Journal de bord Littérature - 2022

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Janvier / Lu.

Aller toujours trop loin, s'inscrire dans la filiation d'un Rabelais, d'un Sterne, d'un Roussel, pour gratter un peu plus avant le vaste champ de la possibilité littéraire. Il faudrait être fou pour tenter un exercice aussi vain et absurde. Peut-être. Peut-être aussi que c'est un merveilleux hommage au language et à l'inventivité de la part d'un auteur qui a toujours eu un faible pour les exercices impossibles.

Et puis on se souvient soudain, comme dans W et son absence de souvenirs d'enfance, il y a la plus grande carence de la vie de Perec : ses parents, morts à la guerre et dans un camp. L'absence d'un signe comme signe de l'absence, La disparition est sous le couvert amusant de l'exercice oulipien, un furtif et déchirant appel vers le trou béant de la séparation.

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Janvier / Lu.

Mutation d'un signe, de honni à honoré, étrange glissement perceptif qui s'est opéré au fil des siècles, d'autant plus qu'il concerne un motif extrêmement banal: les rayures. Les choses ne sont évidemment jamais simple, et derrière ce qui parait à nos yeux relever de l'évidence, voire même de l'invisible (qui s'interroge sur la signification des rayures quand il enfile une chemise?), se cache tout un appareil de sens et de représentations sculpté par des siècles de culture.

On est sur le même territoire que Tim Ingold et son histoire des lignes, dans un travail plus traditionnellement historique et moins sémio-philosophique, mais ça donne en tout cas envie d'aller fureter du coté de l'histoire des couleurs de Pastoureau.

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Janvier / Lu.

Tout à fait intéressant mais c'est une préface plus qu'autre chose...

Et je n'ai pas compris l'intérêt d'avoir présenté ça sous forme d'entretient, Simonnet n'apporte strictement rien.

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Janvier / Lu.

Bizarrement pas convaincu ni emporté, alors que sur le papier les arguments favorables s'accumulent. Comme l'impression que le style y est faussement original, les personnages insipides malgré les efforts pour les rendre attachants, et la narration laborieuse dans sa complexité.

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Janvier / Lu.

Leçon d'histoire sous la forme d'une pièce. Près de deux siècles après les faits, il faut bien raconter les hauts faits aux gens du peuple, qu'ils saisissent bien la grandeur de leur ancien monarque dans un moment particulier de son règne (la bataille d'Azincourt), car c'est dans ce moment précis que toute sa noblesse royale se dessine, entre courage et responsabilité solitaire. Mais loin d'être une simple hagiographie, Shakespeare vient discrètement ternir le tableau, pour y questionner la violence guerrière qui se cache derrière l'apparence calme du roi.

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Janvier - mars / Lu.

Difficile de ne pas tarir d’éloge face à ce texte d’une modernité déconcertante, tirant chez les deux anomalies que sont Rabelais et Cervantes toute leur gouaille et truculence, et qui élève la digression au rang d’art: ça n’est presque pas la faute de Sterne si le texte divague sans arrêt, sans jamais suivre de ligne droite. Au fond, c’est l’un des premiers a avoir exploité à ce point cette corde inépuisable qu’est notre attente en tant que lecteur, sans arrêt frustré par son jeu de cache-cache.

Tout ceci étant dit, je dois me rendre à l’évidence, je suis loin d’avoir été emporté ; comme beaucoup de livres du XVIIIeme, tout est un peu lourd et démonstratif, aussi les effets de style ne font pas toujours mouche et l’on a régulièrement envie de sauter certaines digression (quand l’oncle Tobie nous bassine avec sa science militaire pour la 20ème fois, on sature).

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Janvier / Lu.

Platonov y a cru dur comme fer, à la révolution et ses espérances. Mais les illusions politiques les plus tenaces finissent parfois (souvent), elles aussi, assassinées.

Moscou est l'enfant idéale de l'URSS, orpheline et sans mémoire, parfaitement nouvelle et enthousiaste pour construire l'avenirs radieux du communisme. Mais alors que toute la Russie lui court après, elle comprend que l'amour ne se commande pas, ni ne se partage sur demande.

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Janvier / Lu.

Convoquer les grands pessimistes que sont Pasolini, Benjamin et Agamben pour réactiver l'espoir. Que c'est un beau titre "survivance des lucioles", toute l'essence politico-esthétique de Didi-Huberman est contenu dans cet idiome qui nous permet d'espérer et de capter, dans le phare aveuglant du spectacle, du règne et de la gloire, les petites lueurs de la résistance.

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Janvier / Lu.

