Cover Poèmes

Poèmes

qui m'aident à vivre.

Liste de

22 livres

créée il y a environ 6 ans · modifiée il y a 6 mois
Corps et biens
7.6
1.

Corps et biens (1930)

Sortie : 1930 (France). Poésie

livre de Robert Desnos

B-Lyndon a mis 10/10.

Annotation :

SI TU SAVAIS

Loin de moi et semblable aux étoiles et à tous les accessoires
de la mythologie poétique,
Loin de moi et cependant présente à ton insu,
Loin de moi et plus silencieuse encore parce que je t’imagine sans cesse,
Loin de moi, mon joli mirage et mon rêve éternel, tu ne peux pas savoir.
Si tu savais.
Loin de moi et peut-être davantage encore de m’ignorer et m’ignorer encore.
Loin de moi parce que tu ne m’aimes pas sans doute ou ce qui revient au même,
que j’en doute.
Loin de moi parce que tu ignores sciemment mes désirs passionnés.
Loin de moi parce que tu es cruelle.
Si tu savais.
Loin de moi, ô joyeuse comme la fleur qui danse dans la rivière
au bout de sa tige aquatique, ô triste comme sept heures du soir
dans les champignonnières.
Loin de moi silencieuse encore ainsi qu’en ma présence et joyeuse encore
comme l’heure en forme de cigogne qui tombe de haut.
Loin de moi à l’instant où chantent les alambics, l’instant où la mer silencieuse et bruyante
se replie sur les oreillers blancs.
Si tu savais.
[...]
Loin de moi une maison achève d’être construite.
Un maçon en blouse blanche au sommet de l’échafaudage chante une petite chanson très triste
et, soudain, dans le récipient empli de mortier apparaît le futur de la maison :
les baisers des amants et les suicides à deux et la nudité dans les chambres
des belles inconnues et leurs rêves même à minuit, et les secrets voluptueux
surpris par les lames de parquet.
Loin de moi,
Si tu savais.
Si tu savais comme je t’aime et, bien que tu ne m’aimes pas, comme je suis joyeux,
comme je suis robuste et fier de sortir avec ton image en tête, de sortir de l’univers.
Comme je suis joyeux à en mourir.
Si tu savais comme le monde m’est soumis.
Et toi, belle insoumise aussi, comme tu es ma prisonnière.
Ô toi, loin-de-moi, à qui je suis soumis.
Si tu savais.

Ma vie sans moi
8.1
2.

Ma vie sans moi

Sortie : 25 mai 1970 (France). Poésie

livre de Armand Robin

Annotation :

LE PROGRAMME EN QUELQUES SIÈCLES


On supprimera la Foi
Au nom de la Lumière,
Puis on supprimera la lumière.

On supprimera l’Âme
Au nom de la Raison,
Puis on supprimera la raison.

On supprimera la Charité
Au nom de la Justice,
Puis on supprimera la justice.

On supprimera l‘Amour
Au nom de la Fraternité,
Puis on supprimera la fraternité.

On supprimera l’Esprit de Vérité
Au nom de l’Esprit critique,
Puis on supprimera l’esprit critique.

On supprimera le Sens du Mot
Au nom du Sens des mots,
Puis on supprimera le sens des mots.

On supprimera le Sublime
Au nom de l’Art,
Puis on supprimera l’art.

On supprimera les Écrits,
Au nom des Commentaires,
Puis on supprimera les commentaires.

On supprimera le Saint
Au nom du Génie,
Puis on supprimera le génie.

On supprimera le Prophète
Au nom du Poète,
Puis on supprimera le poète.

On supprimera l’Esprit
Au nom de la Matière,
Puis on supprimera la matière.

AU NOM DE RIEN ON SUPPRIMERA L’HOMME.
ON SUPPRIMERA LE NOM DE L’HOMME :
IL N’Y AURA PLUS DE NOM

NOUS Y SOMMES.

Capitale de la douleur
7.7
3.

