Lectures ´20
53 livres
créée il y a presque 5 ans · modifiée il y a 5 moisEt puis (1909)
Sorekara
Sortie : 2003 (France). Roman
livre de Natsume Sōseki
bilouaustria a mis 9/10.
Annotation :
Il y a une grande maîtrise chez Sôseki et en particulier dans ce livre. Regardez-le prendre son temps, déplier son récit progressivement avec cette fausse impression que l'on fait du surplace, creuser en profondeur son personnage principal, attachant, ambigu, dont on ne sait si il est un marginal, un paresseux, un sage ou un idiot, éviter tout spectaculaire pour restituer les sentiments au plus près. Un autre aurait brûlé les étapes pour en venir au roman d'amour... Mais même ce roman, il est plein de détails tragiques, le quotidien lui colle à la peau, les histoires d'argent qui reviennent sans cesse comme pour empêcher les sentiments les plus romantiques de prendre leur envol. Et pourtant, même quand le terrestre semble prendre le dessus, Sôseki offre une dernière page absolument fulgurante, qui montre que sa littérature peut lancer des éclairs. Avec "Et puis" il trouve un subtil équilibre entre tradition et modernité, entre passion et renoncement. Il est aussi fascinant d'observer un personnage prévisible qui sort tout à coup des rails d'une vie toute tracée et en ce sens, c'est un roman du dérèglement.
Up From Slavery (1901)
Ascension d'un esclave émancipé
Up From Slavery: An Autobiography
Sortie : 2008 (France). Biographie
livre de Booker T. Washington
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
(anglais)
Je ne veux pas faire de faux procès à Booker T. Washington, ce grand homme. Sa vie évoque les grands, de Martin Luther King à Nelson Mandela et il a inspiré un nombre considérable de noirs en leur donnant la possibilité, quelque soit leur milieu, d'accéder à un niveau supérieur d'éducation. Le problème n'est pas l'homme, il est admirable. Le problème, c'est le livre. Distinguons le contenu du contenant parce que sur le fond, je soutiens bien entendu les principes de Booker Washington. Le premier tiers du livre est le plus autobiographique et contient les pages les plus émouvantes, sa petite enfance comme esclave, l'abolition, son apprentissage de la lecture et sa soif de savoir, tout ça est splendide. Ensuite vient le coeur du texte qui est en réalité une grande campagne pour soulever des fonds. Il explique combien les dons ont aidé ses projets, qu'il fait attention à chaque centime, que le dénuement ne lui a jamais fait peur mais que, bon, l'argent n'est pas si mal après tout etc. Il revient en long et en large sur ses talents d'orateur et les bienfaits de son école. On se demande presque pourquoi le livre ne vient pas avec un formulaire pour envoyer notre contribution directement en Alabama. Mais cela ne retire rien à l'incroyable destin de cet homme et à son travail forcené pour la justice sociale dans le sud.
Blonde (2000)
Blonde : A Novel
Sortie : octobre 2000 (France). Biographie, Roman
livre de Joyce Carol Oates
bilouaustria a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
(anglais)
Immense roman-monde aussi riche et complexe que le grand "Libra" de DeLillo. Joyce Carol Oates trouve le point exacte où se rencontrent fiction et non-fiction, un point de convergence littéraire, et elle ose tout, on sent un grand amour et une grande liberté servant d'ancrage à l'écriture de ce livre colossal. "Blonde" c'est Marylin mais aussi Norma et toutes les autres, toutes celles qui ont habité ce corps sulfureux et cet esprit insaisissable. Et Oates ne résout pas tout, le livre n'est bien sûr jamais clos : est-elle trop intelligente ou un tout petit peu sotte ? Elle est bien plus sensible que la moyenne, ça c'est sûr, d'une fragilité désarmante, et sa vie est un incroyable malentendu, un mystère, un mythe. MM a en fait totalement dépassé sa propre vie, elle est "bigger than life", "she outlived her life" est la formule ultime qui dit tout, enfermée qu'elle est dans un cercle vicieux en forme de miroir déformant. Sa vie est alors à la fois un rêve américain et hollywoodien et un pur cauchemar. Elle est un produit tout en ayant parfaitement conscience du jeu mis en place par la représentation de son image mais aussi esclave de cette image et prise dans les différentes strates de l'actrice qui prend les choses trop au sérieux (elle est Norma qui joue Marylin qui joue Rose etc). Tout est vertigineux dans ce livre, son enfance et adolescence sont largement au niveau de la suite, le destin se forge à coup d'orphelinat et de mariage forcé. Il y a une violence inouïe dans ce monde de glamour et de fric. "Blonde" est cru et beau et directe et complexe.
Rhum (1930)
Sortie : 1930 (France). Récit
livre de Blaise Cendrars
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Si Jean Galmot n'existait pas, Cendrars l'aurait inventé parce qu'il est précisément la définition même des personnages de Cendrars : un aventurier, un romantique, avec des lettres et du courage à revendre. Son destin tragique ne gâche rien à l'affaire. Étrangement, Cendrars semble s'intéresser davantage à la véracité de son récit, aux différents documents qui prouvent que, aux citations du tribunal etc, plutôt qu'à prendre le matériau brut pour en écrire l'épopée. Donc "Rhum" est un petit livre à fois pris dans un courant d'air exotique, soufflant le rhum, la jungle, les insectes et le sang, mais aussi un texte un peu étroit, court avec des longueurs, presque mal branlé parce qu'il est trop près de Cendrars, il lui tient à coeur, et il lui manque peut-être la distance pour apprécier Galmot comme personnage haut en couleur.
