de se relire, il y a des redites, des incohérences, des twists invraisemblables, mais on s'en fout ! L'essentiel est ailleurs : dans cette phrase qui épouse la forme sans cesse changeante du temps, qui n'est pas le temps linéaire que disent les horloges mais bien celui dont le rythme est dicté par nos seuls sentiments, temps retors, temps fuyant, comme l'eau qui coule entre nos doigts.
.........
« Je revoyais Albertine s'asseyant à son pianola, rose sous ses cheveux noirs ; je sentais, sur mes lèvres qu'elle essayait d'écarter, sa langue, sa langue maternelle, incomestible, nourricière et sainte dont la flamme et la rosée secrètes faisaient que, même quand Albertine la faisait seulement glisser à la surface de mon cou, de mon ventre, ces caresses superficielles mais en quelque sorte faites par l'intérieur de sa chair, extériorisé comme une étoffe qui montrerait sa doublure, prenaient, même dans les attouchements les plus externes, comme la mystérieuse douceur d'une pénétration. »
Les Armes secrètes (1959)
(version augmentée)
Las Armas secretas
Sortie : 1963 (France). Recueil de nouvelles
livre de Julio Cortázar
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Deux premières nouvelles assez anecdotiques et puis on rentre en plein dedans avec Les Fils de la vierge (qui a inspiré Antonioni pour Blow-Up) et surtout L'Homme à l'affût, merveilleux riff littéraire en hommage au saxophoniste Charlie Parker. Il faut lire ces textes frénétiquement, pour tenter – et tenter seulement – de dissiper cette subtile brume qui se glisse entre passé et présent, rêves et réalité.
Pnine (1957)
Pnin
Sortie : septembre 2005 (France). Roman
livre de Vladimir Nabokov
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
J'ai eu peur avec les premières pages : le mauvais Nabokov, lourd quand il se veut léger, ses adverbes pesants quand ils peuvent être par ailleurs si gracieux. Mais tranquillement le charme prend, on retrouve notamment cet art du détail et cet humour pince-sans-rire caractéristiques. Sans doute le livre le plus modeste du maître, écrit entre deux chapitres de Lolita et si l'on perd en envergure stylistique et narrative, on gagne une attention au quotidien et au banal ainsi qu'une certaine empathie auxquelles Nabokov nous avait peu habitués.
.........
« He was afraid of touching his own wrist. He never attempted to sleep on his left side, even in those dismal hours of the night when the insomniac longs for a third side after trying the two he has. »
Lettres à Milena
Sortie : 1952 (France). Récit
livre de Franz Kafka
Paul_ a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Voir ma critique.
Notes sur le cinématographe (1975)
Sortie : 1975 (France). Aphorismes & pensées, Cinéma & télévision
livre de Robert Bresson
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
La profession de foi de l'un des premiers ayant véritablement vu dans le "cinématographe" un art à part entière, qui doive obéir à ses propres règles. L'importance du montage, du son, du jeu, ou plutôt du non-jeu – du film, non tel qu'une pièce de théâtre sur pellicule, mais comme retouche du réel avec le réel.
.........
« Caméra et magnétophone, emmenez-moi loin de l'intelligence qui complique tout. »
Austerlitz (2001)
Sortie : 2001 (France). Roman
livre de W.G. Sebald
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Quelque part entre Proust pour la réflexion sur la mémoire, Borges pour l'érudition et les échos labyrinthiques, Bernhard pour les discours rapportés, ou encore Marker pour la forme du roman-photo. Rien que ça. Mais malgré tout, Sebald comme son personnage parvient à trouver une identité qui lui est propre, un charme singulier. Il faut bien percer un bon nombre de pages touffues, harassantes parfois, notamment tout ce bloc central évoquant la Shoah, mais je crois que le lecteur s'en voit récompensé par des impressions aussi fugitives que précieuses et, du fait de ces voyages incessants dans l'espace et le temps, par une sensation de vertige sans pareille.
