Excerpt
3 livres
créée il y a 13 jours · modifiée il y a 13 joursLe Mot d'esprit et sa relation à l'inconscient (1905)
Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten
Sortie : septembre 1992 (France). Essai, Humour
livre de Sigmund Freud
Boris Villar a mis 9/10.
Annotation :
Dans la vie sérieuse, le « plaisir du non-sens », comme nous dirons par abréviation, se cache, il est vrai, au point de disparaître. Pour le mettre en évidence, il nous faut recourir à deux cas, dans lesquels il apparaît encore ou se révèle à nouveau : c'est l'attitude de l'enfant qui apprend encore et celle de l'adulte dont l'humeur a été modifiée par un toxique. Lorsque l'enfant apprend le vocabulaire de sa langue maternelle, il se plait à « expérimenter ce patrimoine de façon ludique » (Groos). Il accouple les mots sans souci de leur sens, pour jouir du plaisir du rythme et de la rime. Ce plaisir est progressivement interdit à l'enfant jusqu'au jour où finalement seules sont tolérées les associations de mots suivant leur sens. Mais, avec les progrès de l'âge, il cherche encore à s'affranchir de ces restrictions acquises à l'usage des mots, il les défigure par certaines fioritures, les altère par certains artifices (redoublement, tremblement), il se forge même avec ses camarades de jeu une langue conventionnelle. Ces démarches se retrouvent dans certaines catégories de psychopathies.
Je suis d'avis que, quel qu'ait été le mobile qui ait dicté à l'enfant l'initiative de tels jeux, il s'y prête, au cours de son développement ultérieur, en pleine conscience de leur absurdité et pour le seul attrait du fruit défendu par la raison. Il emploie le jeu à secouer le joug de la raison critique. Plus tyranniques encore sont les contraintes que nous impose l'apprentissage du jugement droit et de la discrimination, dans la réalité, du vrai et du faux ; aussi la tendance à réagir contre la rigueur de la pensée et de la réalité demeure-t-elle chez l'homme profonde et tenace. Ce point de vue domine aussi les processus de l'activité imaginative. Dans la dernière partie de l'enfance, et durant la période scolaire qui dépasse l'âge de la puberté, la critique a pris une telle puissance que le sujet ne se risque plus que rarement à goûter directement au plaisir du « non-sens libéré ». Il ne se hasarde plus à énoncer de contresens ; mais la tendance foncière du jeune garçon à l'activité intempestive et absurde me semble dériver en droite ligne du plaisir du non-sens. Dans les cas pathologiques, cette tendance s'exalte souvent au point de dominer à nouveau les discours et les réponses de l'élève ; j'ai pu, chez quelques lycéens atteints de névroses, me convaincre de ce que leurs ratés n'étaient pas moins imputables à l'attrait inconscient pour le non-sens qu'à l'ignorance
Le Mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (1905)
(traduction Marie Bonaparte)
Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten
Sortie : 3 novembre 1969 (France). Essai, Humour, Psychologie
livre de Sigmund Freud
Annotation :
Plus tard, l'étudiant ne se fait pas faute de réagir contre la contrainte de la pensée et de la réalité, dont le joug lui semble de plus en plus pénible et pesant. Bon nombre de blagues d'étudiants ressortissent à ces réactions. L'homme est « un chercheur infatigable de plaisir » - je ne sais plus quel auteur a lancé cette heureuse formule - et chaque renoncement à un plaisir auquel il a une fois goûté lui est fort pénible. Par les joyeuses absurdités du « bagou de la bière », l'étudiant cherche à sauvegarder son plaisir du penser libre ; la scolarité du collège va le lui ravir de plus en plus. Beaucoup plus tard encore, quand l'homme mûr rencontre ses collègues au cours d'un congrès scientifique et se retrouve de ce fait dans la situation de l'étudiant, il trouve, à l'issue de la séance, dans la « chronique des buvettes 1 » qui défigure jusqu'à l'absurde les acquisitions nouvelles de la science, un dédommagement aux inhibitions nouvellement acquises par sa pensée.
« Bagou de la bière » et « Chronique des buvettes », ces noms seuls témoignent de ce que la critique, qui a refoulé le plaisir du non-sens, est devenue à ce point impérieuse que, sans appoint toxique, elle ne peut se relâcher, fût-ce un seul instant. La modification de l'humeur est ce que l'alcool peut offrir de plus précieux à l'homme et ce qui fait que tous les hommes ne renoncent pas avec la même facilité à ce « poison ». L'humeur enjouée, d'origine endogène ou toxique, abaisse les forces d'inhibition, la critique en particulier, et rend par là de nouveau abordables des sources de plaisir dont la répression fermait l'accès. Il est fort instructif de noter combien l'exaltation de l'humeur nous rend peu exigeants sur la qualité de l'esprit. C'est que l'humeur supplée à l'esprit, comme l'esprit doit s'efforcer de suppléer à cette humeur qui offre des possibilités de jouissance habituellement inhibées, et, parmi ces dernières, le plaisir de l'absurde.
« Avec peu d'esprit et beaucoup de plaisir... »
L'alcool fait de l'adulte un véritable enfant qui prend plaisir à se laisser aller au fil de ses pensées, sans souci des contraintes de la logique.
Critique et clinique (1993)
Sortie : 1993 (France). Essai, Philosophie
livre de Gilles Deleuze
Annotation :
Les dangers de la «société sans pères» ont été souvent dénoncés, mais il n'y a pas d'autre danger que le retour du père. A cet égard, on ne peut pas séparer la faillite des deux révolutions, l'américaine et la soviétique, la pragmatique et la dialectique. L'émigration universelle ne réussit pas mieux que l'universelle prolétarisation. La guerre de Sécession sonne déjà le glas, comme le fera la liquidation des Soviets.
Naissance d'une nation, restauration de l'Etat-nation, et les pères monstrueux reviennent au galop, tandis que les fils sans père recommencent à mourir. Images de papier, c'est le sort de l'Américain comme du Prolétaire. Mais, de même que beaucoup de bolchevistes entendaient dès 1917 les puissances diaboliques qui frappaient à la porte, les pragmatistes et déjà Melville voyaient venir la mascarade qui entraînerait la société des frères.
Bien avant Lawrence, Melville et Thoreau diagnostiquaient le mal américain, le nouveau ciment qui rétablit le mur, l'autorité paternelle et l'immonde charité. Bartleby se laisse donc mourir en prison. Dès le début c'est Benjamin Franklin, l'hypocrite Marchand de paratonnerres} qui installe la prison magnétique américaine.