Journal de lecture 2024
111 livres
créée il y a 11 mois · modifiée il y a 10 joursL'Appareil-photo (1988)
Sortie : 1988. Roman
livre de Jean-Philippe Toussaint
Marie_Vrgnl a mis 6/10.
Annotation :
Lecture achevée le 3 janvier. 12/20.
Le narrateur, pour vaincre l’ennui semble-t-il, se rend dans une auto-école s’inscrire à la conduite. Il y fait la rencontre de la secrétaire, dont on apprendra plus tard qu’elle se prénomme Pascale. Il y revient quotidiennement pour rien, sinon pour se trouver en compagnie de la jeune femme. Une relation entre eux finit par s’engager, jusqu’au voyage qu’ils font à Londres ensemble. Le récit comporte deux parties : la première relate la platitude du quotidien, qui ne se trouve que faiblement changé par la fréquentation de Pascale ; la seconde, plus métaphysique, offre une méditation sur le temps de la pensée, dans une atmosphère nocturne qui fait émerger un clair-obscur poétique. Les phrases se font plus amples, moins banales, plus travaillées. C’est joli.
Cette note (12/20) reflète l’inégalité qui existe entre ces deux parties. La première est d’une banalité affligeante. Chaque élément d’intrigue est tué dans l’œuf, désamorcé par une écriture plate. Lorsque, comme dans le nouveau roman, aucune tension dramatique ne se fait jour, l’intérêt est à susciter ailleurs, dans l’écriture par exemple. Je l’ai cependant trouvée inexistante. Certes, on comprend l’enjeu littéraire qui se joue ici : la littérature procédant à une introduction toujours plus grande du prosaïsme dans son champ, l’idée est de concevoir un « roman infinitésimal », qui ne tienne pas par la force de son intrigue, ni même par la force de son style. C’est en quelque sorte le prolongement du nouveau roman, dans la captation de l’infraordinaire jusque dans l’écriture.
On comprend aussi la dimension métaphorique du personnage féminin, qui constitue un divertissement pascalien aux sens propre et figuré, et qui, une fois mis à distance, révèle toute l’angoisse à laquelle se heurte le narrateur. Mais ces enjeux ne suffisent pas, à mon sens, à faire un bon livre.
L’intérêt de la seconde partie est inversement proportionnel à la médiocrité de la première. Elle est tout en finesse et en poésie, et propose ce qu’on pourrait nommer une « philosophie infinitésimale », quelque part entre Heidegger et Bergson.
La Chambre claire (1980)
Note sur la photographie
Sortie : septembre 1989 (France). Essai, Photographie
livre de Roland Barthes
Marie_Vrgnl a mis 8/10.
Annotation :
Lecture achevée le 4 janvier. 17/20.
Journal (2008)
suivi de Hélène Berr, une vie confisquée
Sortie : 2008. Récit
livre de Hélène Berr et Mariette Job
Marie_Vrgnl a mis 8/10.
Annotation :
Lecture achevée le 6 janvier. 17,5/20.
Terre des hommes (1939)
Sortie : 6 février 1939. Essai, Autobiographie & mémoires
livre de Antoine de Saint-Exupéry
Marie_Vrgnl a mis 7/10.
Annotation :
Lecture achevée le 18 janvier. 15,5/20.
Le Chef-d'œuvre inconnu (1831)
Sortie : 1831 (France). Roman
livre de Honoré de Balzac
Marie_Vrgnl a mis 8/10.
Annotation :
Lecture achevée le 19 janvier. 16,5/20.
À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie (1990)
Sortie : février 1990. Roman
livre de Hervé Guibert
Marie_Vrgnl a mis 7/10.
Annotation :
Lecture achevée le 5 mars. 14/20.