Capitale de la douleur (1926)

suivi de L'Amour la poésie

Sortie : 1926 (France). Poésie

livre de Paul Éluard

B-Lyndon a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

AU HASARD UNE EPOPEE

Au hasard une épopée, mais bien finie maintenant,
Tous les actes sont prisonniers
D'esclaves à barbe d'ancêtre
Et les paroles coutumières
Ne valent que dans la mémoire.

Au hasard tout ce qui brûle, tout ce qui ronge,
Tout ce qui use, tout ce qui mord, tout ce qui tue,
Mais ce qui brille tous les jours
C'est l'accord de l'homme et de l'or,
C'est un regard lié à la terre.
[...]


DÉFENSE DE SAVOIR

[…]

L’aventure est pendue au cou de son rival
L’amour dont le regard se retrouve ou s’égare
Sur les places des yeux désertes ou peuplées.

Toutes les aventures de la face humaine,
Cris sans échos, signes de mort, temps hors mémoire,
Tant de beaux visages, si beaux
Que les larmes les cachent,
Tant d’yeux aussi sûrs de leur nuit
Que des amants mourant ensemble,
Tant de baisers sous roche et tant d’eau sans nuages,
Apparitions surgies d’absences éternelles,
Tout était digne d’être aimé,
Les trésors sont des murs et leur ombre est aveugle
Et l’amour est au monde pour l’oubli du monde.

[…]

Les Travaux et les Nuits
8.5
4.

Les Travaux et les Nuits

Sortie : 6 décembre 2013 (France). Poésie

livre de Alejandra Pizarnik

B-Lyndon a mis 9/10.

Annotation :

OMBRES DES JOURS A VENIR

Demain
on me vêtira de cendres à l’aube,
on m’emplira la bouche de fleurs.
J’apprendrai à dormir
dans la mémoire d’un mur,
dans la respiration
d’un animal qui rêve.

La Mort dans l'avion et autres poèmes
5.

La Mort dans l'avion et autres poèmes (2005)

Sortie : 2005. Poésie

livre de Carlos Drummond de Andrade

B-Lyndon a mis 10/10.

Annotation :

POÈME A SEPT FACES


Quand je suis né, un ange tors
un de ceux qui vivent dans l’ombre,
a dit : Tu vas, Carlos! être gauche dans la vie.

Les maisons épient les hommes
qui courent après les femmes.
L'après-midi serait peut-être bleu
s’il n'y avait tant de désirs.

Le tramway passe bondé de jambes :
jambes blanches noires jaunes.
Pour quoi tant de jambes, mon Dieu, demande mon cœur.
Pourtant mes yeux ne demandent rien.

L’homme derrière sa moustache
est sérieux, simple et fort.
Il ne parle presque pas.
Il a quelques rares amis
l’homme derrière ses lunettes et sa moustache.

Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné
si tu savais que je n’étais pas Dieu,
si tu savais que j’étais faible.

Monde, monde vaste monde,
si je m’appelais Raymonde
ce serait une rime, pas une solution.
Monde, monde vaste monde,
plus vaste est mon cœur.

Je devrais pas te le dire,
mais cette lune,
mais ce cognac,
nous bouleversent en diable.

Chant à son amour disparu
6.

Chant à son amour disparu

Edition bilingue français-espagnol (Chili)

Sortie : 2 juin 2015 (France). Poésie

livre de Raúl Zurita

Annotation :

LA VIE NOUVELLE

Laisse-moi t’annoncer, alors, la vie nouvelle.
Allons, écoute, il importe peu
qu’elle ne soit pour l’heure que le passage
du vent dans les feuilles
(des préhistoires, des empires, des famines,
des cités fortifiées passent en sifflant
entre les feuilles)
Quelque chose de lointain frappe au carreau.
Dans un autre temps, j’aurais cru que ce n’était
qu’une pierre ; aujourd’hui je sais qu’une pierre
fait aussi partie de ce que je te dis
Laisse-moi, alors, t’annoncer ce qui est nouveau,
ainsi, comme si, soudain, je te prenais entre
mes bras et ce serait le vent
et tu ne le saurais pas

comme si c’était toi-même qui parlais
et tu ne le saurais pas
comme si c’était la mer et tu ne le saurais pas

Élégies de Duino
8.2
7.

