Petite anthologie de ma belgitude
La Belgique, pays aux cent mille poètes. Je suis loin de les connaitre tous mais j'avais envie de vous proposer ceux qui me tiennent à cœur, ainsi que quelques-uns de leurs poèmes que j'aime particulièrement. Liste en perpétuelle construction, donc.
Illustration : Serge Vandercam et ...
41 livres
créée il y a plus de 6 ans · modifiée il y a 5 moisSerres chaudes - Quinze Chansons - La Princesse Maleine (1889)
Sortie : 1889. Poésie
livre de Maurice Maeterlinck
No_Hell a mis 8/10.
Annotation :
AME DE NUIT
Mon âme en est triste à la fin ;
Elle est triste enfin d'être lasse,
Elle est lasse enfin d'être en vain,
Elle est triste et lasse à la fin
Et j'attends vos mains sur ma face.
J'attends vos doigts purs sur ma face,
Pareils à des anges de glace,
J'attends qu'ils m'apportent l'anneau;
J'attends leur fraîcheur sur ma face,
Comme un trésor au fond de l'eau.
Et j'attends enfin leurs remèdes,
Pour ne pas mourir au soleil,
Mourir sans espoir au soleil !
J'attends qu'ils lavent mes yeux tièdes
Où tant de pauvres ont sommeil !
Où tant de cygnes sur la mer,
De cygnes errants sur la mer,
Tendent en vain leur col morose,
Où, le long des jardins d'hiver,
Des malades cueillent des roses.
J'attends vos doigts purs sur ma face,
Pareils à des anges de glace,
J'attends qu'ils mouillent mes regards,
L'herbe morte de mes regards,
Où tant d'agneaux las sont épars !
Dominical
Sortie : 1892 (France). Poésie
livre de Max Elskamp
Annotation :
J’ai triste d’une ville en bois,
— Tourne, foire de ma rancœur,
Mes chevaux de bois de malheur —
J’ai triste d’une ville en bois,
J’ai mal à mes sabots de bois.
J’ai triste d’être le perdu
D’une ombre et nue et mal en place,
— Mais dont mon cœur trop sait la place —
J’ai triste d’être le perdu
Des places, et froid et tout nu.
J’ai triste de jours de patins
— Sœur Anne ne voyez-vous rien ? —
Et de n’aimer en nulle femme ;
J’ai triste de jours de patins,
Et de n’aimer en nulle femme.
J’ai triste de mon cœur en bois,
Et j’ai très triste de mes pierres,
Et des maisons où, dans du froid,
Au dimanche des cœurs de bois,
Les lampes mangent la lumière.
Et j’ai triste d’une eau-de-vie
Qui fait rentrer tard les soldats.
Au dimanche ivre d’eau de vie,
Dans mes rues pleines de soldats,
J’ai triste de trop d’eau-de-vie.
Oeuvres complètes
Sortie : 1967 (France). Poésie
livre de Max Elskamp
Annotation :
CELLE QUI PASSE
Je suis celle qui suis le pain
Des jours où d’amour on a faim,
Celle qui va, vient, qui passe,
Dans les cœurs sans laisser de traces ;
Je suis celle en l’instant ou l’heure,
Qui apaise désir sans leurre,
Comme coupe qu’on porte aux lèvres
Pour calmer sa soif ou ses fièvres,
Quand c’est de nuit ou bien de jour
Qu’à vivre on sent son cœur trop lourd.
Je suis celle du sang qui bat
Chez qui l’on vient, chez qui l’on va,
Dans la nuit noire ou le jour clair,
Pour en soi apaiser sa chair,
D’hiver, automne, été, printemps,
Comme est la vie en tous les temps,
Dans les désirs qu’elle nous quitte,
Et puis après celle qu’on quitte
Dans l’heure ou l’instant comme il est
Sans peine, chagrin ou regret,
Comme le verre où l’on a bu
Quand soif que l’on avait s’est tue.
Je suis celle dont l’âme est morte,
Et dans le cœur qu’en soi l’on porte
Dans l’émoi est inconscient,
Et qui le sait et y consent ;
Je suis celle qui souriant
Debout sur le seuil de sa porte,
Dans la pluie comme dans le vent,
Attend ceux que la nuit apporte.
