Poèmes préférés
22 livres
créée il y a plus de 10 ans · modifiée il y a plus de 9 ansAu rendez-vous allemand (1945)
Sortie : 1945 (France). Poésie
livre de Paul Éluard
Annotation :
FAIRE VIVRE
Ils étaient quelques-uns qui vivaient dans la nuit
En rêvant du ciel caressant
Ils étaient quelques-uns qui aimaient la forêt
Et qui croyaient au bois brûlant
L’odeur des fleurs les ravissait même de loin
La nudité de leurs désirs les recouvrait
Ils joignaient dans leur coeur le souffle mesuré
A ce rien d’ambition de la vie naturelle
Qui grandit dans l’été comme un été plus fort
Ils joignaient dans leur coeur l’espoir du temps qui vient
Et qui salue même de loin un autre temps
A des amours plus obstinées que le désert
Un tout petit peu de sommeil
Les rendait au soleil futur
Ils duraient ils savaient que vivre perpétue
Et leurs besoins obscurs engendraient la clarté
*
Ils n’étaient que quelques-uns
Ils furent foule soudain
Ceci est de tous les temps.
Le Mouvement perpétuel (1926)
précédé de Feu de joie
Sortie : 1926 (France). Poésie
livre de Louis Aragon
Annotation :
OÙ LES SOMMETS S’ÉLÈVENT AU DESSUS DU SOMMEIL
Les grands rochers m'ont dit
Mais tu viens parmi nous
N'as-tu pas sur la terre un cœur qui te conforte
J'ai secoué la tête et j'ai répondu
Morte
Les grands rochers muets se sont mis à genoux
Alcools (1913)
Sortie : 1913 (France). Poésie
livre de Guillaume Apollinaire
Annotation :
CORTEGE
Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l'air
A la limite où notre sol brille déjà
Baisse ta deuxième paupière la terre t'éblouit
Quand tu lèves la tête
Et moi aussi de près je suis sombre et terne
Une brume qui vient d'obscurcir les lanternes
Une main qui tout à coup se pose devant les yeux
Une voûte entre vous et toutes les lumières
Et je m'éloignerai m'illuminant au milieu d'ombres
Et d'alignements d'yeux des astres bien-aimés
Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l'air
A la limite où brille déjà ma mémoire
Baisse ta deuxième paupière
Ni à cause du soleil ni à cause de la terre
Mais pour ce feu oblong dont l'intensité ira s'augmentant
Au point qu'il deviendra un jour l'unique lumière
Un jour
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Pour que je sache enfin celui-là que je suis
Moi qui connais les autres
Je les connais par les cinq sens et quelques autres
Il me suffit de voir leurs pieds pour pouvoir refaire ces gens à milliers
De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux
Ou leur langue quand il me plaît de faire le médecin
Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète
Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères
La monnaie des aveugles les mains des muets
Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l'écriture
Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans
Il me suffit de sentir l'odeur de leurs églises
L'odeur des fleuves dans leurs villes
Le parfum des fleurs dans les jardins publics
O Corneille Agrippa l'odeur d'un petit chien m'eût suffi
Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne
Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline
Qui t'inspirait l'erreur touchant toutes les femmes
Il me suffit de goûter la saveur du laurier qu'on cultive pour que j'aime ou que je bafoue
Et de toucher les vêtements
Pour ne pas douter si l'on est frileux ou non
O gens que je connais
Il me suffit d'entendre le bruit de leurs pas
Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu'ils ont prise
Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit
De ressusciter les autres
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Et d'un lyrique pas s'avançaient ceux que j'aime
Parmi lesquels je n'étais pas
Les géants couverts d'algues passaient dans leurs villes
Sous-marines où les tours seules étaient des îles
Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs
Coulait sang de mes veines et fait battre mon cœur
Puis sur terre il ve
Une saison en enfer (1873)
Sortie : 1873 (France). Poésie
livre de Arthur Rimbaud
Annotation :
L’ÉTERNITÉ
Elle est retrouvée.
Quoi ? — L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil
Âme sentinelle,
Murmurons l'aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s'exhale
Sans qu'on dise : enfin.
