Cover Gérontophilies littéraires 2021

Gérontophilies littéraires 2021

Non je ne suis pas particulièrement un gros lecteur de Jean Anouilh, mais j'adore cette photo. Il pue la classe en plus de me faire beaucoup penser à Tywin Lannister. Et parce que ma petite tradition rend trop bizarre avec ce titre.
Edit : 2021 est une année tranquille niveau lectures, y a pas ...

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24 livres

créée il y a presque 4 ans · modifiée il y a plus d’un an
Le Bal
7.1

Le Bal (1930)

Sortie : 1930 (France). Roman

livre de Irène Némirovsky

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

On a bien raison de considérer ce roman comme un grand livre sur l'enfance. Toute sa cruauté, ses illusions et désillusions, ses tourments et ses peines sont retranscrites avec un sens de la sobriété et de la malice certains. Pourquoi de la malice ? Eh bien parce que le roman est aussi un prétexte à la satire, si on veut, de la vulgarité du monde bourgeois nouveau riche et de la mondanité forcément factice, où l'on invite des petits nobliaux gigolos et des vieilles filles titrées pour faire bon genre, malgré le dégoût qu'on leur porte. C'est avec un récit à la première personne à travers lequel on suit l'enfant de ces nouveaux riches que l'on perçoit bien toute la vanité de ce qui est décrit.

Thomas l'obscur
7.8

Thomas l'obscur (1950)

Sortie : 1950 (France). Roman

livre de Maurice Blanchot

Kavarma a mis 5/10.

Annotation :

Introspection totale, désincarnation absolue. Ainsi le XXème siècle, qui veut explorer la vie par une littérature de mort. Une certaine frange du XXème. Ce récit n'est pas la révélation, il est l'hermétisme pédant des écrivains qui trouvent malin de faire de la dialectique dialecticienne à base d'antonymes mis bout à bout, du genre "et il fut dans l'absence d'être, avec les souvenirs non vécus d'une mémoire amnésique, mon cul sur la commode". Indigeste.
Néanmoins...
Néanmoins, peut-on reprocher à l'écrivain de mettre à profit une glose sibylline, si c'est pour dire l'indicible ? Car le projet du roman c'est bien cela, dire la mort, c'est-à-dire l'absence d'être, dans un individu, et même deux (car il y a Thomas et Anne), la mort de la conscience aussi. C'est un roman sur l'absence et l'inaccessibilité. Je ne sais pas, mais je sais que c'est un livre tout ce qu'il y a de plus intriguant, et je me demande même si on peut qualifier ça de littérature. J'ai l'impression que Blanchot a contemplé une peinture cubiste ou surréaliste qui traiterait de la conscience solitaire, puis a entrepris de coucher tout ça sur papier, avec des mots. Une transposition littéraire de ce qui aurait dû rester pictural... Bref, à relire dans dix ou vingt ans.

Contes populaires russes

Contes populaires russes (1962)

Sortie : 1962 (France). Recueil de contes

livre de Ernest Jaubert

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Des histoires en apparence sans queue ni tête, où des lapins causent aux hommes qui tuent des loups géants à coups de bâton, où des roussalkas des profondeurs croisent leurs destins au bord d'une rivière, et dans lesquels, à chaque fois, des leçons de vie sont dispensées aux petites têtes blondes qui les écoutent. Presque toujours, ça commence "dans un certain royaume", avec "un roi et une reine qui ont un fils/une fille/plein d'enfants" ; presque toujours le temps et l'espace sont comprimés jusqu'à n'en faire que des détails anecdotiques, à peine existants. Ne reste que la beauté simple d'un conte pour enfants qui a valeur d'événement en lui-même, la rencontre entre la tradition populaire séculaire et les oreilles neuves d'un gamin au coin du feu qui n'attend que la morale de l'histoire pour aller au lit avant de, vingt ans plus tard, la retourner dans sa tête et la comprendre.

Tantôt cruels, tantôt rocambolesques, parfois féériques ou carrément glauques, ces contes s'affranchissent parfois des principes de base d'une trame (comme la cohérence ou la vraisemblance la plus élémentaire par exemple), mais sont de petits bijoux de poésie désuète. A la fin de l'histoire, t'as l'impression qu'un petit vieux à chapka referme le livre et te lance le clin d'oeil entendu de ceux qui savent où ils veulent en venir et qui attendent que toi aussi tu le saches.

