Livres lus en 2021, notes.
34 livres
créée il y a presque 4 ans · modifiée il y a environ 3 ansL'Aveuglement (1995)
Ensaio sobre a cegueira
Sortie : 1997 (France). Roman
livre de José Saramago
attation le chieng a mis 6/10.
Annotation :
Premier livre lu de l'année — un livre offert.
Le Poème de l'air
Sortie : 1 août 1996 (France). Poésie
livre de Marina Tsvétaïeva
attation le chieng a mis 9/10.
Annotation :
Un événement, c'est une sorte de catastrophe, de passage, de discontinuité entre deux régimes d'expériences, entre deux réalités qui sont donnés par les sens. Un événement, c'est une coupure dans l'expérience, une synthèse des durées vécues qui ouvre sur autre chose. Cet événement, c'est une sorte de mort passagère, une sorte de «saut»; il y a des expériences qui nous déplacent vraiment, nous placent sur des cimes plus hautes. Cette coupure n'a pas d'heure ni de lieu, on sait juste qu'elle s'est effectuée contre la pesanteur et que l'on est en train de retomber; que la chute appelle à une sorte de répétition de l'effort du vol. Il faut respirer autre chose qu'un «air inférieur». M.Tsvetaeva rend dans ce poème une image de cette «différentielle ascensionnelle» (comme le dit Bachelard dans *L'air et les songes*) de ses intensités qui, pour ma part, me parlent beaucoup.
Dieu et les créatures selon Thomas d’Aquin (1995)
Sortie : 1995 (France). Essai, Philosophie
livre de Laurence Renault
attation le chieng a mis 7/10.
Annotation :
Un petit livre très dense. Mais qui permet de centraliser les notions et un certains nombre de démonstrations établies par Thomas d'Aquin — ce qui permet de ne pas se lancer trop vite dans le travail de lecture monumental des Sommes.
Je n'ai pas saisi toutes les subtilités (je maîtrise mal le vocabulaire aristotélicien et théologique) mais ce petit livre montre que Dieu, selon Thomas d'Aquin, est tout à fait autre chose qu'un délire irrationnel opposé naturellement à la Science (comme on peut l'entendre souvent). Mais au contraire, que la théologie élabore une "fiction" nécessaire quant à la nécessité de poser un cadre pragmatique à la connaissance — voire même: que la théologie problématise ce cadre, car la foi est entendue comme "assentiment".
La foi met en relief la "nécessité d'une nécessité" — si bien qu'il y a toujours une part d'arbitraire dans le procès de constitution du savoir. Il faut bien "vouloir" un peu pour pouvoir constituer de façon pragmatique un cadre épistémique viable. La foi est une fiction régulatrice et limitative, car elle admet explicitement une part arbitraire, subjective ou intentionnelle au cadre qui autorise la connaissance.
Si bien que si la théologie se pose comme science supérieure, ce n'est pas parce que les croyants seraient en carence de science™ et qu'ils se réfugieraient une bêtise pieuse; mais bien parce que la théologie, pour Thomas d'Aquin, est le nom du cadre qui admet qu'on ne peut pas que se reposer sur des évidences, sur ce que la lumière naturelle peut bien montrer à nos yeux. Il y a donc une lumière "spirituelle" que peuvent sentir les êtres intellectuels; mais celle-ci n'assombrit jamais les prétentions scientifiques du savoir humain.
Le vertige du funambule
Le design graphique entre économie et morale
Sortie : 21 octobre 2013 (France). Essai
livre de Annick Lantenois
attation le chieng a mis 5/10.
Annotation :
Lecture frustrante. Pour des raisons assez nombreuses. Mais je crois que c'est l'approche présomptueuse qu'on quelques théoricien·nes et praticien·nes du design avec leur propre pratique; approche qui est assez présente dans ces pages.
J'ai l'impression qu'iels se considèrent comme la pierre de touche de l'émancipation — eh oui: voyez les fonctionnalistes en 1920, après la Guerre, que la multitude en errance attendait. Et aujourd'hui, dit l'auteure, il faudra bien habiter l'hypermodernité; et ce sont aux designers de nous éclairer le chemin de leur prise de conscience. Les designers semblent ici former un corps social homogène et autonome des conditions de production, dès lors qu'ils prennent conscience des enjeux de leur pratique.
Les théoricien·nes et praticien·nes du design se positionnent explicitement comme éducateur·ices qui viendront élever la multitude par la force de leur corps social inventif. J'ai vraiment du mal avec ce genre de positionnement. Il y a ceux qui "pensent" le présent, et les autres qui ne pensent pas, et sont donc à éduquer. La référence à Rancière (Le maître ignorant) ne suffit pas pour se disculper de toute approche surplombante.
Le texte donne l'impression d'un long plaidoyer pour une discipline qui n'a aucune autonomie par rapport au contexte de production industriel — puis "hyperindustriel". Parler de design moral (ou éthique) revient à se convaincre soi-même qu'on est vecteur d'émancipation, alors que c'est objectivement le contraire.
Car penser le design "à l'intérieur des structures" est une déclaration noble mais absolumment pas nécessaire en ce sens que les capitalistes qui ont besoin de designers ont déjà un dessein: la condition d'existence d'un projet design, moral ou non, est lui-même déjà conditionné par un design idéologique. Dire que la pratique du designer graphique dialectise cette idéologie qui l'autorise, parce que sa subjectivité y serait impliqué, je trouve ça un peu difficile à entendre.