Autofiction poignante qui relate les errances de Guibert, depuis la fin de vie de son ami Michel Foucault, se cachant derrière la figure de Muzil (qui préfigure funestement le destin du narrateur), jusqu'à sa propre mort annoncée, qui semble inévitablement le rattraper. La langue y est très crue, dans la lignée de la violence de ce voyage au bout de la nuit.
Les Armoires vides (1974)
Sortie : 1974 (France). Roman
livre de Annie Ernaux
Marie_Vrgnl a mis 7/10.
Annotation :
Lecture achevée le 15 mars. 14/20.
Ernaux superpose au récit de son avortement une introspection sur son enfance : les deux sujets se répondent, à la faveur d'un déchirement de l'être que l'on mutile, physiquement dans un cas, socialement de l'autre. Si l'avortement constitue la trame de fond constante, c'est davantage de son statut de transfuge de classe dont elle fait état. Elle y évoque ses facilités scolaires qui l'ont propulsée dans un autre monde que celui auquel le déterminisme imposé par ses origines modestes la condamnait. À la manière d'une Emma Bovary contemporaine, ce monde a d'abord été mental - à la faveur de ses lectures - avant de se concrétiser matériellement à travers la fac. À mesure qu'elle s'éloigne intellectuellement puis géographiquement du café-épicerie tenu par ses parents, elle retire d'eux un dégoût tel qu'elle tente de les invisibiliser tant auprès de ses camarades qu'au sein de sa propre construction mentale. Elle témoigne ainsi de la difficulté des transfuges de classe à faire le "cheval à bascule" (Fabien Truong) entre deux mondes auxquels, tragiquement, elle n'appartiendra jamais entièrement.
Ce récit doit sa puissance à l'écriture clinique et chirurgicale employée par Ernaux. Elle y décrit son parcours sans jamais ne surimposer d'interprétation sociologique. Ce travail de consignation rétrospective est encore enrichi d'une profonde introspection sans complaisance. Elle y révèle toute la haine, dans ce qu'elle a de plus inavouable, pour ceux qui ne surent que maladroitement l'aimer.
Les Justes (1949)
Sortie : 1949 (France). Théâtre
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 6/10.
Annotation :
Lecture achevée le 21 mars. 12/20.
Peut-on tuer par fidélité à des idéaux ?
Le spectateur des Justes se trouve plongé dans les arcanes de l’Organisation des socialistes révolutionnaires qui érige le terrorisme en mal nécessaire pour faire triompher la justice politique. L’attentat du grand duc de Russie est planifié pour mettre à bas l’ordre actuel. Seulement, un grain de sable vient dérégler cette machine savamment huilée : la présence d’enfants dans la calèche empêche Kaliayev de perpétrer ce crime. S’en suivent de nombreux débats d’idées sur la conception de la justice, et le droit à la mise à mort pour faire triompher ses idées.
De cette oeuvre, on retiendra la pertinence du genre choisi : le théâtre permet aux différents points de vue de s'exprimer librement sans qu'aucun ne prenne l'ascendant sur l'autre. Cependant, et c'est peut-être là le revers de cette caractéristique, la pièce manque à mon goût de puissance. Le pathos n'étant adossé à aucun telos clair, la machine fonctionne à vide. Les quelques belles répliques qu'il est à tirer de cette pièce ne suffisent à faire oublier ce manque de vigueur de la tension dramatique.
L'Été (1954)
Sortie : 1954 (France). Recueil de nouvelles
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 8/10.
Annotation :
Lecture achevée le 26 mars. 16/20.
L'Été est un recueil de nouvelles qui constitue le pendant des Noces. Bien des années plus tard, Camus reprend pour scène littéraire sa chère Algérie. Il y déploie une philosophie sensualiste - qui s'avère néanmoins plus intellectualisée que dans Noces. On y trouve l'expression et la conceptualisation de la pensée de midi, qui est envisagée comme le dernier rempart à l'obscurantisme du siècle.
