Shohei Imamura - Commentaires
Volontiers cru et provocant, ne reculant pas devant l’âpreté d’une vision qui reflète la réalité douloureuse de la société, les pulsions fondatrices des gestes et des désirs, les aspects les plus triviaux de la condition humaine, le cinéma d’Imamura est celui d’un philosophe ...
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créée il y a plus de 11 ans · modifiée il y a plus de 5 ansLa Femme insecte (1963)
Nippon konchûki
2 h 03 min. Sortie : 11 octobre 1972 (France). Drame
Film de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Dans sa manière de dresser le portrait du Japon à travers un tragique destin féminin, Imamura s’inscrit dans la filiation de Mizoguchi. Il raconte sur quarante ans la lutte rageuse d’une paysanne des montagnes pour échapper à la misère et améliorer son sort, dénonce la condition des femmes amenées à sa prostituer pour survivre, mais fuit le simplisme en montrant comment l’âpreté de l’existence contraint les victimes de la société à se fabriquer dans un primitivisme totalement amoral et à entretenir la rugosité d’un système hostile aux démunis. Le refus de toute joliesse, le non-conformisme du rythme heurté, la crudité réaliste d’un traitement qui ne recule pas devant le sordide mais délivre aussi un certain humour du désespoir, en font un témoignage engagé, en rupture avec une certaine tradition.
Désir meurtrier (1964)
Akai satsui
2 h 32 min. Sortie : 28 juin 1964 (Japon). Drame
Film de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Oyez, oyez l’histoire de Sadako, servante épousée de façon illégitime par un homme qui la méprise, puis violée par un voisin dont elle deviendra l’amante malheureuse. C’est la joie. L’intrigue est digne d’un mélodrame bourgeois, l’auteur en fait une tragédie gelée par les fumées, la grisaille, la neige, la rengaine des trains qui passent et les sons inhumains d’une ville aliénante. Chaque image reflète le désespoir d’une femme frustrée (on la voit s’exciter avec un ver à soie) dont l’épanouissement semble impossible, constamment agressée par ce et ceux qui l’entourent. La sophistication discrète de la mise en scène, les monologues intérieurs, le rapprochement de l’émancipation sociale et de la libération sexuelle apportent à cette œuvre cafardeuse, teintée d’accents quasi buñueliens, son identité bien particulière.
Le Pornographe (1966)
Erogotoshi-tachi yori: Jinruigaku nyûmon
2 h 08 min. Sortie : 12 mars 1966 (Japon). Comédie dramatique
Film de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 5/10.
Annotation :
Si l’on estime que l’œuvre d’Imamura est dominée par la recherche de la vérité du sexe, de ce qui se situe en dessous de la ceinture et que la bonne société veut ignorer, et au sens large de toute la face cachée du Japon, énorme masse populaire située au-delà de l’échelle sociale traditionnelle, alors ce film pourrait en être l’un des pivots. Il élabore un récit en syncopes avec recours à diverses astuces de montage, effets oniriques qui trouent le réalisme dru et turpide de la chronique. Il se penche sur l’existence des sans-grade, des précaires, réduits au fonctionnement le plus primaire de l’humain (la survie) et bâtissant une contre-histoire du pays. Dilué en un magma de situations bien peu stimulantes pour l’émotion, très erratique sur le plan de la dramaturgie, il peine pourtant à transcender l’ennui qu’il suscite.
L'Évaporation de l'homme (1967)
Ningen jôhatsu
2 h 10 min. Sortie : 13 mars 2002 (France).
Documentaire de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
On éprouve comme un vertige à suivre le déroulement de cette enquête sur la disparition d’un commis voyageur, au terme de laquelle il est avéré que toute vérité absolue est illusoire. Car derrière sa structure investigatrice se dévoile une angoisse plus profonde : la perte de l’individualité dans la société de surconsommation, bouleversée par l’exode rural et la course à la compétitivité économique. Et car sa méthodologie, si elle réfléchit la vie telle qu’elle est, dans son chaos, son mouvement, son désordre, son imprévisibilité, vise surtout à effacer la frontière entre fiction et réalité, documentaire et reconstitution, êtres et personnages, pour mieux dresser le portrait d’un Japon se vidant parce qu’il est évidé, et dessiner la cartographie d’un pays qui serait comme un dallage d’images couvrant un puits sans fond.
Profond désir des dieux (1968)
Kamigami no fukaki yokubō
2 h 53 min. Sortie : 21 mars 1990 (France). Drame
Film de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
L’île de Kurage, au sud du Japon. Cet espace clos, au climat rude comme les mœurs, les caractères et les superstitions, est bouleversé par l’arrivée d’un ingénieur apportant l’industrialisation. Le cinéaste décline en une lente litanie les affects qui entourent les pratiques sacrées de la communauté, multiplie jusqu’à l’étouffement ses rites malthusiens. Au gré d’images fascinantes, baroques, superbement composées, tout le vivant est convoqué, tout ce qui se meut s’anime sous le désir des dieux, sans cesse les animaux rejouent la fable des hommes ou leur propose des récits possibles. Le soleil, la mer, le vent, la sécheresse, la pluie participent d’un même tellurisme, d’une même approche tautologique du monde, accordant l’analyse sociale de la fresque au souffle âpre d’une tragédie élémentaire.