"Telle est la fin du conte. A présent, donnez-moi un bon verre d'eau-de-vie."
Excipit du conte "Une science ingénieuse".

Kodex Metallum
7.8

Kodex Metallum (2020)

L'art secret du metal décrypté par ses symboles

Sortie : 22 octobre 2020. Beau livre & artbook, Culture & société, Musique

livre de Maxwell et Quentin Boëton (ALT 236)

Kavarma a mis 6/10.

Annotation :

Alors, c'est un très beau livre, belle reliure, belles gravures, belle présentation de pochettes, belle mise en page. Esthétiquement y a rien à dire. Les pochettes, et par extension tous les albums et groupes mentionnés, avoisinent le nombre de 600. Pour un néophyte comme moi, c'est une mine d'or de découvertes, du hard rock ou du prog des 60'-70' un peu oublié jusqu'au plus obscur one-man band de black metal de nos jours, c'est un vrai éventail d'explorations qui s'ouvre au lecteur. Ces explorations sont supervisées par une division du livre en chapitres, puis en thèmes, et c'est là que le bât blesse.
Autant les thèmes choisis sont indéniablement pertinents et très représentatifs de la culture metal, autant leur traitement est extrêmement superficiel. On sent que l'objectif des deux vidéastes était de parler du plus de choses possibles, et d'enrober tout ça dans un bel écrin. Sauf qu'ils ont oublié d'être intéressants, c'est vraiment dommage. La page de gauche propose un texte sur, disons, le thème des substances psychotropes, la page de droite présente un choix de pochettes d'albums illustrant ce thème, visuellement comme musicalement. C'est tout, c'est la recette du livre. Mais une seule page par thème, c'est peu, surtout quand on se contente d'énoncer des banalités trouvables en deux clics sur Wikipedia.

Mais je vais pas cracher complètement dans la soupe, je suis content d'avoir lu ce livre, il m'a beaucoup apporté au final. Je regrette simplement un manque d'approfondissement flagrant au niveau des thématiques.
Et merci à Astrid pour le cadeau ;)

Réfléxions dures sur une époque molle

Réfléxions dures sur une époque molle (1981)

Sortie : 24 avril 1981 (France). Aphorismes & pensées

livre de Jean Cau

Kavarma a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Déjà lues il y a peu, je relis ces réflexions en me disant que j'ai été un peu dur peut-être avec Jean Cau. Même si le style est assez poseur parfois, et certains aphorismes peu pertinents, il était visionnaire pour écrire ce livre en 1981.

Silbermann
6.7

Silbermann (1922)

Sortie : 1922 (France). Roman

livre de Jacques de Lacretelle

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Petit roman sur l'adolescence, les doutes sur l'éducation reçue (le héros est protestant), la remise en question finale de celle-ci et des valeurs morales puritaines inculquées par un père pas aussi rigide qu'il n'y paraissait, qui se conclue par ce jeune garçon se traçant sa propre voie non sans turpitudes : "Je vivais dans un affreux ennui, n'ayant plus foi en la vertu et n'ayant point le goût du mal."

Mais surtout, un roman sur l'amitié, amitié entre lui, donc, et le jeune Silbermann, Juif de son état. Le contexte est facilement compréhensible, le roman est publié en 1922 durant une montée assez virulente de l'antisémitisme en France. Les deux amis devront d'ailleurs y faire face, et les deux, d'une certaine manière, y tireront un certain bénéfice. Car le héros se trouvera lui-même après avoir été envoûté par Silbermann, par son intelligence, sa soif de culture, son ambition et sa volonté de faire briller la France en tant que Juif ; et ce dernier, malmené par les événements, renouera finalement avec la voie "de ses pères", comme il l'appelle. C'est-à-dire qu'il abandonne la littérature et se tourne vers le commerce, par cette volonté orgueilleuse et blessée de correspondre aux clichés que l'on a de "sa race" (ses propres mots, pas taper), puisque de toute façon ils ne disparaîtront jamais.

