Pérégrinations littéraire : été 2017
Etant maintenant étudiant à l'université, je dispose d'un peu plus de vacances (plus ou moins 4 mois) et donc je me réserve un programme littéraire d'autant plus fourni cette année, de quoi me sevrer de mes dizaines de séances de cinéma à Paris depuis septembre.
Top départ : 10 mai ...
16 livres
créée il y a presque 8 ans · modifiée il y a plus de 7 ansDes souris et des hommes (1937)
(traduction Maurice-Edgar Coindreau)
Of Mice and Men
Sortie : 1939 (France). Roman
livre de John Steinbeck
Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
La fable de Steinbeck est d’une rare intelligence pour démontrer la capacité de l’homme à idéaliser son avenir et à s’attacher à l’autre envers et contre tout pour mieux affronter la dureté du présent. Avec un style d’une épure extrême, se contentant d’une description des lieux en début de chapitre pour se focaliser ensuite sur les dialogues, le romancier américain esquisse des individualités hautement touchantes, au sein d’un contexte social particulier, celui des fermiers sans foyers condamnés à trimer de fermes en fermes pour tout dépenser dans le bordel du coin à la fin du mois. En laissant si peu la place aux détails descriptifs, Steinbeck n’en propose pas moins un portrait débordant d’humanité et de non-dits, où les seuls détails importants sont ceux du comportement humain.
C’est en cela que ce couple fraternel du petit intelligent et du grand bêta dépasse de loin la caricature initiale : par l’explicitation de leurs rêves, et des habitudes qu’ils ont adoptés durant leur vie commune, ils deviennent de formidables anti-héros. On pourrait certes pester contre des procédés narratifs théâtraux un peu systématiques, avec une unité de lieu et de temps à chaque chapitre qui laisse peu de place à l’atmosphère littéraire de s’installer, mais cela rend finalement le livre très accessible et augmente largement sa portée universelle. Derrière la démarche littéraire de Steinbeck, il y a tout un éloge de la simplicité : celle de l’écriture, qui va droit au but et droit au cœur, et celle d’une aspiration de vie, car les personnages ne rêvent pas de choses extraordinaires : seulement d’un foyer.
Révolution (2016)
Sortie : 24 novembre 2016. Essai, Politique & économie
livre de Emmanuel Macron
Marius Jouanny a mis 1/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Voir critique.
Journal d'un corps (2012)
Sortie : 9 février 2012. Roman
livre de Daniel Pennac
Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Certains livres prennent tellement aux tripes que mon désir de partager son appréciation est irrépressible, tout en étant certain que je ne pourrais pas dire grans-chose d'intéressant dessus. En l'occurrence, Daniel Pennac fait ici le récit d'une vie, de l'enfance à la mort, en inventant le journal d'un homme de la génération de son père. Ce n'est pas un journal intime, même s'il lorgne quelquefois de ce côté-là, mais simplement le journal d'un homme qui décrit les rapports qu'il entretient avec son corps, les manifestations de celui-ci, etc. Au-delà du compte-rendu médical, c'est un brillant exposé des angoisses et des problèmes qui sont liés à notre corps sans qu'on s'en aperçoive. Pennac, sur un mode d'écriture aussi direct, transmet quelque chose de viscéral : l'idée que l'existence humaine est indissociable du corps et qu'on peut raconter la vie d'un homme par ce seul biais. Il y a évidemment quelques maladresses (genre comment un gamin de 13 ans peut-il écrire et raisonner comme un adulte ?) mais ce n'est rien comparé à l'extrême audace d'un tel livre, qui lève le voile sur tout un pan de notre vie avec un registre intimiste frôlant la perfection, réflechissant avec pertinence aussi bien sur le désir que le deuil, la souffrance et la jouissance, l'existence et la mort.
Journal d'un corps (2013)
Illustré par Manu Larcenet
Sortie : 5 avril 2013. Récit, Beau livre & artbook
livre de Daniel Pennac
Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Dernière chose : l'édition avec les illustrations de Manu Larcenet, grand auteur de BD, si elle est bien plus chère et loin d'être pratique à transporter, est un très beau livre et dire que Larcenet sublime l'écriture de Pennac avec des dessins jamais digressifs et pourtant très personnels est un euphémisme.