Rimes de joie (1881)
Sortie : 1881. Poésie
livre de Théodore Hannon
Annotation :
Chère, rappelle-toi ce lourd bouquet forain
Que humait goulûment le peuple souverain.
Les fifres dans la nuit déversaient leurs vinaigres.
Le bugle éternuait à la face des cors
Et des pistons faussés.
Scandant ces désaccords,
Tonitruaient les tambours maigres.
Mais plus stridente encor s’éparpillaient dans l’air
Une gamme d’odeurs à défier tout flair,
Et plus farouchement éclatait la fanfare
Des huiles en travail et des âcres saindoux
Épandant leurs relents intenses par l’air doux
Où ta narine en fleur s’effare.
Reporter scrupuleux, j’ai noté, sans rancœur,
Les curieuses voix et les cris de ce chœur
Dont mon nez a perçu la fleurante harmonie :
Boudin blanc, moule en deuil, crabe en pourpre gilet,
Pomme de terre d’or, saucisson violet,
O grésillante symphonie !
La Nuit
Sortie : 1893 (France). Récit
livre de Iwan Gilkin
Annotation :
STERCORAIRES
À la face du ciel, chez les peuples du Gange,
Toutes les saletés des villes sans égout
— Pour la mouche et le ver délicieux ragoût —
Bavent sur le pavé leur innommable fange.
Des tas de détritus et de déjections
Où dans l’ordure luit la blancheur des cadavres,
Forment des continents de caps mous et de havres
Qu’un liquide puant baigne d’infections.
Bouses, fumiers malsains, carcasses et charognes
Brasillent au soleil qui fait fumer leur jus.
Les vautours vidangeurs et les aigles goulus
Disputent ce festin aux macabres cigognes.
Puis, repus de poisons, loin des lieux habités,
Ils cherchent pour mourir les hauts monts solitaires.
— Les poètes aussi, pareils aux stercoraires,
Mangent les excréments des boueuses cités.
Les intestins chargés de pourriture humaine,
Dont le venin leur brûle et leur corrompt le sang,
Sur leurs Himalayas ils crèvent en poussant
Un effroyable cri de douleur et de haine.
Les Campagnes hallucinées · Les Villes tentaculaires (1893)
Sortie : 1893 (France). Poésie
livre de Emile Verhaeren
No_Hell a mis 8/10.
Annotation :
La mort
Avec ses larges corbillards
Ornés de plumes majuscules,
Par les matins, dans les brouillards,
La mort circule.
Parée et noire et opulente,
Tambours voilés, musiques lentes,
Avec ses larges corbillards,
Flanqués de quatre lampadaires,
La Mort s'étale et s'exagère.
Pareils aux nocturnes trésors,
Les gros cercueils écussonnés
- Larmes d'argent et blasons d'or -
Ecoutent l'heure éclatante des glas
Que les cloches jettent, là-bas :
L'heure qui tombe, avec des bonds
Et des sanglots, sur les maisons,
L'heure qui meurt sur les demeures,
Avec des bonds et des sanglots de plomb.
Parée et noire et opulente,
Au cri des orgues violentes
Qui la célèbrent,
La mort tout en ténèbres
Règne, comme une idole assise,
Sous la coupole des églises.
Des feux, tordus comme des hydres,
Se hérissent, autour du catafalque immense
OÙ des anges, tenant des faulx et des cleps
Dressent leur véhémence,
Clairons dardés, vers le néant.
Le vide en est grandi sous le transept béan
De hautes voix d'enfants
jettent vers les miséricordes
Des cris tordus comme des cordes,
Tandis que les vieilles murailles
Montent, comme des linceuls blancs,
Autour du bloc formidable et branlant
De ces massives funérailles.
Drapée en noir et familière,
La Mort s'en va le long des rues
Longues et linéaires.
Drapée en noir, comme le soir,
La vieille Mort agressive et bourrue
S'en va par les quartiers
Des boutiques et des métiers,
En carrosse qui se rehausse
De gros lambris exorbitants,
Couleur d'usure et d'ancien temps.