Mais bizarre, car le roman semble dénoncer la haine ambiante du Juif, par la présentation d'un personnage hautement intelligent et à l'esprit très vif (c'est un génie, très clairement), à la diatribe finale qui emprunte pas mal à Shylock du Marchand de Venise d'ailleurs, dans ses thèmes du moins. Mais Lacretelle décrit aussi Silbermann comme un jeune homme profondément orgueilleux, parfois méprisant, intéressé par la gloire, narcissique, fils d'antiquaire dont la moralité est remise en doute à un moment. L'auteur le fait correspondre aux préjugés en somme, et pas seulement après les événements du père. Parce que Silbermann est comme il est, il l'est en soi. L'hérédité est d'ailleurs un mot souvent employé dans sa bouche.
Je ne sais pas si c'est intentionnel, mais le roman est riche, très ambigu en réalité. Philosémite ? Antisémite ? A chacun de trancher.

Lettre à un soldat de la classe 60

Lettre à un soldat de la classe 60 (1946)

Sortie : 1946. Récit

livre de Robert Brasillach

Kavarma a mis 9/10.

Annotation :

Mise au point émouvante et tragique de l'un des écrivains les plus prometteurs de sa génération, dont la promesse macabre des quatre murs d'une prison n'a pas réussi à ébranler la droiture inébranlable.
Critique à venir un de ces quatre, si c'est encore possible.

Les Chimères
8.2

Les Chimères (1854)

Sortie : 1854 (France). Poésie

livre de Gérard de Nerval

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Des sonnets en alexandrins, tout ce qu'il y a de plus classiques. Mais Nerval s'arrête là : toute sa poésie est infusée par ce goût pour l'Antiquité un peu fantasmée qu'on pouvait avoir au XIXème siècle, de ces doctrines religieuses ou philosophiques obscures se rapprochant d'elle et détournées ici au profit d'un éloge de la figure du poète. Ou de Nerval lui-même, je ne sais. Comme le pythagorisme ou l'orphisme, qui sont parmi les croyances de Nerval les mieux attestées.
Quoi qu'il en soit, la langue est sublime, mais c'est très hermétique, il faut une solide culture du XIXème siècle pour saisir toutes les subtilités de ce genre de poésie très influencée par le renouveau de l'intérêt porté à l'Antiquité. Le poème "El Dedischado", le plus connu, est sûrement le plus beau aussi.

Andrienne

Andrienne

Andria

Théâtre

livre de Térence

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

La première pièce de Térence, écrite vers 166 avant JC, qui reprend et remanie deux pièces de Ménandre, l'Andrienne et la Périnthienne.
Une histoire d'amour impossible emballée dans tout une toile de machinations de la part de chaque partie, dominée par Dave, le serviteur stoïcien en grand maître dépassé par le Jeu. Très plaisant à lire !

En supprimant quelques éléments de son prédécesseur grec, Térence récrit une intrigue bien plus portée sur le suspense, et augmente l'intérêt romanesque du récit, en introduisant un twist final dont la nature de deus ex machina ne suffit pas à réduire la joie, simple mais sincère, qu'on ressent à sa lecture. Les enseignements épicuriens et stoïciens sont aussi infusés dans la pièce (Dave, Chrémès), au demeurant très bien construite.

Bruges-la-morte
7.3

Bruges-la-morte (1892)

Sortie : 1892 (France). Roman

livre de Georges Rodenbach

Kavarma a mis 10/10.

Annotation :

Un roman qui synthétise à lui seul l'atmosphère fin-de-siècle. Plein de langueur, de morosité, Bruges se fait personnage principal, celui qui mène l'action et domine les autres personnages. Grâce aux photos insérées dans le récit, on prend toute la mesure de cette place prise par la Ville, devenue le miroir immuable des émotions du veuf.

La Venise du Nord n'est pas solaire et colorée comme celle du Sud. Elle est grise, elle est austère, elle évoque le Moyen Âge avec son beffroi et ses clochers menaçants ; les rues pavées contiennent le souvenir des grands peintres flamands, les eaux stagnantes se promènent sous les ponts massifs et clapotent à chaque page que l'on tourne. Une atmosphère vraiment très particulière se dégage du livre, et encore plus quand le ton fantastique éclot, et que Bruges devient le tombeau de la Morte : ses ruelles sont hantées par un amour mort, et la solitude même s'incarne en elle. A la limite du gothique et du fantastique, Bruges-la-Morte est un bijou brut, un peu sale parce que séculaire, mais poli par le style de Rodenbach, d'une précision poétique menée à l'extrême épousant parfaitement son sujet. Une phrase travaillée comme la pierre, dont la sculpture se retrouve aussi dans les méandres psychologiques du héros. Une phrase ciselée et mouvante, en somme.

