On the row
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35 livres
créée il y a 11 mois · modifiée il y a 22 joursUne histoire du Milieu
Ggrand banditisme et haute pègre en France de 1850 à nos jours
Sortie : 2003 (France).
livre de Jérôme Pierrat
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
La tentative de faire une histoire unifiée et synoptique de la Pègre française est une gageure qui fonctionne assez bien dans la première partie du livre, traitant de la naissance du banditisme dans la France de la fin du XIXe jusqu’à la Première Guerre mondiale : origines et filiations dessinent un portrait original et vivant des milieux interlopes de Paris à Marseille, d’Alger à Buenos Aires. Mais passé ce premier temps, les bifurcations deviennent un peu trop différenciées pour que le postulat de départ puisse tenir : les deux poles que sont Paris et Marseille marquent à chaque décennie leurs idiosyncrasies, et les quelques tentatives pour ajouter la situation à Lyon, en Corse ou à Bordeaux ne font que rendre toujours plus opaque et inopérante une vision d’ensemble : plus de synthèse possible, mais une mosaïque de cas particuliers qui noient un peu l’intéret du lecteur (même si le travail d’investigation reste louable de bout en bout).
"Vous êtes l'amour malheureux du Führer" (2024)
Sortie : 28 août 2024. Roman
livre de Jean-Noël Orengo
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Yep, je sais avec un titre pareil, c’était pas gagné. C’est peut être justement pour jouer la carte de la bonne suprise que Orengo à fait un tel choix. Et Grasset de lui emboiter le pas avec une couverture comme peu auraient osé en 2024. Bref, toutes les bonnes raisons de ne pas ouvrir le livre (sur Hitler et sa garde rapprochée ? Encore?) et pourtant c’eut été dommage. Ca commence un peu comme un Eric Vuillard – frontières troubles entre fiction et document, précision du regard, dextérité de la plume – et puis assez vite le livre trouve ses ancrages personnels, son ton, son originalité. Car bien sûr au centre du livre il y a la figure hors norme de Speer, personnage pivot de IIIe Reich qui pourtant parviendra à échapper à la peine capitale et sortira après vingt ans de prison pratiquement blanchi aux yeux de ses contemporains, mais au lieu de s’enferrer dans les questionenements un peu convenus, l’auteur parvient à donner un relief bluffant à son texte en préférant multiplier les angles d’attaque, oser les digressions, empiler les couches et les paradoxes quitte à ne même pas chercher particulièrement des réponses et des conclusions qui eussent étées par définition trop simplistes.
Graine de courge
Sortie : septembre 2000 (France). Roman
livre de Philippe Carrèse
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Polar dans la famille portnawak et déconnade, c’est une bulle de savon, mais pour de vrai ça marche pas mal notemment grâce aux dialogues savoureux ciselés avec art.
« L’éclairage des néons verdâtres, les taches d’urine, les tags bâclés, les tessons de bouteille et la frêle silhouette vacillante de la petite junkie n’apportent pas la touche de gaieté nécessaire à ce tableau déjà sinistre. Un éclair de fin du monde fait trembler tout le quartier de la Plaine. En écho, les cinq vieux punks entonnent en choeur :
— Fatcheu de con !
À Marseille, même les Iroquois parlent aïoli. »
Tourment (2021)
Harrow
Sortie : 2023 (France). Roman
livre de Joy Williams
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
C’est comme si Joy Williams, voyant tous ses confrères foncer tête baisser dans les récits post-apo ou pré-apo s’était dit, après vingt ans sans rien publier, allez chiche, moi aussi. Le côté sympa, c’est que ça lui laisse une grande liberté pour orchestrer des rencontres et faire voyager en apesanteur sa jeune héroïne, partie à la recherche de sa mère fantasque. Mais le côté plus problématique, c’est qu’à force de liberté, l’autrice semble oublier un peu les enjeux et les ressorts de ce qui tend au fil des pages, à ne devenir qu’une toile de fond un peu anecdotique, pretexte à beaucoup de conversations et très peu de situations.
Cabane (2024)
Sortie : 21 août 2024. Roman
livre de Abel Quentin
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Sur les 250 premières pages, le livre est tellement brillammant mené qu’on se demanderait presque, si on avait le temps de penser entre deux chapitres si vite enchainés, pourquoi Quentin se donne la peine de romancer l’histoire du rapport Meadows (autrement dit The Limits to growth). Coqueterie d’auteur, prudence judiciaire ? Et puis quand le récit repart sur de toutes nouvelles bases, avec justement l’arrivée d’un narrateur journaliste, on comprend qu’à l’iverse des « Derniers jours du parti socialiste » le jeu entre fiction et réalité est ici mis en scène, réfléchi, et sert de pivot à la reflexion centrale de cette histoire qui se déroule sur cinquante ans : rater un embranchement est généralement une prérogative de personnage (qu’il soit réel ou fictionnel, dans le fond ça reste une anecdote) mais qu’arrive-t-il quand c’est une planète entière qui fait le mauvais choix ? Répondre à cette question par un roman plutôt que par une enquête, c’est en quelque sorte rendre à la tragédie sa dimension quasiment comique, en tout cas dérisoire et absurde. Ou dit autrement : seul les fous pensent pouvoir déménager une armoire en étant dedans...
