Au cœur de la poésie
"La pensée sans poésie c'est comme un paysage sans ciel : on y étouffe."
Henri-Frédéric Amiel
♥ Voici quelques poésies pour vous séduire. ♥
Paul Verlaine - Sabine Sicaud - Joachim Du Bellay - Guillaume Apollinaire - Paul Eluard - Alfred de Musset - Anna ...
29 livres
créée il y a presque 8 ans · modifiée il y a environ 4 ansŒuvres complètes de Paul Verlaine (2012)
Poèmes saturniens, Fêtes galantes, Bonne chanson, Romances sans paroles, Sagesse, Jadis et naguère
Sortie : 22 novembre 2012. Poésie
livre de Paul Verlaine
Annotation :
Paul Verlaine : 1844 - 1896
-Colloque sentimental-
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?
- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.
Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.
- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
Sabine Sicaud - le rêve inachevé
Sortie : avril 1997 (France). Récit, Essai, Culture & société
livre de Sabine Sicaud et Odile Ayral-Clause
Gérard Rocher La Fête de l'Art a mis 10/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Sabine Sicaud : 1913 - 1928
-Premières feuilles-
Vous vous tendez vers moi, vertes petites mains des arbres,
Vertes petites mains des arbres du chemin.
Pendant que les vieux murs un peu plus se délabrent,
Que les vieilles maisons montrent leurs plaies,
Vous vous tendez vers moi, bourgeons des haies,
Verts petits doigts.
Petits doigts en coquilles,
Petits doigts jeunes, lumineux, pressés de vivre,
Par-dessus les vieux murs vous vous tendez vers nous.
Le vieux mur dit : " Gare au vent fou,
Gare au soleil trop vif, gare aux nuits qui scintillent,
Gare à la chèvre, à la chenille,
Gare à la vie, ô petits doigts !
Verts petits doigts griffus, bourrus et tendres,
Vous sentez bien pourquoi
Les vieux murs, ce matin, ont la voix de Cassandre.
Petits doigts en papier de soie,
Petits doigts de velours ou d'émail qui chatoie,
Vous savez bien pourquoi
Vous n'écouterez pas les murs couleur de cendre...
Frêles éventails verts, mains du prochain été,
Nous sentons bien pourquoi vous n'écoutez
Ni les vieux murs, ni les toits qui s'affaissent ;
Nous savons bien pourquoi
Par-dessus les vieux murs, de tous vos petits doigts,
Vous faites signe à la jeunesse !
Poésies
Sortie : 1967 (France). Poésie
livre de Joachim Du Bellay
Annotation :
Joachim Du Bellay : 1522 - 1560
-Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage-
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur angevine.
Poèmes de Guillaume Apollinaire
Sortie : 3 octobre 2013 (France). Poésie, Jeunesse
livre de Guillaume Apollinaire
Annotation :
Guillaume Apollinaire : 1880 - 1918
-La Chanson du mal-aimé-
À Paul Léautaud.
Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s'il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.
Un soir de demi-brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte
Je suivis ce mauvais garçon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hébreux moi Pharaon
Que tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimée
Je suis le souverain d'Égypte
Sa sœur-épouse son armée
Si tu n'es pas l'amour unique
Au tournant d'une rue brûlant
De tous les feux de ses façades
Plaies du brouillard sanguinolent
Où se lamentaient les façades
Une femme lui ressemblant
C'était son regard d'inhumaine
La cicatrice à son cou nu
Sortit saoule d'une taverne
Au moment où je reconnus
La fausseté de l'amour même
Lorsqu'il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Près d'un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu'il revînt
L'époux royal de Sacontale
Las de vaincre se réjouit
Quand il la retrouva plus pâle
D'attente et d'amour yeux pâlis
Caressant sa gazelle mâle
J'ai pensé à ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infidèles
Me rendirent si malheureux
Regrets sur quoi l'enfer se fonde
Qu'un ciel d'oubli s'ouvre à mes vœux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre
J'ai hiverné dans mon passé
Revienne le soleil de Pâques
Pour chauffer un cœur plus glacé
Que les quarante de Sébaste
Moins que ma vie martyrisés
Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir
Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s'éloigne
Avec celle que j'ai perdue
L'année dernière en Allemagne
Et que je ne reverrai plus
Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nébuleuses
Je me souviens d'une autre année
C'était l'aube d'un jour d'avril
J'ai chanté ma joie bien-aimée
Chanté l'amour à voix virile
Au moment d'amour de l'année.
Paul Eluard, choix de poèmes (2004)
Sortie : 7 octobre 2004. Jeunesse, Roman
livre de Paul Éluard
Gérard Rocher La Fête de l'Art a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Paul Éluard : 1895 - 1952
-Liberté-
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Alfred de Musset
livre
Annotation :
Alfred de Musset : 1810 - 1857
-A Ninon-
Avec tout votre esprit, la belle indifférente,
Avec tous vos grands airs de rigueur nonchalante,
Qui nous font tant de mal et qui vous vont si bien,
Il n'en est pas moins vrai que vous n'y pouvez rien.
