Lu en 2024

Et découvert sur les cimaises : Visions chamaniques (Quai Branly) ; Rothko (Vuitton) ; Brancusi (Pompidou) ; la France sous nos yeux (BNF) ; Réquichot et Molnár (Pompidou) ; Mexicas (Quai Branly) ; céramiques monochromes chinoises (Guimet) ; Science/Fiction (MEP) ; Merveilles (réserves du musée de ...

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45 livres

créée il y a 11 mois · modifiée il y a 5 jours
4 3 2 1
7.8

4 3 2 1 (2017)

Sortie : 3 janvier 2018 (France). Roman

livre de Paul Auster

Venantius a mis 6/10.

Annotation :

Imposant livre basé sur une expérience de pensée : comment peuvent diverger les vies d'un même enfant, puis jeune homme, à partir d'une accumulation de hasards ? 4 3 2 1 en joue souvent très habilement, et la série des chapitres 2 à 5 (numérotés 1.1 à 1.4) est assez brillante de ce point de vue, si bien que j'ai été très franchement enthousiasmé par les 100 ou 200 premières pages. La lecture tend plutôt, à mon sens, à perdre de la vitesse par la suite, pour deux raisons distinctes. La première est une accumulation panoramique de moments de l'histoire américaine des années 1960 et 1970, parfois intéressante mais souvent longuette (surtout pour un lecteur européen à qui peu d'évocations sont familières). La seconde est le luxe de détails avec lequel Auster crée la vie de chaque version de son protagoniste, par une accumulation de personnages secondaires et de récits de ses péripéties. Compte tenu de son parti pris d'ensemble plutôt astucieux – limiter les divergences entre versions, de sorte que chaque "Ferguson" vit une vie raisonnablement proche de ses "cousins" –, cette esthétique de l'accumulation finit par créer un effet de parhélie : les "doubles" (études suivies, femmes aimées, beaux pères...) de chaque histoire se confondent aux yeux du lecteur.

L’Exploration du monde
8.3

L’Exploration du monde (2019)

Une autre histoire des grandes découvertes

Sortie : 3 octobre 2019. Essai, Histoire

livre de Romain Bertrand

Venantius a mis 6/10.

Annotation :

Nouvel exemple de la mode éditoriale des livres d'histoire "par dates", commode (on peut accumuler les auteurs, ne pas trop les coordonner) mais qui limite l'ampleur scientifique de l'ouvrage, ce dernier se contentant d'égrener une série de moments historiques dans des formats très courts de quelques pages, peu sourcés, dont certains sont un peu légers (y compris sur le plan de l'exactitude factuelle ; par exemple, de la pourtant très bonne Lucie Malbos, sur les incursions nord-américaines des Vikings). Cela dit, l'intérêt de la sélection rattrape en partie les réserves que l'on peut avoir sur la méthode. Autour d'une problématique devenue assez banale (désoccidentaliser l'histoire), on découvre de nombreuses trajectoires très inattendues : celle d'un chaldéen en Amérique latine, d'un haoussa en Angleterre ou d'une hollandaise dans la forêt du Surinam. Certains chapitres qui reviennent sur des moments ou des personnages plus connus valent aussi le détour – on peut penser au récit enlevé de la vie de Vitus Bering, "découvreur" (pour la Russie) du détroit du même nom ou à la remise en perspective du rôle d'Amerigo Vespucci (inventeur du terme même de Nouveau Monde, et donc découvreur intellectuel de l'Amérique). Enfin, il faut noter les perspectives originales que dessinent certaines contributions, par exemple sur la rédaction conjointe des récits de voyage par des érudits et des explorateurs (à l'image du duo improbable de Pierre de Bonneville et Vincent Le Blanc).

Humus
6.9

Humus

Sortie : 23 août 2023 (France). Roman

livre de Gaspard Koenig

Venantius a mis 5/10.

Annotation :

Livre plutôt enlevé (bien qu'au fond assez oubliable) autour de deux jeunes ingénieurs agronomes et de leurs parcours divergents. Le croquis social est assez juste et amusant (notamment autour du parcours de l'entrepreneur à succès, dans le monde parisien que l'auteur connaît bien), jamais trop caricatural, même si les personnages féminins sont assez unidimensionnels.

Le Tour d'écrou
7.1

Le Tour d'écrou (1898)

(traduction Monique Nemer)

The Turn of the Screw

Sortie : 1994 (France). Nouvelle

livre de Henry James

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

Étrange nouvelle qui brode autour d'un thème du gothique anglais pour "faire du James" sur l'obsession d'une gouvernante pour la présence inquiétante (mais est-elle réelle ?), autour des enfants qu'elle élève, des fantômes de leurs anciens serviteurs, morts dans des circonstances peu claires. Action abstraite, non-dits et présence à la fois pudique et éclatante de la sexualité... une œuvre à la fois très tourmentée, même pour les standards de l'auteur, et chirurgicale dans son ambiguïté.