La Saga Guérini
Récit
livre de Marie-Christine Guérini
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
D’un point de vue purement factuel et historiographique, c’est sûr que la position de fille et nièce des principaux intéressés n’est pas la meilleure pour offrir au lecteur un récit disons… neutre et objectif. Marie-Christine a une vision de la pègre marseillaise très édulcorée, en tout cas lorsqu’il s’agit des agissement de sa famille, une des plus redoutables des années 40/70. A l’en croire, son oncle Antoine faisait juste qules affaires louches, quant à son père Mémé, il était une sorte de médiateur entre tous les Corses de Marseille, qui avaient le sang chaud mais qu’il savait canaliser grâce à quelques conseils bien placés. Ça pourrait porter à rire, n’était l’extrême fragilité qu’on ressent dans cette voix fracassée qui se raconte sans fard : et peu à peu le document devient éminnement romanesque, portrait involontaire, presque par effraction, d’une jeune fille condamnée à tomber dans le monde de la nuit, et partant dans les agissements illégaux, la drogue, les chantages, la peur permanente. Histoire d’une noirceur implacable d’où ressort une pure figure du Mal, Lily, sa mère, sorte d’araignée d’une cruauté et d’une froideur effrayantes qui parvient toujours à faire replonger sa fille au fond du gouffre comme dansun thriller digne d’Abel Ferrara.
Les Derniers Jours du parti socialiste (2024)
Sortie : 19 août 2024 (France). Roman
livre de Aurélien Bellanger
Chaiev a mis 5/10.
Annotation :
Bellanger me fait un peu l’impression d’être un skieur théorique, qui étudierait de loin les caractéristiques d’une horrible piste noire mais oublierait au moment de se lancer qu’il n’a plus de ligaments croisés à son genou gauche : bam la gamelle sensationnelle. Hmm, je ne sais pas trop ce que vaut ma métaphore, mais aussi après 500 pages d’une floutitude absolue (groosse journée de brouillard sur la station ce jour là) il y a de quoi manquer à son tour d’acuité. C’est fascinant ça d’ailleurs : plus le style de monsieur AB se veut acéré, et plus son fond, si brouillonnement touillé, est vaseux. On ne sait plus trop quoi penser en refermant ce pensum : le propos (la dérive d’une frange de la gauche française, enfin la gauche, disons d’une frange du parti socialiste, ce qui n’est plus trop la même chose depuis bien avant les analyses délicieuses de Terra Nova et les poétiques visées du Printemps républicain) est-il passionnant, déprimant, ou stérile ? Si j’en reviens à mes stems du début, le gros problème à mes yeux c’est que Bellanger se voudrait un moderne Balzac, mais qu’il n’a pour cela aucune technique valable à disposition dans sa petite sacoche d’écrivain. Faire de cette page déplorable de l’histoire politique française un récit serré et journalistique, ça passerait peut-être. Mais on ne peut pas se lancer dans une comédie humaine du XXIe avec un sens aussi réduit du romanesque ! Il n’y a dans tout ce magma répétitif aucune scène vivante, aucune intrigue en train de se développer sous nos yeux, aucun souffle, aucune subtilité. Juste des analyses amusantes mais mal étayées et des personnages qui ne sont que de ridicules marionnettes sans épaisseur et de sinistres minables qu’on était bien contents d’avoir soit perdu de vue, soit jamais connu ! On dirait en fait un « Profil d’une oeuvre » (très boursoufflé du coup) tentant de synthétiser une saga épique avec la précision d’un gasteropodologiste myope soudain sous le coup d’un terrible hoquet.
Le Goût de l'immortalité (2005)
Sortie : septembre 2005. Roman, Science-fiction
livre de Catherine Dufour
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Non seulement Dufour a beaucoup de cordes à son arc (imagination fertile, style délicieusement vénéneux, élégant pessimisme, goût des constructions narratives élaborées) mais de sucroit elle ne craint pas de retourner l’arme régulièrement pour en jouer comme d’une lyre, savamment désaccordée. C’est sûr qu’il pourrait y avoir quelque forfanterie à annoncer qu’on se voudrait une Yourcenar de la science fiction, mais en l’occurrence, Marguerite au fusil ou pas, c’est vrai que le mélange marche bien. Le futurisme est traité comme un motif de fond pour faire ressortir les silhouettes, en vue d’obtenir une sorte de décadentisme inversé, où cen’est pas le passé qu’on observe disparaître mais bien l’avenir qui fond et dégouline, et n’en finit pas d’apocalypser : Huysmans chez K. Dick, ou Baudelaire chez Volodine, en quelque sorte.
« Créer une histoire, c’est opposer des atmosphères. Raison pour laquelle j’ai incrusté d’immenses ruines nigérianes ou écossaises au cœur de lagons polynésiens, avec le succès que vous savez. On ne s’en lasse jamais : ces éléments hétérogènes produisent du rêve par simple friction. »
Marseille, une biographie (2013)
Sortie : 13 mars 2013. Récit
livre de François Thomazeau
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Pour éviter de se lancer dans une énième histoire de Marseille qui déroulerait dans l’ordre les éternelles anecdotes sur les colons grecs, les guildes de marchands du Moyen Age, les comtes de Provence, le coup de force de Louis XIV, la Peste, les fédérés entonnant la Marseillaise, le boom du XIXe et les bandits des années 30, Thomazeau prend des chemins de traverse d’ordre narratif : il construit son bouquin par décalages et sursauts, comme une enquête à la saveur très particulière, une plongée à la première personne dans les non-dits et les zones d’ombres d’une ville vénéneuse et envoutante. Il ne s’agit pas tant d’un tableau générique que d’une radiographie de ce qui attire et repousse Thomazeau, qui trouve le ton juste pour se transformer en traqueur d’âme citadine.