Il n'en est pas moins vrai que, sans qu'il y paraisse,
Vous êtes mon idole et ma seule maîtresse ;
Qu'on n'en aime pas moins pour devoir se cacher,
Et que vous ne pouvez, Ninon, m'en empêcher.
Il n'en est pas moins vrai qu'en dépit de vous-même,
Quand vous dites un mot vous sentez qu'on vous aime,
Que, malgré vos mépris, on n'en veut pas guérir,
Et que d'amour de vous, il est doux de souffrir.
Il n'en est pas moins vrai que, sitôt qu'on vous touche,
Vous avez beau nous fuir, sensitive farouche,
On emporte de vous des éclairs de beauté,
Et que le tourment même est une volupté.
Soyez bonne ou maligne, orgueilleuse ou coquette,
Vous avez beau railler et mépriser l'amour,
Et, comme un diamant qui change de facette,
Sous mille aspects divers vous montrer tour à tour ;
Il n'en est pas moins vrai que je vous remercie,
Que je me trouve heureux, que je vous appartiens,
Et que, si vous voulez du reste de ma vie,
Le mal qui vient de vous vaut mieux que tous les biens.
Je vous dirai quelqu'un qui sait que je vous aime :
C'est ma Muse, Ninon ; nous avons nos secrets.
Ma Muse vous ressemble, ou plutôt, c'est vous-même ;
Pour que je l'aime encor elle vient sous vos traits.
La nuit, je vois dans l'ombre une pâle auréole,
Où flottent doucement les contours d'un beau front ;
Un rêve m'apparaît qui passe et qui s'envole ;
Les heureux sont les fous : les poètes le sont.
J'entoure de mes bras une forme légère ;
J'écoute à mon chevet murmurer une voix ;
Un bel ange aux yeux noirs sourit à ma misère ;
Je regarde le ciel, Ninon, et je vous vois ;
Ô mon unique amour, cette douleur chérie,
Ne me l'arrachez pas quand j'en devrais mourir !
Je me tais devant vous ; - quel mal fait ma folie ?
Ne me plaignez jamais et laissez-moi souffrir.
Oeuvre poétique complète
Poésie
livre de Anna de Noailles
Annotation :
Anna de Noailles : 1876 -1933
-Il fera longtemps clair ce soir -
Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent,
La rumeur du jour vif se disperse et s'enfuit,
Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent...
Les marronniers, sur l'air plein d'or et de lourdeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre ;
On n'ose pas marcher ni remuer l'air tendre
De peur de déranger le sommeil des odeurs.
De lointains roulements arrivent de la ville...
La poussière, qu'un peu de brise soulevait,
Quittant l'arbre mouvant et las qu'elle revêt,
Redescend doucement sur les chemins tranquilles.
Nous avons tous les jours l'habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie,
Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir...
Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent,
La rumeur du jour vif se disperse et s'enfuit,
Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent...
Les marronniers, sur l'air plein d'or et de lourdeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre ;
On n'ose pas marcher ni remuer l'air tendre
De peur de déranger le sommeil des odeurs.
De lointains roulements arrivent de la ville...
La poussière, qu'un peu de brise soulevait,
Quittant l'arbre mouvant et las qu'elle revêt,
Redescend doucement sur les chemins tranquilles.
Nous avons tous les jours l'habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie,
Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir...
Poésie complète
Poésie
livre de Charles Baudelaire
Annotation :
Charles Baudelaire : 1821 -1867
-A une passante-
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
Los versos del capitán
Sortie : janvier 2007 (France).
livre de Pablo Neruda
Annotation :
Pablo Neruda : 1904 - 1973
-Les Vers du Capitaine-
J'ai vécu dans un port et de là je t'aimais.
Solitude où passaient le songe et le silence.
Enfermé, enfermé entre mer et tristesse.
Silencieux, délirant, entre deux statues de gondoliers.
Entre les lèvres et la voix, quelque chose s'en va mourant.
Ailé comme l'oiseau, c'est angoisse et oubli.
Tout comme les filets ne retiennent pas l'eau.
Il ne reste, poupée, que des gouttes qui tremblent.
Pourtant un chant demeure au cœur des mots fugaces.
Un chant, un chant qui monte à mes lèvres avides.
Pouvoir te célébrer partout les mots de joie.
Chanter, brûler, s'enfuir, comme un clocher aux mains d'un fou.
Que deviens-tu soudain, ô ma triste tendresse ?
J'atteins le plus hardi des sommets, le plus froid,
et mon cœur se referme ainsi la fleur nocturne.
