Lectures de 2022

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La personnalité de James Baldwin – découverte à travers des interviews, quelques articles marquants et le documentaire de Raoul Peck – m'impressionne infiniment : au-delà de l'intelligence et des engagements, évidemment fondateurs, ce sont aussi une certaine élégance, un charme et une distance qui m'ont, chez l'écrivain américain, toujours fascinée. Au moment d'entamer ce roman, et du même coup l'année 2022, j'étais donc partagée entre la confiance aveugle en son talent, et la petite crainte – cela arrive parfois – que, dans ce registre, je puisse être déçue. Et bien, quelle beauté (même au plus bas du dégoût, de la lassitude ou de la désolation), quelle profondeur, quelle lucidité : dans l'écriture, dans la structure, dans les personnages, dans les événements... A la fin, une seule certitude : il me faut en lire plus.

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Un court roman aussi sobre que chargé. Sobre dans sa façon clinique (c'est le cas de le dire) de dérouler la routine de son personnage, médecin "ivégiste", avec précision et détachement – en cela, le recours au tutoiement pour placer de force notre imaginaire dans le quotidien du docteur est un procédé redoutable. Chargé dans les thèmes qu'il affronte sans facilité, révélant toutes les pensées, même les plus honteuses, de l'homme fatigué, rompu et peut-être désabusé derrière la blouse – et le stylo. Pas tout à fait convaincue par le "retournement" final sur l'identité du narrateur, qui dilue légèrement, à mon sens, l'intensité et la radicalité de l'ensemble.

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Cette façon de convoquer auteurs, artistes, penseurs et célébrités à tour de citations et de bras (comme pour se justifier d'accusations passées de nombrilisme ????) avec force sources et astérisques (comme pour se justifier d'accusations passées de plagiat ????) est fatigante... et intellectuellement assez nulle, en fait. Ce livre ne m'apporte rien si ce n'est l'envie de lire les livres cités (d'autant que nos goûts littéraires semblent souvent proches) et la conviction de ne plus ouvrir de Darrieussecq.

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Touchante, forcément touchante Annie E... La seule evocation de la dernière tablette de chocolat achetée pour la mère mourante, dans la langue simple et néanmoins si émouvante d'Annie Ernaux, suffit à me terrasser. Ici, l'écrivaine raconte le supermarché, et plus particulièrement l'Auchan Trois-Fontaines de Cergy, à la façon d'un journal. Pas exactement son livre le meilleur pour moi – je la préfère commentatrice de l'intime et du soi – mais une belle lecture.

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Malgré la brièveté de l'ouvrage, j'avoue en avoir lu une grande partie en diagonale. Dépassés le manque de profondeur et cette camaraderie de bureau des élèves un peu agaçante sur la longueur, je ne suis pas fan du format "dialogue factice" – autant regarder une discussion gratuitement sur YouTube. Le ton reste globalement sympathique et bon enfant, aussi ne tirerai-je pas davantage sur l'ambulance et ne gâterai-je pas le plaisir de celles et ceux qui apprécient ce type de lectures, les plats sans sel et la fin des acquis sociaux (je parle bien sûr des électeurs d'Emmanuel Macron).

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Tu es un écrivain autrichien qui publie des monologues critiquant tes contemporains ? Nous sommes faits pour nous entendre...

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Chaque nouvelle gravite autour du thème du mensonge (qui s'en serait douté) et des non-dits, principalement envisagés dans les domaines du couple et de la famille. Sans y toucher, les récits dépassent très rapidement le simple cadre romanesque pour creuser du côté de la morale et de la philosophie, parfois avec pertinence ("La maison dans la forêt", "Le dernier été", "Bach à l'île de Rügen")... et parfois moins (de ce point de vue "L'inconnu dans la nuit" est une lecture particulièrement pénible). Point regrettable : bien que les protagonistes soient différents d'une histoire à l'autre – en sexe, en âge, en origine –, l'écriture ne m'a pas donné l'impression d'une grande diversité de points de vue... sûrement apprécierais-je davantage le style de Schlink dans un roman.