Les nouvelles du recueil sont inégales : certaines sont superbes (je compte "L'Exil d'Hélène" et "Retour à Tipasa" parmi les plus beaux textes de Camus ; d'autres sont plus légères, à l'image de "Petit guide pour des villes sans passé").
Le Murmure (2024)
Sortie : 29 janvier 2024. Roman, Poésie
livre de Christian Bobin
Marie_Vrgnl a mis 6/10.
Annotation :
Lecture achevée le 27 mars. 12/20.
Œuvre parue à titre posthume, Le Murmure est l’écrit d’un homme qui savait ses jours comptés et qui y consent pleinement. Il accueille la mort comme un enfant accueille la nuit après la berceuse de sa mère. Tout y est doux et vaporeux, traduisant par l’écriture l’ataraxie d’âme à laquelle l’auteur est parvenu.
Dans ce recueil de fragments poétiques, la tonalité élégiaque du chant du cygne prédomine sans jamais pourtant qu’elle n’alourdisse l’écriture de la pesanteur qui lui incombe ordinairement. On comprend que la littérature se constitue en échappatoire mentale permettant de fuir la dure réalité de l’hôpital. Bobin y élabore une mythologie personnelle par laquelle il donne sens à sa vie.
On appréciera la mise en application de la philosophie montaignienne, qui constatait un détachement progressif à l’égard de la vie avant la mort. J’ai été moins sensible à l’écriture, très agréable les premières pages, mais au style poétique trop vaporeux et mythologique pour qu’il soit appréciable tout du long.
Voyage de noces (1990)
Sortie : avril 1990. Roman
livre de Patrick Modiano
Marie_Vrgnl a mis 9/10.
Annotation :
Relecture achevée le 29 mars. 18/20.
Il est des absences qui pèsent sur les vivants de tout leur poids, nous apprend ce livre. À la faveur d’un fait divers milanais (le suicide d’une femme nommée Ingrid), le narrateur revient sur les traces de son passé et renoue avec le souvenir de celle qui avait un regard bleu incantatoire. Il emmène le lecteur sur les traces de son histoire et de sa traque implicite durant la Seconde Guerre mondiale, parce que juive. Il relate la manière dont son amant, à la manière du père dans La Vie est belle, maquille cette traque en jeu, pour lui éviter toute inquiétude. Il raconte encore comment leur vie n’a jamais cessé de se comprendre à l’orée de cette sensation d’être chassés et poursuivis, les contraignant à fuir la lumière pour regagner constamment l’ombre. Enfin, il montre comment deux vies peuvent être liées par un même destin en tissant le parallèle entre sa propre modalité d'être-au-monde et la sienne.
Ce roman compte à mon sens parmi les meilleurs écrits par Modiano : l’ambiance est feutrée, l’intrigue avance prudemment, et l’atmosphère s’alourdit crescendo faisant progressivement peser l’ombre des non-dits du récit sans jamais qu’un événement ne vienne se constituer en véritable péripétie. J’aime ce maniement de l’intrigue tout en maîtrise, qui voile et dévoile en même temps, et qui, suggérant plutôt que disant, imprègne le récit d’une pesanteur implicite.
Modiano est passé maître dans l’art des excipits qui font chavirer le cœur, il le montre une fois encore.
Le Procès (1925)
(traduction Alexandre Vialatte)
Der Prozess
Sortie : 1933 (France). Roman
livre de Franz Kafka
Marie_Vrgnl a mis 6/10.
Annotation :
Lecture achevée le 31 mars. 13/20.
Joseph K. se trouve cueilli chez lui au petit matin par deux policiers qui lui apprennent sa culpabilité. Cette culpabilité est absolue, puisqu’aucun motif ne vient la circonscrire. S’engage de là un combat de la part de Joseph pour laver son honneur et affirmer son innocence. Plusieurs personnages interviennent durant cette quête, mais leur rôle d’adjuvants s’avère extrêmement circonscrit, et s’ils offrent une aide à Joseph, c’est davantage en lui révélant la corruption de la justice qu’autre chose. La rencontre avec le peintre Tintorelli est à cet égard significative : il témoigne de la facticité des jugements, révisant l’adage latin en la locution suivante : ut pictura uisticia. Comme la peinture, la réalité peut être maquillée par un faiseur de preuves, remplaçant la vérité par la vraisemblance.