Le Pavillon des cancéreux (1968)
Rakovyï Korpus
Sortie : 1970 (France). Roman
livre de Alexandre Soljenitsyne
bilouaustria a mis 10/10.
Annotation :
Soljenitsyne est revenu de tout, des camps, du cancer, de l'exode et du stalinisme, mais il n'en est pas amer pour un sou, il n'est pas donneur de leçon, il a simplement vécu, il est riche de toute cette vie comme peut l'être le vieux sage qui sait, qui fait la part des choses, qui en a vu d'autres. Son roman est incroyablement vivifiant, plein de vie contrairement à ce qu'on pourrait penser (et oui il y a un maximum de pages déprimantes, là n'est pas la question), simple, vrai, et on voudrait sincèrement que le livre jamais ne s'arrête pour pouvoir rester avec ces Kostoglotov et Roussanov au pavillon. Il y a l'évolution de la maladie, les relations avec les médecins et les autres malades, mais aussi la lente déstalinisation au dehors qu'on apprend par à coups, à travers les journaux ou les visiteurs. L'union Soviétique lui-même se fissure, semble être doucement atteint d'une forme de cancer qui le ronge. Les discussions politiques, philosophiques, sont magnifiques, pleines de paradoxes doux-amers. Soljenitsyne donne une chance à tout le monde, même les petits fonctionnaires les plus veules. On parle parfois de roman-total en général en rapport avec des livres post-modernes hyper ambitieux mais je trouve que "Le pavillon des cancéreux" englobe un monde entier entre ses pages.
Léviathan (1992)
Leviathan
Sortie : décembre 1999 (France). Roman
livre de Paul Auster
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Au risque d'être un peu injuste avec Paul Auster et ce roman qui est pourtant assez palpitant, je trouve que sa "méthode" pose problème. Parce qu'Auster est terriblement doué pour nous emmener avec lui, nous prendre dans une histoire dans laquelle on aimerait se lover et ne plus bouger, et nous porter aussi loin qu'il le veut, pour ça il est diablement fort, ok. Le truc pourtant que j'ai ressenti et qui m'était venu à l'esprit en lisant "Moon Palace" c'est que ses textes se composent clairement d'histoires posées bout à bout, on sent presque la place pour plusieurs romans, mais que les liens entre elles, les transitions, semblent grotesques, à peine travaillées, bref qu'elles sont des prétextes à raconter des histoires et à ne pas les appeler des nouvelles. Il y a donc des "hasards" insensés dans ce livre, dans "Moon Palace", "Brooklyn Follies", en j'en ai bien peur, dans tous ses romans, qui font retomber les événements sur leurs pattes (ce hasard c'est Paul Auster mais le lecteur, aussi hypnotisé soit-il, n'est pas toujours demeuré). Donc on obtient ce beau vêtement avec des coutures dégueulasses, on sent la facilité avec laquelle tout cela a été produit et on ne peut s'empêcher de regretter un peu ce travail qui consiste dirait-on à accumuler un certain nombre d'histoires captivantes et à les articuler plus ou moins habilement les unes auprès des autres. Après c'est à chacun de voir : si c'est le plaisir qui prime, celui de se faire conter une ou plusieurs histoires qui compte, sans y regarder de près, alors oui "Leviathan" mérite vraiment de s'y attarder.
Bleu éperdument (1990)
Squandering the Blue
Sortie : janvier 2015 (France). Recueil de nouvelles
livre de Kate Braverman
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Il y a des auteurs à qui on reproche parfois d'écrire toujours le même roman (mais non Patrick, ne prends pas tout personnellement !) et puis il y a Kate Braverman et son recueil si étrange et presque hypnotisant "Squandering the Blue". Braverman, à la manière d'un Hong Sang-Soo écrit des nouvelles qui se juxtaposent et semblent rimer entre elles, il y a des mots clés, la couleur bleue, Hawai et Los Angeles, certaines plantes comme le frangipanier, et des thèmes comme l'addiction (drogues mais plus souvent alcool), des femmes au bord du désespoir, des relations familiales au point mort, une langueur, une errance. L'écriture est sensuelle, venimeuse, la mélancolie très poétique. Mais c'est ce travail sur la répétition et les infimes variations, au long de onze nouvelles toutes cousines les unes aux autres, qui donne une dimension expérimentale et vertigineuse à ce "Bleu éperdument" superbement traduit. Bravera éclaire par sa démarche le travail d'écriture et ce n'est pas un hasard si ses personnages sont obsédés par la poésie et la littérature.