C'est vraiment aller trop vite que de dire, par exemple, "que les designers inventent les conditions nécessaires aux échanges, à la circulation de biens des personnes et des informations". Non, ils rendent visibles des contraintes déjà déterminées par un cadre idéologique déjà individué. J'aurais de mon côté tendance à penser que le design graphique est un phénomène de l'idéologie, pas l'inverse. Et des variations phénoménales sur des tonalités idéologiques ne peuvent rien produire d'émancipateur.
Du peu du monde
et autres poemes
Sortie : avril 1995 (France). Poésie
livre de Kiki Dimoula
attation le chieng l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Ce livre m'a accompagné en automne 2020, et de nouveau en hiver 2021. J'aurais aimé connaître Kiki Dimoula, trois ans plus tôt — histoire d'avoir une juste et amie leçon sur l'oubli, au moment où il le fallait. Sans me dire poète, je me sens très proche de sa façon d'écrire, d'apprécier certains motifs (c'est d'ailleurs un des rares mots que j'ai pu reconnaître dans le texte en grec, «de la flanerie approchent les formes»). Et puis bon: les éditions de la Différence, surtout la collection Oprhée, c'est génial (dommage que ça ait fait faillite bref)
L'usage de la parole (1980)
Sortie : 1980 (France). Essai
livre de Nathalie Sarraute
Annotation :
Pas un livre pour moi. En tout cas pas en ce moment: le style «rumination narquoise» s'accorde mal avec cette période où, isolé·es, l'on est déjà bien en prise avec l'aigreur. (En tout cas c'est mon cas haha)
Probablement le dernier livre que j'aurai lu en janvier.
La Petite Peinture (2001)
Sortie : 2001 (France). Beau livre, Essai, Journal & carnet
livre de Henri Cueco
attation le chieng a mis 10/10.
Annotation :
Un très beau livre, très bien édité. Très doux à lire! Je partage complétement son approche de la peinture: le peintre ne travaille pas pour l'Histoire de l'Art, ou pour un Monde de l'Art — mais bien pour lui-même, pour exercer son regard. Ou disons pas tout à fait, ce n'est pas un exercice solipsiste, la petite peinture initie des petites fenêtres, des petits cristaux de rêverie, sur la joie de lire en ami les entours. Le peintre de la petite peinture délivre un «gai savoir» sur la perception et les instants majorés.
Sur une confidence de la mer grecque (2005)
précédé de Correspondances
Sobre una confidencia del mar griego
Sortie : 2008 (France). Poésie
livre de Andrés Sénchez Robanya et Antoni Tàpies
Annotation :
Deux très beaux recueils réunis, sur la subversion tactile et sonores des *évidences*, écrits par le canarien Andrés Sánchez Robanya, accompagné du travail du peintre catalan Antoni Tàpies.
J'ai acheté ce livre en pensant avoir des lettres de Tàpies et de A. Sánchez Robanya, discutant sur la mer — j'ai eu un livre de poésie: très bien j'accepte !
Design & Crime
Sortie : 4 avril 2008 (France). Culture & société
livre de Hal Foster
attation le chieng a mis 7/10.
Annotation :
Les premiers chapitres, qui ont des allures de pamphlet, sont assez prenants: il s'agit de complexifier la notion de «distinction». Car il faut se prémunir de simplifications courantes qu'entérine une lecture dualiste élitisme/populaire des phénomènes culturels.
Après tout — dit H. Foster prenant toujours des exemples très spécifiques (tel critique d'art, telle revue, tel historien d'art…) — nous vivons dans une époque d'indistinction généralisée: l'élitisme conservateur ne paie plus; il n'est en quelque sorte plus actuel; le capitalisme de l'ère post-industrielle se sait désormais riche de la force de frappe du marketing et du branding. Si le sujet postmoderne — tel que l'aurait défini les culturals studies — est le fruit de jeux culturels identificatoires, alors il faut se prémunir d'une sorte d'enthusiasme naïf vis à vis de ce sujet construit: car il est construit sur les bases de contractions des volitions du marché.
Il y aurait bcp à dire et à rdire — le bouquin est assez dense et le contexte très américain est parfois difficile à saisir, et la position critique systématique implique une espèce de funambulisme dialectique constant — mais H. Foster donne un peu d'épaisseur à la nécessité de sortir d'une lecture caricaturale, pas forcément actualisée, de la notion de distinction; notion de distinction qui, employée avec contondance, entérine trop souvent des assignations identitaires liés au rang social.
Le Songe (1340)
Lo somni
Sortie : 2015 (France). Roman
livre de Bernat Metge
Annotation :
Ce roman, important dans l'histoire de la littérature catalane, a été écrit par le bien nommé médecin Bernat Metge, dans les toutes premières heures de l'humanisme européen.
Livre très intéressant puisqu'on y voit une sorte de réactualisation au XIVe siècle du flegme socratique — ici un doute mêlé d'ironie — mais employée contre les "opinions", données pour science, de l'époque. (Par exemple la question de l'immortalité de l'âme d'inspiration néoplatonicienne, ou la non-intégration de la valeur théologique de l'immaculée conception au sein de l'institution chrétienne.)