Discours de la servitude volontaire (1576)
Sortie : 1576 (France). Essai, Philosophie
livre de Étienne de La Boétie
Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Rétrospectivement, ce "Discours sur la servitude volontaire" occupe une place essentielle dans la littérature politique : on peut le voir comme l'un des premiers grands essais politiques anti-système. Deux cents ans avant Rousseau et trois cents ans avant Marx, De la Boétie dresse une analyse critique de la monarchie et des rapports de domination alors que les autres philosophes du politique comme Locke ou Hobbes contribuèrent au contraire à légitimer la monarchie. Certes, on peut voir dans le discours de La Boétie une manière de prendre la majorité opprimée de haut. En caricaturant, ça pourrait donner ça : "le peuple se complaît dans sa fange, qu'il y reste".
Mais c'est plutôt une analyse lucide basée sur un constat désespéré : celui du bon fonctionnement de la société de cour monarchique, quel que soit le niveau d'oppression qu'elle exerce sur le reste de la population. De nombreux points sont pertinents, car l'auteur pointe autant la faible voire inexistante prise de conscience des dominés, que la hiérarchie vicieuse qui permet à quelques milliers de vivre dans l'appât du gain aux côtés des puissants en étant leur bras armé. Il y a une forme d'inachèvement dans la réflexion de l'auteur car il ne dépasse pas le constat initial, et l'on est encore loin de l'essai anarchiste qui prône une résolution aux rapports de domination. En l'état, dire que De La Boétie était en avance sur son temps est un euphémisme, car la portée universelle de son discours, au lendemain de ce désastreux premier tour des législatives, est une fois de plus avérée.
La Planète des singes (1963)
Sortie : 1963 (France). Roman, Science-fiction
livre de Pierre Boulle
Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Déjà dans mon programme de 2016, je n'avais pas eu le temps de le lire.
Pierre Boule propose en moins de 200 pages un monument de la littérature de sciernce-fiction, notamment en terme de thèmes et réflexin brassées par le récit. Evacuons les limites de l'ouvrage de suite : le style de l'auteur, dépouillé et concis, n'a pas dee grandes ambitions formelles. Boulle n'est ni un poète, ni un grammairien, c'est un narrateur. Autant dire que tout comme Jules Verne ou Stephan Wul, il n'a pas sa place dans les programmes scolaires conventionnels. C'est un tort, tellement la métaphore développée ici ratisse large tout en restant très accessible : l'éthique est vue dans notre rapport à l'exploitation des animaux, la politique par rapport aux avancées scientifiques et ce qu'elle implique comme conflits entre dogmes, et l'anthropologie par la question : quelle espèce pourrait bien succèder à l'homme ? En l'occurrence, un explorateur terrien se retrouve piégé sur une planète similaire à la Terre où les singes sont civilisés, face aux hommes qui sont à l'état sauvage.
Le regard de l'auteur sur la société est suffisamment nuancé pour ne tomber ni dans la glorification techniciste et libérale, ni dans un nihilisme de bas étage. Un Rousseau du XXème siècle aurait très bien pu être l'auteur de "La Planète des Singes". Car l'amollissement des esprits amenant à la décadence des civilisations est précisément causé par le confort moderne et l'exploitation de la nature à outrance. La dépossession régressive de nos moyens par un retour à l'état de nature est alors parfaitement plausible, comme s'il ne fallait jamais trop s'éloigner de notre condition première pour maintenir un équilibre psychique et ne pas renier ce qui fait de nous des hommes. Ici, cet équilibre est parfaitement symbolisé par notre explorateur en perdition, tiraillé entre son amour spirituel pour une guenon chimpanzé aussi intelligente que lui, et l'amour du corps avec cette jeune fille humaine au comportement animal. Du Platon (Eros céleste/Eros vulgaire) sans jugement moral, en somme. La synthèse produite est ainsii remarquable, jusqu'à un rebondissement final surgissant avec perte et fracas, qui est toutefois plus radical et cohérent dans l'adaptation au cinéma de Schaffner.
La Métamorphose (1915)
Édition de Claude David
Die Verwandlung
Sortie : 1989 (France). Nouvelle
livre de Franz Kafka
Marius Jouanny a mis 6/10.
