Carnet de Curiosités : Lectures 2024
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116 livres
créée il y a 11 mois · modifiée il y a 3 joursLa Semaison (1984)
Carnets 1954-1979
Sortie : 12 avril 1984. Journal & carnet
livre de Philippe Jaccottet
Nushku a mis 7/10.
Annotation :
"Mort de Jean Paulhan. L'un des esprits qui nous étaient aujourd'hui le plus nécessaires, pour sa justesse, sa justice. Par l'effet de sa grande pudeur, et par une ruse nécessaire, alors qu'il semblait traiter de sujets mineurs, de problèmes très spécialisés ou de cas bizarres, il parlait de ce qu'il y a de plus central et de plus haut."
"J'avais oublié la mesure des mondes."
• Sentir non une opposition mais une distance entre lui & moi, entre ses exigences et les miennes. Brumeux, chassieux mais non volontiers car à la recherche, comme chez Ponge, du mot juste. Ne me suis jamais reconnu dans ce refus ou cette haine des mots qui peut tourner aigre, virer au maniérisme, aux préciosités de vieux monsieur rejetant le monde. Ce qu'il dit à propos de Rilke paraît lui convenir autant : "quelquefois agacé par un excès de raffinement de la sensation." L'ivoire encore. Sévère, exigeant, acrimonieux ? Je l'imagine alors sans humour, sans patience envers ses proches. Sans doute à tort.
« Vie à mesure changée en images, réduite en images / qui se filtrent en nous. »
• N'empêche — impressionné n'est pas le mot — épaté (inquiété?) face à ces auteurs qui peuvent, veulent écrire tous les jours (et uniquement) sur leur jardin, le ciel, les saisons, si loin des contingences journalières, des vicissitudes quotidiennes. J'allais écrire normale. Comme si ces poètes n'avaient pas une vie identique à la nôtre.
« pavillon d’images » / « On y habite un lieu ouvert, poreux, proche de la nature végétale et traversé par l'air. Les jardins chinois où les poètes composaient leurs éloges subtils du monde. » (Belvédère de M.)
• Approche visuelle de ces paysages. Ce terme, déjà, qui m’est venu, chargé : évocation picturale, « surface plane [..] en un certain ordre assemblées ». Comme vus derrière une vitre. C’est un motif qui revient souvent chez lui. Jaccottet arpente-t-il s/ces paysages ?
• Curieux de lire l'anti-Semaison, le Désherbage, car l'on sait qu'il a taillé dans le gras pour ce qui n'est pas un journal intime.
◦ {Lire la Seconde}
« Traînant parmi les ruines des grands poèmes, errant de l'un à l'autre, cherchant appui un instant, puis, découragé, refermant ces portes dégondées »
« Le peu de souvenirs qui me reste de chaque époque de ma vie, et leur vague, me remplit d'étonnement. »
Des grives aux loups
Sortie : 1979 (France). Roman
livre de Claude Michelet
Nushku a mis 7/10.
Annotation :
Best-seller de la toute fin des années 70. On parle tout de même de plus 3 millions d’exemplaires écoulés. Qui lit encore Michelet de nos jours à part peut-être quelques nostalgiques d’une France fantasmanostalogique pour qui l’֤École de Brive vaudrait plus que le Nouveau Roman ? Michelet, disparu il y a 2 ans, jouait alors — cela n’apparaît pas le moins du monde dans le roman — de l’opposition entre sa littérature régionale forcément populaire, donc sincère et dure au travail et les ronds de jambes de ces flagorneurs du gratin parisiens. Mouais…
Se forcer à ne pas juste regretter que ce ne soit pas du Giono et sa verve enchantée ni du Bergounioux et son regard acéré ou du Rouaud et son épopée triste. Manque de paysages, de descriptions, de caractères. Manque de liberté, tout file droit, nécessaire.
Comme Bazaar : patelin perdu, bourgade écrasée sous le poids de la vindicte populaire, écartelée entre tradition et modernité (c'est le titre d'un chapitre de manuel d'histoire-géo), corsetée par la religion. C’est alors histoires de mariages, de dots, de voies toutes tracées (où l’on filerait la métaphore du sillon labouré). Quoique Michelet n'en fasse pas des tonnes dans le misérabilisme ni d’ailleurs dans le régionalisme : pas de factice décorum de patois à part le répété miladiou. Il s’était par contre plongé dans les archives locales pour que tout soit, non pas véridique, mais crédible, véritable : prix, marques, noms, thèmes, chiffres.
Étonné par la tournure des évènements, c'est-à-dire la fêlure, fissure puis fracture ouverte, terrible, violente et sans rémission possible entre père et fils et filles. Nous sommes loin du noyau familial soudé contre le monde et ses avanies auquel je m'attendais.
Ce fût agréable à lire, je ne dis pas. Curieux de la suite : le fils aura à faire, sûrement, avec la Gestapo, la Résistance.
Comme Bazaar, étonné par l’absence de nouvelle adaptation que ce soit en mini-série France 2 ou en film à costumes avec Auteuil, Ménochet, Gadebois, Duvauchelle en paysans ronchons, froissés.
« La vie reprit […] Avec la guerre, ce n’étaient pas seulement 1 300 000 hommes qui étaient morts, c’était toute une époque, un siècle même. »
{Lire les Thibault}
Füssli (2022)
Entre rêve et fantastique
Sortie : 14 septembre 2022. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture
livre de Andreas Beyer, David Blainey Brown et Martin Myrone
Nushku a mis 7/10.
Annotation :
{Le plaisir de lire les cat. d'expo longtemps après les avoir visitées pour en raviver le souvenir, retremper le pinceau à la palette : la couleur se rafraîchit.} {Pis c'est temps à lire du Hoffman.}
On peut reprocher mille choses aux Surréalistes, à raison souvent mais pas de ne pas avoir joué les Indiana Jones et Lara Croft des arts passés. Füssli redécouvert par eux, archétype de l'artiste populaire (pas tant) qui sombre par la suite dans l'oubli et se voit ramené à la lumière des cimaises au début du XXe siècle. Au point qu'on finit par oublier ces abandons et qu'ils apparaissent comme des génies éternels, étoiles d'un ciel immuable, ciel des des fixes. On a je crois du mal à se figurer à quel point notre musée imaginaire n'est pas aussi figé, comprendre nécessaire, évident (juste) qu'on le croit.
Pas trop de gloses à étaler ici. Voir extraits dans Glanures, éloquentes.
Füssli peut certes facilement se caricaturer, réduit à quelques figures shakespeariennes aux yeux écarquillés, ramené sans fin à son Cauchemar et sa postérité [Cauchemar qui n'était PAS dans l'Expo, des copies de sa main, oui, mais l'impression que les visiteurs ne s'en rendaient pas compte] mais ce n'est pas trahison ni dénaturation. Il faut garder en tête cependant l'influence antique et michelangénienne en tête. Fussfusse était homme de contradictions fondues, amalgamées en un alliage harmonieux. Caricature et essence peuvent parfois faire bon ménage.
Soit dit en passant, je redécouvre à mon tour que je connais très mal la peinture anglaise. Non, je ne parle pas de Turner ni de Constable, Hogarth... Les autres, actually.
*
« L'influence directe du savant zurichois sur la formation culturelle et artistique de Füssli va sans doute plus loin, puisque Bodmer était également le traducteur du poète John Milton et qu'il s'était intéressé avec non moins d'enthousiasme au Moyen Âge et à la littérature en haut moyen allemand. Le philologue s'était pris de passion pour la Chanson des Nibelungen, dont on avait redécouvert le manuscrit en 1755. Cette épopée fut rapidement considérée comme une « Illiade allemande » et, en 1769, Bodmer entreprit d'en publier des extraits. Homère, l’Illiade et l'Odyssée, John Milton ou William Shakespeare, mais aussi la Chanson des Nibelungen seront les sources d'inspiration auxquelles Füssli puisera toute sa vie ses images : l'éclectisme comme programme, le syncrétisme comme profession de foi artistique. »
Noireclaire (2015)
Sortie : 8 octobre 2015 (France). Poésie
livre de Christian Bobin
Nushku a mis 4/10.
Annotation :
Par ce titre qui évoque à la tant et si peu, fébrile. Si je n'aime guère l'expression d'impressionniste pour décrire des écritures fortes en couleurs et riches de sensations, elle s'y prête pourtant bien à celle de Bobin. Par son aspect de touches isolées qui par leur voisinage crée teintes, couleurs, nuances et (peu) contrastes. De cet Impressionnisme qui laissait voir la jute de la toile, le pinceau à peine trempé laissant trace de poils.
Parfois des échos élimés de Supervielle.
Sincère, souffrance à nu. Âme dévoilée. Cela suffit-il ?
Les oiseaux, les poètes chinois, les rires des enfants. Cela suffit-il ?