Si ce sont des questions métaphysiques et morales qui sont soulevées, il faut bien voir que «Lo Somni» reste une œuvre littéraire: l'exposition des thèses et des anti-thèses sont jouées, comme dans une pièce de théâtre, par des personnages.
Ce qui est intéressant, c'est le scepticisme du «Je» de Bernat Metge. Le doute de l'écrivain recouvre une éthique. Douter ce n'est pas attaquer seulement une idée pour elle-même. Douter c'est renoncer au caractère «stable» (sic) des vérités sans oublier que ce caractère stable des vérités n'existe pas en-dehors des gens qui les énoncent — ici notamment un Roi et un vieux sage. Douter avec une exigence éthique, c'est chercher à déstabiliser tout ceux qui font figure d'autorité, maniant une parole condescendante et contondante.
Cela se remarque particulièrement dans les livres 3 et 4 : face au long monologue misogyne sur "la science des deux natures", émis par un vieil homme barbu et érudit (répondant à l'archétype du sage), Bernat Metge s'y oppose en élaborant une historiographie élogieuse de grandes figures de l'histoire ne comprenant que des femmes (mères, reines, écrivaines). Son éloge s'inscrit sans doute dans «La querelle des femmes», débat qui commence déjà à s'ancrer dans la Catalogne du XIVe siècle, le plaçant rétrospectivement du côté d'une Isabel de Villena inventive plutôt que d'un Jaume Roig odieux.
Sinon comme d'habitude, du bon travail éditorial aux éditions de la Merci.
De l'inframince
Brève histoire de l'imperceptible, de Marcel Duchamp à nos jours
Sortie : 2010 (France). Essai
livre de Thierry Davila
attation le chieng a mis 9/10.
Annotation :
Passionnant et très riche ouvrage aux allures monographiques sur «l'inframince», terme inventé par Duchamp, au XXe siècle donc.
L'inframince est ce seuil perceptif, cette zone infiniment proche du rien où l'on peut faire l'expérience de la différence, de la moindre différence qui fait le singulier. C'est une sorte d'«opération attentionnelle» qui donne aux sens, dans un «repli du sentir» (comme le dit le philosophe Josep Maria Esquirol dans un autre livre), l'épaisseur des choses les plus ténues. Ce retour sur les choses — on peut entrevoir ici la dimension phénoménologique de l'inframince — passe (en tout cas pour les nombreux artistes que T. Davila cite) par un travail plastique discret voire quasi-imperceptible. Cette ténue plasticité qui permet un retour sur les choses et les environnements les plus communs — on pense aux ready-made duchampiens — sait s'affranchir du gouvernement rétinien de la perception. Au contraire: la plasticité, comme le fait Neuhaus, peut aussi s'étendre à un univers acoustique. L'inframince — soit une phénoménologie de la ténuité — étend le sens (direction et signification) à la mesure que l'on s'approche de la pointe du sens (aisthesis).
Sont particulièrement mémorables les très beaux chapitres sur Duchamp, Neuhaus, et le petit passage sur Rilke.
NB: Il y a sans doute des rapprochements à faire avec le travail de la phénoménologue Nathalie Depraz avec son «Attention & Vigilance». Surtout par rapport au chapitre sur Neuhaus.
Philosophie et poésie de la pipe (1841)
Sortie : 1841 (France). Essai
livre de Ferdinand Wolff
attation le chieng a mis 5/10.
Annotation :
Petit livre qui a mal vieilli qui fait l'éloge des fumeurs de pipe. C'est désuet mais assez sympa à lire quand même !!!
Le Jouet
Histoire d'un objet de rêve
Sortie : 2007 (France). Beau livre
livre de Françoise Desbiez
attation le chieng a mis 8/10.
Annotation :
Bigrement chouette ! (Comme dirait le Petit Nicolas.) Françoise Desbiez livre ici une jolie histoire du jouet en bois jurassien (certains jouets font vraiment rêver!) mais sans jamais idéaliser un passé d'antan. Par exemple, F. Desbiez rappelle que l'utilisation de la roue hydraulique en 1830 — et, par voie d'implication, la volonté des patrons d'augmenter les cadences — impliquera la nécessité de constituer des associations politiques pour défendre les intérêts des ouvrier·ères — notamment à St-Claude avec «La Fraternelle».
Autrement, en plus de rappels historiques et sociaux qui traversent l'histioire du jouet du Jura, il y a de la place pour la rêverie (des légendes, de beaux passages sur l'irrégularité du bois); et surtout, pour celui qui n'y connaît rien comme moi, un nombre de repères historiques bien dosés qui permettent d'avoir une vue d'ensemble satisfaisante!
Dictionnaire à l'usage des oisifs
Sortie : 18 juin 2010 (France). Essai
livre de Joan Fuster
attation le chieng a mis 4/10.
Annotation :
Très (très) déçu. Joan Fuster est un intellectuel catalan contemporain important — ce qui est assez inquiétant vu le livre qu'il a commis. Heureusement que l'université catalane s'est développée depuis la mort de Franco.