Annotation :
La démarche de Kafka est assez limpide : procéder à la déréalisation d'une cellule familiale par la transformation physique du fils aîné en insecte géant. Lui qui faisait survivre la famille grâce à son emploi et malgré son désir d'ailleurs voit sa liberté encore plus réduite et la gratitude de ses parants et sa soeur s'évanouir pour de bon.
On peut y voir l'aboutissement d'une aliénation due aux responsabilités familiales et professionnelles. Le récit s'éloigne de cette réflexion en dernière partie pour montrer la monstruosité d'une famille qui préfère nier la réalité plutôt que d'accepter la métamorphose du fils. C'est grinçant et plutôt bien mené, mais la narration trop simpliste ne laisse pas apprécier la psychologie des personnages autres que le principal, et ne passe pas la satire sociale assez loin pour s'ériger en oeuvre subversive.
Manifeste du parti communiste (1848)
Manifest der Kommunistischen Partei
Sortie : 1848 (Royaume-Uni). Essai, Politique & économie, Philosophie
livre de Karl Marx et Friedrich Engels
Marius Jouanny a mis 6/10.
Annotation :
Premier écrit majeur de Marx, ce fameux manifeste s'appréhende autant comme un essai militant à replacer dans son contexte que comme l'un des premiers écrits communistes à clairement énoncer la logique de lutte des classes. Sa répercussion intellectuelle et historique est inestimable, tant Marx et Engels étaient visionnaire dans les domaines de l'économie et la sociologie. On pourrait toujours appliquer le diagnostic de Marx sur les avancées technologiques et les mentalités bourgeoises aujourd'hui, mot pour mot.
Si l'on résume souvent l'essai à la fameuse formule : "PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS", il faut bien déceler la logique qu'elle contient. Celle de dépasser le regard critique sur la société et les inégalités pour proposer le mouvement politique vers une autre société, l'abolition de la propriété privée et des classes sociales. De ce côté-là, 169 ans après, Marx mérite à mon sens d'être revisité, tant le concept de "dictature du prolétariat" par la violence, et l'idée de tout ramener à l'Etat, jusqu'à l'éducation des enfants, ne peuvent plus être revendiqués tels quels aujourd'hui. Une révolution ne se fera jamais sans violence, certes, mais si c'est pour tout étatiser, comment empêcher l'avénement de la bureaucratie ?
Les Luttes de classes en France (1850)
La Constitution de la République française adoptée le 4 novembre 1848 - Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte
Klassenkämpfe in Frankreich 1848 bis 1850
Sortie : 1850 (France). Culture & société, Histoire
livre de Karl Marx
Marius Jouanny a mis 7/10.
Annotation :
Plus méconnu que le "Manifeste", "La Lutte des classes en France" est pourtant un écrit de Marx encore plus important pour comprendre sa démarche. Les deux essais concentrent toutes les casquettes du bonhomme : historien, économiste, philosophe et militant communiste, mais le deuxième a pour mérite de décrire une application concrète de la théorie marxiste. En l'occurrence, Marx narre ici la révolution française de 1848, qui mit fin à la monarchie de Juillet pour mettre en oeuvre la deuxième République. Son analyse des mécanismes sociaux en pleine tourmente est très éclairante sur les rapports de force de l'époque, les intérêts politiques divergents et les enjeux cruciaux d'une révolution. Si sa perception des agissements de chacune des classes sociales (bourgeoisie, petite bourgeoisie et prolétaire) peut paraître déterministe voire caricaturale, on ne peut pourtant s'empêcher de tisser des liens entre les forces politiques de l'époque et celles d'aujourd'hui.