« Parce que Marseille, finalement, te permet de ne pas choisir entre ton passé et ton présent, entre la France et l’outre-mer. Parce que tu peux à tout moment sauter dans un bateau et repartir. Au pays de tes ancêtres ou plus loin encore, pour une nouvelle vie, une nouvelle identité. En tout cas, c’est l’impression que donne la ville. Qu’on ne fait qu’y passer, qu’elle n’est jamais finie, toujours en mouvement, en chantier, elle-même en transit. En vérité, Marseille est déjà un bateau ! »
L'Imposture (2023)
The Fraud
Sortie : 16 mai 2024 (France). Roman
livre de Zadie Smith
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
L’Imposture du titre (un peu plus péjorative encore en anglais : the Fraud) est celle dont on accuse Sir Tichborne, qui clame être de retour 14 ans après un naufrage, là où d’autres l’accuse de n’être qu’Artur Orton, boucher parti tenter l’aventure en Australie. Procès réel qui passionna le Royaume-Uni dans les années 1860, et qui va servir à Zadie Smith de toile de fond pour tricoter sa propre imposture : celle qui consiste à écrire un vrai faux roman historique aujourd’hui, puisque pour redoubler les faux-semblants, elle choisit comme personnage une certaine Mrs Touchet, cousine, et amante, d’un certain William Ainsworth, qui a lui aussi réellement existé, et qui fut lui aussi un auteur de romans historiques aujourd’hui totalement oublié. Dans les thèmes donc, tout est fait pour accentuer le côté pastiche de l’oeuvre, et dans le style choisi également. Mais pour corser néanmoins un peu le jeu, l’autrice se permet un unique anachronisme romanesque : celui de raconter son histoire dans le désordre le plus total, comme pour bien souligner que le présent est la chose la moins temporelle du monde.
« Ils ignoraient tout ce qu’il avait vu, où il avait vécu. Mais peut-être, se dit Mrs Touchet, est-ce toujours le cas. Nous nous méprenons tous les uns sur les autres. L’ordre social n’est qu’un ensemble d’erreurs et de compromis. La concentration d’un mystère si grand qu’on ne parvient jamais à l’appréhender. « S’ils savaient ce que je sais, ils ressentiraient ce que je ressens ! » Pourtant, même après avoir vu derrière le voile qui sépare les gens, qu’il est difficile de garder en tête la vie des autres ! Car tout s’y oppose. À commencer par la vie. »
Le Sang de nos ennemis (2023)
Sortie : 8 février 2023. Roman, Policier
livre de Gérard Lecas
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Lecas parvient plutôt pas mal à enchevêtrer son intrigue policière et la période troublée qu’il a choisie comme écrin : 1962, la fin de la guerre d’Algérie et les remous afférents notamment à Marseille. Les deux flics qui se partagent l’enquête ne peuvent pas être plus opposés : l’un est le fils d’un résistant communiste l’autre un barbouze membre du SAC, autant d’occasion d’aller un peu scruter là où l’histoire politico-policière de l’hexagone grince aux entournures. Le grand mérite de l’auteur, outre une savante connaissance de la période, étant de savoir traiter son sujet sans fioritures inutiles ou psychologie simpliste et déplacée (l’inverse d’Izzo, en somme). A l'os, efficace et instructif, c'est déjà pas mal.
Aliène (2024)
Sortie : 5 janvier 2024. Roman
livre de Phœbe Hadjimarkos Clarke
Chaiev a mis 5/10.
Annotation :
Y’a un petit coté œuf mollet : trop mou pour être un œuf dur mais trop dur pour être un œuf coque. Et c’est pour ça qu’en ce qui me concerne j’aime pas trop les œufs mollets (alors que les œufs pochés, qu’on ne peut réussir qu’avec un sacré coup de main, alors là oui, mais ne nous éloignons pas plus, restons concentrés).
Ici, c’est pas tant mou ou dur le problème, qu’original ou poncif. Tellement de tics narratifs et de lieux communs (les clones, la campagne violente, les hallucinations qui n’en sont peut être pas à moins que si mais non, la nympho de service, le pédé de service, la déshumanisation du monde moderne, la brume le matin c'est joli mais ça fout les boules un peu quand même, les violences policières, la drogue, le sexe, le rock’n roll, ah non le rock ‘n roll non) tellement donc, qu’on se désespère à toutes les pages d’avoir à se coltiner ça, mais d’un autre côté l’ambiance, quelques phrases, quelques traits chopés ici ou là font qu’on tient quand même. J’ai tenu, mais c’était long et d’une longueur franchement inutile (y’a des longueurs utiles, mais là pas). Je sais pas, par mini éclairs je me disais « tiens, est-ce qu’elle loucherait pas un peu du coté de Gombrowicz ? », ce qui serait une bonne chose, quitte à se prendre des modèles inatteignables, autant en choisir des chouettes. Mais en fait non, à l’arrivée on dirait plutôt du Houellebecq pimpé. Bref, si vous hésitez, perso je vous conseil un petit combo Le Grand Jeu (Minard) / Le Chasseur (Vuillard) / Défaite des maîtres et possesseurs (Message), des oeufs brouillés, et au lit.
Quartier réservé (1932)
Sortie : 1932 (France). Roman
livre de Pierre Mac Orlan
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
« A toutes les époques qui suivent une grande guerre, l'idée du sang répandu impose ainsi des réactions imprévisibles. Ce sont elles qui deviennent les éléments essentiels du romantisme, qu'on peut appeler avec plus de clarté : le fantastique social.