Raison et Sentiments
7.6

Raison et Sentiments (1811)

(traduction Jean Privat)

Sense and Sensibility

Sortie : 1948 (France). Roman

livre de Jane Austen

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

Roman souvent très drôle de Jane Austen, qui donne une large place, aux côtés de l'intrigue amoureuse, à la critique acerbe mais enjouée de la médiocrité humaine (notamment à travers l'hilarant personnage du demi-frère). *Raison et Sentiments* est par ailleurs assez intrigant quant à sa morale, notamment en ce qui concerne la sœur cadette, Marianne, finalement mariée à un personnage qui la courtisait mais auquel elle semblait parfaitement imperméable jusqu'à une surprenante conversion. Peut-être davantage que dans Pride and Prejudice (où passion et raison se rejoignent), on touche là à l'univers mental d'une autrice née en 1775 et morte en 1817, spectatrice du début des "transformations de l'intimité" mais pas de leur triomphe.

Orlando
7.5

Orlando (1928)

Sortie : 1948 (France). Roman

livre de Virginia Woolf

Venantius a mis 8/10.

Annotation :

Cette longue novella de Virginia Woolf déborde d'une imagination – fictionnelle et langagière – qui n'est pas sans évoquer Vladimir Nabokov. Le récit avance au pas de course à travers les époques, multipliant les vignettes, de Shakespeare à la ville moderne, et les points de vue, du grand seigneur élizabethain à la bergère turque. Assez classique dans les premières pages et plutôt abordable pour l'autrice, le style devient de plus en plus fantasque et fragmentaire vers la fin, dans une manière qui rappelle plus clairement les grands romans de V. Woolf. Au total, un volume à la fois assez unique pour lui même, et également singulier au sein de son œuvre.

La Métamorphose

La Métamorphose (1915)

suivi d'une étude de Vladimir Nabokov

Die Verwandlung

Sortie : 16 mai 1989 (France). Nouvelle, Fantastique

livre de Franz Kafka

Venantius a mis 8/10.

Annotation :

Petit livre mythique, dont la lecture n'est pas usée par la connaissance que tout un chacun peut avoir de son argument – à savoir la transformation d'un modeste employé en monstrueux insecte (qu'on est naturellement porté à visualiser comme un cafard, mais rien ne nous le confirme). Kafka transforme ce cauchemar en une porte ouverte vers un trouble que tous les efforts d'interprétation ne peuvent totalement résoudre, ou plutôt qu'ils peuvent seulement multiplier en reflétant les névroses particulières de ceux qui s'y efforcent. Pour ma part, je lis – peut-être trop au premier degré – dans cette métamorphose une exploration poignante et universelle des sentiments d'humiliation, de honte et de haine que peuvent créer les relations de dépendance.

Vice caché
7.3

Vice caché (2009)

Inherent Vice

Sortie : 2 octobre 2010 (France). Roman

livre de Thomas Pynchon

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

Amusant pastiche – tendant parfois vers la parodie – de roman noir, dans lequel "Doc" Sportello, détective hippie, déambule dans un Los Angeles psychédélique en voie de péremption (on songe très fortement à l'ambiance de The Long Goodbye d'Altman). Le dramatis personae, foisonnant, et la structure par épisodes, permettent à l'auteur de multiplier les notations ludiques ou décalées. Un très bon Pynchon pour débutants (ce que je suis, ayant seulement essayé sans succès Against the Day il y a quelques années)

Le Festin nu
7.1

Le Festin nu (1959)

Naked Lunch

Sortie : 1959 (France). Roman

livre de William S. Burroughs

Venantius a mis 8/10.

Annotation :

Très grand "roman" et roman très surprenant. D'une obscénité assumée (qui le reste même aujourd'hui, preuve que la civilisation moderne a atteint une forme de plafond en la matière au XXe siècle), parfaitement fragmentaire dans sa forme, *Naked Lunch* est aussi une expérience psychologique, qui fait voyager son lecteur dans l'univers distordu, sale et arbitraire de son narrateur héroïnomane et homosexuel. En explorant cet inframonde (cette Interzone), le lecteur curieux découvrira une créativité littéraire exceptionnelle, débordante, dans ses descriptions tératologiques comme dans le cynisme acide des dialogues et de la critique sociale. Si la littérature est un supplément de vie, une ouverture sur d'autres vies particulières que la nôtre, *Naked Lunch* doit évidemment figurer au programme de découverte du voyageur qui l'emprunte.

