Apichatpong Weerasethakul - Commentaires
Un univers personnel, ô combien riche et envoûtant, un souci toujours reconduit de la forme, parmi les plus audacieuses et les plus neuves de notre époque, un corpus thématique universel mais marqué d’une sensibilité très particulière… Weerasethakul est rien moins que l’un des plus grands cinéastes ...
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créée il y a plus de 12 ans · modifiée il y a environ 3 ansBlissfully Yours (2002)
Sud sanaeha
2 h 05 min. Sortie : 9 octobre 2002 (France). Drame, Romance
Film de Apichatpong Weerasethakul
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Partie de campagne – libidinale – à la Thaïlandaise, où déjà Weerasethakul impose une sensibilité qui n’appartient qu’à lui. Sa manière d’enregistrer le monde (y compris dans sa dimension politique : il est question du conflit avec la Birmanie et d’immigration clandestine) transite par un regard qui restitue la qualité invisible et infinitésimale des êtres et des choses. Entre le paysage de la vallée vu de l’autre côté de la frontière, le bras de rivière qui permet à chacun de se rafraîchir, les ombrages où les couples piquent-niquent et s’étreignent, le film procède d’une démarche anti-narrative favorisant une atmosphère à la sensualité épidermique, faite de désir et d’abandon. Cette balade en sous-bois est un bijou de contemplation alanguie, dont la douceur suscite un singulier bien-être. Le titre ne ment donc pas.
Tropical Malady (2004)
Sàt bpràlàat
1 h 52 min. Sortie : 24 novembre 2004 (France). Drame, Fantastique, Romance
Film de Apichatpong Weerasethakul
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Une première partie engourdie qui dispense ses charmes rêveurs avec une expressivité hypnotique : soirées sous les néons grésillants, promenades en ville, bruines tropicales. Une seconde qui atteint des sommets d’étrangeté moite et hallucinée, sorte de traque post-apocalyptique en pleine jungle où toute trace humaine, toute notion de civilisation semblent s’être évaporées au profit d’un retour aux origines : torpeur reptilienne, transe et terreur. De la romance naissance entre deux garçons désœuvrés à la chasse de l’homme-tigre, le cinéaste opère un transfert fantasmatique des pulsions, module ruptures de continuité et temps morts, apartés en voix off et plans d’animation, au sein d’une forêt obscure qui figure les sortilèges de l’inconscient. Rendu là, on se dit qu’Apichatpong est bel et bien un grand.
Top 10 Année 2004 : http://lc.cx/UPe
Syndromes and a Century (2006)
Săeng sàdtàwát
1 h 45 min. Sortie : 13 juin 2007 (France). Drame
Film de Apichatpong Weerasethakul
Thaddeus a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
La structure binaire des deux films précédents est reconduite, mais de façon plus subtile encore. Le récit s’involue, se répète, nous perd et nous demande de nous laisser porter tout au long d’une véritable moire mystique. C’est dans l’enchantement des gestes quotidiens qu’il trouve sa précieuse finesse : entre une enivrante promenade au bord d’un étang et des mésaventures burlesques dans les sous-sols d’un hôpital moderne, Weerasethakul enregistre avec la douceur d’un chat les virtualités ultra-sensibles d’impressions fugitives, de réminiscences mémorielles, de répétitions décalées, visant à retranscrire de purs états affectifs dominés par le bien-être et la langueur. Possédant la beauté mystérieuse et impassible de l’orchidée, cette œuvre lumineuse constitue sans doute le film le plus magnifiquement délicat de son auteur.
Top 10 Année 2006 : http://lc.cx/UPh
Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (2010)
Lung Bunmee ráléuk châat
1 h 54 min. Sortie : 1 septembre 2010 (France). Drame, Fantastique
Film de Apichatpong Weerasethakul
Thaddeus a mis 9/10.
Annotation :
D’une liberté folle dans ses décrochages et l’assemblage de ses régimes narratifs, d’une poésie qui n’a d’égale que l’évidence assez souveraine avec laquelle il remet en question les notions du temps, de l’espace, des expériences mais aussi des stigmates du présent, la Palme d’Or 2010 est une ronde envoûtante, une invitation au voyage et au rêve éveillé, qui tient à la fois du "Livre de la Jungle", de Miyazaki et de l’occultisme envoûtant d’un Tourneur – sur un mode profondément apaisé et serein. C’est désormais une certitude : aucun cinéaste n’est à même comme "Joe" d’explorer les clairs-obscurs des sous-bois et les mystères bruissants de l’au-delà. La rencontre qu’il opère entre le visible et de l’invisible, le concret et l’outre-monde, la permanence de ses images (tels ces yeux rouges émanant de l’obscurité) subsisteront longtemps.
Top 10 Année 2010 : http://lc.cx/UPB
Cemetery of Splendour (2015)
Rák têe kŏn gàen
2 h 02 min. Sortie : 2 septembre 2015. Drame
Film de Apichatpong Weerasethakul
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
S’il fallait une récapitulation et une épuration à toutes les récurrences formelles, tous les échos thématiques de la déjà grande carrière de Weerasethakul, ce pourraient être ce film. Le cinéaste y reformule les questions ontologiques de son cinéma (la mémoire de l’image au sein du récit, la coexistence des réalités parallèles, la fonction régénérative du souvenir) au sein d’une nouvelle expérience de thérapie amniotique. Cet art de l’invisible et de la douceur génère de beaux moments d’hypnose (comme le coulé des séquences centrales, aspiré par le jeu des lumières), mais on peut aussi estimer que, pour la première fois, la langueur extrême de la mise en scène, associée à un minimalisme qui frise par instants la note d’intention, écorne quelque peu le sens du mystère et la force d’émotion qui le parcourent.
Memoria (2021)
2 h 16 min. Sortie : 17 novembre 2021 (France). Drame
Film de Apichatpong Weerasethakul
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Une détonation sourde, mystérieuse et étouffée, commande la première incursion du cinéaste sous d’autres latitudes. Ce changement climatique lui offre la possibilité de nouvelles combinaisons, même s’il y réacclimate ses motifs – le sommeil et la catalepsie, l’effacement des frontières entre le songe et l’éveil, la vie et la mort, le corps et l’esprit, le pourrissement des organismes et des objets, la fuite de la ville vers la forêt, les dérapages inattendus vers le fantastique. Avec cet exercice de perception active poussé jusqu’aux rives de l’austérité, c’est comme s’il invitait à entendre la mémoire du monde, à embrasser une dimension susceptible de fendre la coquille du réel. L’expérience est une fois encore singulière mais la méthode plus cérébrale, plus antonionienne, plus ardue, et la fascination intermittente.