Élégies de Duino (1922)

(traduction François-René Daillie)

Duineser Elegien

Sortie : 2006 (France). Poésie

livre de Rainer Maria Rilke

B-Lyndon a mis 10/10.

Annotation :

LA TROISIEME ELEGIE

[...] Vois, notre amour ne naît pas comme celui des fleurs d'une seule saison. Quand nous aimons, une sève immémoriale monte en nos bras. Songe, ô jeune fille, à ceci : nous avons aimé en nous-même non l'unique, non le futur, mais l'innombrable qui bouillonne. Nous n'aimons pas une seule enfant, mais les pères qui reposent au fond de nous comme les débris d'une chaîne de montagnes, mais le lit asséché du fleuve de nos mères d'autrefois, mais tout le paysage silencieux que couvre une fatalité nuageuse ou pure - tout cela, ô jeune fille, t'as précédée.

Et toi-même que sais-tu ? Tu as fait naître dans l'amant des temps antérieurs. Quels sentiments venant d'êtres d'autrefois se sont frayé un chemin jusqu'au présent ? Là-bas, quelles femmes t'ont haïe ? Quels homme ténébreux as-tu éveillés dans les veines de l'adolescent ?
Des enfants morts voulaient venir à toi...
Ô doucement, doucement, accomplis devant lui avec un amour confiant un ouvrage quotidien, conduis-le jusqu'au jardin, donne-lui les nuits, leur poids très lourd...
Préserve-le...

Les Chants de Maldoror
8.2
8.

Les Chants de Maldoror (1869)

Sortie : 1869 (France). Poésie

livre de Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse)

B-Lyndon a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

JE TE SALUE, VIEIL OCÉAN
(Extrait du Chant Premier)


[...]

Vieil océan, ô grand célibataire, quand tu parcours la solitude solennelle de tes royaumes flegmatiques, tu t’enorgueillis à juste titre de ta magnificence native, et des éloges vrais que je m’empresse de te donner. Balancé voluptueusement par les mols effluves de ta lenteur majestueuse, qui est le plus grandiose parmi les attributs dont le souverain pouvoir t’a gratifié, tu déroules, au milieu d’un sombre mystère, sur toute ta surface sublime, tes vagues incomparables, avec le sentiment calme de ta puissance éternelle. Elles se suivent parallèlement, séparées par de courts intervalles. À peine l’une diminue, qu’une autre va à sa rencontre en grandissant, accompagnées du bruit mélancolique de l’écume qui se fond, pour nous avertir que tout est écume. (Ainsi, les êtres humains, ces vagues vivantes, meurent l’un après l’autre, d’une manière monotone ; mais, sans laisser de bruit écumeux). L’oiseau de passage se repose sur elles avec confiance, et se laisse abandonner à leurs mouvements, pleins d’une grâce fière, jusqu’à ce que les os de ses ailes aient recouvré leur vigueur accoutumée pour continuer le pèlerinage aérien. Je voudrais que la majesté humaine ne fût que l’incarnation du reflet de la tienne. Je demande beaucoup, et ce souhait sincère est glorieux pour toi. Ta grandeur morale, image de l’infini, est immense comme la réflexion du philosophe, comme l’amour de la femme, comme la beauté divine de l’oiseau, comme les méditations du poète. Tu es plus beau que la nuit. Réponds-moi, océan, veux-tu être mon frère ?

[...]

Plume
7.8
9.

Plume (1938)

précédé de Lointain intérieur

Sortie : 23 octobre 1985 (France). Poésie

livre de Henri Michaux

B-Lyndon a mis 8/10.

Annotation :

L'ARRACHAGE DE TÊTE


[...]

Ils ne savent plus que faire, ils reviennent, ils retournent, ils reviennent, ils
repartent, ils repartent, suivis du regard qui attend, un regard fixe.
Enfin ils se perdent dans la nuit, et ça leur est d’un grand soulagement ; pour
eux, pour leur conscience. Demain, ils repartiront au hasard, dans une direction qu’ils suivront tant qu’ils pourront. Ils essaieront de se faire une vie. C’est bien difficile. On essaiera. On essaiera de ne plus songer à rien de tout ça, à vivre comme avant, comme tout le monde…

OEuvres
8.3
10.