.........
« Chaque fois, quand nous étions de retour à l'appartement, il me fallait te lire, malgré que tu le connaisses par cœur de la première à la dernière ligne, le passage de ton livre favori où il était question de l'alternance des saisons, dit Věra, avant d'ajouter qu'en particulier je ne me serais jamais lassé de regarder les images d'hiver, les perdrix, lièvres et chevreuils figés de stupeur devant le paysage couvert de neige fraîchement tombée ; et régulièrement, ajouta-t-elle, dit Austerlitz, quand nous en arrivions à la page où il est dit que la neige traverse le couvert des arbres et que bientôt son poudroiement tapissera tout le sol de la forêt, je levais les yeux vers elle et lui demandais : mais quand tout sera blanc, comment les écureuils feront-ils pour savoir où ils ont caché leurs provisions ? Ale když všechno zakryje snih, jak veverky najdou to misto, kde si schovaly zásoby ? C'est ainsi, dit Věra, que je formulais toujours la question qui ne cessait de m'obséder. Oui, comment les écureuils le savent-ils, et que savons-nous au juste, et comment faisons-nous pour nous souvenir, et que de choses ne déterrons-nous pas en définitive ? »
Le dépays (1982)
Sortie : 1982 (France). Culture & société, Récit
livre de Chris Marker
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Les photos sont sublimes, le texte un peu plus anecdotique. L'esprit Marker est bien présent mais c'est comme s'il manquait une idée directrice, un flux intérieur qui puisse donner plus de consistance à l'ensemble. Prises une à une les phrases sont très belles mais une alchimie fait défaut – peut-être celle du montage ? Marker est meilleur cinéaste qu'écrivain, et c'est tant mieux ainsi.
.........
https://chrismarker.org/wp-content/uploads/2016/10/LeDpaysChrisMarker1982-reduced.pdf
Le Temps retrouvé (1927)
À la recherche du temps perdu / 7
Sortie : 1927 (France). Roman
livre de Marcel Proust
Paul_ a mis 10/10.
Annotation :
Difficile voire impossible de ne pas avoir envie de parler de soi quand on veut évoquer Proust – j'ai par exemple remarqué que ma mémoire garde pour chaque tome de La Recherche un souvenir très précis de lecture, qui me fait revivre le lieu et les circonstances de ma vie au moment où je les lisais – alors, une fois cet accès d'impudeur réfréné, que dire qui n'ait pas déjà été dit ? Le Temps retrouvé a le grand mérite de balayer d'un revers de la main l'ultime reproche que l'on pouvait réserver à Marcel qui, décidément, avait encore une fois tout prévu. Ce reproche tient dans le mot sublime de Céline : "Proust, mi‑revenant lui‑même, s’est perdu avec une extraordinaire ténacité dans l’infini, la diluante futilité des rites et démarches qui s’entortillent autour des gens du monde, gens du vide, fantômes de désirs, partouzards indécis attendant leur Watteau toujours, chercheurs sans entrain d’improbables Cythères." Cette attaque constitue en réalité le plus beau compliment que l'on puisse faire à Proust – il faut lire ce septième volume pour s'en rendre compte et c'est là que Céline se trompe – qui, alors qu'on pouvait en effet le croire perdu dans le monde, englouti par son sujet, en est bien revenu et, plus encore, s'en détache avec un recul et une lucidité qui achèveront de convaincre ceux qui voyaient encore en son œuvre la vulgaire et complaisante chronique d'un milieu mondain. Tous ces êtres qui ont défilé devant les yeux du narrateur, y compris les êtres qu'il a aimés, "n'ont fait en fin de compte que poser pour lui comme chez les peintres" : la vie, en somme, n'était que le prétexte à une œuvre qui en a dégagé les vérités. C'est pourquoi le projet de La Recherche ne peut véritablement prendre sens qu'à la lecture de ses dernières pages, dans lesquelles jamais écrivain n'aura autant fait en sorte que son lecteur soit à la fois brûlant du désir d'écrire et en même temps complètement découragé devant l'ampleur du livre qu'il tient entre les mains. Comme si tout avait été dit.