Un chef-d'œuvre.

Laissez tomber la fille
6.7

Laissez tomber la fille (1950)

Sortie : 5 décembre 1950. Roman

livre de Frédéric Dard et San-Antonio

Kavarma a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Tel l'oiseau migrateur qui toujours revient à son foyer les beaux jours venus, je reviens vers San-Antonio quand l'envie me prend de lire quelque chose de couillu, d'efficace et de drôle. L'intrigue est ici ancrée en pleine Occupation de la capitale, où les mecs du marché noir, les services secrets, la Gestapo, les petits grugeurs de bar se côtoient et tentent de sortir leur épingle du jeu, au milieu d'un commissaire San-Antonio embarqué dans l'histoire par une bête erreur sur la personne. Tout commence par un attentat dans le métro, et le célèbre commissaire criblé de balles, il a envie, une fois remis, de dérouler le fil de cette étrange maladresse, accompagné par Gisèle, une jeune infirmière pas farouche, et une Florence aussi somptueuse que son homonyme urbain de la bonne époque... et puis le lecteur de le suivre là-dedans avec le délice habituel.

Je lis Sana avant tout pour le style, et puis pour les intrigues mêlant toujours action burnée et troussages de bonnes en règle. D'ailleurs, le talent d'évocation charnelle de San-Antonio, c'est tout un manège et ça vaut toutes les photos de charme du monde. Même s'il s'agit de l'une des premières aventures de Sana, et que le bon Frédéric Dard fait encore ses armes au niveau du style. Il faut bien le dire, les bons mots de la narration semblent assez forcés dans cet opus, peu naturels, quoique je me sois régulièrement pris à l'esclaffement le plus inattendu. J'y peux rien, San-Antonio c'est le plaisir de lecture ultime pour moi.

Bref, le style se cherche encore indubitablement, mais c'est une très bonne histoire, et les péripéties renversantes placent le récit quelque part entre la Traversée de Paris et Indiana Jones et la Dernière Croisade. Que du bonheur, comme toujours.

Du plomb dans les tripes
7.1

Du plomb dans les tripes (1953)

Sortie : 1953 (France). Roman

livre de San-Antonio et Frédéric Dard

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

J'ai pas résisté à m'en enfiler un deuxième. La phrase est déjà plus fluide et maîtrisée (on est trois ans et quelques romans plus tard aussi hein), mais pas encore dans la bonne époque avec Béru par exemple. Il n'empêche que le style à base d'images, d'expressions argotiques savamment placées et quelquefois elliptiques fait foutrement plaisir, encore plus quand l'histoire qu'il raconte est à la hauteur.

On est en 1953, le souvenir de l'Occupation reste dans les têtes, et Sana nous raconte encore ses aventures de cette période. Moins d'érotisme (même si tout est relatif), plus de meurtres et plus de coups fourrés, d'opérations secrètes impliquant des cadavres hauts placés, des agents double, des Polonais rouges, les braves Français de la Résistance, et puis la Gestapo sans qui rien n'est possible en pareille littérature. J'aime d'ailleurs le relief qu'arrive à donner l'auteur à ses personnages, et nos voisins outre-Rhin ne sont pas forcément les enfoirés indubitables qu'ils sont aujourd'hui à tous les coups dans les fictions de toutes sortes. Enfin si, tout bien considéré, mais il n'y a pas ce ressentiment stérile ou ces cris d'orfraie ridicules, la chose est vue comme un antagonisme naturel et tout à fait de circonstance, où chaque partie mène sa barque selon ses moyens. En tout cas, du point de vue du protagoniste, tête brûlée devant l'Eternel, vue comme un jeu aventureux et stimulant.