Œuvres complètes
Coffret, tomes I-VII
Sortie : 23 septembre 2015 (France). Poésie, Jeunesse
livre de Pierre de Ronsard
Annotation :
Pierre de Ronsard : 1524 - 1585
-Mignonne, allons voir si la rose-
A Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
Oeuvres poétiques (1544)
Sortie : avril 2007 (France). Poésie
livre de Clément Marot
Annotation :
Clément Marot : 1496 - 1544
-Le Dizain de neige-
Anne, par jeu, me jeta de la neige,
Que je cuidais froide certainement;
Mais c'était feu; l'expérience en ai-je,
Car embrasé je fus soudainement.
Puisque le feu loge secrètement
Dedans la neige, où trouverai-je place
Pour n'ardre point ? Anne ta seule grâce
Eteindre peut le feu que je sens bien,
Non point par eau, par neige, ni par la glace,
Mais par sentir un feu pareil au mien.
Poésie complète
Sortie : juillet 2002 (France). Poésie
livre de Emile Verhaeren
Annotation :
Émile Verhaeren : 1855 - 1916
-Le chaland-
Sur l'arrière de son bateau,
Le batelier promène
Sa maison naine
Par les canaux.
Elle est joyeuse, et nette, et lisse,
Et glisse
Tranquillement sur le chemin des eaux.
Cloisons rouges et porte verte,
Et frais et blancs rideaux
Aux fenêtres ouvertes.
Et, sur le pont, une cage d'oiseau
Et deux baquets et un tonneau ;
Et le roquet qui vers les gens aboie,
Et dont l'écho renvoie
La colère vaine vers le bateau.
Le batelier promène
Sa maison naine
Sur les canaux
Qui font le tour de la Hollande,
Et de la Flandre et du Brabant.
Il a touché Dordrecht, Anvers et Gand,
Il a passé par Lierre et par Malines,
Et le voici qui s'en revient des landes
Violettes de la Campine.
Il transporte des cargaisons,
Par tas plus hauts que sa maison :
Sacs de pommes vertes et blondes,
Fèves et pois, choux et raiforts,
Et quelquefois des seigles d'or
Qui arrivent du bout du monde.
Il sait par coeur tous les pays
Que traversent l'Escaut, la Lys,
La Dyle et les Deux Nèthes ;
Il fredonne les petits airs de fête
Et les tatillonnes chansons
Qu'entrechoquent, en un tic-tac de sons,
Les carillons.
Quai du Miroir, quai du Refuge,
A Bruges ;
Quai des Bouchers et quai des Tisserands,
A Gand ;
Quai du Rempart de la Byloque,
Quai aux Sabots et quai aux Loques,
Quai des Carmes et quai des Récollets,
Il vous connaît.
Et Mons, Tournay, Condé et Valenciennes
L'ont vu passer, en se courbant le front,
Sous les arches anciennes
De leurs grands ponts ;
Et la Durme, à Tilrode, et la Dendre, à Termonde,
L'ont vu, la voile au clair, faire sa ronde
De l'un à l'autre bout des horizons.
Oh ! la mobilité des paysages,
Qui tous reflètent leurs visages
Autour de son chaland !
La pipe aux dents,
D'un coup de rein massif et lent,
Il manoeuvre son gouvernail oblique ;
Il s'imbibe de pluie, il s'imbibe de vent,
Et son bateau somnambulique
S'en va, le jour, la nuit,
Où son silence le conduit.
Poemes et chansons
Sortie : janvier 1983 (France).
livre de Prévert
Annotation :
Jacques Prévert : 1900 - 1977
-Fête foraine-
Heureux comme la truite remontant le torrent
Heureux le coeur du monde
Sur son jet d'eau de sang
Heureux le limonaire
Hurlant dans la poussière
De sa voix de citron
Un refrain populaire
Sans rime ni raison
Heureux les amoureux
Sur les montagnes russes
Heureuse la fille rousse
Sur son cheval blanc
Heureux le garçon brun
Qui l'attend en souriant
Heureux cet homme en deuil
Debout dans sa nacelle
Heureuse la grosse dame
Avec son cerf-volant
Heureux le vieil idiot
Qui fracasse la vaisselle
Heureux dans son carrosse
Un tout petit enfant
Malheureux les conscrits
Devant le stand de tir
Visant le coeur du monde
Visant leur propre coeur
Visant le coeur du monde
En éclatant de rire.
Oeuvres poétiques complètes (1963)
Sortie : 2 octobre 1963. Essai, Poésie
livre de Alphonse de Lamartine
Annotation :
Alphonse de Lamartine : 1790 - 1869
-La tristesse-
L'âme triste est pareille
Au doux ciel de la nuit,
Quand l'astre qui sommeille
De la voûte vermeille
A fait tomber le bruit ;
Plus pure et plus sonore,
On y voit sur ses pas
Mille étoiles éclore,
Qu'à l'éclatante aurore
On n'y soupçonnait pas !
Des îles de lumière
Plus brillante qu'ici,
Et des mondes derrière,
Et des flots de poussière
Qui sont mondes aussi !