.........
« Car ils ne seraient pas, selon moi, mes lecteurs, mais les propres lecteurs d'eux-mêmes, mon livre n'étant qu'une sorte de ces verres grossissants comme ceux que tendait à un acheteur l'opticien de Combray ; mon livre, grâce auquel je leur fournirais le moyen de lire en eux-mêmes. De sorte que je ne leur demanderais pas de me louer ou de me dénigrer, mais seulement de me dire si c'est bien cela, si les mots qu'ils lisent en eux-mêmes sont bien ceux que j'ai écrits. »
Un certain M. Piekielny (2017)
Sortie : 17 août 2017. Roman
livre de François-Henri Désérable
Paul_ a mis 5/10.
Annotation :
[Prix du Roman des étudiants France Culture-Télérama]
Pour continuer de prendre le pouls des sorties littéraires du moment.
Où l'on apprend des anecdotes sur Romain Gary, c'est toujours ça de pris. Parce qu'entre les nombreux emprunts, citations et paraphrases d'auteurs admirés, il ne reste pas grand chose à se mettre sous la dent dans cette enquête littéraire pas vraiment palpitante, doublée d'une autofiction pas vraiment personnelle. Ç'aurait pu être une lecture plaisante tout de même si l'auteur n'y allait pas de sa petite vanne bien beauf (Jacquie et Michel, sérieusement ?) ou de son mot vulgaire toutes les deux pages ("Revenez lundi, me dit-on d'un ton sec et cassant, presque véhément, et m'eût-t-on prié d'aller me faire enculer, on ne s'y fût pas pris autrement"). Ça ne fait rire personne, pire, ça décrédibilise tout le reste. Sans compter que Désérable est loin d'avoir une petite estime de sa personne, il se compare volontiers à Gogol, se met dans la même phrase qu'Hugo, etc. On en sort avec l'impression que le premier écrivaillon venu pourrait être publié chez Gallimard : ce n'est sans doute pas le cas, mais n'empêche que c'est forcément mauvais signe.
Haïku : Anthologie du poème court japonais
Sortie : 2002 (France). Poésie
livre
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Du haïku on commence à bien connaître la petite musique : 5-7-5 syllabes traditionnellement, une certaine attention portée à la nature et à l'infime, l'idée d'un instantané qui évoque à la fois l'éphémère et l'immuable, ou encore une légèreté parfois cocasse. Cette anthologie, qui fait référence dans le domaine en France, rassemble des haïkus d'auteurs d'époques variées, de Bashô (1644-1694) considéré comme son inventeur, jusqu'à aujourd'hui. Les poèmes sont classés par saison puis par thème, et l'édition comprend un petit appareil critique qui va droit au but. C'est à peine si on en demandait autant.
.........
« Puisqu'il le faut
entraînons-nous à mourir
à l'ombre des fleurs »
– Kobayashi Issa
« Nulle trace dans le courant –
où j'ai nagé
avec une femme »
– Yamaguchi Seichi
« Viens
allons voir la neige
jusqu'à nous ensevelir! »
– Matsuo Bashô
L'Empire des signes (1970)
Sortie : 1970 (France). Essai
livre de Roland Barthes
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Toujours cette sensation que la langue de Barthes est comme tissée d'innombrables nerfs, qui formeraient sans cesse de multiples embranchements. Il faut imaginer un réseau d'autoroutes vaste et complexe, chaque autoroute – synonyme, parenthèse, italique rappelant une étymologie – transportant du sens, du sens à n'en plus finir. Car l’auteur en a bien conscience : tout occidental qu’il est, il lui sera impossible d’appréhender la réalité japonaise sans « acclimater [son] inconnaissance de l’Asie grâce à des langages connus ». Alors, son Japon, il le fantasme, en dessine les traits, en extrait les signes, dans une quête de sens qui peut paraître paradoxale quand le Zen japonais cherche au contraire à s’en dévêtir, à dépouiller ses signifiants de leurs signifiés. Par l’étude de ces traits caractéristiques – qui sont parmi les plus banals : nourriture, théâtre, haïku, visage japonais –, Barthes entend nous faire participer à un exercice mental qui nous pousse à découvrir un système symbolique qui ne partagerait rien du nôtre, à considérer l’autre en essayant le moins possible de le ramener à soi. Pour l'anecdote, Marker a lu ce livre, pour preuve il lui a même emprunté son avertissement liminaire (« le texte ne commente pas les images, les images n’illustrent pas le texte »), et je suis sûr son auteur aurait apprécié l’expression de « dépays » comme autre titre possible à son empire des signes.
