Trajectoire(s) : Justin Vernon

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/ MOUNT VERNON

Écrivant et composant de la musique depuis ses 12 ans, Justin débute sa carrière au lycée en fondant un groupe avec une dizaine de ses camarades dont certains, comme Phil Cook, collaboreront encore avec lui des années plus tard. La musique de Mount Vernon, juvénile, est issue d'un mélange de genres (folk, jazz, reggae) guidé par une foultitude d'instruments : Justin se charge du chant et de la guitare.

Leur premier album, sorti en 1998 et dont certaines pistes restent difficilement trouvables, est un concentré instable d'influences diverses. Un brouillon de jeunesse, certes, mais appliqué et bouillonnant d'idées.

High Five
https://www.youtube.com/watch?v=q2nkV3C4EYw

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Poursuivant dans sa lancée, le second et dernier album de Mount Vernon puise davantage dans des influences country/jazz/hip-hop, gagnant en homogénéité et en calibre. Comme son prédécesseur, l'album est une antiquité difficilement trouvable qui n'a pas eu l'occasion de sortir fréquemment des murs du lycée. Néanmoins, la qualité musicale de l'objet est indéniable : saxo, trompettes, piano et autres instruments se répondant dans un brouhaha mélodique et rafraîchissant.

Breathe
https://www.youtube.com/watch?v=-QDAjfePBmk

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/ J.D. VERNON

C'est sous ce pseudonyme que le musicien, alors âgé de 20 ans, se lance dans plusieurs projets solo à partir de 2001. "Home Is" est un retour aux sources, comme son nom l'indique, puisant ses racines du blues et de la country traditionnels. Dans ce domaine, Justin est plutôt doué : mature et maîtrisé, l'album s'écoute d'une traite et donne au jeune homme l'occasion d'explorer ses talents à l'harmonica et au chant. Certes très classique, "Home Is" n'est pas sans surprises puisqu'il comporte une piste insolite, duo décalé (avec son frère) qui amorce clairement l'intérêt de Justin pour le hip-hop.

Feels Like Home
https://www.youtube.com/watch?v=KBToMTBGMAI

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En 2005, il poursuit ses ambitions solo avec un "Self Record" aussi intéressant qu'inachevé mais qui, paradoxalement, est pour moi l'un de ses projets les plus réussis. Toujours dans une veine blues, Justin diversifie ses instruments en y ajoutant le piano ou le trombone et accorde une importance particulière à la création en tant que telle. Les mélodies prennent une dimension lo-fi souvent déchirante de sincérité, le chant est flexible et plus intense qu'auparavant : c'est, en somme, un lot de compositions abruptes qui touchent au cœur. S'achevant par une piste instrumentale d'une dizaine de minutes qui laisse hagard, cet opus est un précieux témoignage musical.

The Whippgrass
https://www.youtube.com/watch?v=ISu1ylYlKQA

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Quant à "Hazeltons", il peut être considéré comme la jonction officieuse entre Justin Vernon et Bon Iver : sa voix de tête y est clairement établie, la production est aboutie. Certains bruitages et jeux de batterie paraissent familiers, trahissant dans les guitares de la piste éponyme une ébauche de ce que sera le "Holocene" de Bon Iver cinq ans plus tard. Calibré, le son perd en authenticité ce qu'il gagne en qualité... il faudra attendre une année supplémentaire pour parvenir à l'équilibre complet.

Frail Sail
https://www.youtube.com/watch?v=3TSqQdIqoqw

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/ DEYARMOND EDISON

Formé en 2004, DeYarmond Edison est un groupe de country aux influences folk rock constitué de 4 membres issus de Mount Vernon. Classique dans sa forme, il est surtout plaisant parce qu'on peut y écouter chanter Justin Vernon comme un vieux cow-boy des landes américaines. Si ce premier jet est réussi, il reste conventionnel et peu surprenant.