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Pour une satire sociale mordante et décapante, l'on repassera, cependant le côté "policier" du récit se montre efficace et confère au livre un aspect "page turner" plutôt stimulant.

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J'ai plus été sensible à l'idée du livre – cet échange de lettres tronqué pour moitié – qu'au style littéraire d'Emmanuelle Pagano. En cela, je ne suis pas certaine d'apprécier cette plume sylvestre et stagnustre (je découvre ce mot à l'instant) dans d'autres ouvrages à la constitution plus formelle. Dans ce livre précis, cependant, la poésie sonne par endroits si intensément et douloureusement juste – particulièrement dans les derniers instants, lorsqu'elle se heurte au silence – que la lecture finit par remuer.

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Si l'on s'attend à n'en rien tirer de cérébral, de politique ou de révolutionnaire, la lecture de cet ouvrage peut décocher de vagues sourires – au moins au début. Mais gare à prendre l'essai avec trop de gravité, car l'on regrettera alors que Pierre Bayard se contente de se faire le vecteur d'une vision élitiste et excluante de la culture littéraire (et générale)... vision selon laquelle il est plus important de savoir ce qu'il est bon de savoir (et que l'auteur regroupe sous le bel euphémisme de droite de "bibliothèque collective"), que de savoir vraiment.

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Un livre passionnant à de multiples niveaux puisqu'il permet à la fois, d'un point de vue historique, de mieux comprendre l'organisation et certains fondements du régime nazi (dégommant au passage force idées reçues), mais aussi, dans une perspective plus politique, d'examiner quelques uns des ressorts de management toujours en usage aujourd'hui (à l'identique ou de façon déclinée) – et à la nocuité patente. Chose remarquable, Johann Chapoutot déroule sa bobine avec clarté et droiture, sans céder aux comparaisons trop commodes ni transiger sur la méthode. L'épilogue m'a spécifiquement semblé fournir des perspectives de réflexion et des outils critiques précieux pour penser le monde du travail tel que nous le connaissons.

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En quelques pages et une intrigue policière élémentaire, ce roman parvient à faire montre d'une large palette d'émotions – un texte malin et distreyant.

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Une jolie plume, poétique et très imagée, au service d'une courte histoire en quatre personnages – malheureusement, ma méconnaissance des spiritualités indiennes ne m'a, je le crains, pas permis de saisir l'ensemble des tenants et aboutissants de l'aventure. Curieuse de lire davantage de cet auteur.

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Cet ouvrage m'aura permis de mieux comprendre ce que j'attends d'une œuvre littéraire qui touche à l'autobiographie ou à l'autofiction : simplement (et très égoïstement) qu'elle me permette d'analyser sous un jour nouveau et moins personnel des situations auxquelles j'ai pu être confrontée, pour dépasser les faux-semblants, l'aveuglement, la claustration... qu'elle me rattache à la communauté des hommes et des femmes, qu'elle m'aide à grandir. Ce sont toutes ces béquilles que me fournissent, pour ne citer qu'eux (mais surtout elles), Annie Ernaux, Anne Wiazemsky, Nathalie Sarraute ou encore Emmanuel Carrère (dans ses bons jours). Ici, l'histoire de Sarah Chiche et de sa famille, si tragique et correctement écrite soit-elle, n'a pas su m'étreindre ni m'atteindre : la faute à un discours trop "psychologisant", trop confortablement bourgeois... trop "I am not like other girls" quand une émotion bien plus puissante jaillirait d'un "we are all in this together".

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Thomas Bernhard ou l'art de pudiquement dissimuler, derrière une misanthropie revendiquée, une tendresse désarçonnante pour ses semblables. Le piège est que je souhaite désormais tout dévorer de cet écrivain bêtement et admirablement jusqu'au-boutiste, lire sans relâche les grommellements ininterrompus de ses personnages, m'enfoncer dans ce cerveau maniaque et génial... Ach ! Ich bin diejenige, die "verstört" ist...