Berta Isla
7.7

Berta Isla

Sortie : 29 août 2019 (France). Roman

livre de Javier Marías

Venantius a mis 6/10.

Annotation :

Javier Marías pas déplaisant mais en-deçà de ses œuvres du tournant des années 1980-1990 (avec le triptyque Todas las almas, Corazón tan blanco et Mañana en la batalla piensa en mí). Sa veine post-2000 est plus classique et plus "facile" : tout en conservant des thèmes et obsessions constants (le mensonge, la trahison, la faible valeur du langage et des mots), son énergie semble se tourner davantage vers la narration et les histoires d'espion (v. aussi, en ce sens, sa trilogie Tu rostro mañana) qui n'étaient, dans ses premières œuvres, que des éléments de décor. Il en résulte, s'agissant plus spécialement de Berta Isla, un roman plutôt prenant, dont les personnages sont attachants, souvent habile dans ses notations, mais dans lequel on ne retrouve pas le mélange curieux de gravité, de légèreté et d'adresse littéraire qui faisait de Marías un interlocuteur des grands classiques.

L'Amant de Lady Chatterley
7.2

L'Amant de Lady Chatterley (1928)

(Traduction Frédéric Roger-Cornaz)

Lady Chatterley's Lover

Sortie : 1931 (France). Roman

livre de D. H. Lawrence

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

D'abord nimbé de scandale (la publication au Royaume-Uni de ce roman, en 1960, ayant été l'occasion d'un procès en obscénité qui rappelle au lecteur français ceux de Flaubert ou Baudelaire), Lady Chatterley's Lover s'est assagi pour devenir un classique. Il le mérite à certains titres. Le plus réussi est sans doute la représentation plus vraie que nature des relations perverses et arides qu'entretiennent Constance Chatterley, son mari et leur gouvernante. Les descriptions de la relation de Lady Chatterley et du garde-chasse, Mellors ("l'amant" éponyme) sont belles et n'ont, à vrai dire, pas grand-chose d'obscène ; par leur lyrisme, elles évoquent Belle du seigneur. Reste, néanmoins, un vrai désaccord de fond avec l'anthropologie primitiviste et anti-intellectuelle qui sous-tend le roman – et qui frise parfois le ridicule, comme dans la tirade incongrue de Mellors contre les lesbiennes. Quitte à partir du constat d'une faillite morale spécifique de la société contemporaine (que je ne suis pas sûr de suivre), je me trouve plus en accord avec la philosophie d'un Huxley (ami et contemporain de Lawrence, qui lui a inspiré un personnage de Point Counter-point)

La Décennie
6.9

La Décennie

Le grand cauchemar des années 1980

Sortie : janvier 2008 (France). Essai

livre de François Cusset

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

Une plongée critique dans les années 1980, servie par une très belle plume, devenue rare dans les sciences sociales (on songe, dans ce genre du pamphlet érudit et joueur, à Régis Debray, souvent cité, ou, quoique dans un genre moins profond, à Philippe Muray). La thèse – les années 1980 constituent une césure et un point bas dans l'histoire française contemporaine – conduit à une relecture parfois absolutiste des événements, comme toute thèse de rupture. Il en résulte à la fois une survalorisation des changements de la période étudiée (convaincante pour la politique, moins pour la société et l'économie) et une lecture assez homogène des acteurs et des événements de cette même période, présumés tous participer à un même "esprit 80" par-delà ce qui les oppose, et en dehors de quelques intellectuels sauvés de la débâcle par l'auteur. En dépit de ces réserves sur la méthode, on trouve, dans le détail, beaucoup d'observations assez fines (par exemple sur les formes nouvelles de l'anti-américanisme en lien avec la résurgence du républicanisme de combat) ou d'explorations réussies de la culture de l'époque (on peut citer, parmi d'autres, les développements sur la télévision).

Américanisation

Américanisation

Une histoire mondiale XVIIIe-XXIe siècles

Sortie : 16 septembre 2020 (France). Histoire

livre de Ludovic Tournes

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

Très intéressant par les thèses qu'il pose dans ses premières pages (la configuration culturelle américaine se distingue par la vocation universelle qu'elle s'est assignée ; les processus d'américanisation sont simultanément des processus de fabrication de la nation américaine et de diffusion à l'étranger ; l'américanisation du monde est en trompe-l'œil), *Américanisation* s'essouffle un peu par la suite, en enchaînant les études de cas qui appliquent successivement ces grilles de lecture à de multiples objets. Certaines de ces études sont très intéressantes (je pense notamment aux chapitres sur le cinéma, sur le jazz), d'autres plus superficielles (notamment en matière politique et diplomatique). Sur le fond, par ailleurs, certains partis de traitement, notamment lorsque l'auteur s'attaque à la période contemporain, convainquent moins – par exemple, le doute affiché sur la puissance du numérique comme nouveau moteur d'américanisation sonne un peu curieusement, alors que le monde numérique est par excellence celui de l'expansion économique et œcuménique (au sens de l'oikoumène) qui a caractérisé le XXe siècle américain.