L'incipit donne le ton : on débarque dans le feu de l'action, notre commissaire-espion est ficelé à une planche, sur le point de se faire découper par une scie à rondins. Après quoi la sadique et néanmoins gironde Gertrude rigole et se casse. C'est enclenché, et on en aura pour notre argent. Peu de repos, beaucoup de plaisir.

Paludes
7.1

Paludes (1895)

Sortie : 1895 (France). Récit

livre de André Gide

Kavarma a mis 6/10.

Annotation :

Le thème est intéressant : il s'agit d'une réflexion sur l'attachement des hommes à leur routine, et plus spécifiquement de leur impossibilité à pouvoir changer quoi que ce soit en profondeur. Un livre sur le voyage aussi, surtout intérieur, qu'il faut accomplir pour mettre de l'aventure dans nos vies. Le narrateur, à ce titre, est l'incarnation du propos. Il voudra voyager (pas plus loin que la gare), briser sa routine (mais il lui faut inscrire dans son agenda le jour et l'heure de cette brisure...). Un roman, précisément, sur cette fatalité, à ce que j'en ai compris, ainsi que sur la création. Sur le besoin irrémédiable d'évasion, mais rendu impossible par le mode de vie moderne, parisien et mondain par exemple.

Mais voilà, peu emballé par la lecture, que j'ai trouvée fastidieuse et trop emberlificotée. Les personnages sont excessivement peu attachants, sans vie ni sans véritable logique, et j'ai même l'impression qu'ils ne sont que les pions de l'auteur, même avec la touche d'humour présente tout du long. Dommage, même si j'ai retenu des fulgurances.

« Toutes les carrières sans profit pour soi sont horribles, – celles qui ne rapportent que de l’argent – et si peu qu’il faut recommencer sans cesse. Quelles stagnations ! Au moment de la mort qu’auront-ils fait ? Ils auront rempli leur place. – Je crois bien ! ils l’ont prise aussi petite qu’eux. »

Ou encore cette phrase qui, au-delà du roman, explique parfaitement le but d'une traduction, et la nécessité de changer les titres d'œuvres :

« Mais comprenez, je vous prie, que la seule façon de raconter la même chose à chacun, – la même chose, entendez-moi bien, c’est d’en changer la forme selon chaque nouvel esprit. »

Comme le temps passe...
8.5

Comme le temps passe... (1937)

Sortie : 1937 (France). Roman

livre de Robert Brasillach

Kavarma a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Relecture, + 1. Quatrième roman de Brasillach et véritable bijou littéraire, où l'écrivain s'infuse partout et tout le temps, ayant compris que l'intérêt d'un artiste est qu'il se perçoive dans son œuvre. Un livre de "Mémoires fragmentaires", les siennes bien sûr, mais pas seulement : la recherche du bonheur perdu, c'est la restitution par facettes, par miroirs, du temps, de l'espace, et des figures qui les remplissent. Comme son titre l'indique, c'est l'écoulement du temps, la nostalgie fataliste d'un Brasillach pourtant encore jeune qui dominent le ton du roman.

Florence et René grandissent au Paradis terrestre, ils sont l'Adam et l'Eve découvrant ensuite la Belle Époque reconstituée par les récits, les lectures et les fantasmes de Brasillach pour cette période désuète, pleine de charme, délicieusement passéiste. L'histoire de deux âmes-sœurs hantées par la jeunesse et par le bonheur, le bonheur inhérent à la jeunesse, qui sentiront ce besoin irrépressible d'éprouver la vie et cette jeunesse avant qu'elle se fane. Pour René, c'est la bohème pionnière dans une troupe de cinéma, à Bruges et à Gand, l'aventure des colonies et la guerre de 14-18 qui termineront de tremper son âme ; pour Florence, un lieutenant de passage en province suivi de quatorze années d'attente. Un fils pour les unir, avant cela une nuit de Tolède féérique, la plus belle scène de sexe de la littérature française - et la seule du roman.

Et pourtant, tout en suggestion, l'érotisme de Brasillach s'insinue absolument partout : il n'est pas pour lui cantonné au sexe, mais une manière générale de ressentir la vie. Ce sont les sensations qui dominent, les cinq sens sont convoqués pour la grande farandole des souvenirs et sa connexion à eux. La mémoire proustienne, la sensualité de Colette, la hauteur morale de Corneille ou la joie de vivre toute sensorielle et méditerranéenne des Anciens : Brasillach est un puits d'influences digérées, réalisant cette union de la tradition et de la modernité dans une démarche résolument romantique (ce qui l'a entre autres éloigné de Maurras) et annonçant ses engagements à venir. Bref, un très grand livre. Du coup, ben note maximale.

