Lectures de G.K. Chesterton (commentées)

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On considère parfois Chesterton d'abord comme l'un des inventeurs du genre policier, au même titre qu'Edgar Poe ou Conan Doyle. De ce côté là, le père Brown, humble curé catholique à l'apparence insignifiante mais à l'esprit suprêmement affûté, reste la création la plus célèbre de l'auteur. Il nous évoque peut-être davantage le lieutenant Colombo que Dupin ou Sherlock Holmes ; son intuition lui est au moins aussi importante que son intelligence rationnelle pour démêler les sombres mystères qui se présentent à lui ; les nombreuses intrigues dont il est le héros firent l'admiration de tous ses successeurs, dont une certaine Agatha Christie, ou encore le génial Borges. Je me permet de citer ce dernier, qui perçoit ainsi la structure "type" de ces histoires : "Chacun des morceaux de la Saga du Père Brown présente un mystère, propose des explications de type démoniaque ou magique, et les remplace finalement par d'autres, toutes terrestres." Ces constructions rigoureuses, savamment rhétoriques, ne se font pas, toutefois, au détriment d'une grande connaissance du "coeur humain", qui reste au fond la principale préoccupation de Chesterton comme de son personnage.
C'est pourquoi ces nouvelles, qui pourront paraître "datées" sur certains plans, étant donné l'évolution du genre, toujours plus axé sur l'ingéniosité et l'efficacité de l'intrigue, demeurent malgré tout d'une grande richesse que j'imagine mal estompée par le temps. Pour la simple raison que cette richesse n'est pas liée simplement à une facture artisanale maîtrisée, mais également à ce que l'on pourrait nommer, peut-être, "la sagesse du père Brown"?

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Premier roman de Chesterton que j'ai découvert, en découvrant du même coup toute une vision du monde. L'ouverture du livre est grandiose : la longue première scène, qui culmine au sommet d'une maison sur la colline d'un faubourg londonien par un soir de printemps, est d'une puissance, d'une gaieté, d'une émotion miraculeuses...
(Juste une parenthèse, car je m'apprêtais à nommer le personnage : il me faut signaler tout de suite que l'unique traduction française de ce livre (chez L'Âge d'Homme) est malheureusement assez mauvaise, en plus d'être bourrée de coquilles. Entre autre, je ne comprends pas pourquoi le traducteur a tenu à franciser des noms qui faisaient vraiment sens dans l'oeuvre originale, bien qu'il soit dit expressément que ces personnages sont anglais. Comme si l'on disait "le père Marron" pour le père "Brown" ; ici, par exemple, on traduit le nom générique anglais "Smith" par un "Fabre" qui, je suppose, est censé en être l'équivalent gaulois... Et ne parlons pas du titre, "Manalive" en anglais, assez curieusement rendu dans notre langue... Mais enfin, passons sur ces contingences.)
Mr Innocent Smith - c'est donc le nom original du héros - est un genre de Mary Poppins qui serait en même l'Idiot de Dostoïevski ou Zadig de Voltaire. D'abord accusé de plusieurs crimes, l'enquête que mène le livre autour de sa personne est une grande leçon de philosophie chestertonienne, tissée d'histoires farfelues, surprenantes, édifiantes sans qu'on le voie venir, et donnant l'occasion d'une belle galerie de portraits satiriques, subtils et malicieux. Il faut dire que parmi les caractéristiques majeures de l'auteur on trouve sa jovialité, son humour et son optimisme. Ce qui ne l'empêche pas d'explorer des problèmes épineux comme les inégalités sociales, le nihilisme, le suicide, etc. Enfin, on trouve dans ce livre l'illustration d'un beau précepte de Chesterton (énoncé dans un autre récit), à savoir que : "le meilleur chemin vers l'endroit où l'on se trouve est de faire le tour du monde". Une manière de dire que la finalité de la connaissance serait de se satisfaire de notre vie ici et maintenant.
Pour conclure, je crois que si je devais recommander un seul roman de Chesterton - parmi ceux que je connais -, ce serait celui-ci, même s'il mériterait sûrement d'être réédité (et retraduit). Ce qui n'empêche pas, ensuite, de prolonger son plaisir en lisant les autres volumes...

Annotation :

Très intéressante monographie sur le grand poète, artiste et mystique anglais du XVIII-XIXème. Cependant, l'on trouve dans ce livre à la fois le meilleur et le pire de Chesterton. Je m'explique. L'écriture de Chesterton est presque toujours inspirée, pleine de bons mots, de paradoxes qui se résolvent par une pensée inattendue, d'images heureuses, de tours rhétoriques expressifs parfaitement adaptés à leur sujet. Cependant, certains propos, dans cet ouvrage comme dans beaucoup d'autres, apparaissent aujourd'hui comme des aberrations. Un exemple parlant : dans la dernière partie de l'ouvrage, l'auteur se fait comme d'habitude le chantre d'un catholicisme jovial et rigoureusement orthodoxe (bien qu'il ne se convertisse que plusieurs années après l'écriture de ce livre). Et c'est alors qu'il a recours à des raccourcis de pensée presque choquants : ainsi, il condamne d'un seul bloc "l'Orient" en mettant dans le même sac Islam, bouddhisme, hindouisme, confucianisme et "socialisme japonais" (sic)... Non seulement cela trahit sa grande ignorance de l'Asie, mais cela témoigne aussi d'un ethnocentrisme étroit, borné, d'un chauvinisme grotesque - car cet "Orient" est considéré comme "le contraire" du catholicisme, c'est-à-dire comme la pire forme de nihilisme... Et force clichés ridicules à l'appui.
Je n'en conseille pas moins la lecture de ce livre à tout amateur de l'oeuvre de Blake ; certains passages sont très pertinents, drôles, réjouissants, comme peut l'être la pensée de Chesterton lorsqu'elle est à son meilleur. Mais l'on aura affaire aussi à ce qui relève d'une forme de fermeture nettement moins admirable... Vous voilà donc prévenus.