« Quand tu étais de ce monde j’adorais traverser avec toi la campagne au vert surnaturel, ses chorales de sous-bois et ses poèmes de barrières. »
« Lire prend mes mains, mon visage, mon temps, ma réserve d’espérance et change tout ça en silence, en bonne farine lumineuse de silence. »
« Je cherche ton visage comme on cherche l’interrupteur dans le noir.
Le poète perce quelques trous dans l’os du langage pour en faire une flûte. Ce n’est rien mais ce rien parle de l’éternel.
Personne n’est aussi seul que le son d’une flûte. »
« Le chat sauvage passe devant la fenêtre. Il est noir, musclé. Ses griffes sont d’acier. Dans ses yeux verts roulent des planètes, s’entassent des nuits et des guerres. »
Giono-Paulhan (2000)
Correspondance (1928-1963)
Sortie : 23 mars 2000. Correspondance
livre de Jean Giono et Jean Paulhan
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
Je dois avoir lu déjà quelque unes de ces lettres dans la correspondance de Giono avec les Éditions NRF, même si c’est surtout Gallimard & fils qui y étaient à l’honneur.
Paulhan, vous connaissez : éditeur, auteur, ombre tutélaire de la moitié du XXe siècle dans la République des lettres, toujours là, en fond, en sourdine sans jamais l’être. Il est la ligne de basse de la littérature du siècle dernier.
« Petit à petit, marcher s'il est possible vers plus de simplicité, de vérité, et voir de plus en plus vaste. »
Néanmoins les lettres de Paulhan n’étant pas ou si peu conservées, même carrément égarées, c’est surtout à long monologue de Giono étalé sur presque 35 ans que l’on a le droit. 35 ans d’amitié lointaine mais réelle, profonde, qui semble lourde de promesses. Et que peut-être plus de rencontres IRL, d’intimité aurait effrité ? Rien de bouleversant in fine. Cette correspondance vient compléter quelques micro-trous dont je connaissais déjà la teneur et la couleur par le jeu des contrastes et des complémentaires. On y retrouve notamment le micmac du double contrat avec Grasset, sa défense après la guerre, l’ombre de ses infidélités, ses grands projets de chroniques abandonnés. Celle avec Lucien Jacques sont grand ami, en deux volumes, m’intéresse moins.
« Très bouleversé du Hussard. Ces grands vents, dans votre œuvre, ce sommeil rouge, cette peste qui court, jamais encore je ne m’étais senti à ce point transporte, ravi par vous. Merci. J’ai eu un grand bonheur à lire hier ces pages, que je vous renvoie (Mais où vont-elles paraitre ? en France ? et en ce cas pas avant Les Cahiers de la Pléiade, n’est-ce-pas ? C’est-à-dire vers le 1" mars. Je vous en prie.)
Seulement je voudrais mieux connaître Angelo. »
« J'avais aussi des extraits de Fragments d’un paradis, mais c’était vous placer tout de suite dans un Giono tout à fait inconnu et que pour instant je garde timidement secret. Enfin, depuis sept ans j’accumule ici romans, poèmes et écrits inclassables, au gré de ma fantaisie. Il y en a pas loin de 8 à 10000 pages. Je crois, moi, que dieu finira pas reconnaitre les siens. Vous ne croyez pas ? »
Bazaar (1991)
Needful Things
Sortie : 8 octobre 1992 (France). Roman
livre de Stephen King / Richard Bachman
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
Je l’ai très peu lu et pourtant le connais bien. Adaptations en films, téléfilms, séries, parodies, forums j'entrevois bien son œuvre, en connaissant les fins et les retournements. Lire les 2000 pages du Fléau en ayant vu mini-série et télé-suite ? les 1500 pages de Dome en connaissant le pourquoi (et le par qui) ?
Avec Bazaar à part la ligne de ba(s)se d'un magasin au gérant démoniaque qui fout le boxon, pas grand-chose. Quoique… Influencé par sa parodie dans R&M, aussi à la thématique du roman censée être l'addiction, je m'attendais à ce que les objets soient plus présents, moteurs de l'action et non juste appâts puis hameçons (et un brin ridicules). C'est en fait Gaunt qui met tout en place, force l'échiquier, a la main lourde à la pâte.
Je crois pouvoir l'apprécier dans l'unité de lieu, huis-clos (aéroport, salle de classe, magasin, la bulle mouvante d'une marche) et de temps. Ici l'unité quoique élargie reste confinée dans une bourgade, un petit mois.
Castle Rock-in-Maine ! Light en fantastique, dénué d’horreur, King donne dans la satire. Anatomie d'une petite ville comme Balzac, autopsie des âmes humaines, dissection de rages rentrées — le terme comédie humaine apparaît en français dans le texte — et surtout comme Anderson, leur maître à tous pour paraphraser Faulkner, et son Winesburg-en-Ohio. Bazaar pourrait presque être un fix-up de nouvelles rassemblées en un mille-feuilles de frustrations.
Cela m'étonne que ce roman n'ait jamais été adaptée en série, il y a pourtant matière à, surtout avec les tics modernes : explorer rancœurs et rancunes en multipliant les micro-scènes, tirer sur la corde sur l'étrangeté de Leland, empiler les flashbacks explicatifs et expiatoires. Ajoutez un brin de grotesque et vous avez White Lotus ou l'une de ses variations.
NB : gamin je n'aimais pas King car je le trouvais vulgaire, tout habitué à Verne, Clarke, Doyle que j'étais. Et si c’était la faute à W.O.D qui a l’air d’avoir clairement le melon ? Après comparaison, il en rajoute clairement dans l’insulte, l’argot… (étrange passage où il a rajouté un (ah ! ah !) absent de la vo à son adaptation d’un jeu de mot ?) C’est fluide mais parfois du côté des Séries Noires. Itou pas convaincu par "Bazar des rêves" qui tout de suite charge une connotation magique. WOD disait que personne ne regarde le nom du traducteur. Si, dorénavant j’irai à reculons en voyant le sien. Et il paraît que ses successeurs sont pires...
L'Agrafe (2024)
Sortie : 29 août 2024. Roman
livre de Maryline Desbiolles
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
« Il faut tenir aux bribes, manques, mots écorchés. » Il y a chez Desbiolles un plaisir du texte similaire à celui que je trouve chez d’autres auteurices, notamment verdiéristes comme Pradeau, Bergounioux, ou certains Giono, Germain voire Ernaux. Quoique celui-là aille parfois aussi du côté d'une Kérangal :: géométrie, étymologie et paysages. Le commun de cette liste arbitraire ? La concentration je crois, la densité par page, en mots, en idées, en sonorités rêches. Bribes. Si j'ai toujours trouvé Bergounioux rugueux, sec, Desbiolles me fait mentir : elle est pire, plus sèche encore, saillante, acérée. L'agrafe c'est aussi la plume de Desbiolles qui nous agrippe, nous enserre entre ses lignes piquantes, ses pages hérissées, comme des "lames étincelantes qui font crisser les dents, un peu."
(Un opuscule qui reste toutefois court sur pattes.)
« Elle gagnait à son corps défendant, mais de tout son cœur. »
*
« On ne voit qu'elle. Même très petite, de loin, à l’assaut dérisoire de la pente. Minuscule battement dans l’après-midi étincelant du mois de janvier. Ce début d’après-midi, épinglé de lumière, qui pourrait ne jamais finir. Argenture des collines dont la marne grise s’effrite sous les chaussures, herbes sèches mordues par le gel qui crépitent dans le pré, ruisseau brillant comme une aiguille au fond du ravin : par exception, il a plu un peu la veille. On ne voit qu’elle. »
/
« Vu d’ici, d’un peu haut, tout le paysage converge vers elle, petit point claudicant, vif-argent, comme si la brillance de ce début d’après-midi y était condensée et portée à incandescence. Le petit point claudicant pourrait fusionner avec le paysage s’il ne le détraquait pas plus encore. S’il ne le blessait pas, serait-on tentés de dire, comme on sait de quel malheur procède cette boiterie. »
*
« Il doit lui délivrer des bribes. Pas un récit où tout s’emboîte un peu trop bien. Des bribes. Elle ne l’a pas accompagné chez lui pour qu’il lui apprenne ce qu’elle sait déjà, ou du moins dans les grandes lignes, elle n’est pas venue pour qu’il lui fasse des révélations, mais pour connaître ses mots à lui, ses mots impropres, écorchés, mal foutus, des mots qui ont du mal à se frayer un passage entre les lèvres. »
Vies héroïques (2024)
Portraits, sentences et anecdotes
Sortie : 5 septembre 2024. Poésie
livre de Daniel Kay
Nushku a mis 3/10.