Ce livre est une somme de petits essais (articles?) où J. Fuster nous dispense de ses opinions. «Je parle en général» dira t-il, et c'est d'ailleurs ça le problème du bouquin: il parle en général. Du coup, ça lui donne le droit de poser des prémisses complétement pétées pour déblatérer des généralités sur le monde (heureusement que la typographie dispose des italiques: ça lui permet de sous-entendre des choses, donner un semblant de profondeur aux choses). Bref, à chaque fois qu'il pose un truc, d'une manière toute rhétorique, on se dit: "bah…… non??? c'est faux !!! ", mais non, il continue: l'effet oncle-érudit-et-bavard-au-repas-de-noël est garanti.
D'un autre côté, c'est très rassurant de voir que des gens très érudits peuvent dispenser une pensée tout à fait indigente. Mais bon, c'est dit avec panache et ironie — et en citant du Montaigne — donc ça passe.
Deux trois articles sont quand même pas inintéressants. «Mais bon».
Méditations cartésiennes (1931)
Cartesianische Meditationen und Pariser Vorträge
Sortie : 1992 (France). Essai, Philosophie
livre de Edmund Husserl
attation le chieng a mis 7/10.
Annotation :
Husserl fait un effort monstre pour éclaircir l'entreprise phénoménologique qu'il initie, et fait preuve de beaucoup de pédagogie. Naturellement, il reste que certains passages, surtout les deux premiers tiers de la 5eme médiation sur la démonstration de l'intersubjectivité transcendantale, sont ardus.
Je reste assez dubitatif quant au projet de la phénoménologie pure, à savoir de se décréter elle-même comme fondement apodictique aux sciences aprioriques et empiriques. (Même s'il est vrai qu'elles évoluent à risque sur le terrain de l'élucidation de l'attitude naturelle; et sans jamais mettre en jeu les opérations intentionnelles qui autorise tout cogitatum.)
Mais je rejoins avec passion le projet critique de Husserl (qu'il faut garder vivant peut-être sous une forme moins eidétique) qui est celui de substituer à un objectivisme naïf — issu d'une sophistication théorique de l'attitude naturelle — un (inter)subjectivisme radical.
Et effectivement, il y a toujours le danger de voir la science glisser dans un absolutisme conduisant à une sorte de réification scientiste du monde — réification d'ailleurs assez courante ajdh dans la posture rationaliste naïve comme celle, pas si inoffensive que ça, des militants rationalistes, façon «La Tronche en Biais» ou Science4All. En cela, il y a danger de ne pas prendre en compte les origines fondamentales du psycho-physique en tant que composées transcendantalement à la sphère intersubjective — et ainsi à la sphère sociale et culturelle.
Heureusement, la structure même de l'entreprise phénoménologique, impliquant sur le plan transcendantal une intersubjectivité nécessaire, neutralise de fait tout psychologisme solipsisant, ou toute sorte de dévaluation du sensible au profit d'une rationalité idéalisée et idéalisante.
L'individuation du champ de la connaissance repose sur des horizons et des multiplicités de synthèses possibles actualisées et actualisables — mais qu'à la mesure où le plan transcendantal se fonde sur la re-connaissance, au pluriel, d'alter ego, déduits à travers un travail préliminaire de réduction épochal sur le moi.
La phénoménologie est très inspirante ! car elle socle les conditions de possibilité de la connaissance au sein de ce principe égalitaire: tous les membres de la communauté humaine ont en commun la capacité de percevoir le monde et se sentir le percevant. Ce n'est qu'à partir de ce hic et de l'illic de l'autre que l'on peut prétendre à une science véritable.
La Petite Fadette (1849)
Sortie : janvier 2007 (France). Roman
livre de George Sand
attation le chieng a mis 7/10.
Annotation :
J'ai passé un excellent moment ! Il y a de très beaux passages sur les petites choses et l'attention qu'on leur doit. Je pense surtout à la réplique de la Petite Fadette lorsqu'elle fait comprendre à Landry que sa folle sagesse de «fada» (pour reprendre cette fois-ci un «patuès» plus méridional) n'est dû qu'à sa fidélité au monde vivant. C'est justement dans l'appréciation des valeurs moindres, sans jamais se faire prêtresse du nivellement, qu'elle peut porter un jugement égalitaire sur les choses.
La Flamme d'une chandelle (1961)
Sortie : 1961 (France). Essai, Philosophie
livre de Gaston Bachelard
attation le chieng a mis 7/10.
Annotation :
Lire Bachelard, c'est s'assurer d'accéder à un peu de repos, de vivre des images simples qu'on a vécues, ou presque vécues. Le passage sur les fleurs de feu, sur ces lampes-fleurs: très doux moment ! Les coquelicots brûlants de Kiki Dimoula auraient pu y trouver une place. J'éprouve une grande tendresse pour l'art bachelardien de «miscellaner» autour d'une image poétique simple — ici, la flamme, la fleur, une solitude joyeuse.
L'Existentialisme et la Sagesse des nations (2008)
Sortie : janvier 2008. Essai, Philosophie
livre de Simone de Beauvoir
attation le chieng a mis 6/10.
Annotation :
Livre trouvé d'occasion, un peu par hasard ! Pas mécontent de l'avoir lu même si son intérêt est assez relatif si on s'intéresse pas à existentialisme et les débats philo des années 50, dans l'inertie de la Libération.
Bref: dans ce livre, de Beauvoir motive l'intérêt dialectique de l'existentialisme au regard de tonalités philosophiques antagonistes entre elles (par exemple réalisme vs. idéalisme; système philosophique vs. expérience littéraire).