De grandes espérances (1861)
Great Expectations
Sortie : 1861. Roman
livre de Charles Dickens
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
(anglais)
Il y a un mélange des genres détonnant dans "Great Expectations" qui met côte à côte le roman d'aventure, de formation, un texte léger au ton drôle et assez enjoué et des scènes noires et gothiques impressionnantes, un roman d'amour, un roman social. On en parle souvent comme un classique, un livre de la maturité parce que tardif dans son oeuvre, un incontournable, mais Dickens est un auteur si particulier, avec son vocabulaire, son fan-club, qu'il n'est pas une évidence pour tous les lecteurs. Ce n'est pas une question de difficulté mais plutôt d'affinités. Celui-ci est tout à fait divertissant et pourtant il ne m'a pas complètement emporté ni convaincu, moins parfait que les romans de son ami Wilkie Collins pour ce qui est de l'intrigue pure, moins inquiétant ou habité que "Jane Eyre", c'est un livre étrange qui est relativement ramassé tout en s'engageant dans pleins de voies différentes. Je ne sais pas si en résulte un problème d'équilibre mais certains personnages portent absolument le roman et d'autres semblent totalement dispensables. Du peu que je connais des grands rivaux de l'époque je dirais pour l'instant Thackeray 1-0 Dickens.
Le Procès-verbal
Sortie : 1963 (France). Roman
livre de J.M.G Le Clézio
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Quelle expérience ! Le jeune Le Clézio, on le sent, veut déjà faire table rase et écrire un autre roman, pas celui de papa qu'on a lu et relu, il a soif de renouveau, son texte flirte avec l'expérimental. Il perdra des lecteurs en route mais peu importe. Il y a beaucoup de courage dans ce geste radical, certains passages sont limpides et puissants, d'autres paraissent provocateurs et un peu toc. Mais il y a toujours une grande soif de littérature et un désir de marginalité qui me le rend sympathique. En fait je ne connais quasiment pas Le Clézio et j'en avais une image fausse d'écrivain voyageur un peu convenu. "Le procès-verbal" dynamite tout ! Il l'écrit à à peine 23 ans, les écrivaillons n'ont qu'à bien se tenir ! Le vieux monde qui va céder en 1968 est déjà mis à mal. C'est quand même un livre sacrément malaimable (on lit ça et là que c'est carrément illisible ce qui est faux), il faut un peu s'accrocher mais je trouve le lecteur largement récompensé.
Aux portes du royaume animal (1990)
At the Gates of the Animal Kingdom
Sortie : 1 février 1991 (France). Recueil de nouvelles
livre de Amy Hempel
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
(anglais)
C'est étrange parce qu'à la lecture des nouvelles fragiles d'Amy Hempel j'étais assez impressionné par son talent pour faire passer beaucoup de choses en simplement 2 ou 3 pages. Son écriture concentre des émotions, des non-dits, des clins d'oeil, on est presque contraint de ralentir et de lire doucement chaque phrase pour en apprécier leur sens et saisir les mouvements plus ou moins perceptibles de ses histoires. Elle a aussi un certain humour, un ton, qui n'est pas très voyant au début mais qui devient apparent au fur et à mesure qu'on apprend à la connaître. Et pourtant, aujourd'hui quelques 3 semaines après la lecture du recueil il m'en reste très peu, je ne pourrais probablement pas me rappeler de la moitié des textes. Je ne sais vraiment à quoi l'attribuer : à moi ou au fait que ces courtes nouvelles (qui sont toutes différentes les unes des autres et ne reposent pas sur une méthode ou un procédé narratif un peu facile) ne laissent pas vraiment de trace indélébile. Hempel a pourtant une belle réputation. J'aime sa sensibilité et j'essaierai de revenir à elle par le biais d'autres écrits.
Femmes amoureuses (1920)
Women in love
Sortie : 1932 (France).
livre de D. H. Lawrence
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Encore un roman moderne et malaimable. Pas du tout le roman dix-neuvièmiste dans lequel les britanniques ont excellé mais un livre mordant, qui détruit et impose un regard nouveau, plein d'insolence et de sensualité. Chez Lawrence, le désir est partout et les personnages philosophent parce que c'est leur éducation qui essaye de raisonner sauf que le désir pense plus fort. Il y a des scènes qui sont d'une suggestion quasi insoutenables, notamment celle où Gerald impose sa volonté et sa force physique à un cheval en l'écrasant de ses cuisses, les éperons dans la chair jusqu'au sang, devant les soeurs révulsées et en même temps en pâmoison devant lui. C'est tout le livre : comment l'amour (et le sexe) est un mélange irrésistible d'attirance et de dégoût, les paradoxes se multiplient tout au long de 700 pages surprenantes. Les couples se forment après une gifle, un mariage se scelle après une dispute terrible, et le voyage de noce tourne au carnage. Eros et Thanatos tout du long. La nature elle, est toute puissante et restée inviolée, insensible aux hommes qui se corrompent pour un rien. Il y a aussi des pages magnifiques sur la mine que dirige Gerald d'une main de fer, que son père a longtemps tenue avec un certain respect pour ses employés... mais le vieux n'y comprend plus rien. Lawrence déploie ici en quelques pages une violence et un amour entre les générations, une incompréhension qui traverse toutes les relations de "Femmes amoureuses". Livre renversant et trop longtemps censuré - en avance sur son temps.