Drapée en noir, la Mort
Cassant, entre ses mains, le sort
Des gens méticuleux et réfléchis
Qui s'exténuent, en leurs logis,
Vainement, à faire fortune,
La Mort soudaine et importune
Les met en ordre dans leurs bières
Comme en des cases régulières'.
Et les cloches sonnent péniblement
Un malheureux enterrement,
Sur le défunt, que l'on trimballe,
Par les églises colossales,
Vers un coin d'ombre, où quelques cierg
Pauvres flammes, brÛlent, devant la Vieri
Vêtue en noir et besogneuse,
La Mort gagne jusqu'aux faubourgs,
En chariot branlant et lourd,
Avec de vieilles haridelles
Qu'elle flagelle
Chaque matin, vers quels destins ?
Vêtue en noir,
La Mort enjambe le trottoir
Et l'égout pâle, où se mirent les bornes,
Qui vont là-bas, une à une, vers les champs mornes;
Et leste et rude et dédaigneuse
Gagne les escaliers et s'arrête sur les paliers
OÙ l'on entend pleurer et sangloter,
Derrière la porte entr'ouverte,
Des gens laissant l'espoir tomber,
Inerte. (…)
Les vies encloses
Les vies encloses
Sortie : 1896 (France). Poésie
livre de Georges Rodenbach
Annotation :
Nous avons nos Limbes obscures
Où dorment des projets mort-nés,
Comme des enfants sans figures.
Rêves en germe, espoirs aînés,
Rosiers trop faibles, lis trop pâles,
Avant l'avril déracinés.
Nous avons nos Limbes mentales
Où sont des désirs mal éclos,
Des fleurs où manquent des pétales;
Jardins obscurs comme un chaos
Où des amours non abouties
Vivent encor, mais les yeux clos.
Ah! tant d'images décaties!
Et tout ce beau froment en vain
Qui rêvait d'être des hosties.
Sombre royaume souterrain,
Labyrinthe d'inconscience,
C'est là qu'on est un peu divin…
Un rêve y dure, un voeu s'élance;
Un espoir vit, quoique déçu;
Un reflet à l'eau se fiance;
Et cela bouge à mon insu
Dans ce clair-obscur de moi-même:
Tout un Univers mal conçu,
Et tout des songes sans baptême!
La Chanson d'Eve
Sortie : 1980 (France). Poésie
livre de Charles Van Lerberghe
Annotation :
CRÉPUSCULE
Une aube pâle emplit le ciel triste ; le Rêve,
Comme un grand voile d’or, de la terre se lève.
Avec l’âme des roses d’hier,
Lentement montent dans les airs
Comme des ailes étendues,
Comme des pieds nus et très doux,
Qui se séparent de la terre,
Dans le grand silence à genoux.
L’âme chantante d’Ève expire,
Elle s’éteint dans la clarté ;
Elle retourne en un sourire
À l’univers qu’elle a chanté.
Elle redevient l’âme obscure
Qui rêve, la voix qui murmure,
Le frisson des choses, le souffle flottant
Sur les eaux et sur les plaines,
Parmi les roses, et dans l’haleine
Divine du printemps.
En de vagues accords où se mêlent
Des battements d’ailes,
Des sons d’étoiles,
Des chutes de fleurs,
En l’universelle rumeur
Elle se fond, doucement, et s’achève,
La chanson d’Ève.
Notre mère la ville : Poèmes 1921 - 1922
Sortie : 1922 (France). Poésie
livre de Odilon-Jean Périer
Annotation :
Vieillir
Le buveur de café rit
Il est triste et mal rasé
Encore six ans de jeunesse
(C’est un homme sans maîtresse
C’est un buveur de café)
Sollicitude Incertitude
L’élégance des gens perdus
(Encore six mois de jeunesse)
O mes belles mains sans emploi
Ici, ailleurs, demain, partout
Encore six jours
Encore six heures
Je m’en vais
De qui parlez-vous
Voici le verre où il buvait.
La Chanson du Pauvre
Sortie : 1907 (France). Poésie
livre de Grégoire Le Roy
Annotation :
ÉCHOS DES VALSES
Valses d’antan, minces fluettes
Rythmes bercés aux jardins d’autrefois...