Il me semble que de Beauvoir n'avait pas ici l'intention d'écrire un livre complet, précis et érudit sur le sujet de l'existentialisme: c'est clairement un essai pédagogue — un manifeste ? — à destination d'un public non-expert en philosophie. Les dualismes qu'elle pose sont clairement sujet à discussion; mais à travers ses choix didactiques, il est clair que Beauvoir ne veut pas livrer une somme sur des grands courants historiques de pensée. Il s'agit bien de défendre un existentialisme, et de motiver ses raisons historiquement et dans l'actualité des années 50
Donc, il me semble qu'il faudrait être un peu de mauvaise foi pour lui reprocher d'utiliser des catégories trop contrastées pour mieux faire valoir ce qu'elle défend: un existentialisme. Un existentialisme qui n'est ni une soupe morale figeant l'individu dans quelques impératifs catégoriques; ni le cynisme bien connu des "réalistes" —«Enfin… il faut être réaliste…»— pour défendre un statu quo. L'existentialisme est une philosophie de l'action, un rapport entre un dessein en puissance et une actualisation de cette puissance à travers l'expérience — non pas de la vérité —, mais de la liberté, de son mouvement.
Le deuxième chapitre, sur le roman métaphysique, me semble être le plus juste et le plus intéressant. Elle y défend une littérature qui n'est ni un trop plein de réalité; ni une littérature illustrant un système philosophique totalisant, explicatif. Il y a quelque chose qui doit dépasser l'actualité des faits sans pour autant habiter le ciel abstrait des idées. D'une certaine façon, son existentialisme est proche de la philosophie de l'action de Raymond Lulle: l'intention est un peu plus qu'une représentation idéale, elle est aussi l'acte qui vient constituer des «passions» à partir d'intentions antérieures déjà concrétisées.
Méditations métaphysiques (1641)
Meditationes de Prima philosophia
Sortie : 1647 (France). Essai, Philosophie
livre de René Descartes
attation le chieng a mis 8/10.
Annotation :
Assez intéressant de lire Descartes après la lecture des Méditations de Husserl… mais également après avoir été initié aux bases de la scolastique!
Je pense que j'aurais tenu ce livre pour illisible si je n'avais pas eu la connaissance des notions de perfection; de simplicité; de composition; de participation; etc. Sans ces bases, il me semble plus difficile de comprendre la démonstration reposant sur le schème de la participation des êtres — ici, l'être qui pense —, à Dieu, qui n'est pas un être en puissance — mais pur acte, éminence. Si il est certain que je pense, et que mon existence finie repose sur la non-mise entre parenthèse de cette proposition, ce n'est qu'à la mesure d'un non-moi, nécessairement infini (par exclusion de cet ensemble fini pensant). Ce moi et sa complémentaire mathématique (qui est un ensemble infini) peut accéder à ce non-moi non-fini par participation à des degrés des attributs de Dieu: notamment sa perfection.
Ce que d'aucuns reprochent à Descartes le Moderne, c'est l'emploi de catégories de la scolastique; et c'est justement ça qui est intéressant ! (Chose qu'un Husserl, fidèle critique de Descartes, reproduira dans sa pensée, notamment avec la notion d'intentionnalité). Car la modernité et son système métaphysique unifié — soit: la science — ne reposent pas sur une stricte négation de la pensée religieuse, mais bien sur un redéploiement de ses concepts (notamment la conjugaison de la volonté à l'entendement pour structurer, sur un plan noétique, des «bonnes» représentations). Descartes rappellera que volonté et entendement sont des facultés du moi pensant.
Nietzsche par Gilles Deleuze (1965)
Sortie : 1965 (France). Biographie, Philosophie
livre de Gilles Deleuze
Annotation :
Vu que le nietzschéisme réactionnaire a le vent en poupe, j'ai décidé de lire le «Nietzsche» par Gilles Deleuze. (Évidemment, il ne s'agit pas de se reposer sur l'argument d'autorité «Deleuze l'a dit»: il faut bien fourbir ses armes, employer celles déjà forgées, les discuter.)
Car il est frappant de voir qu'il y a un énorme malentendu sur la notion de «Volonté de Puissance»; sur celle de «nihilisme». Deleuze rappelle que la Volonté de puissance ne signifie pas du tout «désirer dominer». La volonté de puissance n'a rien de lourd, d'«allemand». Bachelard l'a aussi remarqué, et c'est patent: Nietzsche est un penseur aérien, léger. Pas un penseur militaire. Ni nationaliste. La volonté de puissance est un passage différentiel, affirmation d'un Être qui n'a pour «même» que le devenir lui-même (Simondon, de façon plus technique, parlera plus tard d’ontogenèse, de rupture de phase, etc.). Les Napoléon et César adulés par la droite ne sont justement pas des personnages nietzschéens parce qu'ils seraient «dominateurs» — et par ailleurs il est clair qu'ils sont avant tout des avatars hégéliens: ce ne sont que des figures de l'humaine contingence faisant advenir l'État, le Droit dans l'Histoire. Sur ce point, il va sans dire que Nietzsche, lecteur de Schopenhauer, méprisait les tenants réactifs de la pensée hégélienne et ceux qui l'incarnait. Sa rupture avec un Wagner nationaliste et pieux va également dans ce sens.