Le Procès est, à ma connaissance, le premier roman qui traite de l’absurdité du monde de manière aussi criante. L’homme qui vivait une existence banale se trouve du jour au lendemain propulsé dans un monde dépourvu de sens. Il éprouve avec vigueur son étrangeté face aux autres et face aux institutions, à l’instar de Meursault plus tard dans le siècle. Claude David, dans son introduction, nous apprend en outre que l’incongruité de ce procès amène à le considérer comme une parabole de la vie humaine, puisque l’existence constitue à elle seule une faute qui se solde in fine et inéluctablement par la mort. Cette perspective est intéressante, et donne de la profondeur à l’ouvrage. Cependant, j’ai trouvé trop de longueurs à ce livre pour être pleinement conquise.
La Justice des hommes (2023)
Sortie : 17 août 2023. Roman
livre de Santiago Amigorena
Marie_Vrgnl a mis 8/10.
Annotation :
Lecture achevée le 31 mars. 16/20.
La Justice des hommes est le roman d’une famille qui se retrouve déchirée par le désamour qui s’est insidieusement installé dans le couple. Tandis qu'Aurélien s’enfermait dans la solitude que supposait l’écriture, Alice nouait une relation avec un amant qui la faisait revivre. Le soir où Aurélien le découvre, il décide, fou de désespoir, de la suivre jusqu’au lieu de son rendez-vous amoureux. Accompagné de leurs deux enfants, il se fait arrêté par des policiers, à l’endroit desquels il est pris d’un accès malheureux de rage. Ce geste constitue un point de non retour, et scelle une hamartia de laquelle le protagoniste ne pourra jamais se défaire. Il est envoyé en prison, et la perpétue à sa sortie par une prison intérieure. Il s’enferme dans une aboulie et dans un mutisme qui transforment profondément sa complexion – et qui, par ricochet, détruisent l’équilibre de cette famille. Tout l’enjeu du récit est de montrer comment un après, qui ne pourra jamais être un avant, est possible. Se pose alors la question de la disjonction entre reconstitution et reconstruction du noyau familial, à travers la judiciarisation des rapports interpersonnels.
Santiago Amigorena, que je ne connaissais pas, nous propose là un magnifique roman dont la virtuosité tient au maniement du pathos. On souffre avec les personnages de cette déchirure qui s'enracine dans le silence, et dans l'incommunicabilité des êtres. Puisqu'on découvre tantôt la perspective d'Alice tantôt celle d'Aurélien, le roman souligne l'écart irréductible entre ce qui est dit et ce qui est tu, entre ce qui est fait et ce qui est voulu. Ce procédé diégétique accroît encore davantage la dimension tragique d'un récit où les personnages semblent pris dans un engrenage qui les dépasse tout à fait. J'ai aimé cette tension constante entre histoire fictive particulière et exhibition des rouages d'une rupture consommée qui tend, d'une certaine façon, à l'universalité.
La Chute (1956)
Sortie : 1956 (France). Roman
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Relecture achevée le 3 avril. 14/20.
Voir critique : https://www.senscritique.com/livre/la_chute/critique/303889929
Carnets, tome I (2013)
Mai 1935 - février 1942
Sortie : 19 septembre 2013. Journal & carnet
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 8/10.
Annotation :
Relecture achevée le 4 avril. 16/20.
Le premier tome des Carnets est à lire comme une juvenilia. On y découvre la plume du jeune Camus empreinte d'un lyrisme parfois grandiloquent, ainsi que la place toute singulière donnée à la contemplation sensualiste.
