La 31e année

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On finit la 30e année avec Alexandre, et on commence la 31e avec Alexandre. 'Pour seul cortège' est un exercice de style : tisser à partir des luttes pour la dépouille d'Alexandre le Grand un récit onirique entremêlant des personnages réels (Ptolémée, Perdiccas) et des personnages fictifs (Dryptéis, fille de Darius et veuve d'Héphaistion, qui tient le rôle principal). A travers la magie perse et cette nouvelle quête vers l'Orient menée par quelques cavaliers anciens compagnons d'Alexandre, on suit le retour des cendres d'Alexandre vers l'Indus, puis le Gange, vers une ultime bataille.
Comme souvent chez Gaudé, l'intérêt pour le propos laisse le pas devant l'esthétique de la narration. C'est souvent brumeux, l'histoire n'avance pas, prend son temps, tourne un peu sur elle-même pour se contempler. Ce n'est pas toujours désagréable mais à la longue on s'en lasse et on a hâte que cela se termine.

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Encore un ouvrage de Denis Colombi à la croisée de la vulgarisation et de l'essai scientifique : appuyé sur un appareil de notes et des références conséquences, l'enseignant de SES aborde cette fois-ci les idées reçues autour du travail en France. Qu'est-ce que le travail dans l'ère néolibérale du capitalisme ? A partir du moment où une tâche que j'accomplis gratuitement peut bénéficier d'une marchandisation (aller chercher les enfants à l'école, proposer des rapports sexuels), est-ce déjà du travail ? Et surtout, pourquoi les médias et la classe politique invisibilisent autant le travail ?
Stimulant, cet ouvrage se lit vite et permet d'approfondir certaines théories liées à l'actualité.

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Chamayou se veut encore rigoureux, mais tombe parfois dans les écueils de la partialité. Certes, ses réflexions sont toujours stimulantes, et sa tentative d'esquisser une histoire de la chasse à l'homme depuis l'Antiquité est relativement intéressante. Mais elle se heurte parfois à des approximations que l'historien ne peut laisser passer : la prédation d'esclaves en Afrique noire n'a pas été inventée par les Portugais, et, oui, des royaumes africains asservissaient déjà des Africains pour les revendre, à d'autres Africains, aux Etats arabes, et ensuite aux Portugais. Chamayou insiste trop là dessus pour que cela soit oublié.
Pour ce que je ne connaissais pas déjà, c'est assez intéressant et permet notamment d'éclairer les théories de Foucault.

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Ma déception vis à vis de ce bouquin vient peut-être surtout des promesses que le sous-titre français entrevoyait : faire la sociologie du metal, c'était peut-etre surtout s'intéresser aux fans de metal, à qui ils sont, leurs origines sociales, etc. L'expression "heavy metal" est souvent utilisée pour symboliser toute la scène metal... mais ici, elle est bien utilisée dans son acception spécialiste : ce n'est pas une sociologie des métalleux que fait Hartmut Rosa, mais davantage une métaphysique du hard rock à la papa, où les groupes les plus récents sont Heaven Shall Burn ou Epica, et le spectre musical ne va pas plus loin que de Def Leppard à Motorhead... J'ai davantage eu l'impression de lire un boomer talk sur combien le hard rock doit être considéré comme un art comme les autres, ainsi que de longues pages sur les émotions ressenties et la théorisation psychosociale que Rosa tente d'en faire. Pas inintéressant, mais vite lassant : les délires mystico-chrétiens de l'auteur sont assez discutables, ou à tout le moins lui sont propres.

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Pas forcément révolutionnaire (lol), 'Parasites' reste ce genre de long article de Frustration magazine, qui fait un chouette état des lieux de la théorie anticapitaliste et des repères pour la lutte qui peuvent s'en suivre.

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Dévoré en une semaine (malgré ses 650p écrites tout petit) : probablement le chef d'oeuvre de David Graeber, terminé quelques semaines avant sa mort, la publication a même été post-mortem, aux côtés de David Wengrow. Un monument qui compile quantité de données archéologiques et anthropologiques pour proposer une contre-histoire de l'espèce humaine, essentiellement depuis la fin du Paléolithique. Les auteurs prennent à rebours tous les lieux communs, et proposent surtout de sortir de cette posture téléologique insupportable, probablement débunkée depuis longtemps dans les milieux scientifiques mais qui a la vie dure ailleurs, qui voudrait que le Néolithique a apporté un progrès évident, et que toutes les sociétés humaines sont vouées à passer du statut primitif de chasseurs-cueilleurs à celui d'agriculteurs sédentaires puis d'urbains industriels. Comme tout bon anthropologue, Graeber et Wengrow s'appuient sur d'innombrables exemples de sociétés contemporaines ou anciennes qui ont choisi de refuser les différents aspects du Néolithique (la ville, la sédentarité, l'agriculture permanente) ou qui sont revenus en arrière. Le propos principal est le suivant : comment sortir de cette situation dans laquelle notre espèce s'est elle-même bloquée, et de laquelle on ne voit aucune alternative ? Alors que nous avons vécu la plupart de notre existence d'Homo Sapiens dans une infinité de configurations sociales, nous nous sommes embourbés dans la sédentarité agricole, soumis à des chefs violents, et n'y voyons aucune alternative possible.
C'est passionnant, beaucoup plus dense que le Homo Economicus de James Scott, mais aussi plus gratifiant.