Il est également dommage que l'on continue de citer «La volonté de puissance» qui n'est philologiquement pas valide: car trafiqué par la sœur de Nietzsche qui militera plus tard chez les nazis.
Note: le traducteur Georges-Arthur Goldschmidt a eu l'occasion de remarquer (dans une note du Zarathoustra) que l'on traduisait «Gleichheit» par égalité — et les nietzschéens de droite déduisaient que Nietzsche méprisait l'égalité (traduire: le-plus-grand-penseur-de-l'histoire-serait-nécessairement-réactionnaire). Cela repose sur un problème de traduction: Gleichheit peut surtout se traduire par «similarité», «aplanissement», «indifférence». Ce n'est donc pas l'égalité qui est attaquée, mais bien le nihilisme, ses forces réactives s'opposant à l'être du devenir, à la différentielle qui caractérise la volonté de puissance.
Aujourd'hui, je doute que ceux qui répondent à l'exigence de la volonté de puissance soient des blancs-becs entrepreneurs conservateurs voire réactionnaires, plus proches de l'âne dans le Zarathoustra, que du «Jeu» solaire du «Gai Savoir».
Design & sciences (2020)
Sortie : 19 mars 2020 (France). Essai, Sciences, Culture & société
livre de Anne-Lyse Renon
attation le chieng a mis 9/10.
Annotation :
Brillant ouvrage qui offre un point de vue passionnant sur les modalités de productions de savoirs scientifiques à la lumière du design et sa nécessaire redéfinition.
La science, en tant qu'espace de production de savoirs, est traversée par des questions techno-instrumentales. Ce fond technique conditionne (et est lui-même conditionné) par notre façon de voir, de mener et de synthétiser des expériences «en vue» d'individuer un champ épistémique. C'est ainsi qu'il faut comprendre le design: non pas comme une discipline du «projet» restreinte au fameux couple forme-fonction, mais comme principe inhérent à la culture rétinienne: les pratiques du savoir et ses techniques d'observation reposent sur des visualisations, des représentations, des diagrammes… Il y a, pour dire vite, toujours du design à l'œuvre dans les processus de constitution de savoirs. Une théorie est un dess(e)in en acte; et un instrument scientifique, une réification de la *theoria*.
L'ouvrage est non seulement intéressant pour la thèse que défend A.L. Renon, mais aussi pour sa densité historiographique enthousiasmante.
En revanche, je ne suis pas très convaincu de la partie 3. Le design, comme opération constituante à l'intérieur d'un paradigme visuel, n'est finalement qu'une «traduction» en termes culturel de principes métaphysiques très généraux: notamment celui de la notion d'intention médiévale, reposant sur le schème hylémorphique aristotélicien (touchant autant la philosophie de l'intellect que celle de la connaissance). S'il est intéressant d'un point de vue critique de traduire les opérations hylémorphiques en terme de «design», il me semble plus délicat de sauter du design au designer; du design au studio de design; et du studio design à l'école d'art. Marey ou encore Bertin (comme la majorité des exemples donnés), n'ont pas eu besoin d'être designers pour mettre en place des stratégies épistémiques visuelles. Bref: a t-on vraiment besoin des designers? (Florensky par ex. n'a eu besoin d'aucun hexis de designer pour critiquer le "design" de Gauss des nombres complexes.) Ou bien ce saut, du design aux designers, est-il un effet d'une culture de la distinction propre aux praticien·nes et théoricien·nes du design, motivant leur «bon goût» face à l'approche vernaculaire (traduire: moche) des scientifiques? La voie d'une véritable culture technique (que Simondon appelait de ses vœux) n'est-elle pas plus égalitaire justement à l'extérieur des écoles d'art par exemple?
Ausias March
L'impossible orthodoxie de l'être
Sortie : 24 mai 2014 (France). Essai, Littérature & linguistique
livre de Marina Mestre Zaragozà
attation le chieng a mis 8/10.
Annotation :
Passionnant ouvrage sur un poète du XVe siècle difficile à lire: le valencien Ausiàs March.
J'ai essayé plusieurs fois de lire Ausiàs March: rien à faire, je n'ai pas accroché. C'est pourtant, rappellent les historiens de la littérature catalane, une des plus grandes plumes qu'ait connu les Pays Catalans. Ce qui va suivre n'est pas péjoratif; mais la poésie marchienne est obviemment opaque, tumultueuse, désolée, coupable. Et surtout, à première vue, ointe d'un thomisme lourd. C'est en tout cas que j'en pensais (même en sachant que je n'étais pas prêt pour ses vers, qu'il fallait que j'y revienne un jour).
Mais Marina Mestre Zaragosá donne ici des clés pour lire le Valencien adepte du "trobar clos": à savoir que March n'esthétise pas, justement, la philosophie chrétienne et ses grands thèmes (la faute, l'amour, la passion, l'âme maîtresse du corps…) à travers sa poésie. Au contraire: il subvertit le modèle anthropologique chrétien de référence: au lieu du règne de l'âme sur le corps, le «Moi» poétique renverse une telle domination. Il y a alors conflit entre l'âme et le corps qui s'insurge.