On entend dans l'espace
Les choeurs mystérieux
Ou du ciel qui rend grâce,
Ou de l'ange qui passe,
Ou de l'homme pieux !
Et pures étincelles
De nos âmes de feu,
Les prières mortelles
Sur leurs brûlantes ailes
Nous soulèvent un peu !
Tristesse qui m'inonde,
Coule donc de mes yeux,
Coule comme cette onde
Où la terre féconde
Voit un présent des cieux !
Et n'accuse point l'heure
Qui te ramène à Dieu !
Soit qu'il naisse ou qu'il meure,
Il faut que l'homme pleure
Ou l'exil, ou l'adieu !
Oeuvres complètes - Poésie III (2002)
Sortie : mars 2002. Poésie
livre de Victor Hugo
Annotation :
Victor Hugo 1802-1885
-Un soir que je regardais le ciel-
Elle me dit, un soir, en souriant :
- Ami, pourquoi contemplez-vous sans cesse
Le jour qui fuit, ou l'ombre qui s'abaisse,
Ou l'astre d'or qui monte à l'orient ?
Que font vos yeux là-haut ? je les réclame.
Quittez le ciel; regardez dans mon âme !
Dans ce ciel vaste, ombre où vous vous plaisez,
Où vos regards démesurés vont lire,
Qu'apprendrez-vous qui vaille mon sourire ?
Qu'apprendras-tu qui vaille nos baisers ?
Oh! de mon coeur lève les chastes voiles.
Si tu savais comme il est plein d'étoiles !
Que de soleils ! vois-tu, quand nous aimons,
Tout est en nous un radieux spectacle.
Le dévouement, rayonnant sur l'obstacle,
Vaut bien Vénus qui brille sur les monts.
Le vaste azur n'est rien, je te l'atteste ;
Le ciel que j'ai dans l'âme est plus céleste !
C'est beau de voir un astre s'allumer.
Le monde est plein de merveilleuses choses.
Douce est l'aurore et douces sont les roses.
Rien n'est si doux que le charme d'aimer !
La clarté vraie et la meilleure flamme,
C'est le rayon qui va de l'âme à l'âme !
L'amour vaut mieux, au fond des antres frais,
Que ces soleils qu'on ignore et qu'on nomme.
Dieu mit, sachant ce qui convient à l'homme,
Le ciel bien loin et la femme tout près.
Il dit à ceux qui scrutent l'azur sombre :
"Vivez ! aimez ! le reste, c'est mon ombre !"
Aimons ! c'est tout. Et Dieu le veut ainsi.
Laisse ton ciel que de froids rayons dorent !
Tu trouveras, dans deux yeux qui t'adorent,
Plus de beauté, plus de lumière aussi !
Aimer, c'est voir, sentir, rêver, comprendre.
L'esprit plus grand s'ajoute au coeur plus tendre.
Viens, bien-aimé ! n'entends-tu pas toujours
Dans nos transports une harmonie étrange ?
Autour de nous la nature se change
En une lyre et chante nos amours.
Viens ! aimons-nous ! errons sur la pelouse
Ne songe plus au ciel ! j'en suis jalouse ! -
Ma bien-aimée ainsi tout bas parlait,
Avec son front posé sur sa main blanche,
Et l'oeil rêveur d'un ange qui se penche,
Et sa voix grave, et cet air qui me plaît ;
Belle et tranquille, et de me voir charmée,
Ainsi tout bas parlait ma bien-aimée.
Nos coeurs battaient ; l'extase m'étouffait ;
Les fleurs du soir entr'ouvraient leurs corolles ...
Qu'avez-vous fait, arbres, de nos paroles ?
De nos soupirs, rochers, qu'avez-vous fait ?
C'est un destin bien triste que le nôtre,
Puisqu'un tel jour s'envole comme un autre !
O souvenirs ! trésor dans l'ombre accru !
Sombre horizon de
Poésies
Sortie : 4 janvier 1999 (France).
livre de François Villon
Annotation :
François Villon : 1431 - 1463
-Ballade de la grosse Margot-
Se j'aime et sers la belle de bon hait.
M'en devez-vous tenir ne vil ne sot ?
Elle a en soi des biens à fin souhait.
Pour son amour ceins bouclier et passot ;
Quand viennent gens, je cours et happe un pot,
Au vin m'en vois, sans démener grand bruit ;
Je leur tends eau, fromage, pain et fruit.
S'ils payent bien, je leur dis que " bien stat ;
Retournez ci, quand vous serez en ruit,
En ce bordeau où tenons notre état. "
Mais adoncques il y a grand déhait
Quand sans argent s'en vient coucher Margot ;
Voir ne la puis, mon coeur à mort la hait.
Sa robe prends, demi-ceint et surcot,
Si lui jure qu'il tendra pour l'écot.
Par les côtés se prend cet Antéchrist,
Crie et jure par la mort Jésus-Christ
Que non fera. Lors empoigne un éclat ;
Dessus son nez lui en fais un écrit,
En ce bordeau où tenons notre état.