Annotation :
J'ai l'impression d'être le seul à lire Kay. Sachant que je ne le lis que pour remplir mes listes poétisées, par curiosité mal placé dans une sorte de hate reading. Puisque c'est toujours aussi blanc, vide. À peine ironique et d’une ironie si molle, si évidente, tellement facile… le verset sur le bibliothécaire qui ne lirait pas les livres mais se tripoterait sur la Dewey, gros soupir. Peut-on faire plus hors-sol ? Il n'y a pas ici accroche avec le monde réel. Si hors de son temps et pourtant tant daté dans sa vision du monde. Les incartades de "culture populaire" sont, pour utiliser un mot récent, des plus cringes.
*
« Une cloche tinte dans la montagne. Il est temps d’ériger la sépulture. Et toi, dans l’encadrement de la fenêtre, tu regardes le vieux film des nuages eux aussi déjà anciens, et tu te demandes quand reviendra le temps des fleuves gigantesques, ceux qui grondaient quand tu te promenais seul, le soir, sur les quais, à Bordeaux. »
*
« Depuis longtemps il n’avait qu’une idée en tête, peindre le rouge. Non pas en rouge ou avec du rouge mais le rouge, le rouge de la cape du torero, le rouge de la tunique du Christ, le rouge de la crête des coqs, et plus que cela encore. »
*
« À Montaigne
Si tout n’est que jardins, avenues, bibliothèques, cours et arrière-cours, si notre vie, Montaigne, n’est que passage, passage de l’autre au même, alors dis-moi comment inscrire dans le marbre friable des jours ces antiques sentences que tu gravais sur les planches de ton navire de haute mer ? »
*
« J’ai conversé avec Hector, Hamlet, Chamfort, le cardinal de Retz et tant d’autres. J’ai au fond de moi leur chant, aussi pur qu’un diamant. Je ne me gêne pas pour leur répondre. Peut-être, en fin de compte, ai-je écrit autant que n’importe quel auteur, qui peut le dire ? »
Une histoire de la conquête spatiale (2024)
Des fusées nazies aux astrocapitalistes du New Space
Sortie : 2 février 2024. Essai, Sciences, Culture & société
livre de Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin
Nushku a mis 7/10.
Annotation :
:: J’ouvrais l’année avec un livre frustrant sur le space-art.
Si j'ai toujours été passionné d'astronomie et fasciné par le ciel sous toutes ses formes, cette passion ne s'est jamais réellement étendue à la "conquête spatiale", fusées, gros boosters, capsules, héros sacrifiés… néo-western, culte du héros et dorénavant de l’entrepreneur. Je l'ai toujours vue comme le moindre mal pour lancer Hubbles, Webb, les miroirs sur la Lune, les Rover, bref nous agrandir les yeux, allonger nos oreilles et de mieux comprendre l'Univers. Dialogue récurrent avec ma grand-mère en primaire : Je veux devenir astronome — ah tu veux aller sur la Lune — non, astronome, pas astronaute. Je me reconnais donc dans le 5e chapitre du livre sur une autre manière d’aborder l’Espace.
La 1ère saison de For All Mankind tentait très vite de de nuancer l’épopée ou d'égratigner deux-trois figures sans pour autant oser les déboulonner, retombant vite dans les figures héroïques sacrificielles.
Les auteurs ne s'en cachent donc pas : cette histoire est une contre-histoire, le dossier du juge d'instruction. Tout un versant politique, scientifique, culturel sur le banc des accusés. Non pas qu'ils soient biaisés car tout du long ils étayent, arguments solides, sourcés. Le ton n’est certes pas neutre, carrément militant par endroits. Il est clair qu’ils ne risquent guère de convaincre les admirateurs d’Elon...
Ce n’est alors pas une chronologie linéaire suivant scrupuleusement les dates mais une succession de zooms précis. Ce qui amène quelques problèmes de rythme et d’équilibres : des passages qui finissent en liste de noms de missions dont il faudrait s'offusquer et d’autres à peine expliqués.
J'aurais aimé un peu plus de théorie sociologique sur la réception d'une telle imagerie de mythologie moderne. Galluzio (il y dans ce livre tout du long, en ombre portée, la figure de l’entrepreneur) avait trouvé un bon équilibre, pour le néophyte, entre description et soubassements universitaires. S’il est évoqué, le soft power de la culture populaire n’est ainsi jamais réellement précisé : films, séries, mangas, BD, romans — on croule sous la geste spatiale. C'eut été un fil rouge cohérent. Car si de tels livres existent c'est sous la forme de l'éloge au mode laudatif. Mêmement, je l'ai peut-être raté dans les notes, oubli ou choix des auteurs, mais ils n'évoquent pas les Maternités cosmiques qui retraçait justement une partie de cet imaginaire de l'espace en amont et en prémices des grosses fusées.
Le Journal du séducteur
Forförerens Dagbog
Sortie : 1843 (France). Essai, Roman
livre de Søren Kierkegaard
Nushku a mis 5/10.
Annotation :
Il m'aura fallu trois tentatives pour achever ce livre acheté en ... 2006 ! Journal d'un prédateur ? Misogyne évidemment, pédant, imbu de lui-même. (une critique positive en reprend le ton, très fier) Cela est, malgré l'absence de réelle violence, glaçant. Kierky est-il le narrateur ? Qu'importe.
"Une condition capitale pour toute jouissance, c'est de se limiter".
Malgré la glauquitude du bouzin il n'est pas devenu la bible des PUA. Je ne sais si c'est le danois de Kierkegaard ou la traduction de 1943 mais le style d'écriture est très revêche, parfois incompréhensible dans la confusion des pronoms. Je n'ai donc pas réussi à suivre de bout en bout et dans le détail des circonvolutions des tergiversations et autres faux-fuyants de l'auteur qui, dans ces finasserie si fines qu'elles en deviennent translucides, pourrait rappeler Paul Gadenne. Je ne doute pas une seule seconde que lu dans son écrin d'origine ce roman philosophique prenne un sens plus évident.
*
« Prends garde, un tel regard d'en bas est plus dangereux qu'un regard gerade aus. C'est comme à l'escrime; et quelle arme est aussi tranchante, aussi pénétrante, dans son mouvement aussi luisante et, grâce à cela, aussi décevante qu'un regard? On marque une quarte haute, comme dit l'escrimeur, et on se fend en seconde; plus l'attaque est prompte à venir, mieux ça vaut. Cet instant est indescriptible. L'adversaire se rend presque compte du coup, il est touché, oui, c'est ainsi, mais touché à un tout autre endroit qu'il croyait. Vaillamment elle avance, sans peur et sans reproche. »
Vallée du carnage
Sortie : 27 septembre 2024 (France). Roman
livre de Romain Lucazeau
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
La Nuit du Faune était une relecture de Dante. Pas son Enfer mais le Paradis, décollant de la montagne du Purgatoire pour en traverser les diverses sphères guidé par Béatrice-Astrée.
Changement d’ambiance. Entre Dune et Guyotat.
(Orode serait le baron et sa ville Persépole, Giedi Prime. Les Achéménides revus par Giger.)
Cartarescu était obsédé par les seins, Lucazeau par les sphincters. Il en fait des tonnes dans l'orientalisme cruel, les orgies satrapiennes, l'horreur sardanapelesque jusqu'à non l’écœurement mais la lassitude.
Je vous épargnerai les analyses sur l'actualité, discours sur la guerre, la froide clairvoyance et sans doute trop proche de nous pour être, je trouve, de l'anticipation : dire que le palais s'écroule lorsque l'alarme sonne ce n'est pas imaginer mais décrire le présent. Soit dit en passant Watts en disait pas beaucoup moins en vingt pages avec Malak (Notez la même inspiration orientaliste). Lucazeau veut délivrer un conte (j’ai pensé à Jünger) mais Vallée me paraît trop long, trop répétitif dans son gore et son militarisme. Roquettes, drones, lasers, trains magnétiques et un brin de quantique. Tant en SF qu'en HF l'action a tendance à m'ennuyer. L'auteur nous gâte ici avec de fréquentes, précises et longues séquences d'action militaire. Est-ce à ça que ressemble Tom Clancy ?
J'admire chez lui l'érudition qui sort des sentiers battus des auteurs SF mais l'apprécie-je ? Son style pas tant froid que millimétré et sans fioritures ni faiblesse, style parfait même dans ce qu’il cherche à faire contrebalançait le lyrisme de la Nuit. Ici il fait ton sur ton.
Il a le mérite de décloisonner les références sorties de celles sempiternellement rebrassées, Asimov et Hypérion... et de dédaigner des formes usées jusqu'à la corde en jouant des habitudes (des attentes) des férus.. Sa dyschronie, malgré l’Orientalisme cruel, reste mince. Peu de "couleur locale". Lucazeau n'est pas Frédéric Werst et ses Ward.
(Son ITW dans CPQDLSF m'a un peu réconcilié avec le texte que je trouvais complaisant, à mieux comprendre les intentions, un peu avec l'auteur qui m’avait déçu après lecture d'ITW où il joue au troll à la limite du manque de respect ainsi que de tweet toujours agressifs et pédants.)