Là pas d'espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée.
Quoi ? — L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.
J'ai un visage pour être aimé (2009)
Sortie : mars 2009. Poésie
livre de Paul Éluard
Annotation :
J'AI EU LONGTEMPS UN VISAGE INUTILE
J'ai eu longtemps un visage inutile,
Mais maintenant
J'ai un visage pour être aimé,
J'ai un visage pour être heureux.
Les Fleurs du mal (1857)
Sortie : 25 juin 1857. Poésie
livre de Charles Baudelaire
Annotation :
L'ALBATROS
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Je voudrais pas crever (1962)
Sortie : 1962 (France). Poésie
livre de Boris Vian
Annotation :
JE VOUDRAIS PAS CREVER
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir goûté
La saveur de la mort...
Fêtes galantes (1869)
Sortie : 1869 (France). Poésie
livre de Paul Verlaine
Annotation :
COLLOQUE SENTIMENTAL
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?
- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.
Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.
- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
La Fable du monde (1938)
suivi de Oublieuse mémoire
Sortie : 1938 (France). Poésie
livre de Jules Supervielle
Annotation :
LE CHAOS ET LA CRÉATION
[...]
Emmêlé à tant d'étoiles,
Me dégageant peu à peu,
Je sens que poussent mes lois
Dans Le désordre des cieux.
La solitude du monde
Et la mienne se confondent.
Ah! Nul n'est plus seul que Dieu
Dans sa poitrine profonde.
Il faut que quelque part
Quelqu’un vive et respire
Et sans bien le savoir
Soit dans ma compagnie,
Qu’il sache dans son sein
Evasif que j'existe,
Qu’il me situe au loin
Et que je lui résiste,
Moi qui serai en lui.
Le Roman inachevé (1956)
Sortie : 1956 (France). Poésie
livre de Louis Aragon
Annotation :
STROPHES POUR SE SOUVENIR
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.
Les Châtiments (1853)
Sortie : 1853 (France). Poésie
livre de Victor Hugo
Annotation :
SOUVENIR DE LA NUIT DU 4
L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand-mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son oeil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : - comme il est blanc ! approchez donc la lampe.
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! -
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
- Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !
Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être !
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -
Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule :
- Que vais-je devenir à présent toute seule ?
Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l'a-t-on tué ? Je veux qu'on me l'explique.
L'enfant n'a pas crié vive la République. -
Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.
Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d'avo
Romances sans paroles (1874)
Sortie : 1874 (France).
livre de Paul Verlaine
Annotation :
IL PLEURE DANS MON COEUR
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'écoeure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine !
Clair de terre (1923)
Sortie : 28 octobre 1937 (France). Poésie
livre de André Breton
Annotation :
L'UNION LIBRE
Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d'éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de
dernière grandeur
Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d'ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d'hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant
Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle
Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de
Champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d'allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d'as de cœur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la
Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d'écume de mer et d'écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d'initiales
Aux pieds de trousseaux de clefs aux pieds de calfats qui
boivent
Ma femme au cou d'orge imperlé
Ma femme à la gorge de
Val d'or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d'amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque
Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre
Les Poètes (1969)
Sortie : 1969 (France). Poésie
livre de Louis Aragon
Annotation :
J'ENTENDS J'ENTENDS
J’en ai tant vu qui s’en allèrent
Ils ne demandaient que du feu
Ils se contentaient de si peu
Ils avaient si peu de colère
J’entends leurs pas j’entends leurs voix
Qui disent des choses banales
Comme on en lit sur le journal
Comme on en dit le soir chez soi
Ce qu’on fait de vous hommes femmes
O pierre tendre tôt usée
Et vos apparences brisées
Vous regarder m’arrache l’âme
Les choses vont comme elles vont
De temps en temps la terre tremble
Le malheur au malheur ressemble
Il est profond profond profond
Vous voudriez au ciel bleu croire
Je le connais ce sentiment
J’y crois aussi moi par moments
Comme l’alouette au miroir
J’y crois parfois je vous l’avoue
A n’en pas croire mes oreilles
Ah je suis bien votre pareil
Ah je suis bien pareil à vous
A vous comme les grains de sable
Comme le sang toujours versé
Comme les doigts toujours blessés
Ah je suis bien votre semblable
J’aurais tant voulu vous aider
Vous qui semblez autres moi-même
Mais les mots qu’au vent noir je sème
Qui sait si vous les entendez
Tout se perd et rien ne vous touche
Ni mes paroles ni mes mains
Et vous passez votre chemin
Sans savoir que ce que dit ma bouche
Votre enfer est pourtant le mien
Nous vivons sous le même règne
Et lorsque vous saignez je saigne
Et je meurs dans vos mêmes liens
Quelle heure est-il quel temps fait-il
J’aurais tant aimé cependant
Gagner pour vous pour moi perdant
Avoir été peut-être utile
C’est un rêve modeste et fou
Il aurait mieux valu le taire
Vous me mettrez avec en terre
Comme une étoile au fond d’un trou
Le Coffret de Santal (1873)
Sortie : 1879 (France). Poésie
livre de Charles Cros
Annotation :
BALLADE DU DERNIER AMOUR
Mes souvenirs sont si nombreux
Que ma raison n'y peut suffire.