Puis paix se fait et me fait un gros pet,
Plus enflé qu'un velimeux escarbot.
Riant, m'assied son poing sur mon sommet,
" Go ! go ! " me dit, et me fiert le jambot.
Tous deux ivres, dormons comme un sabot.
Et au réveil, quand le ventre lui bruit,
Monte sur moi que ne gâte son fruit.
Sous elle geins, plus qu'un ais me fais plat,
De paillarder tout elle me détruit,
En ce bordeau où tenons notre état.
Vente, grêle, gèle, j'ai mon pain cuit.
Ie suis paillard, la paillarde me suit.
Lequel vaut mieux ? Chacun bien s'entresuit.
L'un l'autre vaut ; c'est à mau rat mau chat.
Ordure aimons, ordure nous assuit ;
Nous défuyons honneur, il nous défuit,
En ce bordeau où tenons notre état.
Poésies (1869-1874)
Poésie
livre de François Coppée
Annotation :
François Coppée : 1842 - 1908
-Ruines du cœur-
Mon coeur était jadis comme un palais romain,
Tout construit de granits choisis, de marbres rares.
Bientôt les passions, comme un flot de barbares,
L'envahirent, la hache ou la torche à la main.
Ce fut une ruine alors. Nul bruit humain.
Vipères et hiboux. Terrains de fleurs avares.
Partout gisaient, brisés, porphyres et carrares ;
Et les ronces avaient effacé le chemin.
Je suis resté longtemps, seul, devant mon désastre.
Des midis sans soleil, des minuits sans un astre,
Passèrent, et j'ai, là, vécu d'horribles jours ;
Mais tu parus enfin, blanche dans la lumière,
Et, bravement, afin de loger nos amours,
Des débris du palais j'ai bâti ma chaumière.
Oeuvres complètes de Alfred de Musset
Sortie : 22 novembre 2012 (France). Vie pratique
livre de Alfred de Musset
Annotation :
Alfred de Musset : 1810 - 1857
-Le chant des amis-
De ta source pure et limpide
Réveille-toi, fleuve argenté ;
Porte trois mots, coursier rapide :
Amour, patrie et liberté !
Quelle voile, au vent déployée,
Trace dans l'onde un vert sillon ?
Qui t'a jusqu'à nous envoyée ?
Quel est ton nom, ton pavillon ?
- J'ai porté la céleste flamme
En tous lieux où Dieu l'a permis.
Mon pavillon, c'est l'oriflamme ;
Mon nom, c'est celui des amis.
Fils des Saxons, fils de la France,
Vous souvient-il du sang versé ?
Près du soleil de l'Espérance
Voyez-vous l'ombre du passé ? "
Le Rhin n'est plus une frontière ;
Amis, c'est notre grand chemin,
Et, maintenant, l'Europe entière
Sur les deux bords se tend la main.
De ta source pure et limpide
Retrempe-toi, fleuve argenté ;
Redis toujours, coursier rapide !
Amour, patrie et liberté.
Jean-Jacques Rousseau en 78 lettres (2010)
Sortie : 14 septembre 2010. Correspondance
livre de Jean-Jacques Rousseau
Annotation :
Jean-Jacques Rousseau : 1712 - 1778
-Romance-
Au lever de l'aurore,
Sur le lit de l'amour,
Zéphir caressait Flore
Plus belle qu'un beau jour.
Une jeune bergère
Auprès d'un noir cyprès,
A l'écho solitaire
Vint conter ses regrets.
Doux oiseaux de ces rives,
Pleurez, Tyrcis est mort ;
Tourterelles plaintives,
Gémissez de mon sort.
Quittez, roses nouvelles,
Vos riantes couleurs,
Et vous, échos fidèles,
Répétez mes douleurs.
Le rossignol sauvage
Venait du fond des bois
Suspendant son ramage
Écouter son hautbois.
Les vents alors paisibles
Murmuraient doucement,
Et les ruisseaux sensibles
Coulaient plus lentement.
Tyrcis le vrai modèle
Des bergers amoureux,
Discret, tendre et fidèle
Rendait mes jours heureux.
Avec des violettes
Il tressait des festons,
De rubans et d'aigrettes
Il ornait mes moutons.
Errez à l'aventure,
A la merci des loups ;
Désormais la nature
Doit prendre soin de vous.
Voici ma dernière heure,
Adieu, pauvre troupeau ;
Il faut bien que je meure,
Tyrcis est au tombeau !
Oeuvres complètes
Choix des poésies de Ronsard, Du Bellay, Baïf, Belleau...
Sortie : 13 décembre 2011 (France). Vie pratique
livre de Gérard de Nerval
Annotation :
Gérard de Nerval : 1808 - 1855
-La grand'mère-
Voici trois ans qu'est morte ma grand'mère,
La bonne femme, - et, quand on l'enterra,
Parents, amis, tout le monde pleura
D'une douleur bien vraie et bien amère.