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Pour être tout à fait honnête, je connais l'auteur et cette note répercute en partie le soutien que je souhaite apporter à ses travaux – ouvrages mais aussi publications en lignes – autour de l'écologie, qui ont grandement contribué à façonner mon avis sur cette question. En l'occurrence, "Écofascismes" met en lumière deux tendances menaçantes (et pourtant encore trop peu discutées) liées à l'écologie : d'une part, sa fascisation que favorisent (consciemment ou non) certains adeptes et activistes, de l'autre, l'appropriation par la droite et l'extrême droite de l'enjeu écologique. Par-delà cet exposé, Antoine Dubiau propose à l'avenant des pistes de réflexion et d'action pour mieux s'armer intellectuellement et matériellement contre ce double phénomène dangereux. La balance entre les deux moitiés (exposé et propositions) du livre n'est pas toujours atteinte, et peut-être aurais-je aimé que l'auteur prenne davantage son parti entre ouvrage de recherche et essai politique. Qu'à cela ne tienne, je sors inspirée de cette lecture, plus armée pour penser mon engagement (i.e. contrer les récits des béni-oui-oui du "vivant") et avide de lire encore plus sur ces sujets.

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Déconcertant format que ce long compte-rendu d'exposition aux airs de poème en prose. Si l'on en retient quelques lignes superbes sur la peinture de Van Gogh, la figure sombre et furieuse d'Antonin Artaud est celle qui se détache encore le plus de ces lignes passionnées.

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Un très court livre – comme une écriture d'invention – pour réactiver le conte de Peau d'Âne et raconter, avec ces mots centenaires, l'innommable : l'inceste.

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Dans une perspective d'initiation à la pensée et au combat féministes, ce livre constitue un excellent support – bien que je n'adhère pas à l'ensemble des formulations adoptées et des positions défendues. Claire, patiente et pédagogue, bell hooks n'oublie jamais de mêler à ses analyses des considérations de classe, de race, d'orientation sexuelle... proposant souvent des réflexions argumentées et des pistes de solutions effectives pour des problèmes concrets. L'ouvrage se destinant plutôt au 'grand public' (comme son nom l'indique et peut-être aurais-je pu y réfléchir avant de le choper parmi les 400 livres de journalistes-podcasteuses qui tapissent les rayons 'féminisme' de toutes les librairies du pays...), il n'est pas forcément à conseiller à toute personne déjà bien renseignée et engagée dans la lutte contre le sexisme.

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(Lu en V.O.)

Baldwin, Baldwin, Baldwin... J'ai hésité avant d'accorder cette note, mais il serait ridicule d'en attribuer une moindre, tant ce (trop) court roman – si beau, si dense, si triste et si intelligent – m'a harponnée, emportée et bouleversée.

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Il est rare que j'éprouve autant d'antipathie pour un personnage principal, en l'occurrence Philip, cet espèce d'incel ridicule et soûlant à la sauce XIXème siècle. En dépit de ce protagoniste plein de misogynie intériorisée, du style sans grand intérêt et des longueurs du début, les rebondissements qui animent la seconde partie du roman (jusqu'à la dernière phrase) font de l'ouvrage une lecture d'été honorable.

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Beauté (encore) de ces petits textes d'Annie Ernaux pour penser le temps, la jalousie, la vieillesse, la sociologie...

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Se plonger dans les tréfonds des pensées et désirs des hommes (principalement cis) est à la fois terrifiant, décourageant, et assez marrant. Terrifiant puisque, pour beaucoup des interrogés, les fantasmes et modes de pensées paraissent n’avoir pas évolué depuis l’âge de pierre – ou alors, en pire. Décourageant, car si l’on aime à croire que le féminisme est un combat que les femmes ne devraient pas mener seules, l’on a peine à se convaincre qu’un quelconque soutien saurait se manifester du côté de cette autre moitié de l’humanité pour qui, très globalement, l’ordre établi est (au pire) facilement tolérable ou (au mieux) jouissance et profit. Mais marrant, tout de même : en effet, si le ridicule ne tue pas, il divertit – et la curiosité malsaine nous pousse à rêver de dévorer les entretiens conduits par Florian Vörös dans leur entièreté. J’ai beaucoup apprécié le soin du chercheur à détailler sa démarche, ses limites, ses biais, ses propres difficultés à aborder certains sujets lors de ses entrevues. L’écriture est fluide et le tout se dévore si vite que l’on en voudrait presque plus (il y aurait matière pour chacune des quatre parties de l’ouvrage à faire un livre à part entière).

