Les films - 2025

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30 ans après sa sortie, le film m'a paru daté : disons vraiment estampillé années 90, notamment par certains effets de style un peu démodés. Cela n'empêche pas ce diptyque sur la solitude urbaine d'être toujours aussi efficace, drôle et émouvant. Il fallait bien cette manière expressionniste, un peu fatigante parfois, pour faire éprouver la frénésie de Hong-Kong - et on comprend sans peine le choc qu'a pu être, pour les spectateurs internationaux, l'apparition soudaine de cette voix nouvelle, ce jaillissement d'énergie, d'humour et de mélancolie. On pense à la Nouvelle Vague, pour le motif des hasards de la ville, le lien étroit entre l'énergie de la ville et l'élan amoureux, le lyrisme aigre-doux, cette fausse légèreté et la caméra embarquée. D'emblée, aussi, la volonté de saturer l'écran - de bruits, de mouvements, de regards, de musique pop - et de scènes qui s'imposent au souvenir, avec ce fétichisme très particulier qui se cristallise sur certains objets - les boîtes d'ananas périmées, bien sûr, mais aussi la "chef salade", la lettre jamais ouvertes ou l'avion miniature.
Drôle justement que le film m'ait semblé daté, quand il multiplie les réflexions sur la péremption de toutes choses (depuis les inoubliables boîtes d'ananas du 1er mai, donc, jusqu'aux promesses de retour) - mais comme pour dire, justement, que tout demeure malgré tout : la soif d'attachement aux êtres, et la beauté des films.

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Fresque romanesque menée avec beaucoup d'allant par Youssef Chahine, le film, qui allait devenir le premier volet d'une tétralogie alexandrine, brosse un portrait de la ville depuis l'automne 42 jusqu'à l'immédiat après-guerre. A sa manière généreuse et enlevée, avec ce même culot qui m'avait déjà frappé au visionnage du Destin, comédie musicale retraçant la destinée d'Averroès, Chahine capte et restitue la fin d’une insouciance. Il met en scène et en images la perpétuelle tension entre histoire collective et destin individuel : ici les scènes intimes et les images d'archives alternent à un rythme endiablé, avec humour et musique. A la veille de la décisive bataille d'El-Alamein, les uns souhaitent la victoire allemande, qui libérerait l’Égypte de la tutelle anglaise, les chantiers navals sont en effervescence, les soldats australiens et néo-zélandais se soûlent en attendant d'être envoyés au carnage, les cabarets battent leur plein.
C'est un film de départs et de déchirements : l'importante communauté italienne est poussée dehors ; la communauté juive part d'elle-même, en hâte, devant la menace de l'avancée nazie ; et, surtout, le jeune Yéhia quitte soudainement sa famille pour aller vivre son rêve américain. Yéhia, c'est notre fil rouge dans ce récit choral, un peu chaotique et parfois coupé à la serpe (mais d'une grande densité au long de ces 2h13 qui passent à toute allure). Projection autobiographique de Chahine, cet attachant adolescent qui se découvre une passion pour le cinéma, le théâtre et le music-hall, fait du film, au milieu d'un sombre tableau (le naufrage de l'Alexandrie prospère et cosmopolite dans la tragédie de la Seconde Guerre mondiale), une belle ode à la pulsion de création, à la joie de la mise en scène.

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Le film se bonifie à mesure qu'il avance - c'est-à-dire à mesure qu'il s'émancipe de son écrasant modèle. Le début est un remake très plat de Murnau, qui souffre de surcroît d'un jeu figé et de dialogues souvent consternants. Puis, d'abord dans les salles blanches et vides du château du Comte, et surtout, ensuite, dans les rues, dévastées par la peste, de Wismar, une atmosphère contemplative, onirique, se fait de plus en plus entêtante et m'a remis en selle. L'épisode de l'épidémie prend d'ailleurs une place bien plus importante que chez Murnau (avec une imagerie forte : les rats, la ville barricadée, les cercueils, le dernier festin...), et Herzog introduit le motif de la folie de manière beaucoup plus explicite. Le film est surtout bien plus pessimiste, puisque le sacrifice de Lucy (la scène, qui rejoue celle du Nosferatu de 1922, tient tout à fait la comparaison) se révèlera inutile...

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Huppert en elfe frêle, rose et vert sous son chapeau de paille, sans rime ni raison, sans passé ni avenir : un drôle de personnage, qui détonne à l'écran et même, au-delà, dans la filmographie de HSS. Tandis que les personnages qu'elle croise cherchent à saisir son passé, connaître les raisons de sa présence en Corée, se recueillent sur des stèles ou se débattent avec leur propre vanité, à elle appartiennent le pur présent, la sincérité, la mobilité. Dans une filmographie récente marquée par les thèmes de l'effacement, de la finitude, de l'impossible création, l'apparition de cette voyageuse, être venu d'ailleurs, sautillant et fantasque, insaisissable et sans fêlures, apporte une note réconfortante et souvent drôle, à l'optimisme saugrenu - la méthode d'apprentissage des langues étrangères est une invention géniale ! Et décidément, le degré d'alcool des films de HSS est en chute libre...

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J'y allais pour Alexandrie - que l'on ne voit qu'à peine. Elle ne vaut ici que comme écrin nostalgique (on y voit le Cecil Hotel, les taxis jaune et noir, la Corniche et l'une de ces villas rococo bâties à l'âge d'or cosmopolite de la ville), mais sans les poncifs qui restent attachés à cette "capitale de la mémoire" : le film est bref, le ton léger, l'atmosphère colorée, l'humour plus de mise que la déploration. Rien de révolutionnaire non plus : c’est l'histoire d’un retour en terre natale, au chevet d'une mère peu aimée et peu aimante, qui se meurt. Tamer Ruggli parvient à rendre le jeu de Fanny Ardent tout à fait supportable, et je découvre une Nadine Labaki excellente.

Souvent maladroit dans la convocation des fantômes (mais c'est un exercice délicat), le film parvient à intéresser - et apporter un éclairage original sur une thématique bien connue - par l'évocation du rapport à l’Égypte : ainsi les contrastes entre le quotidien difficile de la jeunesse égyptienne et la fin d'un âge d'or, celui d'une grande bourgeoisie confinée dans ses souvenirs, sur le point de sombrer corps et bien. Le vertige à l’arrivée au Caire est bien restitué ; la vieille tante est exécrable à souhait ; après ce rude retour, le lent travail de mise au point sur un paysage aimé, sur la terre de l'enfance, sur les sentiments enfouis, s'accomplit avec une certaine grâce et s'achève sur l'esquisse d'une réconciliation avec son propre passé.

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Conte cruel à la Maupassant (on pense à la Parure), portrait de femme emportée par la spirale de la vanité, geste désespéré et sublime d'une femme se sacrifiant pour maintenir le souvenir d'un passé perdu à jamais : les grands Ophüls sont déjà là. Miroirs, flash-backs et ronde des apparences - mais le ton est plus canaille que dans les chefs d’œuvre à venir. Edwige Feuillère magnifique !