La «ligne droite» de la nature humaine — l'âme-cocher menant droit le corps-cheval — doit se soumettre à la dialectique tragique des passions. Pour affirmer le corps, il faut débrider les fonctions sensitives en défaisant des lignes agentives de la raison. Cela, du point de vue chrétien, constitue une faute morale lourde: alors, pour ne pas être soumis au jugement qui doit en découler, il faut que le Moi se dégage justement de la Création et des ses ordres ("ordre", au sens impératif et ordinal du terme). Et le Moi de se faire ainsi nouvel Adam, créateur et créature d'un Monde nouveau.
Bref. M. Mestre livre un convainquant Ausiàs March romantique qui ne prédique pas les poncifs paisibles et culpabilisants des chrétiens thomistes, tel que la supériorité de l'âme sur le corps; mais bien un plaidoyer passionnel pour le corps — pour le corps puis pour l'«amador», l'amoureux-fou tout entier, à la confluence de la fantaisie et de l'intellective.
Le Ciment des choses
Petit traité de métaphysique scientifique réaliste
Sortie : 19 avril 2011 (France). Essai, Philosophie
livre de Claudine Tiercelin
attation le chieng a mis 8/10.
Annotation :
Enfin achevé ce petit pavé ardu de métaphysique. Ce sera le seul livre lu en mai.
En effet, le titre du livre est modeste, c'est un «petit» traité de métaphysique. Finalement, malgré le titre, ce traité m'a semblé exigeant; et même avec une lecture attentive, je ne suis pas sûr d'en avoir saisi le dessin avec précision. Il faut dire que je connais mal la philosophie analytique, les débats récents sur la métaphysique.
Dans les grandes lignes, dans ce traité, C.Tiercelin «défend» puis propose des outils pour fonder une métaphysique scientifique réaliste.
Déjà pourquoi métaphysique? Parce que, même s'il est convenu de dire qu'aujourd'hui il incombe à la science de décrire la «réalité» du monde, il n'empêche qu'il reste à savoir ce qu'est la réalité, ce que recouvre la description elle-même. Mais aussi de savoir ce que motive l'idée même de «connaître» avec tous les problèmes difficiles que ça implique (y a t-il une dimension intrinsèquement abductive à la connaissance ? Si oui, quel rôle joue la perception dans le procès de constitution d'hypothèses ? Quels sont nos engagements ontologiques ? etc…)
Scientifique ensuite car il s'agit de savoir quels présupposés métaphysiques engagent les notions de «vérité», de «croyance», etc.; même le physicien, par exemple, «fait de la métaphysique comme il respire»: il y a toujours, même dans le cadre d'une théorie sur le monde physique, des postulats métaphysiques sous-jacents. Quid de la causalité par exemple ? Comment expliquer les notions de propriétés ? De dispositions ?
Et réaliste car si, effectivement, on ne peut s'en tenir à toute forme de scientisme, et engager des positions réductionnistes telle que des thèses physicalistes faibles (qui n'expliquent pas les propriétés mentales), on ne peut pas non plus adopter un relativisme de type idéaliste: les connaissances scientifiques ne sont pas simplement des «projections» de notre perception; mais elles décrivent *aussi* une réalité indépendante de notre perception.
Beaucoup de chose à dire/préciser, mais une chose est sûre: le livre m'a passionné (et même s'il fallait un peu de patience pour arriver au bout de certains passages). La critique que C. Tiercelin adresse parfois en demi-teinte à «mon» école philosophique est salutaire; à savoir, la finesse qui manque parfois à la voix, finalement assez consensuelle, d'un anti-reductionnisme relativiste, à la manière des «deleuzistes» par exemple.
Les savoirs situés de Sandra Harding et Donna Haraway
Sciences et épistémologie féministes
Sortie : 17 septembre 2014 (France). Essai
livre de Maria Puig de la Bellacasa
attation le chieng a mis 7/10.
Annotation :
Ouvrage intéressant qui pose à travers les notions d'«objectivité forte» (Harding) et de «savoirs situés» (Haraway), quelques postulats épistémologiques qui, malheureusement, ne sont pas aujourd'hui tenus pour acquis et notamment par un bon nombre de chercheurs et vulgarisateurs. (J'ai d'ailleurs lu ce livre au moment où Nathalie Heinich s'en prenait à la dimension soi-disant partisane des sciences sociales.) Prétendre à l'objectivité absolue, à une neutralité qui se passe de toute forme d'analyse des conditions de possibilité de la connaissance, c'est prendre le parti d'une «objectivité faible». Oui: il faut mieux assumer et interroger les conditions sociales et culturelles de ceux qui «fabriquent» des connaissances que de refouler de tels présupposés qui sont, en quelque sorte, pré-individuels au scientifique. En ce sens, «l'objectivité forte» de Harding, voire même la notion de «savoirs situés», fait penser à la critique de l'«objectivisme naïf» de Husserl — mais, malheureusement, son (inter)subjectivisme radical reste idéaliste, plus éthéré ou en tout cas moins pragmatique qu'une lecture sociale des procès de constitution épistémique. J'ai trouvé la notion d'objectivité forte particulièrement pertinente; le chapitre sur la vision (partie Haraway) captivante. M. Puig de la Bellacasa a permis au lecteur que je suis d'avoir accès à des balises théoriques qui m'ont semblé importantes dans le champ de l'épistémologie (même si j'y connais que dalle).