Ce fantastique revêt, suivant les époques, des aspects différents, mais l'inquiétude populaire est toutefois la même. Les applications pratiques de la science ne font que renforcer ces images fantastiques en y mêlant un mystère nouveau. Plus la lumière est éclatante, plus l'ombre est épaisse ; c'est toujours dans l'ombre que l'humanité aime à rechercher ses angoisses ; c'est l'ombre des villes les mieux éclairées qui nourrit peut-être les plus étranges larves... »
Ces quelques lignes écrites par Mac Orlan en 1932 dans « Filles d'amour et ports d'Europe » correspondent assez parfaitement à l’étrange petit roman qu’il a concocté l’année précédente, lambeau d’histoire nocturne et hivernale lové au coeur du quartier des plaisirs d’un grand port méridional (probablement Marseille, que l’auteur affectionnait mais qu’il se plait à distordre et camoufler sous la neige et la mélancolie). Appairer deux termes aussi mal coordonnés que social et fantastique pourrait n’être qu’une boutade ou une provocation, mais Mac Orlan en précisant qu’il ne s’agit là que d’un nouveau masque du romantisme parvient à dépasser la posture, et ses textes creusent le sillon. Romantisme de la racaille, roman social à rebours et fantastique dans les tournures plus que dans les faits : les non-aventures de son non-héros ne valent que pour les marges, quasi kafkaiennes, qu’elles laissent entrevoir.
Épitaphe pour une garce (1959)
Epitaph for a Tramp
Sortie : 23 août 1972 (France). Roman
livre de David Markson
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Premiers pas du (relativement) jeune Markson, on est loin encore du coup de maitre que représentera 30 ans après son chef d’oeuvre Wittgenstein's Mistress. Alors oui, on peut toujours se dire que le romancier se fait les dents ou qu’il avait besoin de mettre du beurre dans ses épinards, qu’il se cherche ou qu’il s’en fout, mais bon à l’arrivée c’est un polar un peu bâclé, un peu marrant, une sorte d’hommage vingt ans après à la Carmen Sternwood du Grand Sommeil et à Chandler par la même occasion (mort l’année même où Markson écrit son roman).
A noter que le hard-boiled Harry Fannin sera le héros d’une trilogie, mais que Duhamel qui sortira le premier volet en 1972 dans sa Série Noire– il aura mis le temps ! - n’ira pas plus loin dans la traduction de ses aventures.
Le baron Wenckheim est de retour (2016)
Báró Wenckheim hazatér
Sortie : avril 2023 (France). Roman
livre de László Krasznahorkai
Chaiev a mis 10/10.
Annotation :
L’agencement inventé par Krazsnahorkai m’a paru tout bonnement époustouflant. Ça m’a pris à la première ligne, et ça ne m’a pas lâché. Et en essayant de comprendre un tout petit peu (pas trop non plus, en de telles choses garder intacts quelques pans du mystère a du bon) pourquoi la forme du livre me bouleversait tant, j’ai réalisé qu’en fait ce diable de László parvenait à transformer une forme en matière (et j’imagine que cela marche dans l’autre sens aussi : c’est en faisant totalement corps avec la matière de son livre qu’il en a tiré sa forme si particulière). Cette fusion rend le texte incandescent, et sa lecture devient quasiment transcendantale : on est tellement happé par les remous de la narration, qui se paie le luxe de jouer dans tous les sens du temps et de se moquer tout autant de la cohérence spatiale (on est en permanence partout et tout le temps, passant de perception en perception au gré des dizaines de personnages qui se partagent la voix narrative), tellement happé donc qu’on en oublie bien vite le côté construit de la chose. Enfin non, on ne peut pas l’oublier totalement, juste on finit par se dire qu’il s’agit là de la seule façon dont cette histoire pouvait se raconter. Une sorte d’effet « Ulysse de Joyce » en quelque sorte, un dépassement du style par le style pour la plus noble des conséquences en littérature : reproduire les effets du réel avec les outils les plus ouvertement artificiels qui soient.
Allez, sérieux, un petit Nobel pour Krazna, ça ne serait pas du luxe.
Les Heures marseillaises (1878)
Sortie : 1878 (France). Récit
livre de Horace Bertin
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Bien avant Albert Londres ou André Suares, Bertin tente une physiologie de Marseille façon mosaïque. C’est que le bouillonnement et les contrastes forts ne sont évidemment pas l’apanage des années 20 du XXe siècle : nous sommes en 1876 et déjà la cité phocéenne ne peut se raconter que par un kaleidoscope d’images, de sons, d’odeurs, des plus suaves aux plus fortes, des plus subtiles aux plus primaires. L’auteur ne manque pas de verve, et choisit de construire son petit voyage en 24 stations, une par heure, de façon à croiser tous les publics, dans tous les décors, à tour de rôle, afin de tracer un portrait amoureux et amusé de sa ville natale, tellement entière et toujours diffractée.