.........
« Tout le Zen, dont le haïkaï n'est que la branche littéraire, apparaît ainsi comme une immense pratique destinée à arrêter le langage, à casser cette sorte de radiophonie intérieure qui émet continûment en nous, jusque dans notre sommeil [...] à vider, à stupéfier, à assécher le bavardage incoercible de l'âme ; et peut-être ce qu'on appelle, dans le Zen, satori, et que les Occidentaux ne peuvent traduire que par des mots vaguement chrétiens (illumination, révélation, intuition), n'est-il qu'une suspension panique du langage, le blanc qui efface en nous le règne des Codes [...] »
La Mort à Venise (1912)
Der Tod in Venedig
Sortie : 1912 (Allemagne). Nouvelle
livre de Thomas Mann
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
J'avoue avoir du mal à comprendre la réputation de cette nouvelle. La découverte du style chatoyant dans les premières pages promet de belles choses mais c'est en fait d'un romantisme lourd, pompeux, désuet. La quête du personnage principal nous devient vite indifférente, si bien qu'on en vient à attendre la mort annoncée avec impatience. Mann aurait peut-être dû s'inspirer de Wilde qui, sur le même thème, avait fait preuve vingt ans plus tôt de davantage d'esprit, d'humour et de légèreté avec son Portrait.
Souvenirs de la marée basse
Sortie : 17 août 2017 (France). Roman
livre de Chantal Thomas
Paul_ a mis 3/10.
Annotation :
[Prix du Roman des étudiants France Culture-Télérama]
Sans aucune espèce d'intérêt. J'ai dû abandonner au bout de soixante pages, ce qui m'arrive rarement. Encéphalogramme plat.
La Préparation du roman (2015)
Cours et séminaires au collège de France, 1978-1979 et 1979-1980
Sortie : 22 octobre 2015. Essai
livre de Roland Barthes
Paul_ a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Rencontre on ne peut plus opportune avec ce livre – mais ne l'est-elle pas toujours ? – au sortir de La Recherche et à un moment où les velléités d'écrire se font de plus en plus pressantes. Je suis loin d'avoir tout lu de Barthes mais il est facile de pressentir combien ces cours donnés au Collège de France forment son chant du cygne, son chef-d’œuvre caché. En s'interrogeant sur les conditions d'écriture d'une œuvre, depuis le simple fantasme du projet (le "vouloir-écrire") jusqu'à sa réalisation effective, Barthes finit par écrire, presque malgré lui, le livre-prétexte qu'il avait imaginé pour le bien de son cours. Et tant pis s'il n'est pas un roman à proprement parler, puisque tout y passe, pour le plus grand plaisir du lecteur et de l'aspirant écrivain qui sommeille en chacun de nous : les réflexions passionnantes du sémiologue sur le haïku, une exégèse de Proust, la citation constante des plus fameux esprits rompus au problème d'écrire, des digressions sublimes sur le soleil et les chiens, la vie et la mort. Mon édition consistait en une retranscription à peine rédigée de l'exposé oral, avec des →, des ≠, beaucoup de renvois, de parenthèses et de phrases nominales, mais c'était très bien ainsi, c'était comme lire les notes d'un étudiant particulièrement attentif et, mieux encore, suivre la pensée du professeur en train de se faire, toujours à la recherche du mot juste, de telle sorte qu'il n'y a pas un mot qui ne soit à sa place. On voudrait pouvoir dire, à la manière des libraires, « à mettre entre toutes les mains, et d'urgence », mais c'est une cause perdue d'avance et, après tout, on jouit mieux dans le silence.