Flash ou le grand voyage
7.7

Flash ou le grand voyage (1971)

Sortie : 1971 (France). Roman

livre de Charles Duchaussois

Venantius a mis 6/10.

Annotation :

*Flash...* est le récit de voyage d'un voyou à la petite semaine – vivant de vols et d'escroqueries diverses –, parti d'Istanbul pour arriver, par le Koweït et l'Inde, à Katmandou. Au cours de cette traversée, et surtout à vrai dire au Népal, il expérimente un cocktail de drogues variées, au point d'arriver au seuil de la mort, dont il n'est sauvé que par quelques mains secourables. Rien de très mémorable sur le plan du style ; mais les périphérities sont prenantes, parfois improbables (reste notamment à l'esprit le reportage photo sur les tours de la mort zoroastriennes). Le ton, surtout, est assez réussi : franc, sans moralisme ni esthétisation, assez extérieur au monde des "hippies" dont il n'a été qu'un compagnon de route (moins extérieur tout de meme que Paul Morand dans un fascinant passage de *Venises" où il en croise un groupe). Bref, ce n'est ni du Kerouac ni du Burroughs, mais une bonne lecture documentaire.

Ces corps vils
7.6

Ces corps vils (1930)

Vile Bodies

Sortie : 1947 (France). Roman

livre de Evelyn Waugh

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

Petit roman plein d'énergie, cousu de dialogues énergiques (et qui évite autant que possible narration et descriptions). Le Waugh de *Vile Bodies* évoque Morand à son meilleur, par son mélange de drôlerie acerbe, de vivacité et, par endroits, de profondeur. Ne fait qu'ajouter au plaisir la sympathie que l'on peut ressentir pour cette jeunesse dorée de la Belle Époque britannique, proche de nous à bien des égards – par son hédonisme, son ironie mais aussi son innocence guettée par la foudre de la guerre.

Charonne, 8 février 1962

Charonne, 8 février 1962

Sortie : février 2006 (France). Essai

livre de Alain Dewerpe

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

Exploration serrée de l'événement qu'a constitué (et que constitue toujours) la mort de huit manifestants à la station de métro Charonne, le 8 février 1962, à la suite d'une charge brutale de la police parisienne. Contrairement à ce qu'on pouvait imaginer, au regard notamment de la masse de l'ouvrage, le contexte historique plus général n'est pas ou peu rappelé, sauf sur quelques points. L'auteur se concentre sur la dissection factuelle de la manifestation, de ses suites – politiques, médiatiques, judiciaires – et de sa mémoire. L'enquête factuelle en elle-même, qui établit autant que possible un déroulé objectif de la manifestation et de sa répression (y compris en écartant définitivement la thèse, favorisée par le gouvernement, d'une provocation de l'OAS), est précieuse pour elle-même. Le recours à d'assez longues citations des témoignages est souvent probant : ainsi pour la multiplication des amnésies bureaucratiques (RATP, policiers engagés) où pour l'évolution du récit du préfet Papon. De nombreux passages sur la mémoire de "Charonne" le sont également : on peut notamment citer, à la fin de l'ouvrage, à l'analyse sur la concurrence des mémoires entre la répression des Algériens du 17 octobre 1961 et celle des manifestants parisiens du 8 février 1962. On peut ponctuellement ressentir une distance avec certaines affirmations (par exemple, pour citer un exemple, sur le nombre de policiers blessés le 8 février : le doute de principe jeté sur le chiffrage n'est pas totalement convaincant). Surtout, l'effort de typologies – qui vise à ordonner l'événement – gonfle parfois l'ouvrage sans apporter un apport analytique décisif. Mais, au total, ce fort tome reste un point de vue scientifiquement bienvenu sur un événement majeur de l'histoire contemporaine française (plusieurs centaines de milliers de personnes ont défilé pour les obsèques des victimes), et utile pour en pérenniser une autre forme de mémoire alors que la notoriété du "8-Février" s'émousse dans les jeunes générations (au-delà peut-être de la mention, anecdotique dans l'ouvrage mais sans doute importante dans la mémoire collective, d'une fameuse chanson de Renaud).

Les Nuits de la peste
7

Les Nuits de la peste

Veba Geceleri

Sortie : 10 mars 2022 (France). Roman

livre de Orhan Pamuk

Venantius a mis 6/10.

