c'que j'lis

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janvier

Toujours un sentiment d'être lâché dans le vide avec Gracq, qui ne ménage aucun espace de sûreté pour la compréhension, ne se soucie jamais d'éclairer ses références, ni sa syntaxe d'ailleurs. On ne peut pas lui en vouloir, ces textes n'avaient pas vocation à être publiés (pas directement, du moins). Pourtant, les petites maximes disséminées ici et là, les élans de sagesse complice savent se faire entendre avec aplomb, on trouve même quelques traits d'esprit un peu pesant, mais d'une décontraction étonnante. Dommage que le tout dénote le plus souvent un esprit un peu rance de redresseur de torts et de réécriveur d'histoire.

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Brillance de JP dont les textes critiques, sous leur habit d'école bien repassé, sont des prétextes à un torrent de sensations, et donnent furieusement envie de lire les auteurs investigués : ici, outre les habituels Bergounioux et Michon, Yves Bichet (qui ouvre splendidement le livre avec sa boue infinie) et Dominique Barbéris (paysagiste en cheffe).

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Terrible, terrible...

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Le livre a un potentiel usant qui ne se révèle jamais tout à fait : Eugenides commence par rouler des mécaniques, puis la cadence redescend, se stabilise, atteint de longs plateaux monomaniaques, mais ne cherche plus à égarer le lecteur, le tient rigoureusement informé mais sans excédent de faits. On finirait presque apaisé...!

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février

On dirait qu'on n'y trouve qu'une seule chose bien, une façon de faire couler les phrases pour dire et structurer amoureusement le sensible (en tout cas le visible) dans tous ses enchevêtrements successifs (les reflets les plus banals, créés par l'interaction de la lumière et d'une vitre, sont perçus comme des miracles inconcevables, qu'on ne vit qu'avec stupeur et abandon), où l'inanimé recèle de conflits muets. Jolies évocations toutes simples de l'odeur de la nuit et de la pluie. Étrange manie de répéter deux fois certaines phrases en les secouant à peine, comme dans un pastiche de litanie mentale.
Mais le plus déplaisant est le cynisme carrément déplacé, assez adolescent, qui déboule régulièrement de nulle part dans la narration pour pointer les tares (toujours « sociologiques ») des personnages de l'hôtel Beau Rivage, caractérisations prévisibles qui viennent comme confirmer bien sagement l'écart entre nos héros, intellectuels lucides, et leurs collègues de vacances un peu gênants. Exception faite de Serge, censé jouer le rôle du chien macho dans le jeu de quilles timides, mais qui jamais ne parvient à « créer le trouble » auquel la narratrice veut nous faire croire ; là encore, il sait au mieux se montrer détestable en confondant séduction et séquestration.

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(avec une autre nouvelle, Sir Edmund Orme)

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Georges Poulet n'a qu'une chose à dire, mais des centaines d'outils pour le faire : l'acte primordial de toute écriture (et de toute lecture) est celui de la conscience de soi. Une fois ce constat posé et brillamment re-posé dans la plupart de ses livres, il faut l'illustrer à l'aide d'oeuvres triées sur le volet et d'apparence hétéroclite : dans l'ordre dicté par l'argumentation, Amiel (le plus beau chapitre), Mallarmé (rigoureusement éclairant), Valéry (limpide), Claudel, Michaux, et Bosco qui clôt étonnamment la marche. Plaisir de comprendre.

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Livre très amusant et sympathique, qui a l'assurance et la capacité de réconfort d'un grand-père taiseux qui se met à bavarder.

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Ce recueil de chroniques et esquisses en tout genre contient quantité de choses saisissantes, mais je pense en premier à un passage de Thomas Merton rapporté, sans commentaires, par Lispector :

« La véritable solitude est privée de tout moi.
C’est pourquoi elle est riche de silence, de charité et de paix. Elle trouve en elle d’inépuisables sources de bien pour les autres. La fausse solitude est égocentrique. Et, comme elle ne trouve rien en son centre, elle essaie d’attirer à elle toutes les choses. Mais chaque chose qu’elle touche s’infecte de son propre néant, et elle se détruit. La véritable solitude nettoie l’âme, s’ouvre totalement aux quatre vents de la générosité. La fausse solitude ferme la porte à tous les hommes. »

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On aurait pu s'y attendre, c'est un livre remarquable sur le sentiment amoureux, et pas grand-chose d'autre. C'est plus qu'il n'en faut.