.........
« Pourquoi ne pas considérer toute La Recherche comme le développement chatoyant, subtil et insistant d'un simple proverbe : "Comme le monde est petit !" (on "retrouve" sans cesse les personnages). »
« (L'écrivain ne s'arrange-t-il pas toujours, finalement, pour rater ses amours, à partir du moment où elles menacent vraiment l'avenir de son œuvre ?) »
La Princesse de Montpensier (1662)
Sortie : 1662 (France). Nouvelle
livre de Madame de La Fayette
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Pour un cours donné à une Terminale. C'est plutôt plaisant à suivre, sans aucun doute important historiquement, mais comment s'étonner ensuite de voir les lycéens décrocher pour finir fâchés avec les livres ? Il faudrait davantage de vie, de fougue, d'ardeur au programme : dans un monde idéal, Rebatet, Nabokov et c'est lancé, le début de vocations.
L'Auteur et moi (2012)
Sortie : août 2012. Roman
livre de Éric Chevillard
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Pale Fire pour la fiction qui se déploie en notes de bas de page, Perec pour la tentative d'épuisement d'un lieu commun, un certain auteur viennois pour l'art du monologue et de la fulmination... Les influences se font sentir mais Chevillard à une patte bien à lui – il en faut de toute façon pour consacrer tout un roman à l'aversion de son personnage pour le gratin de chou-fleur. Tout va très vite, les cinquante premières pages sont excellentes, la langue y est riche, furieusement enthousiaste, comme montée sur un ressort, même si malheureusement par la suite la verve a tendance à retomber, les mots à s'étioler quelque peu. Mais cela n'enlève rien à la formidable impression que laisse Chevillard à qui s'aventure au hasard dans son œuvre : ici outre le dézingage en règle de l'autofiction dans une drôlerie sans pareille, l'auteur soulève des questions de littérature qui font du bien, à mille lieux des romans-paillettes qui font la triste actualité.
L'Autofictif, son blog, donne un aperçu du travail de Chevillard avec chaque jour trois petites perles : http://autofictif.blogspot.fr/
.........
« Voilà bien la place qui échoit désormais à l’employé aux écritures. Certes, l’écrivain par nature fut toujours un esseulé, mais longtemps il échafauda dans les marges – où il se trouvait pour cela repoussé – des constructions littéraires audacieuses vouées un moment à l’incompréhension et au rejet d’une société qu’il défiait, anticipant la liberté nouvelle, la beauté de demain, dans une langue qui faisait trembler ou rougir ses contemporains dont il se donnait en somme pour tâche de révéler l’étroitesse de vues. C’était un réprouvé ; on le craignait ; on ne voulait ni le voir ni l’entendre. Aujourd’hui, l’indifférence qu’il inspire est juste nuancée parfois d’un peu de pitié amusée. On admet sa logorrhée sibylline comme celles du dément ou de l’ivrogne. Il parle une langue qui a lâché sa prise sur le réel, qui est d’emblée aussi absconse pour ses non-lecteurs que celles de Montaigne ou du Bellay dans le texte. Son soufre relève la fadeur du monde dans la mesure où un morceau de sucre trempé dans l’Atlantique modifie le taux de salinité des sept mers. Se produit pour la littérature ce qui s’est produit pour la peinture : tout le monde s’en fout. Elle n’a plus de sens. Le talent est là toujours – de même que l’on trouverait d’excellents cochers de diligence s’ils voulaient s’en donner inutilement la peine –, mais la lettre a vécu ; aboli bibelot d’inanité sonore. »
Les Ailes de la colombe (1902)
The Wings of the Dove
Sortie : 1953 (France). Roman
livre de Henry James
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
« Les livres ne valent que par le livre supérieur qu'ils nous conduisent à imaginer », écrit Blanchot. Qu'il est beau alors, celui que j'ai imaginé pour ces Ailes de la colombe... Ce n'est pas que le livre premier (le livre inférieur ?) ne le soit pas, au contraire, l'attention délirante qu'il consacre à la psychologie de ses personnages invite forcément le lecteur à présumer, spéculer, abstraire, et donc à rendre beau. Hermétique, c'est peu dire : feutre, brume, flou, labyrinthe, toutes les métaphores fonctionnent pour dire comment James se complaît dans l'obscur – et ceci, j'ai vérifié, à la fois en anglais et dans la traduction française. Malgré tout, les plus téméraires qui auront su tenir le cap au travers de toutes ces circonvolutions auront le droit sans doute de s'imbiber d'un plaisir fin, subtil, distingué. Ce n'est pas mon cas, je reste cloué à la devanture de ces situations toutes hypothétiquement séduisantes. Mais qu'il est beau, mon livre supérieur !
