Films vus en 2018

Annotation :

Allongée sur la plage. Le cadre est géométrique: on observe Young-Hee de dos, le visage face à la mer, qui semble déferler sur elle par effet d'optique. On se demande si elle a les yeux ouverts ou fermés. Endormie, ou pensive. Car l'héroïne est plongée dans une sourde mélancolie, qu'elle refuse tant bien que mal d'extérioriser. Un amour qu'on n'aperçoit jamais, qui n'existe que par ses paroles pleines de regret, de colère et de passion.
On retrouve plusieurs tics d'Hong Sang Soo dans ce film: de nombreuses scènes de conversation, toujours aussi longues et essentielles à son propos, entrecoupées de scènes d'errance, en ville ou à la campagne, qui rajoute toujours une dimension contemplative (quand ils sont réussis) ou ennuyeuse (quand ils sont ratés). L'alcool, catalyseur de l'intrigue tant tout repose sur les dialogues des personnages et que ceux-ci ne se dévoilent pleinement qu'après plusieurs verres. Les scènes de repas. Les tics de mise en scène (le zoom/dézoom, pas toujours pertinent, et la lumière naturelle, correspondant à sa volonté de filmer "vrai").
Il y a aussi des originalités. Comme ce personnage principal auquel on s'attache beaucoup plus facilement, car beaucoup plus extravertie que Mori dans Hill of Freedom ou Yoon dans Un jour sans, un jour avec. Ou encore un humour plus corrosif que dans ses derniers longs métrages. Ou cette escapade en Europe, alors que le réalisateur a pris l'habitude de filmer exclusivement l'Asie. Elle continue d'errer, d'admirer les paysages d'Allemagne ou de Corée, de refaire le monde avec ses amis ou ses collègues. Parfois elle se laisser échapper quelques indices sur sa tristesse, au détour d'une conversation. Et puis parfois, celle-ci explose, comme lors d'une scène de repas très puissante, comme toujours chez Hong Sang Soo. Young-Hee s'émerveille facilement devant l'ordinaire du quotidien, un peu comme Hong Sang Soo. Un chou jaune qu'elle entoure de ses mains comme un bouquet offert par son amoureux. Un parc dont la verdure et l'immensité la fascinent. Et la mer, face à laquelle elle se révèle complètement, que ce soit en Allemagne où elle court rejoindre son homme, ou en Corée quand elle se laisse emporter par ses rêves. L'héroïne est romantique, passionnée, rêveuse. Au bout d'une heure, on a l'impression de la connaître, avec ses nuances et ses défauts. Elle nous fascine et nous agace, comme ses amis qui pour certains ont du mal à cerner sa personnalité chaotique.

Annotation :

Kay ambitionne de faire grandir son Washington Post quand Tom, son rédacteur en chef, tombe sur les documents révélant l'ampleur de la tromperie de la guerre du Vietnam. Comme dans tous ses films, Spielberg coche toutes les cases. Une mise en scène parfaite (trop?), au service d'une narration subtile et captivante, pour un propos certes intéressant, mais souvent moralisateur et manichéen. Les héros sont adulés, les méchants conspués. Ici, l'intérêt du film se situe plutôt dans le traitement du journalisme comme quatrième pouvoir, ou chein de garde de la démocratie. On voit que le Monsieur s'est beaucoup documenté ou s'est entouré des professionnels du secteur. L'univers du journalisme est dépeint avec précision et gourmandise. Les deux protagoniste représentent deux visions pas forcément conciliables : l'un, Tom Hanks - magistral - , n'y voit qu'honneur et mission quasi-christique à défendre les gouvernés face au gouvernant, l'autre, Meryl Streep - malheureusement dans le surjeu permanent, même si assumé -, pense également à la viabilité économique et ne s'embarrasse pas vraiment de ses amitiés politiques. Indépendance complète mais égocentrisme. Ou réalisme et altruisme (apparent?). Une joute arbitrée par une caméra toujours juste, mais jamais assez humaine. Du bon Spielberg, un film riche et passionnant pour qui s'intéresse à ce magnifique métier (sisi), mais autrement, une production beaucoup trop aseptisée à la sauce américano-puritaine.