Ces fragments sont essentiellement des ébauches de rédaction, qui peuvent se révéler intéressants dans une approche de stylistique génétique.
Ce n'est pas mon tome préféré des Carnets, mais j'en apprécie la lecture.
Il y a un seul amour (2020)
Sortie : 18 mars 2020 (France). Récit
livre de Santiago Amigorena
Marie_Vrgnl a mis 6/10.
Annotation :
Lecture achevée le 4 avril. 13/20.
Santiago Amigorena se voit offrir l'occasion de passer la nuit au musée Picasso, pour écrire sur sa bien-aimée. Cette déambulation parmi les sculptures et tableaux démultiplie les muses. C'est une ode à l'amour, qui consacre la toute puissance du sentiment passionné : l'être aimé s'incarne partout à la fois. La projection inconsciente de son image transfigure les contours de ces oeuvres d'art, habitées par elle.
Ce superbe passage, en héritage :
« Comment Balthus a-t-il fait pour que toute l’enfance, la mienne, celle de chacun d’entre nous, celle du monde, cette enfance éternelle qui nous permet, ayant grandi, de n’être que des enfants qui avons vieilli (c’est-à-dire, malgré tout, d’être quelque chose de bien meilleur qu’un vulgaire adulte, quelque chose de bien plus essentiel que ce que nous nommons nous-mêmes), – comment a-t-il fait pour que toutes les enfances soient enfermées dans cet espace confiné ? Enfantophile par nature et destinée, se doutait-il déjà que l’enfance est notre seule patrie ? »
Et cette qualification intéressante de Vermeer : « le peintre le plus clair, le plus transparent, le contemplateur de l’évidence ».
Carnets, tome II : Janvier 1942 - mars 1951 (1964)
Sortie : 2 décembre 1964 (France). Journal & carnet
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 8/10.
Annotation :
Relecture achevée le 5 avril. 16,5/20.
Une lecture dans la continuité du premier tome, avec des notes qui se font plus laconiques et tirent vers le fragment. La politique y tient une place plus importante. Peu à peu, s'effacent les descriptions sensualistes de paysages, comme Camus le note lui-même :
"J'ai relu tous ces cahiers - depuis le premier. Ce qui m'a sauté aux yeux : les paysages disparaissent peu à peu. Le cancer moderne me ronge moi aussi."
Le Vrai Lieu (2014)
Sortie : 2 octobre 2014. Entretien
livre de Annie Ernaux et Michelle Porte
Marie_Vrgnl a mis 9/10.
Annotation :
Relecture achevée le 6 avril. 18/20.
Le vrai lieu, c’est l’écriture, à laquelle tous les autres se rattachent.
Voir note écrite sur ce livre dans mon journal de lecture de 2023. Toujours aussi éclairant et essentiel.
Carnets, tome III : Mars 1951 - décembre 1959 (2013)
Sortie : 19 septembre 2013. Journal & carnet
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 10/10.
Annotation :
Relecture achevée le 8 avril. 19,5/20.
Ce dernier tome des Carnets est assurément le plus abouti. Pouvant être envisagé comme une oeuvre à part entière, il dévoile Camus dans son intimité intellectuelle. Ce Camus des dernières années a atteint sa pleine maturité stylistique.
Par ailleurs, on y découvre un homme sensible, en proie aux doutes et au désespoir, mais qui recouvre toujours sa volonté de puissance à travers ses retrouvailles avec la lumière et les paysages méditerranéens.
Arrêts (2021)
Sortie : 6 mai 2021. Poésie
livre de Guy Levis-Mano
Marie_Vrgnl a mis 10/10.
Annotation :
Relecture achevée le 8 avril. 20/20.