Exercice amusant et très divertissant (dans la première partie au moins) ; c'est dommage que dans un second temps tout tombe à sa juste place, de manière assez attendue ; chaque personnage chaque situation est bien rangé dans sa petite boite, au point de parfois tomber dans le cliché. Cependant, pourquoi bouder le certain plaisir des variations sur paradoxes temporels égrainés au fil des épisodes, et la certaine maitrise de l'approche pour les mettre en place dans la première phase.

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Janvier - février / Lu.

Ce qui est très étonnant dans les texte de l’époque classique que Foucault analyse ici c’est la médicalisation, et même pathologisation de l’acte sexuel (jugé même comme dangereux), qui peut mettre en danger l’art de vivre et l’équilibre tant physique que moral du citoyen, ce qui finira par détériorer son activité politique dans la cité. Se développe alors une économie du plaisir, intrinsèquement lié aux question des pratiques au sein du mariage et en dehors de celui-ci. Par ailleurs, les mutations de la morale autour des pratiques n’a a priori pas l’air de découler de problèmes religieux, mais plutôt de ce fameux "souci de soi", et de la vision de l’humain comme fragile machine prompte à la maladie et aux désordres organiques.

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Janvier / Lu.

Ravi (et glacé tout en même temps) d’avoir retrouvé l'espace de quelques heures l'aura si singulière de La nuit aveuglante, émanation littéraire nécromantique à la croisé de Giono et Mandiargues.

Richaud va ici encore déterrer des secrets de la nuit bien gardés au fond de marécages insondés. La fontaine des lunatiques est un roman de la lune comme on en voit peu, témoignant d'une vision magique qui traverse les semblants de la réalité pour convoquer les dieux cachés dans toutes choses.

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Janvier / Lu.

Petite collection d'articles sur les enjeux mémoriels et leur relation avec l'histoire, du déboulonnage des statuts aux phrases anodines du président sur le génocide arménien.

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Janvier / Lu.

La tranquillité toute sebaldienne, celle du promeneur des Anneaux de Saturne, nous a semble-il quitté dans Vertiges, car on ressent poindre une angoisse de la mémoire qui prend des tours presque hallucinatoires à certains moments : Casanova en prison, Kafka (qui n'a besoin d'être nulle part en particulier pour être angoissant), ou bien Sebald en enfant diphtérique.

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Février / Lu.

Quand on lit Beckett (et ça faisait longtemps que je l'avais pas croisé), on se souvient que c'est un miracle que toute écriture, même toute communication puisse exister, tant son exploration des cas limites du language démontrent tout ce qui peut mal tourner dans l'énonciation la plus simple et évidente. Chaque détail, chaque bloc d'information peut bifurquer soudainement ou s'enrouler à l'infini sur lui-même sans crier gare. C'est l'angoisse de chaque instant, de chaque phrase qui commence: peut-elle même se terminer, peut-elle même signifier quelque chose? Mais Watt, épave qui bouge à peine, s'en fiche: dire quelque chose, c'est déjà quelque chose.

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Février - mars / Lu.

Orage lyrique.

J’ai actuellement le même âge que Thomas Wolfe lorsqu’il écrivit ce roman. Fin de la blague.

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Février / Lu.

C'est un catalogue irraisonné et enivré d'un fou des seins, qui déclare son amour exalté en forme de variation infini, et de la métaphore chatoyante au récit mythologique de trois lignes Ramon veut crier son obsession par tous les moyens imaginables. Toutes les formes, couleurs, tailles ou contextes ont leurs charmes et leurs secrets.

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Février / Lu.

Condensation de quelques imaginaires agités par la Commune ; angle d’attaque fascinant qui fournit une vision en décalage de l’historiographie traditionnelle, où ce qui importe avant tout sont les germes que ce moment a pu faire naître dans la tête de certains protagonistes quelque peu oubliés que sont Reclus, Kropotkine et Morris. Ecologie avant-gardiste, concept de "luxe communal" ou bien refonte philosophique du concept d'art, chacun a sa manière s'est approprié l'action du présent pour nourrir sa théorie du futur.

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Février / Lu.

Qu'à bien pu penser Socrate en voyant Les Nuées? Satire grinçante dont il est la principale cible et qui fût versée au dossier de son procès, représenté par Aristophane comme un élucubrateur fêlé et impie, a-t-il été choqué, amusé, lassé? J'aime à croire que sur le moment, le vieux philosophe aura prit les choses à la légère: c'est le jeu de la parole publique, et cette pièce est un juste retour de bâton, on ne peut pas emmerder le monde impunément.

Intéressant par ailleurs qu'une comédie, mal reçue à sa création de surcroît, ai pu servir 20 ans plus tard comme preuve juridique lors d'un procès...

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Février / Lu.