Annotation :

Ce premier Pamuk (pour moi – le dernier en date pour lui) est un ouvrage assez massif, dont les journaux nous apprenent qu'il a été amputé de 200 pages par l'auteur (sagement, à mon avis). La première moitié est assez languissante, malgré l'effort de documentation qui la sous-tend, du système des confréries musulmanes aux problèmes de calcul de l'heure, "alaturca" ou "alafranga". La seconde moitié pose plus clairement, et plus plaisamment, le véritable cœur de l'intrigue : non la minutie de la lutte contre l'épidémie, mais le destin de l'île imaginaire de Mingher, fragile microcosme ottoman, reconstitué dans ses moindres détails. Et on la lit avec beaucoup de plaisir, malgré l'accumulation de notations (parfois un peu répétitives : on sort du roman avec le sentiment que tous les personnages ont écrit des Mémoires) qui finit par créer une forme de viscosité du récit. Quant à la troisième partie, plus brève, qui rapporte la vie de deux des personnages principaux et de leurs descendants, c'est une surprenante échappée qui nous conduit jusqu'à la fin des années 2000, d'un pas soudain rapide. Au total, on ne peut qu'être ébahi par l'impressionnant travail romanesque, et noter la force de plume de Pamuk ; mais l'ouvrage est un peu long et a manqué d'un travail d'édition plus incisif.

Les Détectives sauvages
8.4

Les Détectives sauvages (1998)

Los detectives salvajes

Sortie : 2006 (France). Roman

livre de Roberto Bolaño

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

*Les Détectives sauvages* de Roberto Bolaño est copieux par son volume mais peut-être plus encore par son ambition narrative : présenter le parcours chaotique de deux poètes mexicains d'avant-garde à travers le regard de dizaines de témoins, dont la parole est "recueillie" à la première personne comme dans un documentaire. Loin de suivre à la trace ses protagonistes, la narration divague volontiers, en livrant de longues tranches de vie de personnages qui ne sont parfois connectés au tout que par un fil ténu. Mais, s'il y a beaucoup d'astuce dans ce gros roman, une grandeur picaresque et un goût réjouissant de la vie, dans tous ses détails et sa texture, je l'ai quitté avec la même impression d'ensemble que *2666* : celui d'un tour de force technique duquel ne se dégage en définitive ni de perspective d'ensemble, ni d'émotion qui m'aurait transporté au-delà de sa dernière page.

Loin de la foule dechaînée
7.6

Loin de la foule dechaînée (1874)

(traduction Thierry Gillyboeuf)

Far from the Madding Crowd

Sortie : 1874 (Royaume-Uni). Roman

livre de Thomas Hardy

Venantius a mis 6/10.

Annotation :

Thomas Hardy a les qualités de la littérature victorienne. Ses portraits de personnages et ses descriptions de la vie rurale sont très réussis ; et l'on comprend qu'il soit devenu l'écrivain d'un "Wessex" pastoral et idyllique. Les dialogues sont assez enlevés et souvent drôles et bien vus. L'intrigue de *Far from the Madding Crowd*, en revanche, est moins séduisante, notamment lorsqu'on dépasse les quelques premiers chapitres, sur la rencontre entre Gabriel Oak et Bathsheba Everdene, pour en arriver au cœur de l'histoire – celle du polygone amoureux formé par Bathsheba et trois hommes très différents. Les rebondissements sont souvent un peu improbables (la lettre de la Saint-Valentin envoyée à Boldwood sent son roman-feuilleton à plein nez) et les situations prévisibles (le personnage de "rake" qui séduit Bathsheba Everdene avant de boire son argent a été croisé dans mille romans du XIXe siècle : son signalement devrait être connu des personnages féminins !). Et l'on peine à trouver dans le roman l'avant-gardisme pour lequel il est connu, malgré les qualités du protagoniste féminin et quelques remarques piquantes.

Alias Caracalla : Mémoires, 1940-1943
8.3

Alias Caracalla : Mémoires, 1940-1943

Sortie : 2009 (France). Récit

livre de Daniel Cordier

Venantius a mis 8/10.