Cloches d’antan, minces, fluettes.
Fuite d’échos qu’en mon âme je vois...
Choses d’antan subtilisées :
Chambre déserte où se fane un parfum...
Choses d’amour éternisées :
Fleur de baiser qui s’effeuille en chacun.
Voix du passé, voix incertaines,
Comme un écho de refrains bien connus ;
Voix qui s’en vont loin, et lointaines,
Bons souvenirs, en allés, revenus...
Rythmes en rond d’escarpolettes !
Valses d’antan... pourquoi muettes ?
Poèmes
Sortie : 1 septembre 2005 (France). Poésie
livre de Odilon-Jean Périer
No_Hell a mis 8/10.
Annotation :
Je t’offre un verre d’eau glacée
N’y touche pas distraitement
Il est le prix d’une pensée
Sans ornement
Tous les plaisirs de l’amitié
Combien cette eau me désaltère
Je t’en propose une moitié
La plus légère
Regarde je suis pur et vide
Comme le verre où tu as bu
Il ne fait pas d’être limpide
Une vertu
Plus d’eau mais la lumière sage
Donne à mon présent tout son prix
Tel, un poète où Dieu s’engage
Et reste pris
Le promeneur
Sortie : mai 1989 (France).
livre de Odilon-Jean Périer
Annotation :
HISTOIRE D'UN POEME
Fenêtre ouverte sur la ville Chant détaché
Le soir emplit un paysage vaste et lisse Cérémonies Loi satisfaite
Tous les rêves Tous les projets
Adieu Je ferme la fenêtre
Un homme est seul dans sa patrie
Rideaux tirés Ville oubliée Chant passionné
Journée parfaite.
La Jeunesse blanche (1913)
Sortie : 1 février 2016 (France). Poésie
livre de Georges Rodenbach
Annotation :
VIEUX QUAIS
Il est une heure exquise à l’approche des soirs,
Quand le ciel est empli de processions roses
Qui s’en vont effeuillant des âmes et des roses
Et balançant dans l’air des parfums d’encensoirs.
Alors, tout s’avivant sous les lueurs décrues
Du couchant dont s’éteint peu à peu la rougeur,
Un charme se relève aux yeux las du songeur ;
Le charme des vieux murs au fond des vieilles rues.
Façades en relief, vitraux coloriés,
Bandes d’Amours captifs dans le deuil des cartouches,
Femmes dont la poussière a défleuri les bouches,
Fleurs de pierre égayant les murs historiés.
Le gothique noirci des pignons se décalque
En escaliers de crêpe au fil dormant de l’eau,
Et la lune se lève au milieu d’un halo
Comme une lampe d’or sur un grand catafalque.
Oh ! les vieux quais dormants dans le soir solennel.
Sentant passer soudain sur leurs faces de pierre
Les baisers et l’adieu glacé de la rivière
Qui s’en va tout là-bas sous les ponts en tunnel.
Oh ! les canaux bleuis l’heure où l’on allume
Les lanternes, canaux regardés des amants
Qui devant l’eau qui passe échangent des serments
En entendant gémir des cloches dans la brume.
Tout agonise et tout se tait : on n’entend plus
Qu’un très mélancolique air de flûte qui pleure,
Seul, dans quelque invisible et noirâtre demeure
Où le joueur s’accoude aux châssis vermoulus !
Et l’on devine au loin le musicien sombre,
Pauvre, morne, qui joue au bord croulant des toits ;
La tristesse du soir a passé dans ses doigts,
Et dans sa flûte à trous il fait chanter de l’ombre.
Toi qui pâlis au nom de Vancouver. Oeuvres poétiques 1924 - 1975
Sortie : 1975 (France). Poésie
livre de Marcel Thiry
Annotation :
Toi qui pâlis au nom de Vancouver,
Tu n'as pourtant fait qu'un banal voyage;
Tu n'as pas vu la Croix du Sud, le vert
Des perroquets ni le soleil sauvage.