Samuel Fuller (2017)
Un homme à fables
Sortie : 7 décembre 2017. Biographie
livre de Jean Narboni
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
On sera en droit d'attendre un peu plus de Jean Narboni qui a déjà écrit sur Fuller et qui a surtout fréquenté le bonhomme du temps de ses années parisiennes (2 à 3 fois par semaine pendant des mois et des mois). C'est quand même un matériau non négligeable ! Mais le livre est court et ne nous apprend que trop peu de choses qui ne sont déjà connues ou dans les films de Sam... Narboni se risque peu à l'analyse et je me demande si ce n'est pas finalement ce qui me frustre un peu : je crois que je cherche dans ce genre de livres des idées ou alors des mots du réalisateurs lui-même. Le petit livre d'entretien de Leone par exemple surpasse largement tous ces bouquins pour cinéphiles qui font rapidement le portrait d'un cinéaste sans trop prendre le risque d'en dire trop. On résume les pitchs un par un, ça fait déjà une trentaine de pages, quelques éléments autobiographiques, hop, deux trois remarques, un jeu de mots pour le titre, le compte est bon. Je ne veux pas être trop sévère avec Narboni en particulier, j'ai lu son Fuller avec plaisir et j'ai eu envie de me replonger dans ses films (c'est bon signe) mais il manque au moins un ingrédient pour que tout ça ait du goût.
Bêtes féroces, bêtes farouches (2014)
Wir haben Raketen geangelt
Sortie : 2017 (France). Recueil de nouvelles
livre de Karen Köhler
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Les nouvelles de Karen Köhler mettent toutes en scènes une femme dans une période de transition, en fuite parfois, à l'étranger souvent, que ce soit après une rupture, en période de deuil, autour de remises en questions essentielles. Une femme s'engage sur un paquebot de croisière et trouve un boulot ingrat, une autre passe d'une ville italienne à une autre sans trop savoir quand elle retournera à sa vie, son boulot, son quotidien. Chaque texte offre une procédé un peu différent et original, une nouvelle est par exemple entièrement composée de cartes postales, une autre d'entrées d'un journal etc. On sent l'envie d'allier dans un geste doux-amer une légèreté de façade avec des choses plus graves, effleurées davantage que réellement évoquées. Ce programme on le connait, Köhler n'invente rien, elle s'y prend assez bien, trouve un point d'équilibre, et je suis immédiatement rentré dans chaque nouvelle alors que parfois je trouve dans un recueil des textes auxquels je "résiste" un peu malgré moi. Il y a un donc un certain talent mais je ne trouve rien non plus de très mémorable ici.
Ici n’est plus ici (2018)
There There
Sortie : 21 août 2019 (France). Roman
livre de Tommy Orange
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
(anglais)
Bluffé par l'intelligence de ce premier roman, que ce soit les vannes, les métaphores, les idées, ça fuse et c'est précis. Evidemment Orange a aussi pour lui de donner voix à une minorité qui n'existe quasiment pas, dans la littérature ou les médias. Les indiens aujourd'hui, c'est surtout des souffrances, l'alcoolisme partout, la dépression, et l'envie malgré tout de continuer et de perpétuer certaines traditions, comme un geste fort d'identité et de résistance. La violence est une toile de fond qu'il est impossible de percer parce que l'histoire des indiens est indissociable d'histoires sanglantes. On a souvent l'impression d'être plongé dans "The Exiles", ce beau film des années 1960 qui montrait des "natives" dans les villes aujourd'hui, perdus, cherchant à se raccrocher aux branches d'un monde qui les ignore. Il y a bien une jeunesse dans "There there" (beau titre !) mais pas tout à fait d'espoir pour autant. On sent aussi que le racisme à la peau dure - et que c'est réciproque. En fait la seule lumière de ce livre qui est assez désespérant, c'est le livre lui-même, qu'un texte ait pu jaillir pour élever tout cela et permettre de sentir au plus près ces vies.
La Supplication (1997)
Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse
Tchernobylskaïa Molitva
Sortie : 1999 (France). Récit
livre de Svetlana Alexievitch
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Alexievitch a écrit le livre ultime sur Tchernobyl. Je ne sais pas si ça intéresse encore quelqu'un de discuter si c'est de la littérature ou du journalisme... Le résultat est tellement puissant, émouvant, les témoignages sidérants, on comprend qu'on pouvait mettre des mots sur la guerre parce qu'on la reconnait mais qu'est-ce que c'est Tchernobyl. Et le livre fait habilement le parallèle, en faisant parler les survivants, entre l'explosion du réacteur et celle du monde communiste, de l'ancien monde, qui a tout pourri par ses mensonges et sa propagande. Alexievitch en étant à la fois étrangère et Biélorusse elle-même inspire une telle confiance qu'elle recueille des propos à peine imaginables, les horreurs dépassent de loin celles de son livre sur la guerre en Afghanistan. C'est l'apocalypse baignée dans une sorte de douceur irréelle, de nature et de couleurs presque hypnotisantes. Je suis époustouflé par la simplicité et l'efficacité de la "méthode" Alexievitch comme on peut le dire pour Wiseman au cinéma. C'est évident et d'une grande profondeur.