Robert Brasillach

Robert Brasillach (1987)

ou Encore un instant de bonheur

Sortie : 1987 (France). Biographie

livre de Anne Brassié

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Une biographie passionnée, et passionnante en ce que l’auteur porte toujours un regard curieux sur l’écrivain, tentant de comprendre et surtout d’expliquer tous les engagements de Brasillach ainsi que ses raisons, parfois politiques, parfois purement sentimentales. Où l’on apprend que Robert a quitté Je suis partout parce que ne se reconnaissant plus dans l’équipe (qui en outre percevait sa lucidité comme de la lâcheté). Que la lecture de Mein Kampf et les voyages en Allemagne n’ont pas anéanti son esprit critique ; que ce fut avant tout un écrivain, pour qui le fascisme en était une facette poétique, une vision de la vie.

Les dernières pages de la biographie, traitant du procès et du séjour en prison, sont bouleversantes en ce qu’elles laissent voir toute l’humanité du personnage, qui a refusé de s’enfuir avec les autres en Allemagne, préférant subir avec honneur le destin des incarcérés, se constituant prisonnier pour libérer sa mère arrêtée en tant qu’otage, tout en ne se faisant aucune illusion sur l’issue de cette décision. Brassié montre bien le refus de s’agenouiller : Robert, même s’il reconnaît la possibilité de s’être trompé sur les personnes ou sur les événements, réaffirme les motifs qui l’ont fait agir et reste ferme sur ses positions. Le juge durant sa première instruction lui sera d’ailleurs gré de ce refus de la pleurniche : « Je ne suis pas chargé de faire votre éloge, mais je puis vous dire qu’on ne vous considère pas tout à fait comme les autres et que votre franchise me change agréablement de l’attitude de certains inculpés. » La biographe revient sur les raisons potentielles de De Gaulle pour refuser la grâce, et retient principalement l’orgueil et l’esprit de concurrence du Général, qui ne saurait concevoir qu’on pût choisir Vichy, et donc une autre France que la sienne. J’ai aussi une théorie, que je développerai dans une critique un jour.

Le livre termine sur le procès-verbal de l’exécution, rédigé par Me Jacques Isorni, avocat devenu ami de Brasillach. D’une tristesse aussi condensée que l’atmosphère glaciale de ce matin du 6 février 45, on assiste alors aux derniers moments de l’écrivain par les yeux de celui qui l’a suivi jusque-là. On apprend alors qu’il souriait devant la mort, qu’il encourageait les soldats du peloton, et qu’il cria « Vive la France ! » juste avant la salve. Sans doute soulagé de mourir jeune et ayant toujours voulu rester debout, il eut le destin qu’il souhaitait au fond de lui. Et encore respect à Mauriac.

Les Nuits d'octobre
7.1

Les Nuits d'octobre (1852)

Sortie : octobre 1852. Récit

livre de Gérard de Nerval

Kavarma a mis 5/10.

Annotation :

Un texte écrit et pensé dans le mouvement de la promenade dans et autour de Paris, où l'on visite avec l'auteur les 26 lieux des 26 sections composant le recueil qui offrent chacun leur lot de péripéties propres, du marchand de poisson au gendarme, des discussions philosophiques avec le compagnon de voyage aux disputes nocturnes dans les bars un peu mal famés. Une réflexion sur l'anglophilie de cette époque et sur le réalisme aussi, et je ne sais pas bien s'il s'agit de le condamner ou de s'en revendiquer. On dirait un peu des deux, en tant que le réalisme se prête bien à la démonstration de la vie réelle, mais qu'il manque de poésie quand même. Je sais pas, mais le texte fut assez chiant de toute façon, comme si la platitude du réalisme transposé en était la démonstration. Pas sûr d'apprécier la prose de Nerval, à voir pour d'autres livres de lui.