The Lake
https://www.youtube.com/watch?v=9o4o3QlBHMQ

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Gravissant quelques marches, on sent dès la piste inaugurale que "Silent Signs" est plus créatif. Le son y est davantage épuré, laissant la place à l'interprétation vocale, au banjo de la sublime ballade "Love Long Gone" ou aux discrets accords de guitare. C'est une pièce fragile aux relents country qui s'apprécie au coin du feu.

Love Long Gone
https://www.youtube.com/watch?v=yKJzr2EQXaI

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Passée l'introduction a cappella, cet EP revisite également une piste du "Hazeltons" de Justin dans une version différente : composé la même année, son titre équivoque est sans doute lié à sa non-publication officielle. Reste alors quelques titres inédits qui valent le détour et l'unicité d'un groupe qui se séparera très vite, cassure à l'origine de Bon Iver.

Where We Belong
https://www.youtube.com/watch?v=SrxfhDNHNJ8

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/ BON IVER

Atteint par la maladie et fraîchement séparé de son groupe, Justin est en pleine dépression à l'aube de l'année 2007. Décidé à faire le vide une bonne fois pour toutes, il s'isole pendant 3 mois dans un chalet situé en pleine forêt. C'est durant ces 3 mois, précisément, qu'un petit miracle va se produire : sa peine infinie sera retranscrite dans un album empreint d'une mélancolie unique. Justin va tout écrire, tout composer seul dans un élan de création destructrice pour donner naissance à une œuvre folk et minimaliste incomparable.

Le plus étonnant étant que cette retraite au Wisconsin, en plein hiver, n'était pas destinée à produire de la musique. Un enchaînement de circonstances et de réflexions l'ont poussé, peu à peu, à composer dans sa cabine et à dialoguer avec sa guitare. Au sortir de la saison, il fera appel à deux amis pour apposer trompette et trombone sur ses arrangements. Sorti de façon indépendante en 2007 sous le nom de Bon Iver, c'est aussi avec cet album que Justin connaîtra un succès inespéré. En somme, il s'agit là de son œuvre la plus aboutie : aussi personnelle qu'elle est universelle, maladive qu'elle est curative. Je dirais même qu'il en émane une force mystique dans sa composition.

Lump Sum
https://www.youtube.com/watch?v=eCSi8OU0gZc

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Fort du succès de son premier album en tant que Bon Iver, Justin compose seul cet EP en 2009. Aidé par Mark Paulson à la guitare, il tente quelques expérimentations sonores sur les deux derniers titres : "Babys" et son rythme répétitif au piano mais surtout "Woods", morceau a cappella constitué de différentes couches modifiées grâce à l'auto-tune. Le résultat est spectral, démontrant l'intérêt grandissant de Justin pour le vocoder et autres déformations vocales. Quant au titre éponyme, il fait selon moi partie des plus belles chansons d'amour jamais écrites.

Blood Bank
https://www.youtube.com/watch?v=OwtkV9EOcdE

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Entre 2009 et 2011, Bon Iver est devenu un véritable groupe composé de plusieurs musiciens plus ou moins actifs dont Mike Noyce et Sean Carey. La musique a elle aussi connu une évolution : de la folk épurée du «less is more» en 2007 à la folk foisonnante et bombardée de 2011, le fossé est grand. Cela dit, Justin Vernon n'a pas perdu son talent et se réinvente à travers un rock indépendant extrêmement singulier, revenant momentanément aux sources jazz voire hip-hop des débuts. On pourrait le comparer à un concentré inépuisable de ses précédents travaux (l'abondance de Mount Vernon, la sensibilité de "For Emma...", le lo-fi de "Self Record", le post-rock de Volcano Choir ou l'auto-tune de "Woods") : impossible de résumer l'album en une piste car tout est unique, les instruments se superposant, se distordant dans un ballet délicat.