« L’amateur de melon est d’abord difficile, exigeant, ne se laisse pas prendre aux discours du paysan ou de la marchande. Ce n’est qu’après avoir passé en revue plusieurs melon, les avoir soupesés, tournés, retournés, qu’il se décide à faire son choix. Il s’en va radieux avec son melon sous le bras, content de son flair et en homme enfin pour lequel le melon n’a plus de secrets. Arrivé chez lui, il vante son acquisition, affirme que le melon sera bon, exquis, que sa chair est fine, sucrée, raconte que le marchand a eu un visage étonné et n’a pu s’empêcher de le prendre pour un connaisseur. Le melon ouvert, on constate qu’il tient de la courge. Notre amateur pâlit, crie, jure, essaye d’expliquer son erreur. Mais il recommence le lendemain... »
L'Homme qui s'est retrouvé (1936)
Sortie : 1936 (France). Roman, Science-fiction
livre de Henri Duvernois
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Du coup, sur ma lancée, je continue à citer les avis éclairés, et pour le coup j’emprunte ces quelques mots à Gide, qui circonscrit assez bien ce que j’ai ressenti à la lecture du roman : « Car ce qu’écrit Duvernois, et qui comporte parfois des moments d’une réussite unique, – je sais ce que je dis, – n’est pas fait pour le public auquel il s’adresse et qui le reçoit. Il est trop fin, trop délicat, trop subtil pour lui plaire. Alors, il ne satisfait pas ceux qui le lisent, et ceux qu’il devrait toucher ne le lisent pas… ». En passant, j’aime beaucoup cet énigmatique « je sais ce que je dis », d’une fracassante immodestie. Y’a que Dédé pour oser dire ça sans une once d’humour. Bref, Duvernois est moins snob que Gide, il ne croit pas que certains publics sont cantonnés à certains sujets, mais néanmoins, comment ne pas être frappé par les trésors de style déployés pour une sorte d’histoire qui normalement ne repose que sur ses ressorts dramatiques. On ne va pas se plaindre, ça n’en rend la lecture que plus agréable et c’est tout à l’honneur de ce brave Henri que de ne pas se montrer sectaire, dans un sens ou dans l’autre. Par contre, l’effet pervers c’est que mieux il écrit et plus on regrette que son idée de départ ne soit pas à l’arrivée plus fouillée, plus excentrique, plus vertigineuse. C’est peut-être pour ça que Jules Verne écrivait si plat ?
Demain s'annonce plus calme (2021)
Sortie : 20 mai 2021. Roman
livre de Eduardo Berti
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Bon après tout, puisque l’auteur lui même dans sa préface parvient à résumer parfaitement le principe de son exercice de style, autant lui laisser la parole : « Le livre présente une série de dix éditions différentes d’un même quotidien, dans lequel les nouvelles (au double sens du terme, journalistiques et littéraire) se déploient et se tissent de manière toujours chronologique, mais avec des ellipses, car les dix numéros ne sont pas consécutifs. Quelques nouvelles vont du premier au dernier journal, comme un feuilleton ; d’autres sont plus éphémères ou inconstantes, comme dans la vie ».
Ce qui n’est pas précisé là, c’est que tous ces mini-récits qui avancent lentement d’une édition à l’autre relèvent tous (sauf un, touchant au propre comme au figuré le monde de la peinture) de la chronique littéraire, mini tempêtes secouant le pays imaginaire qu’on ne connaitra pas par ailleurs, et où la météo, toujours troublée, s’annonce pourtant plus calme pour le lendemain. Des titres de livres vandalisés par des plaisantins très oulipiens (Berti lui-même émarge à l’Ouvroir), des lecteurs métamorphosés par leur lecture de Kafka, d’autres qui recréent dans leur ville les décors de leurs romans préférés, un auteur qui ne veut plus conclure ses romans policiers, les idées cultivées par l’Argentin sont autant de clins d’oeil à la Bibliothèque de Babel de son illustre concitoyen. La promenade est amusante, mais s’essouffle néanmoins, à force de se répéter et de tourner en rond.
Hors-Bord (1976)
Speedboat
Sortie : 9 janvier 2014 (France). Roman
livre de Renata Adler
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
La grande force du bouquin est certainement son originalité, mais on pourrait tout aussi bien dire que la grande originalité de ce bouquin c’est sa force. En fait, l’expérience même de sa lecture est dévastatrice, tant les agissements de l’autrice, de l’autre coté du tube (ben ouais, allez), sont subversifs, et désopilants. Renata Adler piétine avec tellement de grâce, de fragilité, de naïveté même (qui pour être jouées n’en sont pas moins réelles, ou disons qu’à force d’être jouées elles n’en deviennent que plus réelle, faisant du texte une sorte de créature de Frankenstein échappant à son maitre), piétine donc les centaines de pistes lancées par la voix narrative comme autant de fusées trempées, que la profusion du vide finit par prendre une place folle. Et forcément la bulle créée ainsi rend très difficile le moindre commentaire hors sol, dans une sorte d’effet contaminant : comme si le livre refermé – sur lui-même - plus aucun discours ne pouvait tenir debout.
« Il me semble que l’ "autoapitoiement" n’est qu’un synonyme péjoratif de tristesse. Mais tous ces gens qui, d’après les journaux, "blaguent avec les infirmières" me fascinent. Dès qu’une personne a pris un coup, perdu certaines facultés ou un membre de sa famille, on dit très souvent qu’elle a "blagué avec ses infirmières". La vie d’une infirmière doit être d’une drôlerie infinie. »
Bandits à Marseille (1968)
Sortie : 1968 (France).
livre de Eugène Saccomano
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Si la pègre marseillaise (et villes circonvoisines) fait le délice des romanciers de polars depuis l’entre-deux-guerres, le volet plus documentaire ou historique est nettement moins exploité lorsque Saccomano, alors jeune journaliste à la Provence, rayon yé-yé, décide à la fin des années 60 de lui consacrer un ouvrage. Son idée, comme il l’exprime dans la préface, était de « raconter les truands sans vouloir une seule seconde les expliquer ou les comprendre. Au lecteur de se faire une idée du problème. La mythologie du gangster plein d’humanité et de principes ne m’intéresse pas. Elle repose sur de fausses données. Le Milieu est bourré de contradictions si bien qu’un bandit peut être aussi un couard qu’un autre sera noble. Sa vie dangereuse conditionne ses réactions. Ainsi devant la difficulté, il choisira indifféremment la lâcheté ou le courage. ». Il n’y a donc rien à romancer pour lui, rien à idéaliser, et c’est vrai que le portrait qu’il fait du Milieu est assez loin de la mythologie habituelle. Le livre pèche par un manque (assumé) de construction ou de recul : il s’agit plus d’une série de récits qui reviennent sur quelques grandes figures et quelques coups plus ou moins connus, entre les années 20 et les années 60 (la partie sur Carbon et Spirito a d’ailleurs donné l’idée à Delon de monter un film pour Belmondo et lui, ça sera Borsalino et son énorme succès en 1974). Mais ce que Saccomano ne sait pas au moment où il publie le livre, c’est qu’il vient de témoigner d’un monde qui vit ses dernières heures : la mise à mort en juin 67 d’Antoine Guerini, racontée à l’ouverture du livre, est le début de la fin pour la fameuse French Connection qui aura alimenté la légende noire de Marseille depuis les années 20.