Annotation :

*Alias Caracalla*, curieusement, ne porte pas le nom de guerre de son auteur : ce pseudonyme lui a été prêté dans le récit d'un autre résistant, tandis qu'il avait lui-même choisi, à son arrivée en zone libre, le nom plus passe-partout d'"Alain". Ce jeu de miroirs semble annoncer d'emblée l'essentiel : *Alias Caracalla* est le récit d'une "drôle de Résistance", qui évoque le roman d'espionnage (mais un roman d'espionnage où l'on est fort imprudent – davantage Javier Marias que John Le Carré). Conçu comme un document historique (les notes de bas de page comparent la datation de tel événement avec d'autres mémoires, ou indiquent la manière dont elle a été reconstituée), *Alias Caracalla* remplit difficilement cet office pour le lecteur profane : les noms et les indications techniques sont égrénés sans mise en contexte, ce qui rend souvent difficile de s'y retrouver, et l'on peut parfois trouver la lecture un peu ingrate, voire répétitive. Mais, chemin faisant, *Alias Caracalla* révèle sa véritable portée : celle d'un "roman vrai" d'apprentissage, de la transformation d'un enfant en homme. Parti à Londres sur un pur coup de folie, comme un authentique personnage de Romain Gary, Cordier, à l'école de l'admiration (celle de De Gaulle, et surtout celle de Jean Moulin alias Rex ou Max), y apprend la complexité du monde. Parti à Londres guidé par les idées de Maurras (sinon par leur auteur qui a trahies), il les abandonne progressivement ; parti faire la guerre, porté sur les ailes du lyrisme, il se retrouve mêlé aux luttes intestines entre les mouvements de résistance, chargé de "faire le courrier" et de résister aux "chefs", déjà occupés à passer des traites sur l'avenir politique de la France d'après-guerre. Malgré l'austérité du récit des mémoires, au jour le jour, on se trouve graduellement séduit par la pureté et la sincérité de son narrateur. Par-delà la mort, qui l'a emporté à 100 ans en 2020, Daniel Cordier y est figé en éternel jeune homme.

Asie Centrale (300-850)

Asie Centrale (300-850)

Des routes et des royaumes

Sortie : 2 février 2024 (France). Essai, Histoire

livre

Venantius a mis 9/10.

Annotation :

Étienne de la Vaissière livre une somme impressionnante sur l'Asie centrale. Son premier mérite est son exceptionnelle pédagogie, qui ouvre au lecteur une zone difficile d'accès. Là où l'histoire contemporaine ou européenne offre des repères immédiatement accessibles, ils se raréfient doublement dans cet espace éloigné dans l'espace et dans le temps. La Sogdiane ou la Bactriane sont identifiables, de même que les grandes caractéristiques géophysiques de la zone (mers, bassins, montagnes) ; mais le Tchâtch, le Semirech'e, Koutcha, Khotan, Kroraina et autres Rob sont des inconnus en Occident. Tout cela pourrait vite devenir une soupe de lettres inintelligible, si La Vaissière n'avait pas doté son livre de nombreuses cartes, dont l'apport est redoublé par des descriptions évocatrices. Les bases de la compréhension étant posées, le reste du livre est passionnant. On y découvre d'abord un univers quasi-archipelagique, dans lequel des oasis parsèment un espace cloisonné par les déserts, les montagnes et les steppes arides. Le rythme de la nature s'y surimpose avec celui des populations. Dans ce cadre naturel, la période d'étude est marquée par des évolutions politiques d'une grande complexité, qui met en contact plusieurs formations impériales, sédentaires et nomades, orientales et occidentales. L'un de ses grands événements est la formation du "qaghanat" Türk, qui porte pour la première fois à une échelle eurasienne un empire nomade. Mais le retour ultérieur de la Chine des Tang dans le bassin du Tarim (début VIIe - fin du VIIIe s.) jusqu'à la rébellion d'An Lushan et la conquête islamique de la Sogdiane et de la Bactriane, puis la rébellion des Abbassides (partie du Khorassan), vont marquer un véritable tournant dans le destin de la zone centrasiatique. Sa partie ouest va s'arrimer dans l'aire iranienne, tandis que sa partie est, provincialisée, va graviter entre les Ouïghours et l'empire tibétain. Cette évolution politique sonne aussi le glas de la route de la Soie. Déjà concurrencée par la voie maritime, plus efficace, elle disparaît au IXe s. Cette "grande histoire" est construite par une étude serrée des sources, qui livre au lecteur des vignettes passionnantes sur des sujets aussi variés que l'administration des terres sous les Tang, la circulation des motifs religieux entre steppe et zoroastrisme, les mythes d'origine lupine chez les Ashinas (famille régnante de l'empire Turc)...

L'Astragale
7.1

L'Astragale (1965)

Sortie : 1965 (France). Récit

livre de Albertine Sarrazin

Venantius a mis 6/10.

Annotation :

*L'Astragale* est un petit livre fort bien écrit, d'un lyrisme claudiquant (comme sa protagoniste), qui allie un ton un peu loubard à la précision des termes, et à l'audace des images. En dépit de cette prestation littéraire impeccable, il m'a manqué quelque chose qui rende le roman plus mémorable. Peut-être manque-t-il un sujet mieux défini ou plus clair à cette tranche de vie, encore très marquée dans sa narration par ses origines autobiographiques.