OEuvres (1999)

Sortie : 23 septembre 1999. Poésie

livre de Robert Desnos

Annotation :

DEMAIN

Âgé de cent mille ans, j'aurais encore la force
De t'attendre, ô demain pressenti par l'espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : neuf est le matin, neuf est le soir.

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent.

Travailler fatigue - La Mort viendra et elle aura tes yeux - Poésies variées
7.7
11.

Travailler fatigue - La Mort viendra et elle aura tes yeux - Poésies variées (1950)

Sortie : 1979 (France). Poésie

livre de Cesare Pavese

B-Lyndon a mis 9/10.

Annotation :

LES MERS DU SUD

[...]
Nous marchons depuis bientôt une heure. Le sommet est tout près ;
Autour de nous, toujours plus fort, le vent siffle et murmure.
Mon cousin s’arrête tout à coup et se tourne : « Cette année,
je mettrai sur l’affiche : Santo Stefano
a toujours triomphé dans les fêtes
de la vallée du Belbo — que ceux de Canelli
se le tiennent pour dit. » Puis, il reprend sa marche.
Un parfum de terre et de vent nous enveloppe dans le noir,
au loin, quelques lumières : des fermes, des autos
que l’on entend à peine ; et je pense à la force
qui m’a rendu cet homme, l’arrachant à la mer
et aux terres lointaines, au silence qui dure.
Mon cousin ne parle pas des voyages qu’il a faits.
Il dit, tout juste, qu’il a été dans tel ou tel endroit
et pense à ses moteurs.

Seul un rêve
lui est resté dans le sang : une fois, comme chauffeur
il a croisé sur un bateau hollandais, le Cétacé,
et il a vu les lourds harpons voler dans le soleil,
les baleines s’enfuir au milieu d’une écume de sang,
il a vu la poursuite, les queues se dresser, la lutte en baleinière.
Quelques fois, il m’en parle.

Mais lorsque je lui dis
qu’il est de ces heureux qui ont vu l’aurore
sur les plus belles îles de la terre,
au souvenir il sourit et répond que le soleil
se levait sur un jour qui était vieux pour eux.

Poésies
8.7
12.

Poésies (2008)

Sortie : 2008 (France). Poésie

livre de Arthur Rimbaud

Annotation :

LES POÈTES DE SEPT ANS


Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences
L'âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour il suait d'obéissance ; très
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits,
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
À se renfermer dans la fraîcheur des latrines :
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.

Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son œil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.
C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !

À sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,
À Huit ans, - la fille des ouvriers d'à côté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons ;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

[...]

Clair de terre
6.8
13.

Clair de terre (1923)

Sortie : 28 octobre 1937 (France). Poésie

livre de André Breton

B-Lyndon a mis 8/10.

Annotation :

PLUTOT LA VIE

Plutôt la vie
Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si les couleurs sont plus pures
Plutôt que cette heure toujours couverte que ces terribles voitures de flammes froides
Que ces pierres blettes
Plutôt ce cœur à cran d’arrêt
Que cette mare aux murmures
Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans l’air et dans la terre
Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à celui de la vanité totale

Plutôt la vie
Plutôt la vie avec ses draps conjuratoires
Ses cicatrices d’évasions
Plutôt la vie plutôt cette rosace sur ma tombe
La vie de la présence rien que de la présence
Où une voix dit Es-tu là où une autre répond Es-tu là
Je n’y suis guère hélas
Et pourtant quand nous ferions le jeu de ce que nous faisons mourir
Plutôt la vie

Plutôt la vie plutôt la vie
Enfance vénérable
Le ruban qui part d’un fakir
Ressemble à la glissière du monde
Le soleil a beau n’être qu’une épave
Pour peu que le corps de la femme lui ressemble
Tu songes en contemplant la trajectoire tout du long
Ou seulement en fermant les yeux sur l’orage adorable qui a nom ta main
Plutôt la vie