[Persépol[is] et Bactres ne sont pas du tout à leur emplacement réel alors que le reste si ce qui m'a très fortement perturbé tout du long. Je ne crois pas à une erreur de Lucazeau encore moins de sa cartographe.]
Voyage à pied dans la Haute-Drôme (2024)
Notes pour "Les Grands Chemins"
Sortie : 3 octobre 2024. Journal & carnet
livre de Jean Giono
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
Enfin un inédit de Giono ! Bien qu'il s'agisse d'un fond de tiroir (1939) arraché au hasard total dans un dossier... d'instruction. Sans doute que dans quelques années, lorsque les archives seront ouvertes, auront nous d'autres scratch tout aussi inattendus ?
Journal de marche sur les chemin, écriture impressionniste des senteurs, couleurs, paysages, trognes de l'arrière-pays. Journal qui n'est pourtant pas seulement bucolique ni si innocent puisqu'il s'agit d'un carnet préparatoire à l'écriture du roman des Grands Chemin, comme les entretoises derrière la toile qui sera tendue. Roman qui sera toutefois publié bien plus tard, et finira bien différent, laissant in fine assez peu de place à ces paysages
Pages finales intéressantes sur l'écriture.
« Où va la route si elle va quelque part. La borne dit qu'elle va à Saint-Nazaire-le-Désert. Saint-Nazaire-le-Désert. Magie et délectable goût de sel !
L'appât ! L'appétit, la faim d'entrer dans ces passes étroites qui ont l'air de délivrer pour toujours monastères, déserts, et le sel des ossements. Ossements de vieilles montagnes, ossements de vieilles légendes, ossements de vieux désirs humains. Ici Don Quichotte, ici
l'Arioste, ici tout est possible. Mort peut-être au-delà de ces passes après les portes de ce monastère (qui n'est qu'un simple village paysan) mais mort qui permet tout! Les chemins de la renaissance passent par les défilés étroits de cette mort, le sourcillement des monts contre le ciel est l'ouverture de la gueule du destin qui bâille sur quelque plage de sable céleste pour y vomir son Jonas. »
[Je pense à Labouret et son texte sur Giono et Mozart]
« Il faudra qu'avant de partir dans ce travail je sois assez riche pour ne pas me "reposer" sur une phrase ni rien faire repartir à partir d'elle mais au contraire tout varier, à partir d'elle. (Varier dans le sens Mozart.) Pas de leitmotiv. Aller de l'avant comme ici sur la route chaque pas pousse l’autre, que chaque phrase pousse l’autre. En réalité, très exactement sens Mozart. Un motif, une phrase pour si belle qu'elle puisse être,la dire, l'abandonner tout de suite et créer sans interruption. C'est seulement à ce prix que Les Grands Chemins pourront être un livre. »
La Lueur des jours (1991)
Sortie : 20 novembre 1991. Poésie
livre de Jean Grosjean
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
Comment la poésie a-t-elle si facilement sur nous cet empire de nostalgie et de mélancolie automnale ? (le doit-elle ?)
« Le ciel m’observe comme l’ont fait les lisières
depuis longtemps à travers leurs saisons.
Poésie des jours anciens, du quotidien qui tend sans cesse vers le silence. Il y a du Jaccottet évidemment dès que l'on parle des heures, du grand cadran et des petites corolles ; un peu de Guillevec par ailleurs. Souvenirs de SPR et de Jammes pour les mystères dans les lumières mordorées des soirées automnales.
Réda en dira : « au trait qui suggère et aux transparences de l’aquarelle. Surtout, la mesure obligée s’y prête au naturel d’un rythme avançant parfois comme dételé, ou ébauche la cadence d’une sorte de chanson mélancolique. Avec la simplicité forte et à l’occasion amère du constat, ces poèmes, dépouillés comme des peupliers dans un ciel venteux de fin d’automne, chantent le dénuement étonné de l’être devant le spectre de l’âge, qui vient soudain de s’asseoir au coin du bois »
§ Relire Guillevic, Gaspar §
« S'est-on figuré sous l'ombrage
d'un frais matin d'été
quelle inhumaine et déchirante
voix de violon monte des villes le soir ?
Depuis longtemps j'entends s'éteindre au loin
le bruit que font les gens pour vivre
mais leur folie me colle aux semelles
comme une patrie mal quittée.
J'ai balancé comme la branche aux brises
sans trop bouger mon pied de place
tant je savais n'être que l'ombre
du dieu qui s'en prend à soi-même.
Soudain vieilli je regarde trembler
une herbe entre mes doigts.
Qu'attendre encore quand je connais
les silences de la guerre, ceux de l'enfance
et l'ombre du dieu sur mon âme ? »
Théodoros
Sortie : 22 août 2024 (France). Roman
livre de Mircea Cărtărescu
Nushku a mis 7/10.
Annotation :
Bien sûr on pourrait faire un Vuillard. 124 pages d'une verve cinglante dans un verbe serré. Mais Cărtărescu invite, divague, court-circuite une vie tentacule dans un opuscule majuscule. Il est de ces livres denses dont la lecture est apnée. En sortir c'est revenir à la réalité tout ruisselant de romanesque, le rouvrir c'est devoir prendre une grande inspiration, plonger dans les eaux bleues striées d'or. Car c’est ULTRA-répétitif.
Rythme effrènement long. Fleuve pas si tranquille, tumultueux mais finalement monotone. Je pensais, aux débuts, devoir le comparer à la Maison des F. mais celui-ci a pour lui le ludisme. Je m'attendais en effet à plus de twists formels, davantage de variété, d'imbrications. En cela, il me rappelle sans rapport aucun avec le fond à Jaworski, tout aussi constant, ferme et monolithique dans leur rythme et dans leur phrase ourlée, chatoyante. S’il n’y a pas d’accélérations, il y a de forts moments de bravoure : la balle vivante — a-t-il vu Futurama ? les mines de sel, les cerfs-volants, l'insurrection des pestiférés, Saba, la fin où l’on se croirait dans un délire de Druillet ou de Miura. J’aurais aimé qu’ils soient plus fréquents.
L'écriture de Cărtărescu est terriblement visuelle, tour à tour microscopique et englobante, dans une vision de panoptique angélique je pense, plus qu'à l'Allemand (très bon choix de couv. au demeurant), aux Flamands, aux visions totales de Patinir, à l'Icare de Brueghel. Sans cesse l'horizon se courbe et les pans deviennent transparents.
Apparemment, outre les formules répétées façon Bible ou Homère, dans sa magnifique phrase, il utilise tout un tas d'archaïsmes en roumain. Cela semble être passé à la trappe en français, malgré l'excellence de la trad. de Hinkel.
Quelques griefs pas anodins qui me laissent malheureusement un arrière-goût rance: male gaze à fond les ballons : comme Quignard toutes les 3 pages il nous parle des seins, des tétons comme des mûres et des fentes frisées, jamais des testicules fripés, bourses lourdes comme des figues.
Idem dans le néo-orientalisme béat, friand de pacotilles, de bric et de toc très XIXe, dans une trop timide ironie et dans de trop rares anachronisme qui viendraient le retendre. Le même effet que m'avaient fait les Jardins statuaires : barbares réifiés & descriptions de femmes nues toutes les 3 pages, complaisance de vieil écrivain.)
Le Cri du canard bleu (2012)
Sortie : 3 octobre 2012. Roman
livre de Alexandre Vialatte
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
Esquisse d'un roman laissé à l'abandon par Vialatte au début des années 30 et ressorti par l'éditeur de ses fonds de meubles quelques années après. Purement Vialatte !! On n'échappe pas aux affiches de publicités qui font fantasmer le jeune écolier aux pays lointains, au temps joyeux des colonies..., les préaux, l'auberge qui recèle de trésors inutiles. Vous retrouvez les Fruits, Battling... Pouvait-il du reste écrire autre chose, un autre roman que ce roman séminal plusieurs fois réécrit ? Est-ce pour ça qu'il n'écrira plus que des chroniques (dont il faut que j'aille faire mon beurre) ? C'est dire, en quelque sorte, le pendant automnal des gloires de Pagnol. Là aussi une écriture cuite dans le sucre.
Publié de son vivant ne me reste donc que le Fidèle berger, déjà entr'aperçu dans ce Cri du canard bleu (qui n'est pas bleu vous vous en doutez...)