Tu t'embarquas à bord de maint steamers,
Nul sous-marin ne t'a voulu naufrage;
Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,
Pour déserter tu fus toujours trop sage.
Mais qu'il suffise à ton retour chagrin
D'avoir été ce soldat pérégrin
Sur les trottoirs des villes inconnues,
Et, seul, un soir, dans un bar de Broadway,
D'avoir aimé les grâces Greenaway
D'une Allemande aux mains savamment nues.
Qui je fus (1927)
Sortie : 1928 (France). Poésie
livre de Henri Michaux
Annotation :
LE GRAND COMBAT
Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupéte jusqu'à son drâle ;
Il le pratéle et le libucque et lui baroufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse.
L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s'emmargine... mais en vain
Le cerveau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret.
Mégères alentours qui pleurez dans vos mouchoirs;
On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et on vous regarde,
On cherche aussi, nous autres le Grand Secret.
Oeuvres poétiques complètes
Sortie : 12 mai 2004 (France). Poésie
livre de Christian Dotremont
Annotation :
ETRE ENSEMBLE
Ma femme est un buisson vivant de moire
la mer un grand drapeau tombé
le feu est le rêve de l'arbre
le vent un grand drapeau décoloré
mais la guerre n'est pas la paix.
Il ne suffit pas de parler à l'envers
d'être langouste à longue langue
pour que nous rêvions.
Il ne suffit pas de parler du beau temps
en ouvrant un parapluie
ni d'ouvrir un parapluie
pendant que nous préparons le printemps.
Il ne suffit pas de graisser au beurre les canons
de mettre aux armes des faveurs d'oliviers.
Un mensonge nous réveille
nous ne rêvons que vérité
le petit bout de votre oreille
fait du bruit à réveiller
les morts que nous avons dans la mémoire
et notre rêve ne dort pas
et notre mémoire ne dort pas
nous sommes debout dans nos leçons
et debout dans notre rêve….
Brabant
Sortie : 1967 (France).
livre de Maurice Carême
Annotation :
Puissé-je, quand la mort me croisera les mains
Tandis que mon esprit rejoindra tes collines
Reposer à jamais sur ta large poitrine
Comme un enfant qui dort, oublié dans le foin.
Merci @Aurea
Poésies 1923-1988
Sortie : 22 février 1990 (France). Poésie
livre de Norge
Annotation :
Boucherie
Dans la boucherie ombragée
Par d’opulents morceaux de bœuf
Officie un prêtre tout veuf.
Son épouse d’ailleurs âgée
Étant morte depuis le neuf Courant,
un vendredi par chance.
Et lui, prince de la balance,
Jette bien rouges sur ce trône
Digne aloyau, rognons béjaunes
Et les grandes langues aphones
Les cervelles conjecturales
Aux florescences sous-marines
Et la tête de veau très pâle
Mais un peu plus rose aux narines.
La date du jour fiancée
Aux œillets du comptoir parmi
Les doux cressons et les pensées
De la clientèle d’ici
Sont bien présents dans ce récit.
Et quel beau ressac pour l’esprit
De ce boucher triste qui songe
Entre tous ses coups de hachoir
Au sort de la chair, de déchoir ;
Tandis que tombe un peu le soir
Et que feu la bouchère plonge
Son récent fantôme au milieu
De ces fantômes demi-dieux
Qui hantent dans la boucherie
Leurs sanglantes allégories.