Plutôt la vie avec ses salons d’attente
Lorsqu’on sait qu’on ne sera jamais introduit
Plutôt la vie que ces établissements thermaux
Où le service est fait par des colliers
Plutôt la vie défavorable et longue
Quand les livres se refermeraient ici sur des rayons moins doux
Et quand là-bas il ferait mieux que meilleur il ferait libre oui
Plutôt la vie

Plutôt la vie comme fond de dédain
A cette tête suffisamment belle
Comme l’antidote de cette perfection qu’elle appelle et qu’elle craint
La vie le fard de Dieu
La vie comme un passeport vierge
Une petite ville comme Pont-à-Mousson
Et comme tout s’est déjà dit
Plutôt la vie

Paroles
7.9
14.

Paroles (1946)

Sortie : 1946 (France). Poésie

livre de Jacques Prévert

Annotation :

CET AMOUR


Cet amour
Si violent
Si fragile
Si tendre
Si désespéré
Cet amour
Beau comme le jour
Et mauvais comme le temps
Quand le temps est mauvais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
Si heureux
Si joyeux
Et si dérisoire
Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
Et si sûr de lui
Comme un homme tranquille au milieu de la nuit
Cet amour qui faisait peur aux autres
Qui les faisait parler
Qui les faisait blêmir
Cet amour guetté
Parce que nous le guettions
Traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Parce que nous l’avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Cet amour tout entier
Si vivant encore
Et tout ensoleillé
C’est le tien
C’est le mien
Celui qui a été
Cette chose toujours nouvelle
Et qui n’a pas changé
Aussi vrai qu’une plante
Aussi tremblante qu’un oiseau
Aussi chaude aussi vivante que l’été
Nous pouvons tous les deux
Aller et revenir
Nous pouvons oublier
Et puis nous rendormir
Nous réveiller souffrir vieillir
Nous endormir encore
Rêver à la mort,
Nous éveiller sourire et rire
Et rajeunir
Notre amour reste là
Têtu comme une bourrique
Vivant comme le désir
Cruel comme la mémoire
Bête comme les regrets
Tendre comme le souvenir
Froid comme le marbre
Beau comme le jour
Fragile comme un enfant
Il nous regarde en souriant
Et il nous parle sans rien dire
Et moi je l’écoute en tremblant
Et je crie
Je crie pour toi
Je crie pour moi
Je te supplie
Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s’aiment
Et qui se sont aimés
Oui je lui crie
Pour toi pour moi et pour tous les autres
Que je ne connais pas
Reste là
Là où tu es
Là où tu étais autrefois
Reste là
Ne bouge pas
Ne t’en va pas
Nous qui nous sommes aimés
Nous t’avons oublié
Toi ne nous oublie pas
Nous n’avions que toi sur la terre
Ne nous laisse pas devenir froids
Beaucoup plus loin toujours
Et n’importe où
Donne-nous signe de vie
Beaucoup plus tard au coin d’un bois
Dans la forêt de la mémoire
Surgis soudain
Tends-nous la main
Et sauve-nous.

Brefs
15.

Brefs

Sortie : 8 avril 2016 (France). Essai

livre de Pierre Alféri

Annotation :

ce n'est pas ici
qu'est notre bonheur
pourtant c'est ici
que nous nous croisons
alors c'est d'ici
qu'il nous faut parler
alors c'est ici
qu'il faut nous parler

Nul encore n'a dit
16.

Nul encore n'a dit (2003)

Unerzählt

Sortie : 16 septembre 2014 (France). Poésie

livre de W.G. Sebald

B-Lyndon a mis 10/10.

Annotation :

Nul encore n'a dit

l'histoire
des visages qui
se sont détournés

*

Pour finir

seuls resteront
ceux qui pourraient
trouver place
autour d'un tambour

L'homme qui penche
8.5
17.

L'homme qui penche

Sortie : décembre 2008 (France). Roman

livre de Thierry Metz

B-Lyndon a mis 9/10.

Annotation :

Que dire de soi ?

Le brasier ?
L'abreuvoir ?
Et mourir ?

Non : qu'on regarde nos mains.

Fureur et Mystère
7.6
18.