Annotation :

Il sort sous un tonnerre d'applaudissements. Et pourtant, Churchill n'a pas le triomphe facile. L'homme est seul, isolé dans son idéalisme, face à un bataillon de politiciens opportunistes ou, tout simplement, rationnels. Lui ne l'est pas, et refuse de l'être; car Cicéron, car le peuple le soutient...ou parce qu'il veut l'emporter, envers et contre tout. Joe Wright parvient, avec maestria, à dresser le portrait de ce vieillard au mot brutal comme un revolver. Winston apparaît esseulé, torturé, vacillant même dans la construction de ses fameux discours. La caméra étouffe, doute, et tremble avec lui. Il semble parfois dépassé par sa tâche, qu'il sait historique: Joe Wright tente de capturer ses moindres failles comme autant de signes de grandeur.
Londres est un théâtre, les parlementaires des figurants, Churchill un monstre sacré, mi-dieu mi-démon, à la confluence de l'obscur et de la lumière. On sombre avec lui dans de lugubres questionnemments, autour du sens de la politique, du devoir patriotique, de l'absurdité de la guerre face à la silencieuse beauté d'un visage. On l'admire, on le hait, on le porte aux nues sans oublier de douter, même dans un final aux allures de fade héroïsme hollywoodien. Car sous les paillettes et la célébration, un esprit - sage, car en proie au doute - se tient en funambule sur la frontière étroite entre accomplissement personnel et bien du plus grand nombre.

Annotation :

Ila resserre les derniers boulons du dessous d'une voiture, glissée entre le sol et le flanc de l'automobile. Naltchik, Nord Caucase, Russie. On est en 1998 et la famille d'Ila s'apprête à fêter le mariage de son jeune frère David. La soirée se déroule tranquillement jusqu'à ce que David et sa fiancée ne se fassent kidnapper, pris en otage. Adina, mère rêche, compte sur la solidarité de la communauté juive; en vain. La famille tangue, les certitudes tremblent, les fondations menacent de s'effondrer: l'intrigue de la prise d'otages se suit en filigrane, dissipée par la conflictualité des personnages.
Ila ne comprend pas pourquoi elle devrait sacrifier sa liberté pour son frère, elle a toujours ressenti la préférence de sa mère pour David. Elle veut s'accomplir en dehors des carcans familiaux et religieux.
Adina tient coûte que coûte à garder ses enfants près d'elle; quitte à les brider et à les rendre malheureux. L'attachement à la famille et à ses valeurs n'est-elle pas, chez elle, qu'un prétexte à son inextinguible besoin de garder ses êtres chers auprès elle? Ou cette soif malsaine est-elle le résultat des rigidités de la société traditionnelle?

La mise en scène de Balagov est somptueuse. Chaque plan est un délice de cinéma. Les plans rapprochés se succèdent, laissant la place à quelques plans larges, des respirations d'autant plus fortes qu'elle sont rares. Des images vont rester: le souffle givré de David sur le pare-brise d'Ila. Le viol d'Ila dans un cadre affreusement étriqué, et rouge. Le cou veiné d'Ila en gros plan sur fond de cri d'éléphant. La scène de la boîte de nuit, magnifiquement silencieuse.
Balagov est un réalisateur extrêmement doué mais qui manque encore de sincérité dans son expression. Une impression générale d'artificialité ressort de son oeuvre. Peut-être est-il trop plongé dans sa caméra, et pas assez dans ce qui s'y joue derrière: acteurs(bons mais sous-exploités) et propos(fort mais dispersé).

Annotation :

Deux anges flottent dans le ciel gris de Berlin.

Il tombe amoureux. Une trapéziste française, éprise de rêves, jamais vraiment là. Elle vit dans les nuages et lui, voudrait vivre sur Terre. Ses ailes lui pèsent. Il ne peut rien toucher, rien sentir. Le goût le rend curieux, les larmes lui manquent, les sensations sont un fantasme pour lui.

Deux anges regrettent dans le ciel gris de Berlin.

Chacun de ses personnages l’émerveille. Un vieux sénile dont le passé trouble surplombe le regard. Une jeune rebelle en mal d’amour. Des vendeurs de café ambulants.

Deux anges rêvent dans le ciel gris de Berlin.

L’image est une pirogue. Tout tangue et semble à la merci du courant des personnages ; tantôt ravis, tantôt éplorés. On passe du noir et blanc à la couleur lors de flashs de lucidité de la part des anges, qui se rendent compte de leur condition d’être à la fois supérieur et inexistant. Et puis il y a cet instant de grâce, lucarne entre la parenthèse de l’ange et la phrase de l’homme. L’ange naît enfin, les couleurs surgissent dans un sublime plan-séquence.

Retour vers l’enfance et permanence du fardeau : les anges se séparent.

Attablé à un bar, l’homme patiente. Il sait qu’elle est là. Il prend un verre qui sera le sien dans quelques secondes. Il se lève pour l’embrasser.

Elle l’arrête. Lui dire qu’elle n’a jamais été sérieuse. Que toutes relations avec les autres étaient conditionnées. Que cette fois, c’est sérieux et nécessaire. Que l’amour, le vrai, rend solitaire puisque l’autre nous entoure, nous happe et nous coupe du monde. L’autre devient notre monde. Elle l’aime.

Il s’agrippe à son tissu aérien comme pour la retenir au sol, elle la voltigeuse assouvie. Seule l’ombre de son désir s’accroche encore.