A savoir, des forces monarchistes conservatrices contraintes de jouer le jeu républicain tout en le fustigeant, face à des républicains prônant le suffrage universel sans bouleverser d'un iota les rapports de classes déjà existants : l'omnipotence des pouvoirs financiers et industriels et leur exploitation des masses populaires. A gauche de cette mascarade, il en est une autre presque aussi risible, celle des socialistes défendeurs de la Constitution protestant contre le pouvoir en place mais pas contre le système qui l'a engendré. Quant aux socialistes révolutionnaires, les seuls véritables représentants du prolétariat, leur massacre dans les régles par toutes les autres factions politiques en juin 1848 a douché les ardeurs insurectionnelles des masses. Cependant celles-ci, à force d'être malmenées par les politiques de Louis-Napoléon Bonaparte élu sur un énorme malentendu entre classes sociales en décembre 1848, tendent à être ravivées. Lutte entre un pouvoir législatif tantôt montagnard, tantôt monarchiste et un pouvoir exécutif autoritaire qui aménera en 1852 au Second Empire, lutte entre la république bourgeoise et le prolétariat engagé, Marx décrit des rapports en bouleversement avec le constat amer que seul le prolétariat peut défendre ses propres intérêts, quand il n'est pas manipulé par la petite bourgeoisie pour perpétuer le système en place. Son engagement communiste émane par tous les pores du récit, mais sans affaiblir l'analyse développée.
La Peste (1947)
Sortie : 1947 (France). Roman
livre de Albert Camus
Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
L'obsession camusienne sur l'absurdité de la vie humaine trouve ici une toute autre logique que dans "L'Etranger". Toujours focalisé sur l'irruption de l'accidentel et son impossible explication par la morale, l'élément perturbateur ne vient pas ici d'un personnage, mais d'une maladie, la peste. Cela permet de ne pas déshumaniser les protagonistes puisqu'ils sont confrontés à quelque chose d'extérieur. Cela permet aussi de multiplier les points de vue sur cette année de mise en quarantaine d'une ville algérienne dont les habitants mourant de la peste par centaines chaque jour. Le contenu est ainsi bien plus riche, et moins aride, car étoffé de nombreuses perceptions gravitant autour de celle d'un médecin au cœur de l'absurdité du génocide arbitraire en développement. Dans la forme, Camus trouve aussi par la fausse chronique journalistique une contenance qui rend ces 300 pages très absorbantes. On sent de sa part une volonté de plus se raccrocher à la réalité, comme si cela rendait plus limpide ses réflexions philosophiques. Et c'est le cas.
Vive la Commune ! (2011)
Procès de Louise Michel, suivi de La Commune est proclamée (Vallès) et de La Guerre civile en France (Marx)
Sortie : 24 février 2011. Document, Essai, Histoire
livre de Louise Michel, Jules Vallès et Karl Marx
Marius Jouanny a mis 7/10.
Annotation :
Trois textes choisis qui apportent un regard vibrant et authentique sur la Commune de Paris. Le recueil peut se lire autant comme un document historique qu'idéologique : aux déclaration d'intentions des communards de 1871 se mêle inévitablement une critique de l'Etat et la volonté d'instauration d'une société nouvelle. Très (trop) succinct, mais essentiel pour comprendre la dernière étape révolutionnaire de la France du XIXème siècle.
Calligrammes (1918)
Sortie : 15 avril 1918. Poésie
livre de Guillaume Apollinaire
Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Le tout de force d’Apollinaire est ici de jouer à fond sur les paradoxes. Dans la forme : il dénude ses vers en leur ôtant toute ponctuation, proposant ainsi de la poésie à l'état brut. Pourtant, un bon quart des poèmes éclatent la disposition horizontale en vers pour donner à la calligraphie elle-même une forme métaphorique. Épurer pour mieux déconstruire, en somme. Dans le fond : il consacre l’essentiel de l'oeuvre à son expérience de combattant durant la Première Guerre Mondiale, l'occasion de nombreux oxymores décrivant l'amour et la beauté qu'il décèle au milieu du champ de bataille, des balles qui bourdonnent et des obus qui sifflent. Voilà une poésie d'une richesse inouïe, maîtrisée tout en se mettant constamment en danger, tout comme les poilus devaient nécessairement sortir des tranchées pour monter à l'assaut. Avec de tels ambitions, Apollinaire annonce mine de rien les intention de tout un mouvement artistique : le surréalisme.
Lord Jim (1900)
(traduction Henriette Bordenave)
Sortie : 1900 (Royaume-Uni). Roman
livre de Joseph Conrad
Marius Jouanny l'a mis en envie.