Apologie de Mort à Crédit
8

Apologie de Mort à Crédit

suivi de Hommage à Zola

livre de Robert Denoël et Louis-Ferdinand Céline

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Texte plein d'inquiétude, on est habitué avec Céline. Mais il semble particulièrement touché ici, comme s'il se livrait vraiment à l'auditoire (c'était un discours à la base) et que son pessimisme, en s'appuyant sur l'hommage, éclatait comme une confession. Je suis pas forcément d'accord avec tout ce qui est dit, notamment sur la pulsion de mort que représenteraient les mouvements du XXème. Même s'il y eut des tragédies, du fanatisme et des meurtres de masse à la fin, il me semble que ces tendances participaient plutôt à l'origine d'une pulsion de vie intense face à un monde jugé moribond. Brûler sa vie dans un grand geste flamboyant, certes, mais dont la destruction finale n'est pas la volonté initiale... Là où je peux le rejoindre, c'est que la vie intense amène intensément à la mort, dans le feu des idées et des actions, forcément. Je crois que c'était aussi la vision de Mishima plus tard, la proximité fusionnelle de la vie et de la mort, qui cohabitent intimement lorsque l'on vit vraiment. En tous les cas, c'est un texte touchant d'un homme lucide.

Je me souviens de cette phrase, que Henri Guillemin avait citée un jour je ne sais plus où :
"La rue des Hommes est à sens unique, la mort tient tous les cafés,
c’est la belote « au sang » qui nous attire et nous garde."

Léda
7.8

Léda (1893)

Sortie : 1893 (France). Nouvelle

livre de Pierre Louÿs

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Le dépucelage de Léda par un cygne qui se barre en pleine nuit sans repasser un coup de fil, avec à la fin une ode au monde invisible et à la dissimulation, la « louange aux bienheureuses ténèbres ».

Polyeucte
7.2

Polyeucte (1641)

Sortie : 1641 (France). Théâtre

livre de Pierre Corneille

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

L’histoire du martyre de saint Polyeucte, revisitée sauce Corneille. Comme pour les autres pièces du dramaturge, il serait dommage de s’arrêter à la lecture morale unidimensionnelle : l’intrigue, quoique ramassée, forcément à cette époque, recèle ses ambiguïtés tout comme dans ses personnages. Le conflit entre religion traditionnelle et christianisme naissant se résout comme il s’est résolu dans l’histoire, mais Corneille fait dialoguer certaines composantes de ce dernier et enrichit le propos. Nous avons droit à une discussion sur la grâce, sur le sacrifice, sur la nature du devoir de fidélité, sur les ambivalences de cette nouvelle religion. Les chrétiens, par la figure de Polyeucte, sont des lions au combat mais soumis devant Dieu, ils suivent Ses volontés et recherchent la souffrance et le martyre (du moins dans la pièce, dans laquelle Corneille fait de Polyeucte un personnage-type aussi, évidemment). En somme, j’ai trouvé intriguant que déjà au XVIIème siècle on puisse faire du christianisme une religion de soumis, avant la pensée nietzschéenne. Sauf que Corneille le dit bien par la bouche de Félix : les chrétiens sont à la fois des lions et des agneaux. Ce qui fascine dans cette religion, c’est la dualité qui semble y être inhérente et omniprésente depuis ses débuts.

Le Siège de l'Alcazar

Le Siège de l'Alcazar (1936)

Sortie : 1936. Histoire

livre de Robert Brasillach et Henri Massis

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

De juillet à septembre 1936, début de la guerre civile en Espagne. Les forces nationalistes se soulèvent, et parmi eux un petit groupe de phalangistes, de carlistes et de Cadets menés par le colonel Moscardo (qui préface l'ouvrage d'ailleurs), à Tolède, alors sous contrôle républicain. En prévision de l'avancée des miliciens venus de Madrid, ils sont contraints de se réfugier dans la forteresse de l'Alcazar. S'entame alors un siège de soixante-douze jours, durant lequel les Rouges bombarderont autant qu'il est possible, et durant lequel les franquistes résisteront jusqu'à la fin, délivrés par le général Varela.