Fureur et Mystère (1948)

Sortie : 1948 (France). Poésie

livre de René Char

B-Lyndon a mis 9/10.

Annotation :

ALLÉGEANCE

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?

Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.

Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?

Les Charités d'Alcippe
19.

Les Charités d'Alcippe (1984)

Sortie : 1 juin 2015 (France). Poésie

livre de Marguerite Yourcenar

B-Lyndon l'a mis en envie.

Annotation :

Vous ne saurez jamais que votre âme voyage
Comme au fond de mon cœur un doux cœur adopté
Et que rien, ni le temps, d'autres amours, ni l'âge
N'empêcheront jamais que vous ayez été.
Que la beauté du monde a pris votre visage,
Vit de votre douceur, luit de votre clarté,
Et que le lac pensif au fond du paysage
Me redit seulement votre sérénité.
Vous ne saurez jamais que j'emporte votre âme
Comme une lampe d'or qui m'éclaire en marchant ;
Qu'un peu de votre voix a passé dans mon chant.
Doux flambeau, vos rayons, doux brasier, votre flamme
M'instruisent des sentiers que vous avez suivis,
Et vous vivez un peu puisque je vous survis.

Extraction de la pierre de folie
8.9
20.

Extraction de la pierre de folie

Poésie

livre de Alejandra Pizarnik

B-Lyndon a mis 10/10.

Annotation :

La lumière mauvaise s'est approchée et rien n'est sûr. Et si je pense à tout ce que j'ai lu à propos de l'esprit... J'ai fermé les yeux, j'ai vu des corps lumineux tournant dans le brouillard, au lieu des voisinages ambigus. N'aies crainte, rien ne t'arrivera, il n'y a plus de violeurs de tombes. Le silence, le silence toujours, les monnaies d'or du songe.

Je parle comme ça parle en moi. Pas ma voix qui s'efforce de ressembler à une voix humaine mais l'autre qui témoigne que je n'ai cessé d'habiter les bois.

Si tu voyais celle qui dort sans toi dans un jardin en ruines dans la mémoire. Là, ivre de mille morts, je parle de moi avec moi rien que pour savoir s’il est vrai que je suis sous l'herbe. À qui diras-tu que tu ne sais pas ? Tu te désires autre. L'autre que tu es se désire autre. Que se passe-t-il dans la verte futaie ? Il se passe qu'elle n'est pas verte et qu'il n'y a même pas de futaie. Et à présent tu joues à être esclave pour cacher ta couronne, remise par qui ? Qui t'as donné l'onction ? Qui t'a consacrée ? L'invisible peuple de la plus ancienne mémoire. Perdue par ta propre décision tu as renoncé à ton royaume pour les cendres. Qui te fait souffrir te rappelle d'anciens hommages. Cependant tu verses des pleurs funestes, tu évoques ta folie et tu voudrais la retirer de toi comme si elle était une pierre, elle, ton seul privilège. Sur un mur blanc, tu dessines les allégories du repos, et c'est toujours une reine folle qui gît sous la lune sur l'herbe triste du vieux jardin. Mais ne parle pas des jardins, ne parle pas de la lune, ne parle pas de la mer. Parle de ce que tu sais. Parle de ce qui vibre dans ta moelle et fait des ombres et des lumières dans ton regard, parle de la douleur incessante de tes os, parle du vertige, parle de ta respiration, de ta désolation, de ta trahison. Si obscur, si plein de silence est le processus auquel je me soumets. Oh ! parle du silence.

[...]

La terre nous est étroite
7.9
21.

La terre nous est étroite

et autres poèmes

Poésie

livre de Mahmoud Darwich

Annotation :

TELLE EST SON IMAGE ET VOICI LE SUICIDE DE L'AMANT

[…]
Le rêve trouve sa forme
Et prend peur.
Mais la cité est debout,
Au plus fort de sa soumission.
L’explosion de la tempête
Est une pluie de chevaux.
Et pour toi, nous apprêté une nouvelle joie terreuse,
Chevaux sur nuit.
Apprêté la pâque, les anneaux et l’hymne.
Le rêve trouve sa forme,
Il devient ton image violente.
Ma mort : Abrège ici tes morts.
Sois jasmin ou obus.
Le rêve trouvé sa forme
Et prend peur.
Mais la cité est debout
Au plus fort de la blessure nouvelle.
Et dans l’explosion de la tempête,
Que dit le vent?
Nous sommes le vent et nous arrachons les vaisseaux, les astres
Et les tentes, avec les trônes contrefaits.