La Chouette aveugle
7.9

La Chouette aveugle (1936)

Sortie : août 1989 (France). Roman

livre de Sadegh Hedayat

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

Luxueusement réédité en 2024 par les Belles Lettres, *La Chouette aveugle* est un "roman d'écrivains", d'abord popularisé par André Breton. Et c'est en effet un objet curieux, qui navigue entre les traditions littéraires. Son goût pour les anecdotes nimbées de fantastique et les tourments de l'âme le rattache au romantisme allemand et au roman gothique anglais - un des grands mérites de la nouvelle édition est de restituer les nombreux emprunts à ces traditions littéraires. Dans le même temps, l'empreinte persane est indéniable, et apporte une autre dimension d'étrangeté qui redouble la première. Enfin, il y a dans *La Chouette aveugle* (dont le traducteur nous apprend que le titre persan utilise un substantif plus désuet ou recherché) quelque chose d'autre, qui tend sur le XXe siècle et ses gouffres : un regard cru et désespéré sur la chair, les recoins sombres de la psyché, qui peut évoquer Kafka ou Gombrowicz. Tout cela mérite indéniablement la découverte, même si ce curieux patchwork d'éléments très variés peut par moments déboussoler.

Le livre de mes rêves
8

Le livre de mes rêves

Sortie : octobre 2007 (France). Beau livre & artbook

livre de Federico Fellini

La Nouvelle Interprétation des rêves
6.4

La Nouvelle Interprétation des rêves

Sortie : 13 janvier 2011 (France). Essai

livre de Tobie Nathan

Venantius a mis 6/10.

Annotation :

Ce petit livre ne donne pas tant une théorie générale de l'interprétation des rêves, que semble annoncer son titre, mais quelques éléments à leur sujet. Certains ne sont pas dénués d'intérêt : cas tirés de la pratique médicale, notamment ethnopsychiatrique ; idées marquantes tirées des savoirs traditionnels sur le rêve, et notamment du Talmud ; quelques faits stylisés sur l'histoire de l'interprétation des rêves, qui permettent notamment de relier Freud à Artémidore. On ne peut qu'être séduit par les idées (très jungiennes) selon lesquelles (1) le rêve n'existe que par son interprétation et (2) l'interprétation du rêve doit aboutir à une prédiction, plutôt qu'à un constat, ce qui implique de bien choisir son interprète. Mais le tout manque un peu de profondeur et de systématisme, faute de dépasser le stade du propos de salon.

Narcisse et Goldmund
8

Narcisse et Goldmund (1930)

Narziß und Goldmund

Sortie : 1948 (France). Roman

livre de Hermann Hesse

Venantius a mis 8/10.

Annotation :

Hermann Hesse est un auteur reconnaissable entre mille. Sa plume enjambe le XIXe siècle pour unir le romantisme allemand (on pense parfois, en le lisant, à Novalis) et une postérité inattendue comme auteur culte de la contre-culture ; elle rassemble un je-ne-sais-quoi d'un peu daté et une vivacité toute contemporaine. *Narcisse et Goldmund*, qui n'est pas son œuvre la plus connue, en donne une nouvelle illustration. Ce roman allégorique suit principalement Goldmund, novice devenu vagabond dans un Saint-Empire stylisé. Il y est subtilement opposé (sans forcer le trait) à Narcisse, brillant jeune moine, cérébral et guidé par le devoir et l'ambition. Pas beaucoup de surprises dans ce roman, mais les belles couleurs d'une enluminure, qui prennent avec le bénéfice du recul des allures psychédéliques. On est marqué, en particulier, par de belles descriptions de l'éveil sensuel du jeune Goldmund, alors qu'il commence seulement à écumer les forêts et à dormir sur des lits de mousse.

Le Bouddhisme

Le Bouddhisme

Sortie : 14 septembre 2006 (France). Essai

livre de Peter Harvey

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

*Le Bouddhisme* balaie de manière méthodique les enseignements fondamentaux du bouddhisme, ses différents courants et écoles, les formes de sa pratique et de sa dévotion, et sa mondialisation moderne. L'exposé synthétique des enseignements du Bouddha, répertoriés dans les sūtra (ou sutta) du canon pāli, est particulièrement éclairant et fascinant – même s'il faut éviter le contresens consistant à séparer la philosophie du fond mystique. Les différences entre écoles bouddhistes, exposées dans la deuxième partie, sont plus difficiles à saisir, comme le seraient les débats subtils entre monophysites et chalcédoniens pour un lecteur venu d'une autre tradition religieuse que le christianisme. Mais on finit par tirer une impression générale des grandes différences entre le bouddhisme Therāvada, le plus "primitiviste", et les bouddhismes du Mahāyāna, chacun imprégné d'héritages culturels asiatiques. La série de chapitres sur les pratiques et institutions du bouddhisme est également instructive, tant sur le plan de la comparaison religieuse (notamment entre le Sangha et le monachisme chrétien) que du déchiffrement de certaines formes culturelles connues en Occident sous une forme très vulgarisée (méditation, koans, mandalas...). Au total, même s'il aurait sans doute été possible de concevoir un ouvrage plus pédagogique, *Le Bouddhisme* est une bonne introduction générale à une des grandes traditions religieuses du monde.