L'Ordre du jour (2017)
Sortie : 3 mai 2017. Roman
livre de Éric Vuillard
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Déception. On sent Vuillard fier de ses anecdotes, de ses recherches. Il explique combien sont rares certains documents. Le livre cumule donc des anecdotes historiques et frôle l'anecdotique lui-même. L'écriture, de même, est honnête mais là encore on devine l'auteur plutôt satisfait de ses formules. Pas de quoi casser des briques ou gagner un Goncourt. Après le fond n'est pas nouveau mais il est intéressant : que les industriels allemands aient négocié avec Hitler et se soient assuré de profiter de la situation : les Siemens, Agfa, Bayer et autres n'ont pas les mains propres. C'est la haine que Fassbinder vouait à la génération de ses parents, l'impression que ce vieux monde a traversé la guerre sans trop d'égratignures et que la société d'aujourd'hui est encore salie par des multinationales qui se sont enrichies en faisant des profits pas jolis jolis (le capitalisme, ce n'est pas la petite maison dans la prairie...). Le livre manque en réalité de point du vue : il se concentre sur des personnages antipathiques en les faisant passer pour des idiots, des cyniques ou des lâches. C'est seulement dans les toutes dernières pages qu'apparait le contre-champ et qu'on réalise à quel point tout cela est dramatique - le texte trouve enfin une émotion, bien tard. J'irai voir du côté de "Congo" parce que ce livre me laisse un peu frustré.
Une saison amère (1961)
The Winter of Our Discontent
Sortie : 1961 (France). Roman
livre de John Steinbeck
bilouaustria a mis 9/10.
Annotation :
(anglais)
Je suis comblé, époustouflé par ce livre, si bien que je peine à trouver les mots. Je crois que je n'attendais plus de Steinbeck, paradoxalement, après ces chefs d'oeuvres que sont "Les raisins de la colère" ou "À l'est d'Eden", qu'un roman mineur. Son dernier. Or le grand romancier n'a rien perdu, au contraire, il est au sommet de son art et ose tout, parler de choses que je considérais peut-être trop bassement terre à terre pour faire l'objet du dernier grand texte d'un prix Nobel : l'argent, l'ambition, un rendez-vous à la banque, être son propre patron, la superstition aussi, autant de thèmes que je n'aurais jamais imaginé mériter d'apparaitre ici et pourtant... Tous les thèmes méritent notre intérêt pourvu qu'ils soient traités avec intelligence. Donc "Une saison amère" procède de cette double impulsion, où l'on se sent à la fois parfaitement dans un roman de Steinbeck, on est immédiatement en terre connue, et pourtant la petite musique est comme légèrement enrayée par des sons parasites qui nous mettent la puce à l'oreille. Et sous ses airs sereins, cet humour de papa, sa bienveillance, son calme et sa sagesse, on se demande finalement si ce n'est pas son livre le plus désespéré, le plus déchirant. Il annonce le monde d'après, les enfants du personnages principal, la manière dont la ville va être amenée à changer (la construction prochaine d'un aéroport), l'importance que prend la télévision. Steinbeck aurait pu écrire un livre de vieux con au moment de passer le relais à une nouvelle génération. Il fait tout le contraire. L'humanité qui traverse les derniers chapitres est tellement saisissante qu'on est pris à la gorge avant même de s'en rendre compte. Parce que chez lui, les moments les plus bouleversants, comme les autres, sont amenés avec une simplicité et une bonhomie désarmantes.
Ethan Frome (1911)
(traduction Pierre Leyris)
Sortie : 1969 (France). Roman
livre de Edith Wharton
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
(anglais)
L'histoire autant que la narration semblent très convenues dans "Ethan Frome" et toute la misère du monde qui accable le pauvre personnage principal en lassera certains. C'est le récit d'un amour contrarié, avec une méchante femme comme on en faisait au début du siècle, un concentré de sournoiserie suspecte (mais je ne peux qualifier Edith Wharton de misogynie...), et un pauvre bougre travailleur et bienveillant qui attend sa petite étincelle de bonheur qui lui sera refusée et refusée et encore refusée. Et pourtant, avec cette recette un peu lourde, les paysages neigeux, l'immobilité de Zeena et du monde entier qui est vraiment le motif du livre, le poids du destin et Ethan qui s'active seul pour empêcher sa vie de se figer dans la glaise pour toujours, malgré tout cela, il y a un espoir qui habite le lecteur, qui se nourrit et grandit, si bien qu'on commençait le texte un peu accablé et qu'on se surprend à avaler les derniers chapitres et les quelques pages magnifiques et inéluctables qui se referment violemment comme une porte claquée par un mauvais courant d'air. Le roman joue sur des émotions et des contrastes un peu grossiers mais qui sont indémodables, et j'ai été au final presque emporté malgré moi.
Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay (2000)
The Amazing Adventures of Kavalier & Clay
Sortie : 16 janvier 2003 (France). Roman
livre de Michael Chabon
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Page-turner et roman du divertissement par excellence, Chabon signe ici un pavé qu'on adorera dévorer (prix Pulitzer) mais qui n'est peut-être pas aussi profond ou accompli que son auteur le voudrait. J'ai pensé à une grande saga à la Franzen en lisant "Kavalier & Clay", où la langue ne doit jamais entraver les aventures de nos héros, donc on dépouille, on va au plus directe. Il y a la seconde guerre mondiale qui apparait comme un peu collée sur le livre, un thème qui fait bien, un roman en Antarctique, un roman sur le monde des Comics, tout ça se mêle bien comme il faut, mais on sent constamment qu'on est dans le fantasme d'un écrivain, à Hollywood, ou quelque part où le monde est un peu trop lisse et parfait. Ce qui explique pourquoi on peut se sentir vaguement euphorique à certains moments : c'est le genre de livre qui parait immédiatement satisfaisant et qui à mon sens ne laisse presque aucune trace par la suite. Chabon résout tout, retombe toujours bien sur ses pattes, prend des risques mesurés et calculés. C'est un peu un chef d'oeuvre de comptable et ça me laisse un brin frustré après plus de 600 pages.
Le Pays des autres (2020)
Sortie : 5 mars 2020. Roman
livre de Leïla Slimani
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Il est difficile, peut-être un peu injuste de juger ce roman sur ce qu'il est puisque "Le pays des autres" n'est que le premier tome d'une trilogie et qu'il s'interrompt plutôt abruptement. Slimani impose tout de même, à défaut d'une style dominant, des thèmes, un féminisme prégnant, un personnage de mère et de femme forte qui se trouve pourtant sur le point d'abandonner ses enfants dans la plus belle scène du roman, un père violent et tendre, des contradictions qui sentent le vécu. C'est l'histoire de ses grands-parents, mais ce sont de vrais personnages de roman (sans être romanesques). On frôle le banal mais sur un fil, en équilibre, elle réussit son pari de raconter cette histoire qui ne décolle jamais vraiment. Le personnage de la femme dans son pays mais le pays de l'autre, sa grand-mère, est finalement une Leila Slimani inversée, chez elle mais jamais vraiment à sa place. La gamine surdouée est aussi réussie. Je craignais un peu que tout soit un peu trop pâle, étouffé par la chaleur et des souffrances déjà vues, mais j'attendrai finalement le prochain livre avec curiosité.
Zipper et son père (1928)
Zipper und sein Vater
Sortie : 1928 (France). Roman
livre de Joseph Roth
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Un petit roman surprenant qui change plusieurs fois de cible en route, parce qu'il s'attarde d'abord sur le père, avant de se centrer sur le fils, et de prendre encore une autre direction. Il y a une ligne narrative assez claire pourtant, un style très vivant, mais Roth nous cache des choses et nous trimbale par ici et par là et j'ai eu le sentiment seulement dans les dernières pages de vraiment comprendre où il nous menait. Parce que Zipper et son père partagent les mêmes gènes et fondamentalement la même couleur mais ils sont pourtant de deux teintes bien distinctes : l'un a été marqué au fer rouge par la guerre et l'autre non. C'est aussi simple que ça mais écrit avec une finesse exquise. L'histoire d'une génération sacrifiée, morte née. Comme dans "La crypte des capucins", Joseph Roth excelle sur une centaine de pages. Ses personnages vivent dans un présent bien rendu mais ses textes sont imprégnés d'une nostalgie, du sentiment du temps qui passe, qui leur donne le supplément d'âme qui distingue les bons des grands écrivains. Et ce "petit texte" dépasse de la tête et des épaules beaucoup de grands romans plus ambitieux et moins achevés.
Béatrix (1839)
Sortie : 1839 (France). Roman
livre de Honoré de Balzac
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Un roman traversé de phrases magnifiques comme tout Balzac mais qui souffre d'une mise en place interminable, quasiment quarante pages de la région et puis Guérande et cette maison et cette famille, un zoom très progressif mais un peu lourd. Ensuite ce sont les amours balzaciennes, il y a les inconditionnels. Je crois que je préfère une autre veine de la comédie humaine, même si "La duchesse de Langeais" est un must. On est dans le calcul, la manipulation la plus complexe et sournoise, les jeux de pouvoir, chacun agit en cachant ses émotions et pariant sur des coups de billard en quatre bandes... "Les liaisons dangereuses" est indépassable, "Béatrix" pourrait en être une variation, une petite soeur. Du style à revendre, des longueurs, un amour très romanesque. Je reviendrai bien sûr à Balzac mais pour y trouver autre chose.