Je partage les postulats de base, la critique nécessaire à l'endroit d'une objectivité en apesanteur, planant au-delà du monde social. En revanche, il m'a semblé que le livre avançait très lentement; que la multiplication et la concaténation de concepts (en italique) permet moins de clarifier avec précision les problèmes et les solutions que d'entretenir brouillard démonstratif. Comme si l'anti-réductionnisme pouvait s'énoncer en terme philosophique sans avoir à se soucier de toute forme de solidité démonstrative. (Ex: la pierre comme objet physique est une construction sociale; ok mais il faut démontrer, méthode génétique ou métaphysique à l'appui, que c'est bien le cas) Et c'est une critique que j'adresse à moi-même, à mes propres influences théoriques. L'emploi d'un tel dispositif stylistique engage un fictionnalisme limitatif qui nivelle les énoncés entre eux; si la critique de Haraway/Harding est opérante à l'endroit de la biologie, l'argument physicaliste, par exemple, reste intact.
Du détachement
et autres textes
Sortie : janvier 1995 (France). Essai, Philosophie
livre de Maître Eckhart
Annotation :
Dans mon édition, j'ai trois textes; et parmi eux celui sur le détachement m'a le plus étonné ! Déjà parce que Eckhart montre que la foi chrétienne, et au sein même de l'ordre dominicain, ne peut se réduire à l'expression unilatérale d'un dogme autoritaire. Autour des thèmes théologiques, il y a des discussions, des prises de positions divergentes — et chez Eckhart, je dois dire que j'ai été surpris par certains trajets démonstratifs. Trajets démonstratifs qui ont l'air d'être assez audacieux pour l'époque; en tout cas, c'est bien tourné : «Il est bien plus noble que je contraigne Dieu à moi plutôt que je ne me contraigne à Dieu». Le détachement est une sorte de «non-opération», engageant de fait une forme d'humilité; elle permet une forme de disponibilité aux «courbures» de Dieu. (Après tout, il serait un peu présomptueux de prétendre se courber, se baisser pour atteindre Dieu.) C'est, comme le dit Simone Weil, un laisser-aller plutôt qu'un aller-chercher.
Conversations, Antoni Tàpies
Sortie : 1988 (France). Beau livre, Biographie
livre de Barbara Catoir
attation le chieng a mis 6/10.
Annotation :
Il s'agit d'un livre en deux parties: tout d'abord une biographie, reprenant les thèmes abordés par la conversation, en deuxième partie.
B. Catoir a réalisé une biographie tassée et claire; la partie sur Ramon Llull et les influences surréalistes de Tàpies, bien que courte, est particulièrement intéressante. Elle offre des balises historiques utiles pour un éventuel travail monographique sur l'activité artistique contemporaine en Catalogne .
Quant à l'entretien, il y a des choses aussi à glaner sur la vie de Tàpies et la vie artistique et littéraire en Catalogne dans la deuxième partie du XXe siècle.
Mais je dois dire que Tàpies, dont j'apprécie le travail, dit — conversation oblige ?— quelques platitudes sur la pratique artistique. Et la sienne aussi ! (après tout c'est un artiste, pas un théoricien de l'art). Je trouve que ses positions esthétiques sont contradictoires sans être forcément très fertiles. Il fait bcp référence à ses influences orientales; il engage dans sa pratique la critique de la distinction occidentale et scolastique sujet/objet. En même temps qu'il se défait d'une vision trop occidentale/mécaniste de l'art, il surdétermine l'observateur voire, comme il le dit, le «spectateur», une sorte d'entité saisit dans un face à face avec ses tableaux. Il y a donc un contre-sens. (Jacques Dupin, par exemple, écrit un très beau texte employant une grammaire quasi-bergsonienne pour contourner, de façon assez lyrique, le problème de l'observateur face à l'œuvre de Tàpies.)
Alors certes: c'est celui qui regarde qui fait l'œuvre d'art (pour reprendre cette ritournelle un peu usée) et l'artiste n'a pas toutes les clés de son propre travail. Mais dans ce cas Tàpies devra admettre qu'il se trompe lorsqu'il dit que l'artiste doit «captiver le spectateur» et «le conduire dans une direction bien déterminée». Parce que ses tableaux, au contraire, ne sont pas des interfaces signifiantes qui conduisent vers des signifiés stables. Et pour sortir du rapport sujet/objet | signifiant/signifé qu'il défend, il faut donc se dégager de son intentionnalité. Mais se dégager de ses intentions, c'est aussi paradoxalement considérer invalide l'un des termes de sa position esthétique.
Promenade d'anniversaire
Sortie : octobre 1991 (France).
livre de Joan Vinyoli
attation le chieng a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Cet été fut peu propice à la lecture, travail salarié éprouvant oblige. Du coup, j'en suis resté à trois de mes recueils de poésie préférés: Joan Vinyoli, Miquel Marti i Pol, Salvador Espriu.
Cimetière de Sinera
Suivi de Les heures et de La Semaine Sainte
Poésie
livre de Salvador Espriu
attation le chieng a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Un recueil du poète Espriu qui m'a accompagné tout l'été.
Joie de la parole
Poésie
livre de Miquel Martí i Pol
attation le chieng a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Malaise dans l'esthétique (2006)
Sortie : 2006 (France). Essai
livre de Jacques Rancière
Annotation :
Clarifications importantes à propos de la notion d'«esthétique» [Annotation en travaux]