.........
« The women one meets – what are they but books one has already read ? You're a library of the unknown, the uncut. Upon my word I've a subscription.»
Les Papiers de Jeffrey Aspern (1888)
(traduction M. Le Corbeiller)
The Aspern Papers
Sortie : 1888. Nouvelle
livre de Henry James
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
James rejoue le mythe de la Venise mortifère et propice au complot dans cette novella cruelle, qui voit un admirateur du poète imaginaire Jeffrey Aspern s'introduire chez son ancienne amante et muse en vue de mettre la main sur de précieux manuscrits. Il y a un savoir-faire indéniable, dans l'écriture, dans la mise en place de cette intrigue prenante, mais l'histoire me paraît finalement assez classique et sans grande portée. Entre l'atmosphère fin-de-siècle, le narrateur ambigu et prêt à tout pour parvenir à ses fins, la landlady cupide, sa nièce vieille fille, on tient cependant des éléments qui mis bout à bout constitueraient presque un topos romanesque aujourd'hui. Ainsi, si la nouvelle n'était pas à son goût – il la trouvait trop petits bras, naturellement* – Nabokov s'en est tout de même fortement inspiré pour sa Lolita.
*Pour la curiosité, dans une lettre à Edmund Wilson de 1941 :
« Yesterday I read the Aspern Papers. No. He writes with a very sharp nib and the ink is very pale and there is very little of it in his inkpot (...) The style is artistic but it is not the style of an artist (...) He has charm (as the weak blond prose of Turgenev has), but that's about it. »
Conférences
Sortie : 1985 (France). Essai
livre de Jorge Luis Borges
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Il faut donc ajouter Borges aux côtés de Nabokov (encore lui) ou de Barthes au rang de ces écrivains-professeurs dont on aurait tant aimé, dans une autre vie, suivre les cours. Dans ces conférences thématiques prononcées en 1977-1978, l'homme qui nous a offert Fictions discute, toujours avec une limpidité d'eau claire, des sujets les plus variés : Dante et Les Mille et Une Nuits, la cécité dont il est maintenant atteint, le roman policier, l'étymologie du mot cauchemar, le terme le plus séant pour désigner la Lune... Encore un livre de sable donc, et cette fois sans même se servir du prétexte de la fiction. Seul bémol : il y a quelques redites d'un cycle de conférences à l'autre, ce qui rend le deuxième cycle moins captivant que le premier.
.........
« C'est vraiment terrible qu'il y ait des miroirs : j'ai toujours eu la terreur des miroirs. Je crois qu'Edgar Allan Poe l'eut aussi. Un de ses essais, l'un des moins connus, parle de la décoration des pièces. Une des règles qu'il donne est de placer les miroirs de telle sorte qu'une personne assise ne puisse s'y refléter. »