La Volonté de savoir
7.9

La Volonté de savoir (1976)

Histoire de la sexualité, tome 1

Sortie : 1976 (France). Essai, Histoire

livre de Michel Foucault

Venantius a mis 7/10.

Annotation :

*La Volonté de savoir* à été publié en 1976, six ans après que Foucault a dispensé au Collège de France un cours du même nom, son premier. La thèse centrale en est la suivante : l'idée d'une répression de la sexualité par le pouvoir ne tient pas ; bien au contraire, le pouvoir en Occident fait corps avec un dispositif de sexualité, dont une technique clé est l'aveu. La psychanalyse devient non plus la rupture annoncée par Freud, mais la pointe avancée d'une grande entreprise de révélation et de systématisation du sexe. Quelques références soigneusement choisies (*Les Bijoux indiscrets* de Diderot, la confession chrétienne...) donnent à cette thèse une grande puissance suggestive, servie par une belle plume. Mais si *La Volonté de savoir* est un livre fascinant et souvent pénétrant par ses intuitions, par ses concepts et ses retournements de la doxa (qui l'est d'ailleurs resté 50 ans plus tard), il est aussi frustrant par une certaine légèreté scientifique et par la tendance à substituer l'affirmation à la démonstration.

Absalon, Absalon !
8.1

Absalon, Absalon ! (1936)

Absalom, Absalom!

Sortie : 1953 (France). Roman

livre de William Faulkner

Venantius a mis 6/10.

Annotation :

La bonne volonté culturelle de tout lecteur ou spectateur a des limites, et William Faulkner est un excellent auteur pour les tester. Sa prose touffue et sa syntaxe proliférante donnent à *Absalom, Absalom* l'air d'un roman-jungle que l'on traverse à coups de machette. Le temps y est parfois dilaté à l'extrême, dans des phrases interminables ponctuées d'incises non moins ambitieuses, dans un anglais recherché. Cette difficulté – première à mon sens – est multipliée par la complexité narrative du roman (intéressante en soi), qui multiplie les points de vue pour restituer, sans ordre chronologique, une histoire sur laquelle pèsent toujours des zones d'ombre (on ne peut que saluer le tour de force consistant à les faire remplir, de manière seulement spéculative, par les deux principaux énonciateurs du récit). Il y a, dans tout cela, beaucoup à admirer dans le détail ; et la force évocatrice de l'œuvre, qui relie la chute du Sud esclavagiste et la destruction de l'œuvre d'un homme, est remarquable. Lorsque le récit s'accélère, notamment pour raconter le début de la vie de Thomas Sutpen, le plaisir de lecture est même vif et immédiat. Mais, l'un dans l'autre, je ne sais pas si ces quelques délices capiteux ont valu, pour moi, la peine que j'ai eue à traverser les taillis de l'œuvre...

Portnoy et son complexe
7.2

Portnoy et son complexe (1969)

Portnoy's Complaint

Sortie : 21 mai 1970 (France). Roman

livre de Philip Roth

Venantius a mis 8/10.

Annotation :

*Portnoy's Complaint* est un livre très drôle. on se surprend souvent à rire à haute voix en le parcourant. Le portrait de la famille du protagoniste, Alex Portnoy, et de son enfance, est particulièrement réussi de ce point de vue – alors même que l'on a lu cent récits d'enfance de Juifs New Yorkais parsemés de mots yiddish, la verve de Philip Roth permet de rendre le sien toujours frais, 50 ans après sa publication. Les longs passages sur les élans masturbatoires du protagonistes, sans être les meilleurs, sont sauvés de la pure vulgarité par des éclats de drôlerie. La deuxième moitié du roman, consacrée aux aventures amoureuses et sexuelles de Portnoy, a moins de puissance comique, ainsi qu'une construction moins entraînante ; et la force de la relation qu'il décrit avec "The Monkey", qui donne au roman ses passages les plus touchants, est un peu atténuée par une fin moins convaincante (et, pour tout dire, gênante).

Venantius

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