Moi seul j'errais dans la maison, surpris
Plus que chagrin ; et, comme j'étais proche
De son cercueil, - quelqu'un me fit reproche
De voir cela sans larmes et sans cris.
Douleur bruyante est bien vite passée :
Depuis trois ans, d'autres émotions,
Des biens, des maux, - des révolutions, -
Ont dans les murs sa mémoire effacée.
Moi seul j'y songe, et la pleure souvent ;
Depuis trois ans, par le temps prenant force,
Ainsi qu'un nom gravé dans une écorce,
Son souvenir se creuse plus avant !
Alfred Jarry
Sortie : 1 janvier 1970 (France).
livre de Alfred Jarry et Jacques-Henry Lévesque
Annotation :
Alfred Jarry : 1873 - 1907
-Le bain du roi-
Rampant d'argent sur champ de sinople, dragon
Fluide, au soleil de la Vistule se boursoufle.
Or le roi de Pologne, ancien roi d'Aragon,
Se hâte vers son bain, très nu, puissant maroufle.
Les pairs étaient douzaine : il est sans parangon.
Son lard tremble à sa marche et la terre à son souffle ;
Pour chacun de ses pas son orteil patagon
Lui taille au creux du sable une neuve pantoufle.
Et couvert de son ventre ainsi que d'un écu
Il va. La redondance illustre de son cul
Affirme insuffisant le caleçon vulgaire
Où sont portraicturés en or, au naturel,
Par derrière, un Peau-Rouge au sentier de la guerre
Sur un cheval, et par devant, la Tour Eiffel.
Poésies
Sortie : 1989 (France). Poésie
livre de André Chénier
Annotation :
André Chénier : 1762 - 1794
-Les esclaves d'Amour ont tant versé de pleurs-
Les esclaves d'Amour ont tant versé de pleurs !
S'il a quelques plaisirs, il a tant de douleurs !
Qu'il garde ses plaisirs. Dans un vallon tranquille
Les Muses contre lui nous offrent un asile ;
Les Muses, seul objet de mes jeunes désirs,
Mes uniques amours, mes uniques plaisirs.
L'Amour n'ose troubler la paix de ce rivage.
Leurs modestes regards ont, loin de leur bocage,
Fait fuir ce dieu cruel, leur légitime effroi.
Chastes Muses, veillez, veillez toujours sur moi.
Mais, non, le dieu d'amour n'est point l'effroi des Muses ;
Elles cherchent ses pas, elles aiment ses ruses.
Le coeur qui n'aime rien a beau les implorer,
Leur troupe qui s'enfuit ne veut pas l'inspirer.
Qu'un amant les invoque, et sa voix les attire ;
C'est ainsi que toujours elles montent ma lyre.
Si je chante les dieux ou les héros, soudain
Ma langue balbutie et se travaille en vain ;
Si je chante l'Amour, ma chanson d'elle-même
S'écoule de ma bouche et vole à ce que j'aime.
Textes et chansons (2004)
Sortie : 1 juin 2004. Vie pratique
livre de Boris Vian
Annotation :
Boris Vian : 1920 - 1959
-Le Déserteur-
Monsieur le président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps.
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir.
Monsieur le président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer de pauvres gens.
C'est pas pour vous fâcher,
Il faut que je vous dise,
Ma décision est prise,
Je m'en vais déserter.
Depuis que je suis né,
J'ai vu mourir mon père,
J'ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants.
Ma mère a tant souffert
Qu'elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers.
Quand j'étais prisonnier,
On m'a volé ma femme,
On m'a volé mon âme,
Et tout mon cher passé.
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes,
J'irai sur les chemins.
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France,
De Bretagne en Provence
Et je crierai aux gens:
«Refusez d'obéir,
Refusez de la faire,
N'allez pas à la guerre,
Refusez de partir.»
S'il faut donner son sang,
Allez donner le vôtre,
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le président.
Si vous me poursuivez,
Prévenez vos gendarmes
Que je n'aurai pas d'armes
Et qu'ils pourront tirer.
Romans, contes et nouvelles
Tome 2
Théophile Gautier : Romans, contes et nouvelles, tome 2
Sortie : 23 octobre 2002 (France). Roman
livre de Théophile Gautier
Annotation :
Théophile Gautier : 1811 - 1872
-Étoiles, qui d'en haut voyez valser les mondes-
Étoiles, qui d'en haut voyez valser les mondes,
Faites pleuvoir sur moi, de vos paupières blondes,
Vos pleurs de diamant ;
Lune, lis de la nuit, fleur du divin parterre,
Verse-moi tes rayons, ô blanche solitaire,
Du fond du firmament !
Oeil ouvert sans repos au milieu de l'espace,
Perce, soleil puissant, ce nuage qui passe !