/"Le plafond bleu était criblé de dorures." (idée de titre pour un roman, huis-clos, labyrinthique, chambres à la Munch)
*
« C’étaient des êtres d’un autre monde, impalpables, vagues et lointains, qui flottent à mi-chemin entre le bord du monde et le commencement d’autre chose. C’était, dans sa vie, comme une île où s’allument des feux le soir ; on n’y va pas mais on en rêve. Et le jour, au milieu des autres, on n’y croit plus. »
« Peut-être un soir, dans la cour du collège, quand les tilleuls sentent trop bon pour la force des écoliers, ou quand la neige des mois noirs tombe derrière les vitres jaunes de l’étude, peut-être un soir, tendant l’oreille, entendra-t-il passer le cri du canard bleu, comme un appel de son enfance… Le cavalier qui emporte les femmes vient de descendre dans la cour, il a attaché son cheval au grand tilleul de la fontaine. On entend son sabot qui racle le pavé. Ah ! qu’il sonne clair sur la pierre… L’horizon semble déchaîné. Au loin, sur la campagne où tremblent les fumées, les vieux hommes de la montagne tètent leur pipe noire autour des feux de tourbe. Les affiches des racoleurs, sur les murs gris de la gendarmerie, promettent la mort et l’amour aux externes furonculeux dans les pays d’où viennent le poivre et le corail.
La nuit, amère et magnifique, parée de feux comme un grand paquebot, tend ses filets aux enfants chimériques. »
Le Château de ma mère (1958)
Souvenirs d'enfance, tome 2
Sortie : 1958 (France). Autobiographie & mémoires
livre de Marcel Pagnol
Nushku a mis 7/10.
Annotation :
Diable que j'aurais aimé les lire mioche ces souvenirs ! Ils étaient pourtant disponibles, offerts à ma curiosité dans la bibliothèque familiale (peut-être perdus au grenier).
L’écriture chantante pas pour autant chantournée, douce, délicate, confite de Pagnol, qui n’en fait jamais des tonnes ni dans la joie ni dans les peines, pas si proche de sa caricature.
Étrange première partie, suite directe et conclusion au premier livre. Cette fin qui sonne comme une véritable fin, comme si aucune suite n’était prévue.
Moutard, l'adaptation me fascinait, m’effrayait un peu je crois avec ces châtelains cachés : les ogres et les Barbe-bleu des contes n'étaient pas si loin… et cet épisode tiré d'un futur tome, Marcel qui gobe bêtement une sauterelle pour impressionner une chipie snob.
Au surplus, et si tant est que ce soit un passage obligé de la glose de ces coins là, je crois que c’est dans ces faux airs de conte ancien, bien plus que dans les odeurs de thym et les épisodes cynégétiques, que l’on trouve un tout petit peu de la verve gionienne.
*
« Mon cher Lili ne l'accompagna pas avec moi au petit cimetière de La Treille, car il l'y attendait depuis des années, sous un carré d'immortelles : en 1917, dans une noire forêt du Nord, une balle en plein front avait tranché sa jeune vie, et il était tombé sous la pluie, sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms...
Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins.
Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants. »
« Je tentai donc de supprimer le mois d'octobre. Il se trouvait dans l'avenir, et offrait donc moins de résistance qu'un fait du présent. J'y réussis d'autant mieux que je fus aidé dans mon entreprise par un grondement lointain, qui arrêta net la conversation. »
Le Miroir magique (2020)
Sortie : 19 novembre 2020. Essai, Peinture & sculpture
livre de Jean Frémon
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
"Fables, souvenirs, choses lues, vues..." nous dit la couverture. Plutôt, pour reprendre un titre de Chastel : Fables, Formes, Figures.
Si je n'aime pas Quignard j'adore sa forme. Puisque Frémon nous rejoue clairement un épisode du Vieux royaume, fragments, petits bouts, esquisses, anecdotes. Il manque toutefois des bouts de récits, des amorces de romans. Est-ce pour autant de la littérature ? Je ne crois pas; Tant pis ou tant mieux.
Car pour tout dire j'aimerais écrire un livre de ce genre, miscellanées, journal de bord, notules, limules SC. Comme les petits essais de Borges, comme les entretiens, d’une curiosité infinie, découverte perpétuelle (ou curiosité perpétuelle et découvertes infinies) ; en somme les vidéos YT avant la lettre.
« Ce que Borges disait de Shakespeare vaut pour Rembrandt : il est tous les autres hommes. Sûr de cette intuition, il s’est ingénié à en apporter la preuve. »
Sauf que… Tous et je bien tous les portraits célèbres y passent — du moins ceux de l'art occidental au point qu'il n'y a plus de surprise, une trop grande évidence, c'est-à-dire plus de surprise — c'était couru d'avance à ainsi laisser son fil seul et à nu, sans le tresser avec d'autres thématiques et j'aurais envie de dire une trop grande... transparence. Through Not-a-so-darkly Glass. Tant est que l'on se croirait plus l’une de ces séries Arte du dimanche qui évoquent tout sans ne rien dire, sans réel point de vue. Quelques potins et bon-mots avec son ami Hockney. Trop peu.
J'aurais rajouté, entre autre, les portraits de Neel, si frappants, nus & crus ; Eugène Leroy ; les œuvres de Samori et ses portraits défigurés, balafrés, fondus, les figures de Jean-Paul Marcheschi, les jeunes peintres contemporains figuratifs où l’on retrouve de nombreux portraits.
Quand il parle de désir, de plaisir ou de grâce on sent aussi le vieil homme du monde d'antan. Idem avec un certain orientalisme paternaliste, puis un fond catho.
J’en lirai d’autres. Par paresse, pour me reposer.
"« Alors, à la surface de ce visage remémoré, pétri, repassé, aplati, puis regonflé, il s’agissait de faire affleurer autre chose : une matière, une couleur, une qualité, qu’il allait reprendre dans le titre choisi pour désigner le tableau."
Un voyageur en terre du milieu
A Middle-earth Traveller : Sketches from Bag End to Mordor
Sortie : 9 octobre 2018 (France). Beau livre & artbook
livre de John Howe
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
« Il s'agit là, naturellement, d'une géographie de la pensée et de l'esprit, guidée par les histoires et par le hasard. »
John est là à chaque page, là tout près de nous comme un oncle au près du feu, en automne, à Noël, sous le plaid, pour commenter ses si délicats crayonnés. Toutefois il explique plus les bases du monde de Tolkien qu'il ne partage ses inspirations, montagnes réelles de la Suisse, de la NZ, autres artistes, illustrateurs, peintre classiques ou qu'il ne dévoile ses techniques et sa manière. Quelques anecdotes. Dommage.
Surtout le Troisième Âge, son travail sur les deux trilogies obligent. Des décors un peu trop familiers donc. Dommage.
*
« les royaumes des Elfes peuvent symboliser les restes édéniques du Paradis sur terre, vestiges du royaume d'avant le début des temps. »
+ Feuilletage en vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=55vw9BkZ3Bc et review avec images en anglais : https://halcyonrealms.com/books/a-middle-earth-traveller-john-howe-sketchbook-review/
Cabane (2024)
Sortie : 21 août 2024. Roman
livre de Abel Quentin
Nushku a mis 7/10.
Annotation :
Le bruit de l’effondrement.
Comme une lecture corollaire à Humus, même éditeur.
Donc le dernier Bellan… non Houell’ écolo. Comme B. sans cesse comparé au H. Parlez société, quelques lignes informationnelles, un brin de réac — critiqué ou embrassé, qu'importe et paf, vous êtes le nouvel Houellebecq !
Avec le Voyant je n’avais franchement pas su à quel saint me vouer. Était-ce du lard ou du cochon ? du vin ou de la piquette ? Sachant que son soutien par certains, haros anti-tout, n'aidait pas à s'y vouer, véritable baiser de la mort. Bien qu’ici il semble se gausser de ces HBHC. Un peu comme avec Humus donc : où placer non pas l'échiquier car il y a trop de cases et trop binaire, mais la simple marelle ? Sans doute est-ce ce trouble qui rendent ces textes intéressants.
Roman sec, décharné bien qu’il s'épanche (c'est figure imposée du genre) sur la vie sexuelle de ses protagonistes. Grande carcasse d’où pendent quelques sacs de viscères. Cabane est en effet de ces romans cannibales qui paraissent vivre en circuit fermé et, malgré les thématiques brûlantes ne jamais s'ouvrir à l'extérieur. Roman répétitif qui louvoie entre les mêmes personnages, ressasse un peu trop ses idées et ses propres événements : le Norvégien est-il fou ? Stoddart le maître, Quérillot le traître, etc. Reprendre la lecture c’est retenir son souffle, le refermer sortir de l’apnée mais pas forcément celle qui vous entraîne.
Le roman remâche ses propres pages puis une incartade dans les dérives. Comme pour le Voyant, il y a l'envie d'en montrer toutes les facettes, presque de tout dire quitte à rester superficiel sur certains de ces aspects. S’il montre les dents, Quentin a plus tendance à grognerr qu’à mordre. Ce passage reste bien gentil mais cela mériterait un livre à part entière ; allant égratigner également le(s) camp(s) d'en face.