Annotation :
J'ai abandonné au bout d'une cinquantaine de pages : la narration trop éparpillée et les descriptions trop touffues ont eu raison de mon assiduité. C'est dommage, moi qui voulait depuis longtemps me remettre à Conrad, l'un de mes romanciers préféré. S'il annonce en préface que cet opus est plus ambitieux et exigeant que les autres (500 pages, tout de même) je ne doute pas que je puisse m'y remettre dans de meilleures conditions un de ces quatre.
Hommage à la Catalogne (1938)
Homage to Catalonia
Sortie : 1955 (France). Récit
livre de George Orwell
Marius Jouanny a mis 9/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Voir critique.
Le Duel (1908)
The Duel: A Military Story
Sortie : 1991 (France). Nouvelle
livre de Joseph Conrad
Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Joseph Conrad signe ici un court roman d’une centaine de pages, mais d’une richesse remarquable comme à son habitude. Drame historique sur la période napoléonienne, il confronte deux soldats français dans les campagnes d’Europe se battant en duel à de nombreuses reprises sur une quinzaine d’années pour un différent absurde. La métaphore anti-guerrière est implacablement déroulée, dans un registre romantique qui fait tout le charme de son récit. La forme est admirable et captivante, et ne manque pas même d’un lyrisme bien placé en dernière partie. Outre une adaptation par Ridley Scott pour son premier film, le roman vient d’être adapté en BD il y a quelques mois, preuve que le matériau original en inspire plus d’un. Et que sa portée critique traverse les époques.
Eichmann à Jerusalem (1963)
Eichmann in Jerusalem: A Report on the Banality of Evil
Sortie : 1966 (France). Essai, Culture & société, Histoire
livre de Hannah Arendt
Marius Jouanny a mis 8/10.
Annotation :
L'immense controverse au moment de la sortie de l'essai est compréhensible tellement Arendt aborde des points très sensibles à l'époque (la collaboration des dirigeants juifs, le regard moral sur les nazis et la démarche de l'Etat d'Israël, principalement) avec une écriture directe, explicite, franche. Mais est-elle justifiée ? Dans la mesure où l'auteure propose avant tout une description du procès d'Eichmann, de ses principales problématiques qu'elle met en lien avec l'épaisse littérature et autres sources d'informations sur le sujet, pour étoffer au maximum les problèmes et donner de la chair au livre, le scandale provoqué est avant tout un déni de la réalité de la part de ses investigateurs. Il y a cependant une part d'interprétation et de réflexion d'Arendt qui mérite d'être débattu, mais qui le fut apparemment très mal à sa sortie, tellement l'Etat d'Israël comme beaucoup d'intellectuels cherchaient à diaboliser la figure d'Eichmann.
Or le caractériser par l'expression de "banalité du mal" ne me semble pas être un paradoxe forcé ou provocateur. Tout, dans son état d'esprit buraucrate, ses "crises d'euphorie" et son idéalisme, laisse croire que le bonhomme se considérait d'abord comme un haut fonctionnaire en quête d'avancement hiérarchique et méticuleux dans son travail que comme l'un des principaux organisateurs du génocide juif. Ce qui est terrifiant, c'est à quel point l'hitlérisme a pu bouleversé les normes sociales à l'époque, au point qu'Eichmann se soit obstiné à suivre les ordres du Fuhrer plutôt que ceux d'Himmler qui voulait bien se faire voir auprès des alliés en stoppant le génocide dans les derniers moments de la guerre. Et cela, il le fit moins en tant qu'antisémite qu'en tant que bureaucrate. Ce regard psychologique au centre de l'essai en dit long sur la spécificité du totalitarisme qu'Arendt étudia tout au long de son oeuvre.
Les nombreuses réflexions secondaires, notamment sur l'affolante complexité de la bureaucratie nazie, sur l'implication des juifs dans leur propre destruction (l'existence d'une "police juive" participant à la déportation étant l'un des faits les plus invraisemblables et terrifiants), sur l'opposition entre les juges israéliens garant de la justice et le représentant du gouvernement d'Israël voulant transformer le procès en fait symbolique et spectaculaire, achèvent de faire de ce compte-rendu réflexif de 500 pages un morceau essentiel de la littérature historique du XXème siècle..