« Un épisode que j’avais oublié : je le connaissais depuis un peu plus d’un an, je devais assister aux Rencontres de la photographie d’Arles, je l’avais invité à venir avec moi, il n’avait pas pu, je lui avais laissé au hasard le nom de l’hôtel. Un soir, au moment d’entrer à la projection, je le trouve à la grille des arènes. Je suis si heureux que j’en deviens froid, tétanisé par un bonheur qui me glace. Il me dit : « Je suis crevé, j’ai voyagé toute la journée en stop pour te rejoindre, allons à ton hôtel. » Je n’ai rêvé et je ne rêve que de ce moment où je me retrouverai avec lui dans ma chambre d’hôtel, et pourtant mes lèvres lui répliquent sèchement : « On ira tout à l’heure, voyons d’abord la projection. » À la fin de la séance, Vincent m’a annoncé qu’il repartait ; au bonheur glacé a succédé le malheur brûlant. »

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« Mlle Pourrat, elle s’appelait ainsi, m’écrivit que c’était à ses parents à décider de son sort, et qu’il ne lui convenait pas de recevoir des lettres d’un homme. Je ne me le tins pas pour dit et je recommençai de plus belle mes propositions d’enlèvement, de délivrance, de protection contre le mariage qu’on voulait la forcer à contracter. On eût dit que j’écrivais à une victime qui avait imploré mon secours, et à une personne qui avait pour moi toute la passion que je croyais ressentir pour elle : et dans le fait, toutes mes épîtres chevaleresques étaient adressées à une petite personne très raisonnable qui ne m’aimait pas du tout, qui n’avait aucune répugnance pour l’homme qu’on lui avait proposé, et qui ne m’avait donné ni l’occasion ni le droit de lui écrire de la sorte. Mais j’avais enfilé cette route et pour le diable je n’en voulais pas sortir. »
« Ensuite, j’avais depuis longtemps dans la tête que, de vouloir se tuer pour une femme, c’était un moyen de lui plaire.
Cette idée n’est pas exactement vraie. Quand on plaît déjà à une femme et qu’elle ne demande qu’à se rendre, il est bon de la menacer de se tuer parce qu’on lui fournit un prétexte décisif, rapide et honorable. Mais quand on n’est point aimé, ni la menace ni la chose ne produisent aucun effet. Dans toute mon aventure avec Mlle Pourrat, il y avait une erreur fondamentale, c’est que je jouais le roman à moi tout seul. »

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mars

« Elle donnait l’impression, quand elle parlait, de ne pas savoir relier les mots à la richesse d’un langage antérieur. Ils étaient sans histoire, sans lien avec le passé de tous, sans rapport même avec sa vie à elle, ni avec la vie de personne. Pourtant, ils disaient ce qu’ils disaient avec une exactitude que seul leur manque d’équivoque rendait suspecte : comme s’ils avaient eu une signification unique hors de laquelle ils redevenaient silencieux.
Le sens de toute cette histoire était celui d’une longue phrase qui ne pouvait être morcelée, qui ne trouverait de sens qu’à la fin et qui, à la fin, ne le trouverait que comme un souffle de vie, le mouvement immobile de tout l’ensemble.
Il commença d’entendre à côté de ce qu’elle disait, et comme en arrière, mais dans une étendue sans profondeur, sans haut ni bas, et pourtant matériellement situable, une autre parole avec laquelle la sienne n’avait presque rien de commun. »

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Très bonnes confidences impertinentes entre filles.

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avril

« Véritable Proust d'outre-Manche », nous dit la quatrième de couverture. Outre l'inanité nécessaire de la comparaison marketing (qui opère presque une substitution : who needs Proust when we've got Powell?), il y a un truc autour de la plongée dans le s o u v e n i r, certes, mais qui est doté d'infiniment plus de légèreté. Le narrateur convoque les bribes d'un passé pour l'essentiel anecdotique (et dont il sait faire briller la drôlerie délicate) mais qui, comme sa pertinence pour le récit, ne fait qu'affleurer par intermittence, sur le mode de la rêverie flâneuse (on est manifestement très loin de l'intensité inaugurale de la madeleine).

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mai

Correctif assez intéressant porté sur le fameux essai de David Foster Wallace concernant le jeu de Federer (https://www.nytimes.com/2006/08/20/sports/playmagazine/20federer.html), et en particulier ce match de 2005 où il aurait mis un point surhumain à Agassi, se tirant là d'un mauvais pas qui aurait dû le condamner. Palliano décrit, comme son prédecesseur, l'échange coup par coup (quoi de plus fascinant ! on aimerait lire ça plus souvent, des descriptions limpides de jeu sportif), pour finalement nous avouer qu'après vérification... il n'a tout simplement jamais trouvé le point en question en revisionnant le match, même en le passant plusieurs fois au peigne fin. Licence poético-rhétorique délibérée de la part de DFW, ou rêverie incontrôlée sur les exploits de son idole ? Nous ne le saurons bien évidemment jamais.