Quentin a toujours ce style tenace, constant, sans aucun faux pas et un sens certain de la formule. Chaque phrase est à sa place. Je ne saurais le dire autrement qu’en parlant de style propre. Sur soi ? Je surnote sans doute mais je trouve cette écriture (dans une moindre mesure son architecture) très... solide ? Style 'parfait', ni flamboyant ni grandiose. Bref, il y a du métier bien fait. Un côté mème d'Obama qui fait not bad.
S’il existe de la hard-science, peut-il exister de la hard-pol ou hard-éco ? Quentin ne nous emmène jamais vraiment dans les tréfonds et les rouages du fameux rapport. Promis "sans équation" !
Roland Cat (1981)
Sortie : 1981 (France). Beau livre & artbook, Peinture & sculpture
livre de Jean-Marie Benoist et Constantin Jelenski
Nushku a mis 5/10.
Annotation :
Cat, décédé en 2016, est de ces peintres nés au mitan du siècle, actifs dans les années 70, quand les gloires de la peinture s’étaient toutes éteintes et que l'art conceptuel faisait enfler sa prédominance.
Il y a dans la précision de son pinceau fin des airs de Wyeth et de Beksiński, ce peintre peu ou prou inconnu avant Internet et devenu coqueluche des geeks. Ce sont de grands silences éloquents comme chez J.-M. Poumeyrol ; proche de Schuiten dans les ambiances, les gravures de Trignac. un peu dans son utilisation de l’encre de la manière de John Howe mêmement nervurée de blanc. Une inquiétante étrangeté en sous-couche collée à la réalité, quotidienne, mathesonnesque ? Vibes visionnaires d'un Jean-Pierre Ugarte (plus doux) et plus récemment, François Baranger. J’aime ces artistes à petites doses : ils écœurent vite.
Cat appartient au courant flottant que l’on nomme art visionnaire. Fossiles récents, il leur faudrait une exposition et un catalogue à la hauteur pour extirper des galeries confidentielles et remettre au (goût du) jour cette frange d'oubliés. Car est bien dédaignée encore semble-t-il cette peinture figurative, frivole, folklorique, mise à part si ce n’est au rebus comme peut l'être l'illustration. Une expo pas juste pêle-mêle mais retracer les origines classiques, surréalistes, populaires, y distinguer les lignes de force, les courants sans aplanir les singularités ni négliger les évolutions internes. Je pense à l’expo Néo-romantique de Mauriès à Marmottan. À l’heure des 80 peintres à Orsay, le public n’est-il pas mûr ?
/Le texte de Benoist est imbuvable (et bien sûr imbitable). Tout y passe le latin, les majuscules, Merleau-Ponty, Borges mal raconté et pourtant semble faire des contresens.
« L'éclaircie de 1973 appartient aussi à cette série des encres rousses, des laves en fusion et des mortelles eaux ferrugineuses. Villes ou Babels maudites, Sodomes et Gomorrhes embrasées de quelque funeste précipitation radioactive où les pierres surchauffées sur le point de s'enflammer encore et de se pulvériser en cendres anonymes brillent d'un dernier et mortel éclat. Comme si quelque part un creuset éclatait, le monde entier devient le lieu aberrant de cette alchimie effroyable. Cat dit ici le soleil couchant, le Ponant, l'Occident de nos rêves embrasés de leur propre cruauté, dont ne pourra s'échapper comme d'un Herculanum ultime que le monstre, c'est-à-dire le singulier par excellence. » [Benoist]
Jour de ressac (2024)
Sortie : 15 août 2024. Roman
livre de Maylis de Kérangal
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
Connaissant Kérangal, je me serais attendu au point de vue non pas simplement du détective comme un polar mais d'un point de vue technique, procureur général, légiste ou, comme RlV un kaléidoscope-panoptique ; prétexte à dévoiler avec précision l'art, le métier, les techniques, se délectant en termes professionnels, cédant encore une fois au vertige de la liste, aux délices de l’exhaustivité et de la précision. Précipice de l'énumération (quand s'arrêter ? Jusqu'où préciser ?) Est-ce ça la rage de l'expression ? Si (quand) elle écrira de la fantasy ce sera sans combat mais chez les forgerons, orfèvres, bouchers, tailleurs de pierre. Étrange donc cet interrogatoire du début très cliché, très téléfilm français.
Mais le corps, ce faux air de livre policier, d’enquête qui peluche à mi-livre n'est que prétexte et presque, si j'osais, parasite au temps perdu et retrouvé. Côté collage dans ce livre qui semble moins nécessaire que les autres, du moins sous cette forme.
Son écriture est étoilement.
Toujours chez cette autrice la géographie, la topologie, topographie d'une ville, de souvenirs que l'on tisse comme grande résille pour (r)attraper les choses, et les gens. Ses romans se lisent comme l'ont suit une data visualisation. Et si (quand) elle écrira de la fantasy sa magie aura la cohérence d'un Sanderson tout ayant la charge mémorielle et humaine d'une Le Guin.
Kérangal met des virgules là où il devrait y avoir des points ou à tout le moins des points virgules, ce qui donne cette impression si caractéristique d'une phrase si ce n'est bancale, tordue, mal calibrée car relancée et ne voulant s'achever.
Un peu comme sonne parfois Damasio.
Son écriture est feuilletement.
Celui-là fait très rapiécé, comme bricolé avec des chutes : l'autobio du Havre, le corps inconnu, les réfugiées et paraît moins "nécessaire" (j'entends par là les livres dont on n'imagine pas une autre version, un autre agencement possible, une ligne en plus ou en moins)
Je ne connais pas le Havre, n’y suis jamais allé et pourtant ce gris, ce ciel couvert mais lumineux, la mer proche et lointaine à la fois à la couleur indéfinissable — qui choque tant lorsqu’on découvre la Méditerranée, son double bleu du couple ciel-mer — je connais.
:: Me sens con de n'avoir eu l'illumination qu'à mi-livre, tant évident mais du mal à y croire qu'elle n'y pense pas tout de suite, de go et cette évidence reste tue, creux aveugle ::
« Le passé n’était pas une matière fossile »
Beren et Lúthien (2017)
Sortie : octobre 2017 (France). Récit, Conte
livre de J.R.R. Tolkien
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
« Mais le présent livre ne propose pas une seule page de contenu original ou inédit. »
Car lire Tolkien n'est-elle pas en premier lieuaffaire de relecture ? Et l'on pourrait même dire de ressassement. Au-delà de ses deux romans et quelques miettes parues de son vivant, c'est lire des lasagnes. Des lasagnes froides sans cesse réchauffées. C'est lire et relire des couches similaires qui s'empilent, différentes mais similaires ; c'est se perdre dans les menues fractions de différences. Lire Tolkien ne nous donne-t-il pas l'impression d'être un paléographe et de savoir, enfin, faire la différence entre le e et le o, compléter les abréviations et distinguer les ligatures ? À cet égard, les commentaires de son fils scrupuleux sont presque plus intéressants même si j’ai toujours autant de mal à suivre le fil généalogique. C'est d'ailleurs étonnant quand on voit à quel point la matière des deux premières Âge fut malaxée, transformée, reprise, affinée, écartée, que Tolkien ait réussi à écrire, fini, achever et publier le Seigneur des Anneaux sans que cela devienne là encore une bruine de ramifications où Legolas aurait changé trois fois de nom et de race, Aragorn disparu, fusionné, les monstres venants et partant. Oh peut-être est-ce car il ne s'agissait pas de son œuvre de cœur ? « Je leur ai proposé les légendes des Jours Anciens, mais leurs lecteurs les ont refusées. Ils voulaient une suite. Mais moi je voulais des légendes héroïques et un romance de style élevé. Le résultat fut Le Seigneur des Anneaux. »
// Si l'on peut râler sur ce genre de rééditions qui n'apportent aucun inédit si ce n'est de John Howe, véritable modeleur des Terres du milieux dans l'imaginaire collectif, et si je comprends l'agacement des exégètes (cf. par ex. la critique exigeante de Nébal dont le gatekeeping n'est franchement pas le style) mais pour le lecteur semi-habile tel que moi ce genre de livre-dossier est bien pratique et permettent aux flemmards frenchouillards dans mon genre d'avoir un aperçu du travail de longue haleine de l'HdTdM. Je les rejoins cependant sur la qualité médiocre des traductions… Ou plutôt comme toute traduction de poésie en poésie, on ne peut que se demander si cette image est de Tolkien ou du traducteur pour tomber sur la bonne rime, le bon pied. //
[NB : Le premier conte, par ses airs de rêve racontés à quelque voyageur évoque Lord Dunsany.]
La Maison des soleils (2008)
House of Suns
Sortie : 18 avril 2024 (France). Science-fiction
livre de Alastair Reynolds
Nushku a mis 7/10.
Annotation :
Déçu alors que je pensais adorer. (ça m'arrive souvent en ce moment, classiques étasuniens, essais d’Hdl’a, SF...). Comme souvent je me sens un peu à part n'ayant pas trouvé qu'il s'agissait là d'un chef-d’œuvre définitit.