Quel plaisir de se replonger dans ce court recueil pourtant si grand. L'émotion est demeurée intacte. Elle est la même que celle suscitée par la première lecture : chaque poème en prose abrite une "condensation furieuse de l'image" (formule camusienne désignant l'écriture poétique de Char) qui fait un monde. L'écriture de Lévi-Mano ne verse jamais dans l'obscurité, pourtant : sa simplicité confère aux poèmes tout leur éclat, toute leur splendeur. Guy Lévis-Mano produit avec Arrêts l'un des accomplissements les plus parfaits du fragment poétique contemporain. La poésie n'est plus à trouver dans la forme, qui ne se distingue pas à cet égard de la prose, mais dans l'expression. L'usage d'un présent omnitemporel allié à la densité de l'expression permet d'ériger les poèmes tantôt en visions vivaces, tantôt en aphorismes.
Parce qu'il est extrêmement court, ce recueil invite à en savourer chacune des pièces comme des reliques tirées de l'oubli par cette édition de 2021.
L'État de siège (1948)
Sortie : 1948 (France). Théâtre
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 9/10.
Annotation :
Relecture achevée le 9 avril. 18/20.
L’État de siège est une pièce de théâtre composée par Camus dans l’immédiat après-guerre. Comme La Peste, elle met en scène une ville – Cadix – qui tombe aux mains de la maladie. A contrario du roman, néanmoins, la peste est personnifiée : un homme l’incarne. Présentant de troublantes similitudes avec le tyran nazi, il met en place un régime qui entend, par sa logique implacable, se suppléer aux hasards de l’ordre naturel du monde. Peu à peu, la ville s’en trouve changée : les hommes tombent un à un malades et meurent. La ville semble inéluctablement sombrer sous ce régime destructeur et génocidaire lorsque le héros aux accents cornéliens qui représentait la foi en l’ancien ordre, est à son tour touché de déliquescence morale et contracte la peste. Seulement, et c’est là que la philosophie camusienne se met en acte à travers la croyance en la grande force que constitue l’amour, Victoria, sa bien-aimée, l’irradie de son amour et métamorphose son désespoir en révolte. Il organise alors sa révolte individuelle en acte collectif, allant jusqu’à faire preuve d’un héroïsme sacrificiel. Il donne sa vie pour rendre leur liberté aux innocents. La Peste finit par s’avouer vaincue, et la ville s’en trouve alors sauvée.
Cette pièce contient, comme l’écrit Jeanyves Guérin, « une somme totale de la pensée de Camus », d’ordre autant politique que métaphysique. Elle condense furieusement les trois pans de la philosophie camusienne que sont l’absurde, la révolte et l’amour. L’absurde, d’abord, parce que c’est dans le creuset de la mort de Dieu que se constitue ce dérèglement cosmique qui aboutit au règne de la Peste : il n’est plus aucune transcendance qui permette de poser des limites absolues et infranchissables. Cependant, parce qu’il n’est plus de transcendance, il n’est plus non plus de fatum qui mènerait inéluctablement à déposséder les hommes de leur destin. Par la force de la volonté individuelle, une révolte est possible, laquelle est sous-tendue par l’amour de l’humanité tout entière. C’est l’amour qui permet de se départir de son égoïsme et d’embrasser lucidement son sacrifice pour son prochain.
Pour en approfondir la lecture, on lira la brillante analyse de Marie-Gabrielle Nancey-Quentin de Gromard, « L’État de siège. Un théâtre de la cruauté ». Elle y montre la filiation entre la pièce et le théâtre de la cruauté d’Artaud, tout en mettant au jour l’héritage nietzschéen qui sous-tend l’œuvre.
Le Premier Homme (1994)
Sortie : 1994 (France). Roman
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 9/10.
Annotation :
Relecture achevée le 11 avril. 18,5/20.