La vengeance est à moi (1979)
Fukushû suru wa ware ni ari
2 h 20 min. Sortie : 24 novembre 1982 (France). Policier, Drame, Thriller
Film de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Adoptant une structure en puzzle qui épouse autant l’incohérence du protagoniste que la logique froide de l’enquête policière, Imamura poursuit sa radiographie quasi ethnographique du Japon d’après-guerre et maintient sur son sujet une distance qui n’exclut ni ne privilégie rien. Son approche à la fois méthodique et primitiviste met tout à plat, sans condamnation ni défense, et cerne le comportement d’être perdus dans l’enfer des sens et des instincts. Il dresse ainsi le portrait non explicatif d’un assassin irrationnel, cynique, orgueilleux, égocentrique, parfaitement immoral, livre un documentaire glaçant sur le chaos, le mal et la déperdition de l’énergie par lequel il entretient une tension pénible que de furieux accès de violence ne résorbent pas, et se place sur la ligne de partage entre le tueur et la société.
La Ballade de Narayama (1983)
Narayama bushikō
2 h 10 min. Sortie : 28 septembre 1983 (France). Drame
Film de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Au cœur du XIXème siècle, dans un village isolé des montagnes Shinshu, la vie des paysans s’écoule dans le respect des croyances ancestrales. D’un côté, la description précise d’un monde rustre, la suggestion d’un anti-cosmos et d’une Antiphysie rabelaisienne, la réalité crue des cadavres ensemençant les terres, des voleurs ensevelis vivants, des filles vendues pour une bouchée de pain. De l’autre, la spiritualité qui s’écoule d’une nature infinie, souveraine, imposant ses cycles à tous, et dans laquelle la vieille Orin puise la certitude qu’elle rencontrera son dieu, la force d’aller au bout de son sacrifice. La vision de cette humanité réduite à ses activités primitives (manger, déféquer, copuler) n’est pas reposante mais très cohérente, Imamura cherchant l’unité organique du monde, jusque dans sa triviale cruauté.
Pluie noire (1989)
Kuroi ame
2 h 03 min. Sortie : 30 octobre 1989 (France). Drame, Historique, Guerre
Film de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Il faut un quart d’heure au cinéaste pour imprimer le récit d’une marque indélébile, celle de l’explosion du 6 août 1945 à Hiroshima, pour montrer, en images aussi terrifiantes qu’allusives, les brûlés aux chairs fondues et pendantes, le feu suffocant transformant l’atmosphère en fournaise, la panique d’une population hagarde. S’ensuit un poignant lamento en forme de plaidoyer humaniste dont ne s’élève pourtant aucune plainte, seulement la volonté d’aller de l’avant, de surmonter le signes d’une maladie inexorable. Il mêle l’amour familial et la dignité résignée, suggère les séquelles de corps, de cœur et d’esprit, la douleur inavouable, la mise au ban honteuse d’êtres maudits, ces survivants du cauchemar nucléaire considérés comme des pestiférés par la société nippone au lendemain de la guerre.
Top 10 Année 1989 : http://lc.cx/UVV
L'Anguille (1997)
Unagi
1 h 57 min. Sortie : 1 octobre 1997 (France). Drame
Film de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Pas facile de renaître au monde après avoir assassiné la femme aimée. Avec huit ans de prison au compteur, le héros est devenu presque mutique, détaché de tout si ce n’est du lien qu’il a noué avec une anguille rescapée de ses parties de pêche. Pour dépeindre ce bonheur fuyant, cette impuissance à aimer, à se toucher, à se rejoindre, Imamura oppose au désespoir des touches de cocasserie débridée, filme des couleurs vives jaillissant d’un no man’s land marécageux, flirte avec l’absurde et l’onirisme, accumule péripéties improbables, attaques de colère, vengeances et contre-vengeances, pour suggérer lors d’un épilogue en forme de pugilat burlesque la possibilité d’un renouveau amoureux. C’est à travers cet optimisme prudent mais lumineux que le film parvient in fine à emporter vraiment l’adhésion.
Kanzo senseï - Dr Akagi (1998)
Kanzô-sensei
2 h. Sortie : 2 décembre 1998 (France). Comédie, Drame, Historique
Film de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
1945, le Japon est au bord de la reddition et la folie ordinaire bat son plein. Courant d’un malade à l’autre, le docteur Akagi diagnostique la même hépatite à tous ses concitoyens, sue sang et eau pour préserver une médecine empirique et compatissante, réunit une équipe de choc composée d’une jeune prostituée repentie, d’un chirurgien délabré et d’un bonze lascif. La fantaisie d’Imamura est intacte, qui à 72 ans mène tambour battant une chronique sociale à mi-chemin du burlesque satirique et de la tragédie souriante, nourrie par une véritable conviction humaniste. Lorsqu’à la fin, seuls dans une barque, le bon docteur et son assistante contemplent le champignon atomique d’Hiroshima, et que le premier lui trouve un air de foie malade, la métaphore délirante est définitivement ratifiée.
De l'eau tiède sous un pont rouge (2001)
Akai hashi no shita no nurui mizu
1 h 59 min. Sortie : 28 novembre 2001 (France). Comédie dramatique, Fantastique, Romance
Film de Shôhei Imamura
Thaddeus a mis 5/10.
Annotation :
Pour son dernier film, Imamura fait céder la transgression de l’interdit devant la sensualité d’un plaisir serein, celui d’une réconciliation avec le vivant. Débarquant dans un village perdu pour trouver une statue en or, un quadragénaire au chômage tombe sur un autre trésor : une femme dont le jouissif jaillissement d’eau lustrale au moment de l’orgasme finit par produire des miracles. L’argument favorise des délires poétiques et sexuels plus ou moins malicieux, invente quelques personnages saugrenus comme une grand-mère liseuse d’avenir ou un marathonien sénégalais parlant japonais. Mais si la naïade glissante comme une truite incarne à l’évidence la fertilité et le chaînon avec la Nature, il ne faut sans doute pas surinterpréter ce qui n’est surtout qu’une petite farce insolente.