Sense of wonder, astrophysicien et pourtant je n’ai jamais été happé par Reynolds. Son 1er roman m'avait frustré : pas tant de xéno-archéologie que promis, beaucoup de science super-magique et de manière générale des relents pulp avec de l'action trop étirée, des noms en XYZ pour des personnages clichetés, etc. Sa fausse suite vraie préquelle allant dans le polar je m'étais abstenu. Toutefois, tandis que Baxter m'a vite lassé avec son merveilleux cosmologique à dose homéopathique et son goût pour la violence inutile, la 1000e nuit et Eversion ont relancé une flammèche reynoldèsque : textes architecturés au style pas parmi les plus flamboyants mais centrés, tenus, sans accrocs.
...Margravin, Nexus Pantropique, Commonwealth Vermillon, Sodalité de Canopus, Société de l'Expansion Radieuse, Lunef, Sycorax (Dr. Who ?!), coureurs des confins… Ce roman laisse penser qu'il ne s'agirait que d'un récit périphérique dans un univers plus vaste, une aventure au sein d'un cycle avec d'autres romans. Ce qui n'est pas le cas et c'est très bien : suggérer cette étendue, insinuer sa richesse en laissant imaginer l'ample mille-feuille galactique. Qui n’échappe à un côté collage disparate.
Si ce n’est que je retrouve un peu ce qui m'avait freiné dans son 1er roman (et chez d'autres auteurs), à savoir cette absence de filet d’une imagination parfois automatisée. Ci et là j'ai lu qu'il s'agirait de hard-SF. Si ça en a l’odeur je n’en retrouve pas la saveur. Champs de force, de stase et anti-gravité, moteurs paramétriques, statoréacteurs, armes antédiluviennes si horribles qu'on ne les nomme pas comme dans L'EdlR... Absence de filet et dirais-je même de retenue. ["cryogénie ? Nul n’avait congelé et dégelé un humain depuis le commencement de l’âge de l’espace. Peu importait." Peu importait…] Bref, beaucoup de techno-babble et de boites magiques qui amoindrissent, je trouve, les véritables morceaux d’immensité. Oh j'entends le plaisir que l'imagination ainsi débridée puisse procurer et cela fleure bon l'âge d'or mais de mon côté je suis d'avantage baudelairien : parce que la forme est contraignante, l'idée jaillit plus intense. Il y a parfois des airs de Hamilton (ce n'est pas un compliment…)
(Suite de la notule-critique en commentaires)
L'Ange exilé (1929)
Une histoire de la vie ensevelie
Look Homeward, Angel
Sortie : 1989 (France). Roman
livre de Thomas Wolfe
Nushku a mis 7/10.
Annotation :
Des années que je voulais le lire et qu'il trônait dans ma PAL, me le gardant en réserve pour plus tard, persuadé d'avoir là un met de gourmet et de gourmand, candidat au Top 10.
[Trad. J. Michelet * qui m’a parue vieillotte voire bizarroïde avec des expressions et mots exogènes alors que, allant vérifier dans le texte original, elles sont normales. Et une foule de coquilles. À mi-parcours j'ai fortement hésité à changer avec la plus vieille de Singer.]
Or pensant le dévorer cet été j’ai eu un mal fou à le lire… il m'aura fallu plusieurs mois, d'autres lectures, pour en venir à bout. Une première longue moitié qui papillonne sans jamais se poser ou alors trop longtemps autour de personnages falots, de minces spectres à peine nommés que nous ne verrons plus... Disons que Wolfe n'est ni Maupassant ni Steinbeck pour croquer ainsi en deux coups de phrases des personnages mémorables pour peupler sa petite ville du Sud des U.S.A. Les Gant n'en finissent pas d'être excentriques et décadents. Dommage car cette anatomie d'une ville - dissection scrupuleuse d'un faubourg comme une vue à vol d'oiseau d'une ville flottante, avait de quoi faire rêver. Cela se fera plus fluide lorsque Wolfe s’attachera plus de quelques lignes à un personnage et surtout à Ben puis Eugène, cet adolescent éternel.
Il m’a surtout quasi-systématiquement perdu dans ses dialogues. Heurtés, laconiques, troués et hachés de petites phrases et d'expressions voire d'onomatopées sibyllines où l'étrangeté de la trad. se faisait d'autant plus sentir. Qui parle ? Lui, il… à qui ? Certains locuteurs apparaissent, disparaissent, l’action change de lieu.
Ce n'était même pas si lyrique comme peuvent le reprocher certains lecteurs. En fait l'éditeur a coupé plusieurs centaines de pages du manuscrit, privilégiant la description aux envolées baroques.
Bon, c’est un peu prendre par la queue que d’évoquer Penn Warren, Faulkner, etc. Fitzgerald du haut de sa tour d’ivoire au style lissé, critiquera le style de Thomas. Harold Bloom lui parlait de l’auteur comme d’un éternel adolescent et il y a un peu de ça. Faulkner dira : "[...] this was the most splendid failure. He had tried hardest to take all the experience that he was capable of observing and imagining and put it down in one book, on the head of a pin."*
* son article sur l'autobiographie "forcée" par son éditeur M. Perkins, le même que Fitzerald ou Hemingway, est pourtant très intéressant !*
Connexions (2017)
Nexus
Sortie : 16 mars 2023 (France). Roman, Science-fiction
livre de Michael F. Flynn
Nushku a mis 5/10.
Annotation :
Sans surprise je suis peu friand de ce genre de récit ultra-référencé, de tout ce lampshade hanging truffé ras la moelle de clins d'œil qui font toujours les délices de certains lecteurs. (je pense à Tchaikovsky) et finissent je trouve par succomber au manque de subtilité.
Typiquement le nom courant pour un alien, que l'on relève mais adjoint à un détail qui lui fait bien étranger, le « [...] qu’avant de se moucher le nez. Si elle avait un nez. » J'ai l'impression d'avoir déjà lu et entendu ça cent fois et pourtant je ne suis pas lecteur de Douglas Adams ?
Un peu comme Dan Simmons l'avait fait avec le(s) genre(s) et ici dans une ambition moindre et une approche plus pulp, Connexions picore aux râteliers : un reptilien, une télépathe, un alien, un voyageur temporel, un robot ; tout du long j'ai attendu l'homme invisible et surtout le voyageur interdimensionnel qui serait venu multiplier ces connexions à l'infini.
« "Ah ! quelle poisse", disent les balayeurs en nettoyant le béton du sang et des bribes de cervelle. Nous nous émerveillons parce que nos superstitions exigent une signification. Cet homme a été tué par un marteau, nom de Dieu ! Ça signifie forcément quelque chose. Et c’est ainsi que ce pauvre Destin fait office de bouc émissaire. Quand on se retrouve empêtré dans les fils, on a tendance à blâmer le Tisserand. »
« Vers l’avant filaient les vaisseaux dans leur fuite
Mais vers l’arrière toujours ils glissaient. »
L'Examen (1954)
The Test
Sortie : 21 novembre 2019 (France). Science-fiction, Nouvelle
livre de Richard Matheson
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
Il faudrait qu'un jour je lise l'intégrale en deux volumes des nouvelles de Matheson. Gamin "Journal d'un monstre" et surtout "Escamotage" m'avaient fortement marqué. Régulièrement j'ai repensé à la dernière (même si pour un temps long j'avais oublié le nom de son auteur)
Notule évidente à ne pas écrire : épisode de Black Mirror. Mais oui tiens ! après Master of SF, King et Dick, il faudrait une série anthologique d’adaptations de Matheson, quitte à reprendre des épisodes qu’il a écrits pour d’anciennes séries.
« Tout à coup, il regretta de ne pas avoir signé la Demande de décharge des années auparavant. Ils avaient désespérément besoin d’être débarrassés de Tom ; pour le bien de leurs enfants et le leur. Mais comment exprimer verbalement ce besoin sans avoir l’impression d’être un assassin ? Il était impossible de dire : J’espère que le vieux va échouer, j’espère qu’on va le tuer. Et pourtant, tout ce qu’on pouvait dire d’autre n’était qu’un hypocrite succédané car c’était exactement ce qu’on pensait. »
Zodiaques (2023)
Constellations d'Orient
Sortie : 3 novembre 2023. Essai, Histoire, Peinture & sculpture
livre de Khalid Chakor Alami
Nushku a mis 5/10.
Annotation :
L’Œil curieux c'est une petite collection de la BnF qui met en valeur les manuscrits numérisés sur Gallica. Jolis petits opuscules tout minces, deux-trois pages de textes, pas de bibliographie et des images à peine légendées. Ils rendent bien sur les étals, j'ai toujours envie de tous les acheter... avant de me souvenir de l'infâme rapport qualité-prix.