De persécuteur à persécuté. Plus engageant que Les Nuées parce que plus malin dans sa critique sociale, plus drôle (le procès du chien, le ballet des avinés, la comédie des juges-guêpes), plus délectable aussi puisque c'est le point final à la rixe qui opposa Aristophane au démagogue va-t-en-guerre Cléon (celui-ci meurt peu après dans une énième bataille ; Aristophane l'aura donc, quelque part, mis en garde dans ses satires).

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Février / Lu.

Voix gelées

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UNE MAIN

La table, de bois d’heures, avec
le plat de riz et le vin.
On
se tait, on mange, on boit.

Une main, que je baisais,
fait la lumière pour les bouches.

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Février / Lu.

Saint-John Perse écrit comme par divination, à travers un language révélé par les dieux du vent chuchotant à ceux qui savent écouter.

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… C’étaient de très grands vents sur la terre des hommes – de très grands vents à l’œuvre parmi nous,

Qui nous chantaient l’horreur de vivre, et nous chantaient l’honneur de vivre, ah! nous chantaient et nous chantaient au plus haut faîte du péril,

Et sur les flûtes sauvages du malheur nous conduisaient, hommes nouveaux, à nos façons nouvelles.

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Je t'interroge, plénitude! — Et c'est un tel mutisme...

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Février / Lu.

Derrière les denses jardins colorés et capiteux, derrière l’empruntement bourgeois des familles fortunés, se cache toujours l’universel présence de l’ennui, la honte de la différence sociale que rien ne justifie, ou bien la tristesse du deuil qu’on ne mérite pas.

On comprend très facilement pourquoi Woolf était jalouse de Mansfield, tant on sent une similarité de procédé chez les deux autrices, capture d ‘instants sensoriels en sacrifiant le déroulé des péripéties.

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Février / Lu.

Au moment où Roth écrit ces quelques pages gonflés d'une naïveté délicieusement assumée, il est exilé, seul, malde et alcoolique, au bord de la mort. Ce petit récit ravissant, doux-amer dans son mouvement de pendule entre misère et félicité, résonne alors comme une prière pour conjurer le sombre sort dont il est victime.

Puisse la petite sainte Thérèse protéger tous les ivrognes!

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Février / Lu.

Lecteur de Nietzsche, de Saint-Just (!), ami (et influencé, certainement) de Blanchot, de Bataille, Mascolo est un invisible de la vie intellectuel d'extrême-gauche française, qui voua une fidélité mortelle à l'idéal communisme, profondément indissociable de l'amitié à ses yeux. Ici c'est un pot-pourri de préfaces et articles sur ses figures tutélaires et sur quelques moments politiques vivaces de son temps. Je retiendrai particulièrement la lecture de Saint-Just, comète révolutionnaire terrifiante de rectitude dans l'action, refusant de faire la moindre distinction entre l'idée et le monde.

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Mars / Lu.

Vouloir la paix, déesse discrète et sublime, envers et contre tout.

Même après qu'il ai traversé le Styx, Cléon le démago reste la cible préféré d'Aristophane. Pas de pitié pour les batailleurs, fussent-ils six pieds sous terre.

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Mars / Lu.

Fixer la limite au-delà de laquelle il est inutile d'investiguer, chercher les marges du connaissable, le tout dans un soucis de clarté et d'exactitude. Que Wittgenstein ai réussi ou non est un autre sujet, ce qui me touche c'est sa volonté d'encapsuler le domaine du discutable.

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5.63 - Je suis mon monde. (Le microcosme.)

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Mars - juillet / Lu.

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Mars / Lu.

Aristophane aura donc été, et ce dès ses tout début, le plus fervent défenseur de la paix pour Athènes.

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Mars / Lu.

Je pense n’avoir croisé Conrad nulle part ailleurs que sur la mer, c’est donc une première de le retrouver en ville, dans un polar-anar-espionard précurseur, qui dévisse doucement vers le roman psychologique cruel et froid. Sur les flots ou sur la terre ferme, Conrad est toujours incroyablement habile dans sa tenue de récit, haletant malgré sa lenteur (quand on voit la manière dont les dialogues tiennent debout malgré l’imposante structure d’analyse mise en place, ça tient de la magie), et sa galerie de personnages comme toujours au bord du gouffre dans un monde décadent a beau avoir les pied rivés dans Londres, il y a toujours des projets de fuite insensés pour aller chercher une grise rédemption, et comme toujours, soldé par des échecs affreux.

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Mars / Lu.

La rhétorique contre la guerre, d'une grande efficacité pour convaincre le peuple (la rationalité est bien passée par là), face à un Cléon à son acmé qui se fait pourtant rouler dessus par un marchand de boudin. C'est fou cet acharnement, de pièce en pièce ; Aristophane ne lui lâche pas la grappe, en particulier au moment où Cléon jouit d'un succès d'estime important suite à des victoires militaires.