America / En Orient
Poésie
livre de William Cliff
Annotation :
Nous sommes arrivés…
nous sommes arrivés sur le treizième parallèle
j’ai déjà vu sur l’eau passer deux trois poissons volants
l’Anglais chargé des chambres froides est venu tout courant
dans le château pour qu’on lui prête un moment les jumelles
il prétend avoir vu bouger au loin une baleine
on se met à scruter tous les cantons de l’océan
mais on ne voit au loin bouger que des clapotements
le cétacé n’a visité l’Anglais que dans son rêve
ainsi à force de ne voir à longueur de semaines
que rien et toujours rien faire le vide autour de nous
on se met à jeter sur le désert des rêves fous
pour tenter d’alléger le poids de n’être que notre être
l’Anglais est retourné s’occuper de ses chambres froides
et l’officier a recourbé la tête sur ses cartes
Le Grand cardiaque (1969)
Sortie : 1969. Poésie
livre de Achille Chavée
Annotation :
TOUR D’HORIZON
Un confetti sur un écueil
un nécromant dans un cercueil
un dromadaire portant le deuil
Un spirochète dans l’artère
un aléa dans le mystère
un autochtone sur ses terres
Une gondole sur un canal
un électron phénoménal
un cri d’oiseau qui me fait mal
Un galopin qui se mutine
un adjudant dans ses sardines
un grand amour qui se débine
Un léopard dans son manteau
un poil de cul sous les ciseaux
un évéché dans le ruisseau
Un aristo à la lanterne
un vieux grognard en sa giberne
un horoscope à la citerne
Un nom pour le calendrier
l’orage dans un encrier
la chute dans un cendrier
Un enfant nu sur une plage
une âme ratant un virage
l’éternité aux seins volages
Poèmes du sang
Sortie : 1 janvier 1976 (France). Poésie
livre de Arthur Haulot
Annotation :
Nous aurons devant nous des temps brillants comme des siècles
pour apprendre les sortilèges :
celui des montres de bergers
taillées dans des sureaux imaginaires
habiles à dévider les jours
quand la lumière se fait ligne ;
celui des signes inventés de proche en proche
pour conjurer les peurs
conquérir sans mérite les faveurs des devins
et pour brouiller les pistes
celui qu’il faut apprivoiser pour découvrir l’amour des hommes,
celui pour créer le premier poème du monde
et celui pour donner la vie.
Même,
si les saisons nous sont propices,
je t’indiquerai les simples qu’il faut mâcher avant l’aube
pour apaiser les amertumes et comment
imposer les mains aux tempes de la terre
et lui rendre la paix.
Heures locales
Sortie : 1 novembre 1977 (France). Poésie
livre de Francis Dannemark
Annotation :
Le sax aphone
Le sax aphone
D’un musicien aveugle
Joue en sourdine pour des sourds-dingues
Qui dînent et s’endorment
Dans un bar de Saint-Domingue
Le sax aphone
D’un aveugle musicien
Met en joue la nuit jusqu’au bout
Sur une piste de danse
Où les dormeurs s’avancent
Et Saint-Domingue n’est plus
Qu’une île nue qui balance
Sur la corde tendue
De trois notes de silence
L'expérience continue (1966)
Sortie : 1981 (France). Poésie
livre de Paul Nougé
Annotation :
LA … ...
Elvire est une …. très … .
Elle n'est pas comme certaines …. pour qui ….. est toujours trop ……. et le ……. trop …….
Elle sait que la ……. est nécessaire à la…….
Non seulement sa …… et ses ……, mais son cou, ses bras et ses épaules sont ….. à ….. …… chaque matin.
Fréquemment elle se ….. les ……,la tête, tout le corps.
Elle n'emploie jamais que de ….. …… : l'été, cela la ….; l'hiver, elle se …….. et est vite ……
Aussi, elle jouit d'une …….
Regardez comme elle est ….. et ….. : qui lui donne ce ……
Suivez l'exemple d'……..
Le pêcheur d'eau
Sortie : 1995 (France). Poésie
livre de Guy Goffette
Annotation :
Mais que cherchais-tu donc qui ne fût pas
le vent debout, ni le ressac d’enfance
dans les soirs gris, ni le redoublement
du vertige d’aimer
une autre terre que celle-ci, un autre
ciel, un autre temps ? Que cherchais-tu
sur la route que tu n’aies pas trouvé déjà
dans l’herbe familière
et déjà reperdu, bague de rosée ou signe
qu’un homme allant à son pas t’a laissé
sur la vitre avant de disparaître,
ouvrant les arbres
un puits où la lumière se nourrit de tes yeux.