La Solitude Caravage (2019)
Sortie : 20 février 2019. Biographie, Peinture & sculpture, Récit
livre de Yannick Haenel
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Ben solitude je ne sais pas, vu le nombre de livres écrit sur le gars, et les torrents d’encre qu’il a pu provoquer, après trois cents ans de disparition totale des radars. Alors du coup Haenel tente une biographie décalée, le moins biographique possible même, en en faisant un outil d’autobiographie, une sorte de portrait de lui en creux, en ombre chinoise (ou lombarde, en l’occurrence). Pour autant, le peintre assassin n’est pas un faire-valoir, car le lien que ressent l’écrivain envers lui est à la fois puissant, intime et sincère. Cela lui permet de très belles envolées sur les tableaux en particulier et la peinture en général, voire carrément le fait artistique dans tous ses détours qui mènent inlassablement au même point ses officiants. Petit bémol pour ma part, néanmoins : je trouve l’exercice brillant, mais quelque peu répétitif. On friserait presque la complaisance parfois (le "presque" étant une nuance importante) sur un sujet qui pourtant devrait inspirer la concision, Caravage ayant tout de même comme caractéristique première d’être un peintre à l’os, qui va toujours droit au but. S’il est vraiment assassin, c’est de l’anecdotique et du superflu, avec lui tout ce qui compte est là (même l'invisible et l’ineffable), et tout ce qui est là compte.
Lettre à mes tueurs (2004)
Sortie : 2004 (France). Roman
livre de René Frégni
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Autodidacte et franc-tireur, Frégni a vécu plusieurs vies, passant par les prisons, les hopitaux, les salles de rédaction, et en a tiré toutes sortes de romans, sans forcément choisir un genre de prédilection. Ici, on est dans sa veine polar : un peu anar, et à la sauce marseillaise, où les flics peuvent se montrer volontiers pourris, et les marlous serviables. C’est sympatoche et bien mené, mais un peu court en bouche comparé à un Fajardie ou un Manchette.
Qui a fait le tour de quoi ? (2020)
L'affaire Magellan
Sortie : mars 2020. Essai
livre de Romain Bertrand
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
La 4e de couverture laisse espérer beaucoup, surtout à l’aune de la lecture du livre que Bertrand avait dirigé l’année précédente, L’Exploration du monde. Le livre en tant que tel m’a un peu déçu comparé au programme annoncé. Néanmoins, les principes iconoclastes et décentrés mis en œuvre sont de toute pertinence et salutaires : il y a une véritable jubilation à déconstruire les mythes élaborés depuis des siècles par un Occident aussi mégalomane qu’arrogant et agressif, et l’historien le fait avec un humour corrosif et une plume alerte. Mais peut-être à cause de l’origine du texte (tiré d’une série de causeries en plein air), ou alors parce que la volonté de départ – autant changer de point focal que donner la parole aux prétendus vaincus – se heurte à un manque de source, le projet n’aboutit pas complètement : il y a des trous dans la tapisserie, un vide acoustique, un appel d’air. Frustration d’un côté, mais en même temps, pourrait-on rétorquer, preuve par l’exemple de l’éradication, physique et mémorielle, qu’a provoquée la fièvre insensée des explorateurs/colonisateurs européens.
Paul Carpita, cinéaste franc-tireur (2009)
Sortie : 15 avril 2009. Entretien, Cinéma & télévision
livre de Paul Carpita et Pascal Tessaud
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
L’ouvrage est une longue interview du réalisateur du Rendez-vous des quais, œuvre à la fois remarquable par sa forme hors norme (une sorte de nouvelle vague avant l’heure, détachée de toutes règles établies, instinctive, buissonnière et non-conformiste) et par son histoire dramatique : le film relatant à chaud la grève des dockers de Marseille en 1949/1950, fut censuré avant sortie et resta invisible jusqu’à sa redécouverte fortuite en 1989. Si le dialogue avec Pascal Tessaud revient évidemment très largement sur cette aventure princeps, qui a vu tout en même temps une voix originale croître et disparaître, il est aussi l’occasion de se promener avec un artiste et un pédagogue simple et facétieux à travers plus de 50 ans de lutte, d’utopie, d’engagement, qu’il soit politique ou social, en tout cas d’un humanisme chevillé au corps. A l’image de son film, Carpita est un mélange assez irrésistible de naïveté, de sincérité et de bonne volonté, qui permet de voir d’un point de vue très éloigné de celui des nantis cinéastes de la Capitale.