Que je te voie encor ;
Aigles, vous qui fouettez le ciel à grands coups d'ailes,
Griffons au vol de feu, rapides hirondelles,
Prêtez-moi votre essor !
Vents, qui prenez aux fleurs leurs âmes parfumées
Et les aveux d'amour aux bouches bien-aimées ;
Air sauvage des monts,
Encor tout imprégné des senteurs du mélèze ;
Brise de l'Océan où l'on respire à l'aise,
Emplissez mes poumons !
Avril, pour m'y coucher, m'a fait un tapis d'herbe ;
Le lilas sur mon front s'épanouit en gerbe,
Nous sommes au printemps.
Prenez-moi dans vos bras, doux rêves du poète,
Entre vos seins polis posez ma pauvre tête
Et bercez-moi longtemps.
Loin de moi, cauchemars, spectres des nuits ! Les roses,
Les femmes, les chansons, toutes les belles choses
Et tous les beaux amours,
Voilà ce qu'il me faut. Salut, ô muse antique,
Muse au frais laurier vert, à la blanche tunique,
Plus jeune tous les jours !
Brune aux yeux de lotus, blonde à paupière noire,
Ô Grecque de Milet, sur l'escabeau d'ivoire
Pose tes beaux pieds nus ;
Que d'un nectar vermeil la coupe se couronne !
Je bois à ta beauté d'abord, blanche Théone,
Puis aux dieux inconnus.
Ta gorge est plus lascive et plus souple que l'onde ;
Le lait n'est pas si pur et la pomme est moins ronde.
Allons, un beau baiser !
Hâtons-nous, hâtons-nous ! Notre vie, ô Théone,
Est un cheval ailé que le Temps éperonne,
Hâtons-nous d'en user.
Chantons Io, Péan !... Mais quelle est cette femme
Si pâle sous son voile ? Ah ! c'est toi, vieille infâme !
Je vois ton crâne ras ;
Je vois tes grands yeux creux, prostituée immonde,
Courtisane éternelle environnant le monde
Avec tes maigres bras !
Jules Verne
Le secret des cartonnages
Sortie : 12 décembre 2005 (France). Beau livre
livre de Philippe Jauzec
Annotation :
Jules Verne : 1828 - 1905
-Ô toi, que mon amour profond...-
A Herminie.
Ô toi, que mon amour profond et sans mélange
Formé de ton image et de ton souvenir,
Avait su distinguer en l'auguste phalange
Des jeunes beautés dont nous faisons notre ange
Pour nous guider dans l'avenir,
Toi que tout rappelait à mon âme inquiète,
Et dont l'âme sans cesse assise auprès de moi,
Me dérobait du temps, qu'à présent je regrette,
Le cours lent à mes voeux, quand la bouche muette,
Je ne pouvais penser qu'à toi,
Qu'as-tu fait - loin de moi, tu fuis, et ton sourire
Vers moi se tourne encor, adorable et moqueur,
Tu sais ce que toujours, tout-puissant, il m'inspire,
Tu l'adresses, hélas ! il me paraît me dire :
Je te quitte de gaîté de coeur !
Tu me railles, méchante, ah ! de ta moquerie,
Si tu voyais combien l'aiguillon me fait mal,
Ce qu'à l'âme, il me met de douleur, de furie !
D'amour ! tu cesserais ta vile fourberie !...
Mais non ! - cela t'est bien égal !
C'est trop te demander - pars, fuis où bon te semble ;
Ailleurs, va-t'en verser la joie et le plaisir ;
Cherche un autre amant ; Dieu fasse qu'il me ressemble !...
Nous pouvions dans l'amour vivre longtemps ensemble...
Seul, dans l'ennui, je vais mourir !
A la recherche de Marcel Proust
Sortie : 23 avril 2003 (France). Biographie
livre de André Maurois
Annotation :
Marcel PROUST : 1871-1922
-Je contemple souvent le ciel de ma mémoire-
Le temps efface tout comme effacent les vagues
Les travaux des enfants sur le sable aplani
Nous oublierons ces mots si précis et si vagues
Derrière qui chacun nous sentions l'infini.
Le temps efface tout il n'éteint pas les yeux
Qu'ils soient d'opale ou d'étoile ou d'eau claire
Beaux comme dans le ciel ou chez un lapidaire
Ils brûleront pour nous d'un feu triste ou joyeux.
Les uns joyaux volés de leur écrin vivant
Jetteront dans mon coeur leurs durs reflets de pierre
Comme au jour où sertis, scellés dans la paupière
Ils luisaient d'un éclat précieux et décevant.
D'autres doux feux ravis encor par Prométhée
Étincelle d'amour qui brillait dans leurs yeux
Pour notre cher tourment nous l'avons emportée
Clartés trop pures ou bijoux trop précieux.
Constellez à jamais le ciel de ma mémoire
Inextinguibles yeux de celles que j'aimai
Rêvez comme des morts, luisez comme des gloires
Mon coeur sera brillant comme une nuit de Mai.