Une vie après l'autre (2013)
Life after Life
Sortie : 14 janvier 2015 (France).
livre de Kate Atkinson
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
(anglais)
Je suis arrivé à ce livre parce que l'accueil critique était particulièrement retentissant. Il a notamment été classé par The Guardian dans les vingt meilleurs romans mondiaux de la décennie 2010-2019. De quoi attirer l'oeil. La première impression pourtant, avec ce pitch façon "Groundhog Day", c'est que les morts répétées du personnage et la répétition des scènes faisaient gimmick et non seulement n'apportaient rien mais lassaient rapidement le lecteur. Les premières cent pages ne jouent que sur ce principe un peu grossier qui font hoqueter le récit et empêche autre chose de se mettre en place. Ensuite, je dois reconnaître que le roman prend un virage assez surprenant et que le ton, les thèmes et même ce principe d'accumulation a commencé à porter ses fruits. Les scènes se répètent mais le livre trouve son rythme et une progression opère non plus en couches verticales mais aussi horizontales. Elle a des prémonitions. Comme si elle sentait elle-même avoir vécu certaines choses. Et on a un personnage et ses potentiels, toutes ses vies, les succès et les échecs. Je me suis dit que "Life after Life" était bien plus riche que je ne l'avais espéré. En réalité pas vraiment. Kate Atkinson s'embourbe dans une théorie de l'histoire un peu pataude et nous explique que sans Hitler, tout aurait été différent, ce que je ne crois pas fondamentalement. Atkinson brandit un peu trop son idée. Le soufflé retombe un peu. Je ne regrette pas ma lecture, malgré l'approche un peu mécanique de l'auteur : quand ça marche, on sent la puissance de cette méthode, au service d'un regard féministe. Quand la mécanique s'entaille, c'est un indigeste. Sur plus de 600 pages, on passe un peu par tous les états.
Crash !
Crash
Sortie : 1973 (France). Roman
livre de J.G. Ballard
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Ballard parvient à consolider avec "Crash" le charnel et le théorique, l'orgasme et la technologie. Comme l'écrivait Baudrillard dans "Simulacres simulation", la technologie est habituellement considérée comme un prolongement du corps alors qu'elle est ici au contraire démembrement et morcellement. Et surtout : "ici, tous les termes érotiques sont techniques. Pas de cul, de queue, de con, mais : l'anus, le rectum, la vulve, la verge, le coït." L'automobile circule dans un flot continue, les carrosseries, freins à main, embrayages, volant, scintillent et se confondent avec les organes, le sperme, la (petite) mort, les accidents. Les blessures deviennent des orifices prêts à accueillir le plaisir. Quel étrange texte, furieusement concret et abstrait dans le même mouvement. Jamais moral ou immoral. On sent, que l'on soit réceptif ou pas à cette prose, quelque chose de fondateur, un roman du futur en train de se dresser sous nos yeux, une nouvelle manière d'écrire le désir. Troublant, provocateur, visionnaire. Les chapitres sont interchangeables. Je serais incapable de dire de quoi ça parle. Peu importe. Comme souvent chez Ballard, c'est avant tout une affaire de ressenti et il se passe indéniablement quelque chose.
Sorcières (2018)
La puissance invaincue des femmes
Sortie : 13 septembre 2018. Essai, Culture & société
livre de Mona Chollet
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Déception même si je suis intéressé par les thèmes abordés et convaincu d'avance qu'il y a un combat à mener etc. La femme sorcière dans notre société, qu'elle ait les traits de l'indépendante (célibataire, parfois carriériste), qu'elle soit sans enfant ou âgée, est diabolisée. C'est intéressant de faire ce constat quand il débouche sur des exemples concrets et des histoires (souvent consternantes) que relate Mona Chollet avec plus ou moins de brio. Mais quand on s'intéresse à la question, on a souvent le sentiment que le livre est maladroit, un peu écrit à la va-vite bien que documenté - mais pas aussi solide qu'on le voudrait. Il y a des détails sur l'accouchement, le corps des femmes qui me parlent vraiment, mais aussi des maladresses et le sentiment que Sorcières est davantage une idée (une quatrième de couverture, un titre) et un prétexte pour revenir sur des choses pas très neuves. J'ai aussi été un peu embarrassé quand elle se met en scène dans son livre. Démarche louable, résultat douteux.
Si Beale Street pouvait parler (1974)
If Beale Street Could Talk
Sortie : 1 décembre 1983 (France). Roman
livre de James Baldwin
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
(anglais)
Voilà un roman totalement d'actualité qui parle déjà de racisme, de police, du prix de la justice (une justice blanche) mais ces thèmes, on le sait, ne datent pas d'hier. Le fait est qu'avec Black Lives Matter, le texte de Baldwin semble résonner d'autant plus. La force de la langue qui habitait son premier roman est moins souvent convoquée ici mais la tension est partout et un événement en entraîne un autre dans une logique implacable. "If Beale Street could talk" est donc dense, ramassé, militant. On peut avoir le sentiment que tout est condamné d'avance, corrompu, et que le roman tourne à la démonstration mais il y a des passages qui contredisent heureusement cette impression - il y a quelques dialogues forts avec l'avocat notamment. Court mais opérant un crescendo émotionel, ce livre touche du doigt une vérité (aux USA mais aussi ailleurs) toujours pas démentie.