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J'avais oublié de noter cette (re)lecture estivale de "Jonas", petite pépite de Camus que j'avais aimé si fort en la découvrant la première fois ! (N.B. : La note ne représente que mon affection pour Jonas car la seconde nouvelle du Folio à 2€ me donne littéralement envie de MOURIR).

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Super intéressant ! Non, je rigole. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, mais c'est pire. L'on ne peut reprocher à Jane Birkin de ne pas avoir de don pour l'écriture, puisqu'il s'agit après tout de journaux, mais l'on peut blâmer l'éditeur d'accepter de publier une telle non-littérature... et les incises de la Jane du présent ne font qu'aggraver l'ensemble. Même en étant voyeur, pas vraiment de surprises ou d'anecdotes croustillantes. Tous les personnages y sont exactement comme on se les figure : Birkin sensible, certes, Gainsbourg rond comme une queue de pelle, les filles charmantes, Trintignant sexy (peut-être que j'extrapole), Claude François une grosse merde... Rien de neuf sous le soleil, exactement.

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Je ne pensais pas mettre une telle évaluation à ce livre qui se présentait comme une énième variation du thème cher à Roth de l'homme déclinant aux nombreuses amantes — sans le charme ni la recherche de La Tâche ou de Portnoy. Pourtant, les dernières pages du roman, si simplement poignantes, m'ont fait monter les larmes... et du même coup ma note.

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Il est intéressant qu'Edgar Morin se penche sur ce thème qui touche tout un chacun mais que la sociologie et la philosophie pourraient avoir tendance à regarder de haut – d'autant plus à l'époque où l'ouvrage a été publié, j'imagine. Néanmoins, hormis quelques fulgurances, j'ai été gênée par la structure du livre (très brouillonne) et, surtout, par les quelques vérités balancées sans source ni méthode. Il aurait par exemple été utile que l'auteur interroge sa propre fascination pour les stars au lieu de la poser en introduction comme un fait tombé du ciel... un livre plutôt "sociales" que "sciences", en somme.

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Quelques nouvelles vraiment excellentes ('Personne ne va rire' et 'Le jeu de l'autostop') qui me prouvent que le genre ne manque pas toujours d'intérêt et me rappellent pourquoi Kundera occupe une place aussi ridiculement élevée dans mon panthéon littéraire et sentimental. Pour d'autres des textes — ceux écrits avec une main pianotant sur la machine Remington et l'autre sur les valseuses — l'expérience est moins enthousiasmante. Pas grave Milan, toute situation humaine est « paradoxale »...

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Beauté que ce texte de Mahmoud Darwich qui suit les pensées minées de désespoir, gonflées de rage et grisées de mélancolie d'un poète en exil à Beyrouth, forcé par la guerre de quitter sa terre natale, la Palestine. L'écriture exaltée se fait parfois rude, les longues errances accablantes, mais persistent cette triste force, cette résistance instinctive, ce parfum, qui prennent au ventre et à la gorge.

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Totalement oublié de noter cette lecture, pourtant intéressante – la dernière de mon année 2022. Ouvrage de sociologie très facile à lire et d'autant plus prenant que le sujet fascine à plusieurs niveaux (comment vivent les très riches ? quels sont les enjeux de pouvoir à l'œuvre dans ces milieux ? et tout bêtement, comment se résout-on encore à servir et à être servi au XXIème siècle ?). La structure n'est pas toujours très adroite mais la démarche d'Alizée Delpierre est aussi rigoureuse que nous pouvons aujourd'hui l'attendre de chercheurs en sciences sociales : située, effacée derrière la parole des concernées (surtout) et concernés, précise mais humaine.