Pourtant je ne vis que par eux,
Eux seuls me font pleurer et rire.
Le présent est sanglant et noir;
Dans l'avenir qu'ai-je à poursuivre?
Calme frais des tombeaux, le soirl...
Je me suis trop hâté de vivre.
Amours heureux ou malheureux,
Lourds regrets, satiété pire,
Yeux noirs veloutés, clairs yeux bleus,
Aux regards qu'on ne peut pas dire,
Cheveux noyant le démêloir
Couleur d'or, d'ébène ou de cuivre,
J'ai voulu tout voir, tout avoir.
Je me suis trop hâté de vivre.
Je suis las.
Plus d'amour.
Je veux
Vivre seul, pour moi seul décrire
Jusqu'à l'odeur de tes cheveux,
Jusqu'à l'éclair de ton sourire,
Dire ton royal nonchaloir,
T'évoquer entière en un livre
Pur et vrai comme ton miroir.
Je me suis trop hâté de vivre.
ENVOI
Ma chanson, vapeur d'encensoir,
Chère envolée, ira te suivre.
En tes bras j'espérais pouvoir
Attendre l'heure qui délivre;
Tu m'as pris mon tour.
Au revoir.
Je me suis trop hâté de vivre.
Paroles (1946)
Sortie : 1946 (France). Poésie
livre de Jacques Prévert
Annotation :
LE CANCRE
Il dit non avec la tête
mais il dit oui avec le coeur
il dit oui à ceux qu'il aime
il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec des craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur
Le Pèse-Nerfs (1925)
Sortie : 1968 (France). Poésie
livre de Antonin Artaud
Annotation :
PRIERE
Ah donne-nous des crânes de braises
Des crânes brûlés aux foudres du ciel
Des crânes lucides, des crânes réels
Et traversés de ta présence
Fais-nous naître aux cieux du dedans
Criblés de gouffres en averses
Et qu’un vertige nous traverse
Avec un ongle incandescent
Rassasie-nous nous avons faim
De commotions inter-sidérales
Ah verse-nous des laves astrales
A la place de notre sang
Détache-nous, Divise-nous
Avec tes mains de braises coupantes
Ouvre-nous ces voûtes brûlantes
Où l’on meurt plus loin que la mort
Fais vaciller notre cerveau
Au sein de sa propre science
Et ravis-nous l’intelligence
Aux griffes d’un typhon nouveau
Fureur et Mystère (1948)
Sortie : 1948 (France). Poésie
livre de René Char
Annotation :
TU AS BIEN FAIT DE PARTIR, ARTHUR RIMBAUD!
Tes dix-huit ans réfractaires à l’amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu’au ronronnement d’abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu raison d’abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour l’enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples.
Cet élan absurde du corps et de l’âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c’est bien là la vie d’un homme! On ne peut pas, au sortir de l’enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.
Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi.