Le premier homme c'est Jacques Comery, qui est en réalité Camus, en même temps qu’il est tous les orphelins privés de père et dont la pauvreté, l’illettrisme privent de passé et de transmission. C'est l'enfant qui, faute d’avoir pu recevoir, doit tout inventer en ce qu’il est le premier homme d’une lignée. À travers ce livre, Camus offre un magnifique espace de représentation à ceux condamnés à l’anonymat. Roman autobiographique à la plume superbe, il porte en son incomplétude finale le tragique destin de Camus.
Il serait intéressant de proposer une lecture sociologique du Premier homme, à travers la préscience de notions qui n’ont pas été formalisées à l’époque par la discipline : le premier homme, c’est d’abord cet enfant quoi doit apprendre à grandir par lui-même, ne pouvait bénéficier d’une transmission en cela qu’il est orphelin de père, et que sa mère, mater dolorosa, est muette (leur relation se constitue donc essentiellement dans le creuset du silence). Ce récit, qui est en un sens un roman d’apprentissage, met au jour la fracture qui existent entre les deux mondes qu’il côtoie – à savoir celui d’origine, caractérisé par le manque et la pauvreté ; et celui auquel il accède par l’école, dans lequel il découvre les habitus incorporés de manière inconsciente par les autres élèves mais qu’il ne possède pas. Il éprouve une honte sentiment de honte à l’endroit de ses origines et de sa difficulté à se mouvoir dans ce nouvel espace social, comme une intériorisation de la violence symbolique. Comme généralement chez les transfuges de classe, cette ascension sociale est marquée par une fracture identitaire : Camus témoigne de la difficulté à maîtriser « l’art du cheval à bascule » (Fabrice Truong), à jongler entre ces deux mondes qui cohabitent en lui. Il éprouve une distance qui est double, et qui fait de Jacques un étranger à double titre : incapacité de s’identifier à ses camarades de classe qui ne partagent pas les mêmes références que lui, qui ont un capital culturel tout autre ; et distance à l’égard de sa famille, qui est tout à fait extérieure au monde scolaire, valorisant le petit capital économique qu’ils ont parce qu’ils ignorent tout de l’intérêt du capital culture.
C’est par le prisme de la littérature que le jeune homme trouve un troisième monde, un univers mental par lequel il peut s’extraire entièrement de sa situation et trouver une identification pleine et entière.
L'Exil et le Royaume (1957)
Sortie : 1957 (France). Recueil de nouvelles
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 8/10.
Annotation :
Lecture achevée le 16 avril. 17,5/20.
L'Exil et le Royaume est un recueil de six nouvelles au style très hétéroclite. Elles partagent cependant la caractéristique de présenter des personnages contraints à l'exil après avoir cru conquérir leur royaume. Ce royaume - qu'il soit moral, esthétique, géographique ou mental - exalte la solitude des êtres avant qu'ils ne soient ramenés à la dureté du monde réel. "La femme adultère", qui ouvre le recueil, compte parmi les plus beaux écrits de Camus.
Chroniques 1944-1948 (1950)
Actuelles Tome 1
Sortie : 30 juin 1950. Essai
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 6/10 et le lit actuellement.
Annotation :
Lecture achevée le 17 avril. 12/20.
Le premier tome d'Actuelles recense les articles politiques de Camus parus entre 1944 et 1948. On y trouve en premier lieu une réflexion sur l'actualité brûlante autour de la Libération et de l'après-guerre, hanté par les disparus. Cette préoccupation s'efface ensuite peu à peu pour laisser paraître une réflexion sur le communisme. Elle se fonde sur la pensée déployée dans L'Homme révolté, autour des deux versants de la révolte, et de ses justifications.
Ce volume offre au lecteur une plongée dans l'immédiat après-guerre. Certains articles paraissent pour cette raison surannés, d'autres sont plus éclairants, à l'image de l'article consacré aux déportés en Allemagne toujours parqués dans des camps après la Libération, attendant désespérément leur rapatriement vers la France alors que le typhus les décime chaque jour.