Cet épisode très symbolique de la guerre eut un grand retentissement européen. On en parlait partout, des livres, des films, des tableaux ont été faits, et ça faisait l'actualité dans les médias. Les gens s'émerveillent et s'attristent de la ténacité hors normes des assiégés, qui repoussent systématiquement les offensives. Brasillach s'empare du sujet et écrit ce livre publié fin 1936, vendu à des millions d'exemplaires, à partir des témoignages qu'il a reçus, de ses visites à Tolède et de sa propre sensibilité. Quelques dizaines de pages seulement, l'action est condensée, le quotidien des assiégés est rapporté. On arrive à s'amuser, à rire, on y publie un journal interne pour garder une vie sociale et pour informer les civils, femmes et enfants des soldats, réfugiés dans les souterrains. En tout, presque deux mille âmes tiennent le siège, et les femmes refuseront jusqu'à la fin de se sauver alors que les Rouges et même leurs propres maris le leur ont demandé. L'héroïsme de la troupe est souvent relaté, au travers de certains faits d'armes aussi, des petites sorties pour aller chercher du blé ou pour retourner une arme contre son possesseur, qui ponctuent toute la durée du siège. On se croirait presque dans Cyrano parfois, et les soldats des Gascons qui se battent avec panache.

Sous sa plume, le siège de l'Alcazar devient alors une chanson de geste moderne, où les combattants refusent de se rendre face à la supériorité numérique, ayant pour eux la supériorité de la foi, non seulement en Dieu, mais aussi en une certaine vision de l'Espagne. Cet épisode s'inscrit dans le registre épique, mais aussi dans ce jaugeage des rapports de force que représente la guerre civile espagnole, qui fait dire à certains qu'elle fut le laboratoire de la Seconde Guerre mondiale. La dimension symbolique et quasiment mythique de ce siège en a ému plus d'un, pour sûr.

Foi et Morphine

Foi et Morphine (1945)

Осъдени Души (Osadeni Dushi)

Sortie : 1945 (Bulgarie). Roman

livre de Dimitre Dimov

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Relecture. Toujours aussi intéressant, critique à venir.

Léon Degrelle et l'Avenir de « Rex »

Léon Degrelle et l'Avenir de « Rex » (1936)

Sortie : 1936. Essai

livre de Robert Brasillach

Kavarma a mis 8/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Voir critique.

San-Antonio chez les gones
7.4

San-Antonio chez les gones (1962)

Sortie : 1962 (France). Roman

livre de San-Antonio et Frédéric Dard

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Comme le demande l'usage, devenu habitude, bientôt tradition, je m'offre pour Noël une lecture de San-Antonio.

Une enquête en pays lyonnais, particulièrement sombre puisqu'il est question de gamins kidnappés, d'un diamant à la valeur extraordinaire, de partouzeurs peu farouches et de meurtres en série tout ce qu'il y a de plus intrigants. Le commissaire semble toujours avoir un pied de retard par rapport à ses ennemis, qu'il ne sait jamais bien nommer et qui lui filent entre les doigts sitôt qu'un indice pourrait l'y mener. Peut-être est-ce la raison de sa chasteté dans ce volume, je crois bien que c'est la première aventure de Sana où aucun amour ancillaire sur un bureau ou la banquette d'une bagnole ne vient ponctuer le déroulé des événements... Cela dit, les mots d'esprit s'accumulent et l'enquête est palpitante.

A l'agité du bocal
7.7

A l'agité du bocal (1948)

La lettre de Céline sur Sartre et l'existentialisme

Sortie : octobre 2006 (France). Essai

livre de Louis-Ferdinand Céline

Kavarma a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Oh la vache. Si ça c'est pas quelque chose à la fin, la tradition pamphlétaire française, je sais pas bien ce qui serait génial. Voyez plutôt :

« Dans mon cul où il se trouve, on ne peut pas demander à J.-B. S. d'y
voir bien clair, ni de s'exprimer nettement, J.-B. S. a semble-t-il cependant
prévu le cas de la solitude et de l'obscurité dans mon anus... »

« Il a délivré, parait-il, Paris à bicyclette. »

« L'Alchimie a ses lois... le "sang des autres" ne plaît point aux Muses... »

Et la meilleure trouvaille : l'appeler Jean-Baptiste Sartre. Un sens du burlesque, de la dérision et de la formule qui réjouit fort, et qui n'oublie pas de mentionner toute l'hypocrisie du bonhomme, rapport à son comportement sous l'Occupation.

Kavarma

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