L'Amour la poésie (1929)
Sortie : 1929 (France). Poésie
livre de Paul Éluard
Annotation :
JE TE L'AI DIT POUR LES NUAGES
Je te l’ai dit pour les nuages
Je te l’ai dit pour l’arbre de la mer
Pour chaque vague pour les oiseaux dans les feuilles
Pour les cailloux du bruit
Pour les mains familières
Pour l’œil qui devient visage ou paysage
Et le sommeil lui rend le ciel de sa couleur
Pour toute la nuit bue
Pour la grille des routes
Pour la fenêtre ouverte pour un front découvert
Je te l’ai dit pour tes pensées pour tes paroles
Toute caresse toute confiance se survivent.
Elsa (1959)
Sortie : 1959 (France). Poésie
livre de Louis Aragon
Annotation :
Je suis l’hérésiarque de toutes les églises
Je te préfère à tout ce qui vaut de vivre et de mourir
Je te porte l’encens des lieux saints et la chanson du forum
Vois mes genoux en sang de prier devant toi
Mes yeux crevés pour tout ce qui n’est pas ta flamme
Je suis sourd à toute plainte qui n’est pas de ta bouche
Je ne comprends des millions de morts que lorsque c’est toi qui gémis
C’est à tes pieds que j’ai mal de tous les cailloux des chemins
A tes bras déchirés par toutes les haies de ronces
Tous les fardeaux portés martyrisent tes épaules
Tout le malheur du monde est dans une seule de tes larmes
Je n’avais jamais souffert avant toi
Souffert est-ce qu’elle a souffert
La bête clamant une plaie
Comment pouvez-vous comparer au mal animal
Ce vitrail en mille morceaux où s’opère une mise en croix du jour
Tu m’as enseigné l’alphabet de douleur
Je sais lire maintenant les sanglots Ils sont tous faits de ton nom
De ton nom seul ton nom brisé ton nom de rose effeuillée
Ton nom le jardin de toute Passion
Ton nom que j’irais dans le feu de l’enfer écrire à la face du monde
Comme ces lettres mystérieuses à l’écriteau du Christ
Ton nom le cri de ma chair et la déchirure de mon âme
Ton nom pour qui je brûlerais tous les livres
Ton nom toute science au bout du désert humain
Ton nom qui est pour moi l’histoire des siècles
Le cantique des cantiques
Le verre d’eau dans la chaîne des forçats
Et tous les vocables ne sont qu’un champ de culs-de- bouteille à la porte d’une cité maudite
Quand ton nom chante à mes lèvres gercées
Ton nom seul et qu’on me coupe la langue
Ton nom
Toute musique à la minute de mourir
America / En Orient
Poésie
livre de William Cliff
Annotation :
[...]
le soir je mangeais des gâteaux
en regardant la nuit venir
j'y étais je vous le répète
j'étais présent à cette fête
[...]
le mot amour sort de sa bouche
et se répand partout sur moi
[...]
nous écoutions les radios libres et nous nous embrassions
enlacés nous nous couvrions de baisers en écoutant
les radios libres leurs rythmes leurs voix que nous aimons
[...]
sur l'estuaire du Delaware
est couchée la Philadelphie
[...]
au pays des libertés déchaînées
on peut tout sauf vouloir sa propre mort
[...]
j'accroche à mes pensées l'idée suspecte
de durer sans savoir à quoi durer
à longueur de journées je me répète
de continuer à vivre et respirer
Comme un château défait
Suivi de Syllabes de sable
Sortie : 28 octobre 2004 (France). Poésie
livre de Lionel Ray
Annotation :
[...]
Ecriture du rouge et du noir, je connais
tes flammes savantes, tes marges, tes blessures,
et cet instant en toi, hors du temps,
[...]
Te voici séparé si profondément
cherchant en toi-même asile :
où est la voix ?
où est la rive ?
[...]
Si quelquefois tu te heurtes
à l'éclair, c'est que tu croyais avoir perdu
pied dans la blancheur et l'inconnu
[...]
Sommeil, tu te caches
dans une gorgée de nuit.
Et cela s'ouvre
qui fut fermé, qui fut noué.