C'est joli, franchement accessoire et même carrément frustrant tant chaque thème mériterait un vrai livre accompagnant une exposition, in situ et en ligne, avec légendes détaillées, explications fines, parcours chronologiques, etc.
« Présent dans plusieurs traditions dès l’Antiquité gréco-latine, le zodiaque connaît une fortune particulière dans le monde arabo-musulman à partir du IXe siècle. En terre d'Islam, l'astronome, al-falakî, et l'astrologue, al-munajjim, sont rarement dissociés. L'un et l'autre ont le double rôle d'observer le ciel et de prédire l'avenir aux princes et mécènes. Cette double approche a conduit à l'évolution conjointe de trois conceptions qui se sont démarquées les unes des autres au fil du temps : celle de l’astronome qui scrute les constellations, celle de l'astrologue qui les interprète pour pré-dire l'avenir, et, enfin, celle du sorcier qui espère conjurer le sort. »
« Le zodiaque arabo-musulman est similaire au zodiaque gréco-romain : il se compose de six signes animaux : al-Hamal, pour le Bélier, al-Thawr, pour le Taureau, al-Saratân pour le Cancer, al-Asad pour le Lion, al-’Aqrab pour le Scorpion, al-Hut, ou al-Samakatân, pour les Poissons ; de quatre personnes : al-Jawzâ' pour les Gémeaux, al-sunbula (l'épi de blé) pour la Vierge, al-Mizân pour la Balance, al-Dalw, mais aussi al-Sâqi, pour le Verseau ; et, enfin, de deux hybrides, al-Qaws (l'arc) ou al-Rámî pour le Sagittaire, al-Jady (le chevreau) pour le Capricorne. »
La Peste du léopard vert (2003)
The Green Leopard Plague
Sortie : 21 septembre 2023 (France). Roman, Science-fiction
livre de Walter Jon Williams
Nushku a mis 4/10.
Annotation :
« – Il est mort », dit Michelle.
Torbiong écarta les bras. "C’est une question d’opinion. »
Mouais je renâclais à le lire et j'ai en effet un peu peiné. C'est plus techno-thriller que de la SF à mon goût : il y a un côté Jason Bourne du pauvre ou — j'ose — Dan Brown :si Langdon étale sa symbologie à sa sempiternelle compagne féminine, Terzian lui déroule de la théorie politique et économique : avec cette touristico-course-poursuite à travers l'Europe de cartes postales... écriture grasse et dès qu'il y a des dialogues cela devient confus, ne sachant plus trop qui parle.
Pareillement, pas du tout aimé le récit-cadre, les sirènes, les transformations manimales, l'ambiance Île du Docteur Moreau ça n'a jamais été ma came et ça me rebute toujours plus ou moins.
« – En France ? hasarda-t-il, et tous deux rirent. En France, ‘intellectuel’ est une profession. Il n’est pas nécessaire d’avoir un diplôme, c’est juste une activité. »
« La sirène téléchargea les résultats dans ses araignées fureteuses spécialisées et les lâcha dans le monde électronique.
Là, et nulle part ailleurs, subsistait une quantité titanesque de données banales issues du passé. Les gens y avaient sauvegardé images, journaux intimes, commentaires et vidéos ; ils avaient numérisé d’antiques films familiaux, avec couleurs criardes et délavées de rigueur étant donné leurs supports ; ils avaient archivé des arbres généalogiques, des cartes postales, des listes de mariage, des dessins, des tracts et des copies de lettres intimes. Et de longues, de chiantes heures de vidéosurveillance. Si un truc quelconque avait signifié quelque chose pour quelqu’un, on l’avait converti en données et préservé pour le plus grand bien de l’univers. »
La Survivance des Dieux antiques (1940)
Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l'humanisme et dans l'art de la Renaissance
Sortie : 9 novembre 2012 (France). Essai, Histoire, Peinture & sculpture
livre de Jean Seznec
Nushku a mis 6/10.
Annotation :
"Quod legentibus scriptura, hoc idiotis praestat pictura."
Des années que je voulais le lire. Entamé dans les années 20, publié en anglais en 48, traduit 25 ans plus tard chez nous, ça commence à dater et ça se ressent dans la vision, l'approche. J'avoue n’avoir pas le courage de me lancer dans le service après lecture, dépiauter Jstor, OE, Persée pour lire cette poussière d'articles et de colloques venus depuis affiner, nuancer voire contredire. Même se tenir un peu au courant c'est un sacerdoce. Seznec est sdep pas si souvent cité...
L’absence de traduction des passages en grec, latin et italien m’aura doublement agacé. D’une, confondant sans doute le lecteur lambda avec ses étudiants d’Oxford hellénistes, latinistes et frottés d’Italien alors que Seznec professe la clarté et se gausse du pédantisme des mythographes renaissants. Je ne le trouve pas clair et je ne me crois pas si mauvais lecteur d'HdA. Il suffit de comparer avec Panofsky ou n'importe quel chercheur récent du domaine.
Je pense à Le Goff qui dans son Purgatoire convoque lui aussi un large faisceau tout en parvenant à rester limpide et rigoureux. Seznec vire trop souvent au catalogue de noms, de lieux, concaténation d'époques et d'œuvres (là moins de souci pour me situer mais ça reste désagréable) sans présentation ou remise en contexte, toujours un peu rapide, sans doute snob et donnant un aspect brouillon (d'ailleurs de la data viz serait bien pratique sur ce thème). Il est d'ailleurs clairement plus à l’aise avec les sources littératures que picturales.
De deux, car c’eut été à l’éditeur de traduire ces passages pour un ouvrage qu’il réimprime depuis 1980…*
Autre et véritable point d’agacement, on se en fait rend vite compte que malgré le discours innovant sur le MA, il raisonne en terme de progrès : cette survivance n'est pas vue comme le trajet chaotique de l'histoire dans ses aléas mais bien comme une flèche vers le progrès, le retour de la mythologie prodigue. Seznec, européocentré, juge, regrette et admoneste car il aime ce qui serait la belle mythologie olympienne originelle et occidentale où l’on devine sous-jacente cette idée de pureté originelle (sa Grèce est sans nul doute blanche) et n'aime pas ses dévoiements exotiques, bariolés, "barbares" (sic) et "anti-esthétiques" (sic) c-à-d Égyptiens, Syriens, bref orientaux et qui seraient donc des obstacles à leur véritable retour attendu.
+ Déçu et même agacé par cette lecture je suis rassuré de trouver un écho presque mot à mot
Art et nature à Chaumont-sur-Loire (2017)
Sortie : 24 mars 2017. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture, Écologie
livre de Chantal Colleu-Dumond
Nushku a mis 5/10.
Annotation :
Les photos sont jolies. Ils font tous un peu la même chose : des matériaux bruts, récupérés localement bien entendu, ou de récupération ; des arbres morts, des bouts de bois, des rondins et parfois des tiges métalliques ; tout ça métaphore de ci, métaphore de ça, en harmonie évidemment avec le lieu (même si ça ressemble goutte pour goutte à leurs autres créations réalisées ailleurs dans le monde, comme un mantra). Et je me demande toujours si tout ces machins tiennent en équilibre ou sont truffés de tenons et mortaises (on voit bien Goldsworthy n’utiliser aucun artifice de ce genre...)
{Pas d'accord. Du tout. Je crois au contraire que ce genre d'approche un peu caricaturale artsy opaque ne peut que braquer les réfractaires et les indécis au contraire d’une pédagogie sourcée, informée, illustrée par les chiffres... : « ...mieux considérer la nature qui nous entoure, à respecter le vivant et à protéger notre planète. Il s'agit là d'une "écologie poétique", dont le message subtil est souvent plus efficace que bien des déclarations trop volontaristes ou trop appuyées. »}
*
« La nature est pour [Antti Laitinen] un point de départ, le début d'un récit, un défi à relever, en gardant à l'esprit que le combat est vain,perdu d'avance. Il partage la vision de Giuseppe Penone, pour qui "l'œuvre du sculpteur, c'est de révéler l'image latente dans la nature. Il sait voir et n'impose rien". »
« La présence des arbres, des étendues enherbées, les jeux de la lumière, la diversité des sols, le vent ou la brise, les parfums en suspens... contribuent à enrichir le lien avec les installations. Ce rapport singulier avec l'art et le paysage agit sur la perception d'ensemble, par la paix que la marche apporte au visiteur et l'harmonie, voulue, qu'il va percevoir, enrichissant, par là même, la diversité de ses sensations et sa contemplation.
Le paysage est ici tel que le désigne Richard Serra : il est vécu en tant qu'expérience "de l'espace, du lieu, du temps et du mouvement". Gilles Tiberghien écrit pour sa part: "L'approche artistique est très importante dans la manière de percevoir le monde à partir des voies qui le traversent dans la mesure où elle met l'accent sur la dimension de l'expérience sensible et affective de la marche". »