Le Grand Passage (1994)
La Trilogie des confins, tome 2
The Crossing
Sortie : mai 2000 (France). Roman
livre de Cormac McCarthy
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
La quintessence du Mc Carthy sauvage, taiseux, proche de la nature. Un livre de cowboy, mi garde forestier mi héros maudit et encore un roman impeccable de formation. Les points communs avec "De si jolis chevaux" sont nombreux mais Mc Carthy pousse le curseur un peu plus loin, dans la violence, le calme, la solitude. C'est parfois éprouvant à lire, il y a des pages et des pages d'errance à la recherche des traces d'une louve, il faut trouver le rythme et apprendre à refuser la vitesse qu'on nous sert partout aujourd'hui et à toutes les sauces. Oui, c'est un livre d'un autre temps. Mais un roman très pur, qui ne s'embarrasse pas de séduction, de dialogues spirituels, de jolies phrases. Il s'agit d'une relation au monde, d'une manière de traiter son prochain, avec des codes d'honneur qui rappellent le western. La frontière mexicaine fait une fois de plus figure de passage vers les enfers. Un grand livre qui prend son temps.
L'Usage des ruines
Sortie : 30 août 2012 (France). Essai
livre de Jean-Yves Jouannais
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Comment mesure-t-on la réussite d'un texte, en particulier dans un format très court comme ici ? Comment séparer ce qui tient de l'anecdotique du reste ? Simplement en jaugeant son impact sur la durée et sa capacité à laisser une empreinte, plusieurs semaines ou mois après, chez le lecteur. Certains recueils de nouvelles ou romans courts laissent immédiatement une impression mais disparaissent en réalité assez rapidement de notre mémoire à moyen terme là où "L'usage des ruines" se situe à l'exact opposé : pas bouleversant à premier abord mais suffisamment riche et chargé d'une mythologie propre à tenir le lecteur (doit-on alors parler de textes "caloriques" ?). La multiplication des micro portraits historiques pourraient jouer contre Jean-Yves Jouannais qui écrit sobrement et se documente de manière presque exhaustive mais chaque homme introduit dans ce livre charrie avec lui l'Histoire, ses ruines, et quelque chose de légendaire, de l'ordre du conte ou du storytelling qui donne comme une valeur ajoutée à ces histoires. On sent que c'est d'ailleurs l'idée qui se niche derrière ces contes qui intéresse l'auteur davantage que les contes eux-mêmes.
Le Messie de Stockholm (1987)
The Messiah of Stockholm
Sortie : septembre 1988 (France). Roman
livre de Cynthia Ozick
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
(anglais)
C'est entre le personnage principal rêveur, qui vit dans ses livres et idolâtre Bruno Schulz et les autres, en particulier cette étrange libraire qui va essayer de profiter de sa naïveté et se jouer de lui, c'est précisément dans cet écart, que le roman de Cynthia Ozick trouve son intérêt. Il nous rappelle que la fiction peut être un mirage, aussi belles soient les phrases des "Boutiques de cannelles" ou du "Sanatorium aux croques-morts". Et en fait, dans sa passion pour les livres, il a perdu contact avec la réalité, ses collègues, sa femme, leur enfant. Il s'obstine, obsédé par le grand écrivain polonais qu'il pense être son père (une fiction de plus ?). Il apprend le polonais et écume les librairies à la recherche de documents sur Schulz. Finalement il va se trouver confronter à une imposture un peu alambiquée et pas toujours très passionnante mais le texte d'Ozick a le mérite, avec ses différents niveaux, de faire réfléchir. Il y a un entre deux à trouver : vivre d'une manière autiste dans les arts sans avoir le monde ne vaut guère mieux que la trivialité du monde seul sans beauté pour l'élever.
Guerre et Paix (1867)
(traduction Elisabeth Guertik)
Война и мир (Voyna i mir)
Sortie : 1953 (France). Roman, Aventures, Histoire
livre de Léon Tolstoï
bilouaustria a mis 10/10.
Annotation :
Le grand classique indémodable mérite tous les adjectifs qu'on veut bien lui accoler. C'est un livre de la démesure, plein de personnages, d'idées, de politique, d'amour, de morts. C'est "Anna Karénine" avec en contre-point des scènes de batailles épiques et l'Histoire avec un grand H qui frôle nos héros, parfois de très près. Tolstoi passe d'un salon mondain moscovite à Austerlitz en un clin d'oeil et il est aussi à l'aise sur les deux terrains. Dans son dernier quart, le grand Opus, qui était déjà immense d'ambition, prend encore une dimension supérieur. L'intensité monte. Et le comte Tolstoi nous délivre sa théorie sur l'histoire qui fait les grands hommes (malgré eux, pour le pire ou pour le meilleur, mais ce n'est jamais le contraire, les hommes ne font pas l'histoire, tout est déjà joué avant même qu'ils n'interviennent). On voit aussi des grands héros de guerre absolument terrifiés, paralysés par la peur, qui courent dans toutes les directions et reçoivent des médailles. Tout cette légende est un malentendu, semble nous dire Tolstoi. Il n'y a pas de surhommes, seulement un infini chaos, qu'on appelle la vie, et qui est traversé d'éclairs de beauté. Ces instants sont rares et il faut les chérir. Tolstoi a aussi l'intelligence de faire évoluer ses personnages : Pierre ou Nikolai changent dramatiquement au cours du roman (plutôt que d'appliquer une formule et de laisser ses personnages réagir). C'est éblouissant et je suis impressionné d'avoir lu presque 1300 pages et de ne pas m'être ennuyé une seule minute. C'est sans temps mort, sans faiblesse.