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Cette édition de Christopher Tolkien, la dernière publiée avant sa mort, est comme toujours un bijou de rigueur éditoriale : le fils du maître condense tous les feuillets qui racontent l'histoire de la Chute de Gondolin, en commençant par le conte complet, puis en énumérant les différentes variantes, depuis la Quenta jusqu'à des feuillets volants. L'histoire en elle-même est passionnante, et comme toujours bien plus intéressante que la trilogie de l'anneau.

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Le best-seller de 2024 tient ses promesses... mais seulement au bout de 200p. La première partie est tout de même affreusement longue quand on ne connaît pas la suite. Certes, elle se comprend mieux une fois les rebondissements apparus, mais il y a un problème de rythme : les "quelque chose paraissait étrange" sont trop nombreux, et ne mènent trop longtemps à rien, pour qu'on ne soit pas frustré par la lecture. Freida McFadden se laisse emporter par l'artifice du dévoilement final, et en oublie qu'un bon thriller peut simplement être progressif, et doit distiller des informations pour nourrir son lecteur.
La 2e partie nous contente suffisamment, et on finit le bouquin d'une traite.

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Immense fan de la trilogie de Liu Cixin, j'ai sauté au plafond quand un ami m'a offert cette fan fiction avalisée par l'auteur lui-même, et qui prétend continuer l'histoire laissée à la fin de 'La Mort immortelle'. Vous pensiez l'univers gigantesque, avec toute cette théorie génialissime de la forêt sombre, les multiples dimensions imaginées par l'auteur chinois et ce space opera qui distend les lois de la physique ? Eh bien Baoshu, depuis devenu auteur de SF reconnu, avait décidé à la fin des années 2000 de poursuivre l'aventure, avec Yun Tianming comme protagoniste. Et c'est une franche réussite : adoptant la même liberté de ton tout en restant dans cette créativité propre à la trilogie originale, il complète très honnêtement le monde des Trois corps, notamment en élargissant grandement la focale. La forêt sombre ne devient plus qu'une variable dans ce qui apparaît comme une explication de la naissance et la mort des univers, qui serait en fait un combat entre une intelligence primordiale, vivant dans une unité en dix dimensions, atemporelle et aspatiale, et qui aurait été forcée à descendre en dimensions par une autre intelligence, qui aurait ainsi précipité la création du temps. A mesure que l'on descend en dimensions, la durée du temps s'étend : Yun Tianming est donc chargé par l'intelligence originale d'empêcher l'Occulte de réduire tout l'univers à deux dimensions, en devenant un des Chasseurs.
Il n'y a pas que des bonnes idées (la parabole avec les lézards n'est en définitive que de la répétition de ce qui a été exposé théoriquement le chapitre précédent) mais cela se lit si bien, et on a tant de plaisir à prolonger la légende de Terre-Trisolaris, que cet ouvrage ne peut être que le bienvenu.

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Un thriller qui tient toutes ses promesses et qui permet vraiment d'apprécier l'adaptation cinéma de Scorsese, qui l'a parfaitement rendu. A travers l'enquête de Teddy à Ashecroffe, cet asile-prison sur l'île de Shutter Island au large de Boston, on comprend rapidement que la schizophrénie est peut-être la chose du monde la mieux partagée, et que l'auteur aime malmener son personnage et son lecteur. Avec évidemment le meilleur twist final de la littérature policière.

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Peut-être le meilleur livre de Stephen King, 'The Shining' est une vraie descente aux enfers, dans cet hôtel Overlook perdu au fin fond des Rocky Mountains, en plein hiver, où la famille Torrance voit le père, Jack, devenir complètement ivre de violence. A travers l'atmosphère oppressante et bizarre (ces bals des années 1920 et cette foule d'inconnus somnambules) et le surnaturel omniprésent (le Don de Danny, les buissons qui s'animent), l'auteur créait une histoire d'horreur réussie, dont le paroxysme reste cette femme morte dans la baignoire que Kubrick a si magnifiquement retranscrit à l'écran. On peut toujours apprécier l'ouvrage même en connaissant le film, tant des points divergent : la fin bien entendu, mais aussi les éléments plus légers du début, où la famille Torrance peut encore accéder au village de Sidewinter. Cette légèreté présage évidemment les horreurs qui vont suivre, mais elle permet aussi d'approfondir l'arrière-plan familial de l'histoire, et les éléments narratifs autour de cette question : l'emprise d'un mari/père violent, et l'inéluctabilité de sa rechute. L'hôtel est une métaphore de cette famille où tout concourt à la violence du mari, et où le bonheur n'est possible que dans la fuite ou la mort.