Que dit le vent?
Nous sommes le vent.
Nous étalons la honte de tes deux cuisses célestes.
Nous étalons notre honte
Et prolongeons la vie de la tempête.
Nuit sur mort
Et, pour toi, nous avons apprêté le berceau, la crèche et la montagne.
Le rêve nous ressemble.
Le chantre te ressemble et le récitant et le héros.
Et le rêve prend forme
Et prend peur.
Mais la cité est debout
Dans la flamme du feu en liberté,
Dans les veines des hommes.
Dissous-toi, ou répands-toi, cendres ou beauté!
Que dit le vent?

Nous sommes le vent.
Nous sommes le vent.
Nous sommes le vent..

Le Roman inachevé
8.1
22.

Le Roman inachevé (1956)

Sortie : 1956 (France). Poésie

livre de Louis Aragon

B-Lyndon a mis 10/10.

Annotation :

LE MOT « VIE »

[...]

À reculons j'ai regardé s'enfuir ma reine blanche et noire
Elle est partie à tout jamais nonchalamment dans le miroir
Et je ne l'ai pas appelée et je ne l'ai pas retenue

C'est étrange un amour qui finit sans même un soupçon de plainte
Ce silence établi soudain quand la musique s'est éteinte
Et ce n'est que beaucoup plus tard que l'on saura le mal qu'on eut

[...]

Nous avions parlé notre nuit Je l'ai mené jusqu'à la gare
Paul Éluard quittait Paris et sa vie un matin hagard
On ne connaîtra jamais du film que la scène des adieux

Adieu tu ne retourneras jamais à Sarcelles-Saint-Brice
Paul une maison peinte dans Ithaque attendait-elle Ulysse
Tandis qu'autour de son esquif la mer se faisait mélopée

À toi de t'en aller par les atolls hantés de la Sirène
Tu ne monteras plus ici dans les balançoires foraines
Tu ne reverras plus les Gertrud Hoffman Girls croisant l'épée

L'aurore tous les jours se lèvera sans toi rue des Martyrs
Ne te retourne pas sur cette ville en feu Tu peux partir
Comme un faucheur derrière lui qui laisse les foins et la faux

Tu m'as dit en dernier je ne veux pour rien au monde qu'on brode
Sur les raisons de mon départ Va-t'en tranquille aux antipodes
C'est juré Je rirai de tout Je t'injurierai s'il le faut

O mes amis tombe à jamais le rideau rouge à la Cigale
Un à un sur les ponts j'ai vu s'éteindre les feux de Bengale
Et gémissante vers la mer une péniche au loin fuyait

Desnos c'était un bal dans ce quartier où l'on mange koscher
Qui se souvient des amants dérangés sous la porte cochère
Nous allions parlant de Nerval un soir de quatorze juillet

Il disait que l'amour est une plaie en travers de la gorge
Et d'Amérique ces jours-là s'en revenait Yvonne George
Avec ce chant brisé des oiseaux qui volèrent trop longtemps

Nous passions déjà le seuil tragique d'une nouvelle époque
Le drapeau d'Abd-el-Krim s'était levé déjà sur le Maroc
On entendait dans l'ombre énorme un énorme cœur palpitant

Cette vie avait-elle un sens ou n'était-elle qu'une danse
Quel est ce chien noir qui me suit Tout n'est-il que nuit et silence
N'est pas miroir tout ce qui luit ce que j'aime et ce que je suis

Ce monde est comme une Hollande et peint ses volets de couleurs
Car l'hiver la terre demande à se reposer de ses fleurs
Et je m'efforce à mieux comprendre hier de mes yeux d'aujourd'hui

B-Lyndon

Liste de

Liste vue 811 fois

6
3