Calgary
https://www.youtube.com/watch?v=bKggxiLaBmI

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Se refusant de créer deux albums aux sonorités similaires, c'est sans grande surprise que l'on retrouve Bon Iver, peau neuve, en 2016. Ce "22, a Million" transparaît comme une œuvre radicale aux yeux de beaucoup, et il vrai que notre barbu préféré semble s'être abandonné à une modernité absolue (électro en bazar, déformations sonores, effets de glitch) et rafraîchissante. Ses obsessions de toujours y sont concrétisées, avec plus de précision - vocoder et hip-hop n'ont jamais été si affirmés. C'est une folk chaotique mais ordonnée, droguée mais consciente qui nous est proposée ; passés les titres plus ou moins ridicules des morceaux, le Bon Iver qu'on aime est bien présent, en grande forme. Néanmoins, ce qui faisait le charme si salvateur du groupe auparavant semble s'être effrité quelque peu, envolé dans un soucis de style moins radical que superficiel.

33 "GOD"
https://www.youtube.com/watch?v=6C5sB6AqJkM

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/ THE SHOUTING MATCHES

Justin Vernon est également membre d'un groupe de blues rock nommé The Shouting Matches depuis 2006. C'est en 2008 qu'apparaît leur premier EP et, vocalement parlant, c'est un projet qui permet au bonhomme de jouer sur un registre bien plus rock qu'à son habitude : voix grave, grognements et rythmiques blues sont au rendez-vous. "Mouthoil", c'est 5 titres instinctifs et tapageurs aux sonorités saturées. Juste ce qu'il faut, où il faut.

House Call
https://www.youtube.com/watch?v=6WnUZpF63Vw

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Des années plus tard, "Grownass Man" semble délaisser la brutalité du premier EP pour se concentrer sur un blues plus moderne. Retrouvant son complice Phil Cook, issu des musiques lycéennes de Mount Vernon, c'est avec un album trop convenu qu'ils renouent : en cow-boy des temps modernes, Justin Vernon chante mais le résultat est paresseux. On est loin des fulgurances de Bon Iver mais, cela dit, l'album reste techniquement irréprochable. Quelques pistes sauvent la mise malgré tout.

Gallup, NM
https://www.youtube.com/watch?v=spmhjQNuxGU

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/ VOLCANO CHOIR

Parallèlement à Bon Iver, la carrière de Justin Vernon est notablement marquée par son appartenance au groupe d'indie/post-rock Volcano Choir. Initialement fondé en 2005, il couple Justin à un groupe américain méconnu nommé Collections of Colonies of Bees. Leur premier album, "Unmap", est un extraterrestre musical qui expérimente plusieurs rythmes instrumentaux : tantôt folk, ambient ou électronique, le fil rouge de l'album étant lié à la voix du musicien qui s'envole parfois dans une transe bizarroïde. C'est presque oriental parfois, c'est beau.

Island, IS
https://www.youtube.com/watch?v=x7Zs2vXxSUE

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C'est en 2013 qu'apparaît de façon presque invisible le second opus de Volcano Choir. Entre post-folk et post-rock, l'album est réellement fascinant. On pourrait le comparer au Bon Iver, Bon Iver de 2011 et il est vrai que les deux œuvres ont des points communs : ici, les couches se superposent de la même façon. La voix de Justin Vernon se fait parfois plus grave avant de revenir aux aigus célestes ("Keel") et, si Bon Iver incarne la forêt, alors ce "Repave" est un océan abyssal. La folk se marie aux effets électroniques ou à la guitare électrique avec aisance, débutant par des structures répétitives pour aller toujours plus loin au fil des titres et créer des ambiances évolutives s'achevant souvent en apothéose. À écouter impérativement.

Comrade
https://www.youtube.com/watch?v=BcFkcNF6SB0

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/ EAU CLAIRE MEMORIAL JAZZ I

En 2009, Justin est appelé par un collectif de jazz originaire de sa région (Eau Claire) afin d'enregistrer un album live reprenant à la fois des compositions issues de "For Emma..." et des reprises de standards, Duke Ellington en tête. Le résultat est une grande réussite, ne serait-ce que pour les deux reprises de Bon Iver que le supergroupe se réapproprie, alliant virtuosité des musiciens au chant aérien de Justin. Plus surprenant encore, la voix de tête du jeune artiste convient à merveille au tempo classieux des standards. On en redemande.