Les Pierres sauvages (1964)
Sortie : 1964 (France). Roman
livre de Fernand Pouillon
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
L’architecte Fernand Pouillon, disciple d’Auguste Perret et principal coordinateur de la reconstruction du quartier St Jean (rive droite du Vieux Port de Marseille, dynamité par les Allemands en 43) se retrouve entre 61 et 64 en prison préventive, accusé de malversation et de non respect des règles de séparation censées rendre incompatibles le métier d’architecte de celui de promoteur. La situation a beau être d’une injustice assez criante (la cour d’appel finira par réduire sa peine de quatre à trois années d’emprisonnement, ce qui au moment de la sentence correspond exactement au temps qu’il a déjà passé en prison, d’où sa libération quasi immédiate), le roman qui nait pendant ce temps de réclusion n’a rien d’un brûlot rempli de rage et de fougue. Il est très intéressant d’ailleurs, en marge de ce que raconte le journal du frère Guillaume – moine bâtisseur du XIIe siècle en charge de l’édification d’abbayes dont l’architecture doit répondre aux nouveaux canons imposés par la révolution cistercienne – de suivre les liens subtils que tisse l’auteur entre ce passé si reculé et sa situation présente si bouleversée. L’incroyable talent littéraire dont fait preuve cet architecte-ingénieur n’est pas la moindre des surprises que ce texte un peu hors norme réserve au lecteur assez patient pour suivre jusqu’au bout ces neuf mois mouvementés pendant lesquels une abbaye, le Thoronet, passe du statut de projet à celui de bâtiment sacré. Dans les faits, l’abbaye en question a pris plus de quinze ans pour être achevée, mais le roman de Pouillon est clairement plus du côté de l’allégorie que de l’enquête historique, même si l’auteur traite tous les détails techniques avec une attention et une précision chirurgicales. C’est un peu ce mélange des genres, entre philosophie, sagesse, spiritualité, et chronique d’une construction avec tout ce que le sujet comporte de problèmes concrets et spécifiques, qui fonde la force de l’écriture de Pouillon, et n’est pas sans échos avec la façon qu'avait Yourcenar de mêler l'intime à l'extime.
« Ainsi, en égard à mes intentions profondes, à mes sentiments sur l'architecture future, j'ai déterminé simultanément les limites du possible et du beau dans chacun des éléments constructifs. L'analyse de la matière a institué la règle du jeu futur : laquelle, à son tour, a défini rigoureusement l'aspect lui convenant. Je n'ai pas dit "Je veux" sans voir. J'ai regardé, soupesé les difficultés de chaque chose, la considération m'a fait dire :
Marseille Confidential (2018)
Sortie : 8 mars 2018. Roman, Policier
livre de François Thomazeau
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Le cri d’enthousiasme prétendument poussé par Ellroy en couverture semble, disons le d’entrée, un peu exagéré. Ou sorti de son contexte. Ou apocryphe. En tout cas c’est une lame à double tranchant, car c’est donner au futur lecteur des attentes qui semblent bien loin du roman qu’il a dans la main. Non pas d’ailleurs que le roman en question soit mauvais, mais bon on est loin à la fois du génie et de la manière d’Ellroy. Si d’un point de vue purement polar le bouquin laisse donc un peu à désirer (l’enquête est sinueuse mais un peu poussive), et que l’écriture de Thomazeau est d’une neutralité qui finit par lasser, il y a par contre un chouette travail de documentation sur le Marseille des années 30, entre Front populaire et Incendie des Nouvelles Galeries. Tout ce pan là du livre est très bien vu et forme une toile de fond plus convaincante que l’intrigue en tant que telle : acointance entre le Milieu et les hommes politiques, avec comme règle du jeu générale l’ocpportunisme et le retournement de veste... Carbone et Spirito, Sabiani, les frères Guérini se partagent la ville et les sources de profits interlopes dans une ambiance « fin de règne » où toutes les frontières s’estompent, sous les yeux impuissants ou complices des flics, des magistrats et des journalistes.
Planète sans visa (1947)
Sortie : 1947 (France). Roman
livre de Jean Malaquais
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
En zone libre jusqu’à la fin 42, et fort de son statut de port cosmopolite ouvert sur le Grand Ailleurs, Marseille sera, on le sait, un espoir et un tourment pour tous ceux qui choisissent l’exil une fois les hostilités commencées. Car pas de promesse sans inquiétude, pas de sauvetage sans menace : puisque c’est par ici qu’on peut partir, c’est aussi là que s’exerce la surveillance la plus tatillonne. Cette ambivalence de la fuite a donné lieu à beaucoup de romans qui posent leurs bagages dans la cité phocéenne – dont le fameux Transit de Seghers, au titre aussi simple que programmatique. Malaquais lui-même s’y est réfugié juste après la capitulation française mais son roman, touffu et rhizomique, prend un peu le contre-pied de toutes les œuvres écrites sur le sujet, puisqu’il préfère tenter non un tableau dynamique mais plutôt une synchronie quasi statique. Il ne s’agit pas tant de raconter le mouvement, de ceux qui viennent pour partir, mais plutôt de creuser le point au creux duquel planter le regard panoptique, qui tourne comme une caméra en panoramique (et non en traveling). Le point de vue englobe tout le monde, des plus pauvres aux plus riches, des plus fascistes aux plus internationalistes, des plus cyniques aux plus idéalistes, mais ne saute en aucun cas d’une aventure à l’autre : il ne se met pas à la place de, il se pose et observe les pantins, les victimes, les bourreaux, les audacieux. Il en résulte une grande neutralité bienveillante, comme un pas de côté salutaire pour ne pas immédiatement sauter à des conclusions par trop simplificatrices. Mais aussi, puisque souvent tout ce qu’on gagne d’une main il faut le perdre de l'autre, une sorte d'engourdissement parfois pesant où la volonté de l’historien de ne pas trancher finit par rendre la lame du romancier un peu émoussée.