Le Camus politique n'est pas le Camus auquel je suis le plus sensible. Sa plume est mise au service d'une lutte des idées, tandis que les articles semblent parfois écrits dans l'urgence.
Actuelles II (1953)
Chroniques 1948-1953
Sortie : 1953 (France). Articles & chroniques
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 7/10.
Annotation :
Lecture achevée le 17 avril. 14/20.
Dans la continuité du précédent. Les articles sont à mon sens de meilleure facture, et la plume de Camus est plus agréable. Il s'agit essentiellement de réponses apportées aux critiques suivant la parution de L'Homme révolté.
Chroniques algériennes (1958)
1939-1958
Sortie : 1958 (France). Essai, Histoire
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 8/10.
Annotation :
Lecture achevée le 18 avril. 16/20.
À travers ces enquêtes de terrain consacrées à l'Algérie, Camus propose un passionnant tour d'horizon de la question à l'heure où son indépendance point comme problème politique.
Il est touchant de voir un homme aussi mesuré, aussi lucide, et aussi fin connaisseur de la situation s'en emparer à bras le corps pour tenter de faire avancer le débat politique. Les articles sont parfaitement argumentés, étayés par des chiffres.
Contrairement à l'image qu'on a pu donner de l'écrivain, on y découvre un homme mesuré, qui ne concède rien aux positions extrêmes d'un camp comme de l'autre. Camus tente constamment de tenir ensemble les arguments des deux parties pour dessiner une troisième voie. On appréciera la méthode de ces écrits politiques, qui ne se confinent pas aux constats, mais qui proposent des voies résolutoires pour sortir de cette aporie.
Le Ghetto intérieur
Sortie : 22 août 2019 (France). Roman
livre de Santiago Amigorena
Marie_Vrgnl a mis 3/10.
Annotation :
Lecture achevée le 18 avril. 6/20.
J’ai fait de ce livre une lecture distraite. Aucun passage n’a su m’en arracher.
Des jours que je n'ai pas oubliés
Sortie : 2 janvier 2014 (France). Roman
livre de Santiago Amigorena
Marie_Vrgnl a mis 4/10.
Annotation :
Lecture achevée le 20 avril. 8/20.
Le seul mérite de ce livre est d’explorer involontairement le pathétique dans toute sa polysémie.
Fusées - mon coeur mis à nu et autres fragments posthumes (1964)
Sortie : 2016 (France). Correspondance
livre de Charles Baudelaire
Marie_Vrgnl a mis 8/10.
Annotation :
Lecture achevée le 21 avril. 16,5/20.
Ce recueil consigne des fragments de Baudelaire. Bien que le poète revendique une "vaporisation du moi", cette oeuvre semble davantage s'inscrire dans une "cristallisation du moi". Baudelaire y partage des réflexions toutes personnelles sur le monde l'environnant. Elles sont pour la plupart brillantes et éclairantes ; d'autres font rire aux éclats. Certaines, hélas, confinent à la misogynie.
Un cas intéressant (2013)
D'après Dino Buzzati
Sortie : 10 octobre 2013. Théâtre
livre de Albert Camus
Marie_Vrgnl a mis 5/10.
Annotation :
Lecture achevée le 24 avril. 10/20.
Camus propose avec cette pièce une adaptation théâtrale de l'oeuvre de Dino Buzzati. Elle relate l'histoire du voyage vers la mort d'un homme nommé Corte. Interné car il croit entendre la voix d'une femme, il découvre à la faveur de cette hospitalisation un monde segmenté par la gravité des cas. Plus le cas est grave, plus l'étage du patient est bas. Corte se félicite d'abord d'être amené au septième étage - le plus haut. Seulement, les décisions médicales se succèdent et rétrogradent inexorablement son cas d'étage en étage.
Bien qu'il s'agisse d'un choix de l'auteur, cette pièce est sans grand intérêt stylistique. La trame dramatique est par ailleurs décevante, car très classique.