Bewitched
https://www.youtube.com/watch?v=vaIdxccMGm4

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/ ANAÏS MITCHELL

S'il s'agit d'un album d'Anaïs Mitchell, 7 de ses morceaux sont interprétés en duo avec Justin Vernon. Conçu comme un concept album, véritable opéra racontant le mythe grec d'Orpheus et Eurydice, il s'agit là d'une pièce peu commune dans l'univers folk contemporain puisqu'elle s'appuie sur une musique traditionnelle plutôt éloignée des standards actuels. Ajoutant de sa voix charismatique à l'édifice, Justin contribue à l'aura d'un album aux multiples guests qui, bien qu'indéniablement audacieux et réussi, est trop dense et théâtral à mon goût : il reste néanmoins une collaboration plus que notable dans sa carrière.

Epic (Part 1)
https://www.youtube.com/watch?v=c2bkEhFLGW8

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/ GAYNGS

Supergroupe fondé en 2010, Gayngs est lié à la maison de disques Jagjaguwar et est constitué de plusieurs membres de groupes indie (Megafaun, The Rosebuds, Solid Gold...) dont Justin Vernon. Leur unique album, largement étiqueté soft-rock, s'inspire de la scène new wave des 80s en la modernisant. Sur quelques titres, c'est la voix de Justin qui est privilégiée et valorisée : le son de "Relayted" est hypnotique, sexy et impeccablement produit. Néanmoins, son statut et ses identités abondantes le font parfois s'égarer facilement.

Cry
https://www.youtube.com/watch?v=H4KsWY9XOK0

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/ COLIN STETSON

Le saxophoniste extrême Colin Stetson est connu pour sa trilogie des "New History Warfare" dans laquelle il aura eu l'occasion d'expérimenter des sonorités abruptes venues du jazz, distordues et saturées mais dont la base est un simple saxophone. Les paysages musicaux offerts par le disque, uniques et brutaux, sont liés sur cet opus par la voix de Justin Vernon : guidée par le saxo fou, elle se radicalise parfois d'une façon surprenante ("Brute", proche du death metal), s'évangélise, se transcende ("Among the Sef") au gré d'une quête initiatique vers sa lumière intérieure. La voix de Justin fait office d'instrument, comparable à une musique pure, fusionnant avec les explosions métalliques et les échos mélodieux. Indépendamment du reste, ce disque de Colin Stetson est une aventure en soi qui marque durablement après la première écoute.

High Above a Grey Green Sea
https://www.youtube.com/watch?v=1-rXGtQFww8

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/ JASON FEATHERS

Si Justin Vernon n'a jamais caché sa passion pour le hip-hop, notamment à travers ses quelques collaborations avec Kanye West, ce n'est qu'en 2014 qu'il a pu la concrétiser grâce au projet Jason Feathers : un groupe composé de deux membres de Bon Iver (Justin & S. Carey) et d'un rappeur alternatif nommé Astronautalis. Basé sur les faux-semblants, le groupe voit ses membres revêtir un masque et devenir des personnages fictifs.

Appartenant tous à un pan arty de la scène indépendante, les recrues de Jason Feathers livrent pourtant avec "De Oro" un album d'une vulgarité bling-bling totalement assumée. Bon Iver est déjà très loin : ici c'est guns, drogue et putes le temps d'une virée dans l'enfer californien. Cependant, l'album est cohérent et s'apprécie comme un obscène plaisir auditif de 30 minutes tantôt jouissif, tantôt hypnotique. Le "Spring Breakers" d'Harmony Korine n'est pas loin, mot répété comme un mantra sur l'éminent "Sacred Math" et dont les nappes électriques évoquent la synthwave kitsch d'un Hotline Miami. Étonnant dans son horreur et son abjection, "De Oro" est une pièce intéressante qui tente de conjuguer le génie à la médiocrité : c'est aussi improbable que d'entendre Justin Vernon crier «I am young as fuck». Et pourtant.

Canary in a Goldmine
https://www.youtube.com/watch?v=sfwZM3ahG-E