Cobra poesie
Sortie : 3 juin 1992 (France).
livre de Collectif
Annotation :
L'ORTHOCATALOGRAHE
Jamais je ne me rappelle j'appelle
par son nom ce que j'interpelle
jamais je ne me contiens
je me contente de ce qui constamment me tente
jamais je ne m'écorne ni l'œil ni l'oreille
je vote pour les corbeaux contre les corneilles
jamais je ne vais à la guerre
j'orne mon cœur de ma colère
jamais je ne donne de hennin à ma femme
j aime sa chevelure comme une flamme
jamais je ne machine ni ne m'exquise
je ne m'allèche que si je me grise
jamais je ne suis petit poucet
dans la douce forêt du passé
amais je ne jette par la fenêtre
le tas giclant de rires qui est mon maître
jamais je ne tombe dans la gueule du loup
je ne tombe jamais dans la gueule du goût
et je ne vais dans les musées que pour enlever les Muselières
(Christian Dotremont)
La Soif et l'Oubli
Sortie : 8 avril 1999 (France). Poésie
livre de Jean-Luc Wauthier
Annotation :
Dans une autre vie
sous un autre ciel
un autre homme étonné
te regarde
et tu détournes la tête -
alors que tu pourrais lui parler
de trois ou quatre cailloux blancs
ramassés sur un chemin de sable
qu'il ne connait pas
et dont on t'a chuchoté à l'oreille
le nom imprononçable
On a beau dire (1984)
Sortie : 1 janvier 1984. Poésie
livre de Paul Neuhuys
Annotation :
COUDRIER
Le coudrier est joyeux drille qu'on voit partout en espadrilles
La mort ne l'effraie pas because il croit à la métempsycose
Âne je fus, aigle serai
et jamais femme ne prendrai
car la meilleure, à moins de rire, ne cherche qu'à vous amoindrir
Fiévreux, malade, tropical, je fus naguère au
Sénégal
Rien qu'une hutte de branchages pour nous préserver de l'orage
et c'est désespérément nus que nous en sommes revenus.
Oeuvres poétiques
Sortie : 1 avril 2004 (France). Poésie
livre de Marie Gevers
Annotation :
OCTOBRE
Les nuages sont des quenouilles,
Les doigts du vent, légers et vifs,
Y filent la pluie où se mouillent
Nos chênes, nos hêtres, nos ifs.
La pluie est une grande trame
Se tendant du ciel jusqu’au sol,
En navettes, couleur de flamme,
Les feuilles y lancent leur vol.
Ainsi, le voile de l’automne,
Se tisse autour de la maison,
Étouffant entre ses plis jaunes
Le souvenir des floraisons.
Et tandis que l’heure s’écoule,
Fil à fil, moment par moment,
Sur le métier du temps s’enroulent
Nos jours d’octobre doucement.
(Les Arbres et le Vent)
Oiseaux, éclairs et autres instants
Sortie : 1 janvier 1976 (France). Poésie
livre de André Schmitz
Annotation :
« Chienne aux abois douloureusement
poussant du front
sa tête fiévreuse
contre un mur dans la chambre
Et c’est toujours et partout
la grande mort que chacun porte en soi *
fût-ce animalement
Le mur cède et la chienne s’écoule
rejoignant la lumière noire
d’une aube fantôme
* Rilke
(poème inédit paru dans la revue Traversées, n°66)
Le Guetteur de Matins (2015)
Sortie : juillet 2015. Poésie
livre de Anne Léger et Jacques Cornerotte
Annotation :
Juste ce qu’il faut sur une table
Il faut en premier la table
vaste et large de bois clair et jeune
ou vieux et noueux, mais large et vaste !
Et puis un banc, des chaises
pour se poser, retour de voyage,
de pérégrinations, et même parfois,
de ratiocinations retour de quelque chose enfin
Voilà, il y a la table,
il y a le banc,
Sur la table, deuxièmement, il faut une bougie,
la lumière, le guetteur
la vigie le souffle qui éclaire
Allumer chaque matin la bougie,
chaque matin allumer la vigie
Il faut ensuite l’eau
dans une cruche,
c’est bien l’eau belle et fraîche
celle qui court de la source
au grand jour L’eau
Ensuite encore, il faut le sel, l’épice de la terre, le sel qu’on met
sur les lèvres de celui qui arrive,
de celui qui part le sel
il faut enfin et pour en finir
celui qui arrive celui qui part
(Anne Léger)