Corniche Kennedy (2008)
Sortie : 25 août 2008. Roman
livre de Maylis de Kérangal
Chaiev a mis 4/10.
Annotation :
Les minots qui sautent depuis les rochers je sais pas, mais moi je suis content de mon exploit : je suis allé au bout d’un Kerangal ! Généralement j’ai du mal à finir ses 4eme de couv, mais pour Naissance d’un pont (oh la la rien que le titre j’ai envie de me flinguer) j’avais passé la page 3 ! Yeaah. Mais pas la 4 (deux fois de suite à un an d’écart). Alors qu’on se mette bien d’accord, je ne pense pas que ce soit grâce aux qualités intrinsèques du livre que j’ai pu atteindre la dernière page, hein. Non vraiment des qualités je n’en vois aucune (si ce n’est que ça ne fait pas 800 pages, mais bon en « température ressentie » ça m’a fait le même effet qu’un bottin albanais en trois tomes : de A à Ll, de M à Rr et de S à Zh (oui l’albanais a des lettres bizarres, du coup 36 au lieu de nos 26 à nous, et ouais) faut que je referme la première parenthèse, hop). Donc euh, je disais quoi ? Ah ben que je déteste positivement cette écriture faussement pas chichiteuse alors qu’elle l’est terriblement. Chichiteuse. Avec ces points. Partout au milieu. Des phrases… Brrr j’arrête là, ça me rappelle tous ces paragraphes totalement inutiles, à répéter en boucle la même chose (parce que même si ça fait pas 800 pages, le tout pourrait tenir en 8 ou 10 pages en fait – qu’on a déjà lu ailleurs mille fois). Voilà, moi en ce qui me concerne je n’y retournerai plus, basta. Comment ? Pourquoi celui-là je l’ai lu jusqu’au bout ? Ah ben à cause de Marseille, c’est bête hein. Parce que franchement ça se passerait à Amiens ça serait pareil (non plus court en fait, les gamins sauteraient de la cathédrale à la page 2, et fin de l’histoire). Coquin de sort.
Le jour où mon père s'est tu (2008)
Sortie : mars 2008. Récit
livre de Virginie Linhart
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Le mutisme de Robert Linhart, l’auteur de l’Établi, m’a toujours intrigué. Non pas le pourquoi, ça encore c’est assez transparent au vu de ce qu’il a vécu pendant ses années de lutte et l’échec généralisé qui s’ensuivit, mais plutôt le comment. La seule chose qui était dite dans les rares articles sur lui c’était qu’à partir de 1981 il s’était enfermé dans le silence. C’était tellement expéditif qu’au début j’avais cru qu’il s’agissait d’une métaphore de la part des commentateurs, alors qu’en fait le silence de Linhart est tout ce qu’il y a de plus concret et si métaphore il y a, elle serait plus de l’ordre du vécu, coté Robert. Virginie sa fille, elle, a vécu de plein fouet ce comment, et c’est d’abord plus vers le pourquoi qu’elle dirige son livre-témoignage. Mais l’intéressant c'est que très vite, et sous nos yeux, il change diamétralement de direction : lorsqu’elle comprend que personne parmi tous les ex compagnons de route de son père ne pourra faire autre chose que répéter la même litanie - quel malheur tout de même lui qui était si brillant, et que cette litanie là n'explique rien. Alors de fil(lle) en aiguille, elle en vient à accepter cette aporie, et retourne le miroir vers elle, et vers tous les enfants des militants parisiens de mai 68, pour essayer de voir si quelque chose les relie entre eux, et si la fracture qu’elle sent irrémédiablement installée en elle à cause de tout ces silences amassés se retrouve d’une façon ou d’une autre chez eux. C’est une quête, une enquête, beaucoup plus qu’une analyse construite et argumentée. Pas un procès à charge d’une époque, d’une mentalité, mais un témoignage assez poignant depuis l’intérieur du tambour de la machine à laver, programme essorage intense. Récit foutraque d’une adulte à jamais froissée par son enfance hors norme, qui multiplie les questions en nous laissant le soin d’y trouver quelques réponses, ou non.
Comme à Gravelotte (1968)
Sortie : septembre 1968. Roman, Policier
livre de Louis Salinas / Édouard Rimbaud
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
C’est sûr que quand on s’appelle Rimbaud, tout doit vous pousser à la littérature, ou bien vous inhiber tellement qu’il faut beaucoup pour vous y décider. Avant d’y venir sur le tard, et affublé d’un pseudo, Édouard aura multiplié les identités : policier pendant la guerre, résistant, libraire et puis, suivant la pente de la facilité lui l’enfant de Marseille, membre à part entière de la Pègre à l’heure triomphale de la French Connection. C’est de l’avoir entendu raconter ses riches heures dans le milieu qui m’a donné envie de lire ses romans noirs, et j’ai commencé par le premier, écrit juste avant qu’il ne se fasse pincer aux Etats Unis (apprenant que ses « amis » l’ont trahi, il passera aux aveux pour réduire sa peine de 30 ans de prison). Petite déception par rapport à la faconde de Doudou (son nom de guerre, et le titre de son autobiographie publiée en 2000) : son polar est un poil trop sage et trop classique. Certes, les caïds y parlent leur langue fleurie, mais il n’est encore ici question ni de drogue ni de trafic, juste une affaire de casse de coffre-fort. C’est bien raconté, et Doudou ne se gêne pas pour renvoyer dos à dos les truands et les flics quant à la discutabilité des méthodes employées, mais ça reste un peu court en bouche, tant on a l’impression de n’avoir là qu’un tout petit glaçon comparé à l’énorme iceberg qui se cache au fond du pastis.