L'oubli comme une brume efface les visages
Les gestes adorés au divin autrefois,
Par qui nous fûmes fous, par qui nous fûmes sages
Charmes d'égarement et symboles de foi.
Le temps efface tout l'intimité des soirs
Mes deux mains dans son cou vierge comme la neige
Ses regards caressants mes nerfs comme un arpège
Le printemps secouant sur nous ses encensoirs.
D'autres, les yeux pourtant d'une joyeuse femme,
Ainsi que des chagrins étaient vastes et noirs
Épouvante des nuits et mystère des soirs
Entre ces cils charmants tenait toute son âme
Et son coeur était vain comme un regard joyeux.
D'autres comme la mer si changeante et si douce
Nous égaraient vers l'âme enfouie en ses yeux
Comme en ces soirs marins où l'inconnu nous pousse.
Mer des yeux sur tes eaux claires nous naviguâmes
Le désir gonflait nos voiles si rapiécées
Nous partions oublieux des tempêtes passées
Sur les regards à la découverte des âmes.
Tant de regards divers, les âmes si pareilles
Vieux prisonniers des yeux nous sommes bien déçus
Nous aurions dû rester à dormir sous la treille
Mais vous seriez parti même eussiez-vous tout su
Pour avoir dans le coeur ces yeux pleins de promesses
Comme une mer le soir rêveuse de soleil
Vous avez accompli d'inutiles prouesses
Pour atteindre au pays de rêve qui, vermeil,
Se lamentait d'extase au-delà des eaux vraies
Sous l'arche sainte d'un nuage cru prophète
Mais il est doux d'avoir pour un rêve ces plaies
Et votre souvenir brille comm
Une vie
Sortie : juin 2008 (France). Autobiographie & mémoires
livre de Simone Veil
Annotation :
Simone VEIL : 1927 - 2017
-Il restera de toi…-
ce que tu as donné.
Au lieu de le garder dans des coffres rouillés.
Il restera de toi de ton jardin secret,
Une fleur oubliée qui ne s'est pas fanée.
Ce que tu as donné
En d'autres fleurira.
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera.
Il restera de toi ce que tu as offert
Entre les bras ouverts un matin au soleil.
Il restera de toi ce que tu as perdu
Que tu as attendu plus loin que les réveils,
Ce que tu as souffert
En d'autres revivra.
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera.
Il restera de toi une larme tombée,
Un sourire germé sur les yeux de ton coeur.
Il restera de toi ce que tu as semé
Que tu as partagé aux mendiants du bonheur.
Ce que tu as semé
En d'autres germera.
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera.
Oeuvres poétiques complètes (2002)
Des vers et autres poèmes
Sortie : 1 janvier 2002. Poésie
livre de Guy de Maupassant
Annotation :
Guy de MAUPASSANT : 1850-1893
-Désirs-
Le rêve pour les uns serait d'avoir des ailes,
De monter dans l'espace en poussant de grands cris,
De prendre entre leurs doigts les souples hirondelles,
Et de se perdre, au soir, dans les cieux assombris.
D'autres voudraient pouvoir écraser des poitrines
En refermant dessus leurs deux bras écartés ;
Et, sans ployer des reins, les prenant aux narines,
Arrêter d'un seul coup les chevaux emportés.
Moi ; ce que j'aimerais, c'est la beauté charnelle :
Je voudrais être beau comme les anciens dieux,
Et qu'il restât aux coeurs une flamme éternelle
Au lointain souvenir de mon corps radieux.
Je voudrais que pour moi nulle ne restât sage,
Choisir l'une aujourd'hui, prendre l'autre demain ;
Car j'aimerais cueillir l'amour sur mon passage,
Comme on cueille des fruits en étendant la main.
Ils ont, en y mordant, des saveurs différentes ;
Ces arômes divers nous les rendent plus doux.
J'aimerais promener mes caresses errantes
Des fronts en cheveux noirs aux fronts en cheveux roux.
J'adorerais surtout les rencontres des rues,
Ces ardeurs de la chair que déchaîne un regard,
Les conquêtes d'une heure aussitôt disparues,
Les baisers échangés au seul gré du hasard.
Je voudrais au matin voir s'éveiller la brune
Qui vous tient étranglé dans l'étau de ses bras ;
Et, le soir, écouter le mot que dit tout bas
La blonde dont le front s'argente au clair de lune.
Puis, sans un trouble au coeur, sans un regret mordant,
Partir d'un pied léger vers une autre chimère.
- Il faut dans ces fruits-là ne mettre que la dent :
On trouverait au fond une saveur amère.
Octobre en wagon
Sortie : octobre 2007 (France).
livre de Marina Tsvétaïeva
Annotation :
Arthur Rimbaud : 1854 - 1891
-Rêvé pour l'hiver-
L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…
Et tu me diras : » Cherche ! » en inclinant la tête,
– Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
– Qui voyage beaucoup…
Merci à Martin Arnaud